La chute du templier
Désert Orlésien, 3 semaines plus tôt,
Extrait du journal de Cullen :
« Le désert Orlésien semble une cour hostile à toutes vies. Il vous jauge par ces journées torrides. Le soleil est un procureur, qui vous accable de ses arguments. Votre corps étouffe sous la chaleur, vos poumons se remplissent d'un air sec. Ce traître insidieux, vous évapore à en perdre la tête. Cette alliance assoiffe votre corps, votre esprit, rendant pénible, chaque fonction vital.
Les journées sont à l'image du paysage. Le relief sableux est un témoin de votre souffrance. Mais, votre présence est une injure, vos pas le défigurent. L'honneur doit être lavé. Alors le vent intervient, se chargeant de sable et à cet instant la plaidoirie devient insoutenable devant sa violence.
La clémence pourrait être plaidée la nuit, mais les étoiles sont des jurés impassibles. Alors, elle se montre d'une impitoyable froideur. Elle vous coupe le souffle, pouvant vous emprisonner de son étreinte perpétuelle.
Chaque jour, chaque nuit, un nouveau jugement est prononcé. Les malins, les chanceux, les forts seront ajournés pour un nouveau cycle. Vous affaiblissant encore, encore et encore jusqu’au dénouement. La sentence est une mise à mort sordide. »
Pourtant, des caravanes nomades bravent ce tribunal. Spectateurs impuissants, condamnés en sursis, ils acceptent la justice du désert, la justice de Takeiktek. Ainsi baptisé, les locaux l'ont personnifié, l'humanisant, presque accessible, voir compréhensible. Cullen »
A l'aide des locaux, l'Inquisition avait établi un campement. La raison de cette folie, une brèche récalcitrante. La présence de Cullen, une missive l'ordonnant de s'y rendre en urgence. Il arriva devant une grande tente quand le garde l'annonça. Un homme revêtu dans un manteau léger sortit. On pouvait deviner sous la cape battue par le vent une stature élancée. Le bleu profond de ses yeux s’opposait avec sa chevelure ébène. Étrangement, ce contraste accentuait un l'effet hypnotique de sa personne. C'était l'Inquisiteur.
– Sir Cullen, commença-t-il d’un ton solennel
– Inquisiteur. répondit-il en s'inclinant
– Avez-vous fait bon voyage ?
– Takeiktek, Inquisiteur… concis Cullen
– Intéressant, le rapport qu'ont les nomades avec le désert. s'amusa-t-il,
– Ceux sont des païens ... méprisa Cullen.
– Ha, je les qualifierai presque de Chantriste. Ils ont réussi à réunir en nom, les mots juge et bourreau.
Touché, cette anticipation maladive, doublé d'une vivacité d'esprit faisait de lui un être à part. Le templier se savait pas idiot, mais là ou l'inquisiteur faisait un pas, lui devait en faire trois et en courant. Cette affirmation se traduisait par des nuits blanches à décortiquer des rapports, anticiper l'ennemi, examiner des jours de maquettes des sièges avenir. Son acharnement avait fait ses preuves. Son travail avait payé. Mais là ou son chef le battait haut la main, même si Cullen piquait un sprint derrière lui, il ne le rattrapait jamais, c’était dans les relations sociales. L'Inquisiteur avait l'arrogance d’être chaleureux et convivial. Il inspirait naturellement la confiance. A l'inverse, Cullen était dur, froid et distant. Même si ses hommes respectaient ses qualités martiales et intellectuelles. Il avait hérité du surnom « Le coincé ».C’était un fait, le templier n'était pas doué pour ça.
Il l’invita d'un geste large à faire quelques pas. Un climat chaotique, des locaux aux croyances douteuses et l'Inquisiteur qui l'avait fait venir en urgence. La journée s’annonçait désagréable au possible. Ils se rapprochèrent pour s'entendre. La voix de l'Inquisiteur était calme, chaleureuse, mais grave.
– Comment se porte le front Orlésien ?
– Les troupes de l'impératrice ont enfoncé le front des partisans de Gaspard. Cette guerre se transforme en guérilla.
L'inquisiteur fronça les sourcils à ces mots. Cullen n'était pas un grand politicien, mais cette guerre arrangeait leurs affaires. L’impératrice d’Orlais avait besoin de l'aide de l'inquisition, et l'inquisition du soutien de celle-ci. Une interdépendance se constituait doucement mais assurément.
– Je vois. ce front va s'éterniser. ….
Un cri rompu la conversation. « Météores !» hurla un homme. Le ciel se déchira dans un éclair, laissant apparaître d'énormes rochers dans la splendeur d'une aurore boréale. C'eut été magnifique, si ce n'était pas dirigé contre eux. Le camp se mit en alerte, les ombres s'agitèrent pour fuir. Cullen, lui-même, se demanda un instant, s'il devait fuir ou protéger son Inquisiteur. Puis les météores se désintégrèrent dans des explosions de couleurs, on aurait dit un feu d'artifice. D'ailleurs, la dernière d’entre elle se désintégra dessinant un huit. Cette signature, c’était forcément la compagnie huit, communément appelé « les fous de magie ».
– Nos mages. Une ressource indispensable à l'inquisition contre les brèches... sourit l'Inquisiteur– Cullen acquiesça d'un haussement de tête
– Savez-vous, Sir, pourquoi les mages ?
– Les mages sont une ressource, Inquisiteur.
– Les mages sont la puissance, chacun d'entre eux est unique.
Cullen se racla la gorge à cette pensée, les mages ont surtout une puissance destructrice. Ils étaient dangereux. D'ailleurs, l'inquisition était trop imbibée de magie à ses yeux. Pour rééquilibrer les forces internes. Il avait tout fait pour recruter un maximum de guerriers et d'anciens templiers. Il ne comprenait pas cet engouement pour les mages. Ils servaient l'Inquisition, certes, mais ils restaient des dangers.
– J'ai promis au mage la liberté, c'est pour cette raison que l'Inquisition a soutenu la candidature de Dame Léliana. Je mets à sa disposition des ressources pour affirmer son pouvoir au saint de la Chantrie.
– Une grande cause souffla Cullen, même s’il n’était pas totalement convaincu.
Il n'arriva pas à objecter cette phrase. La liberté, voilà une notion à définir. Les mages pouvaient avoir une liberté, mais sous contrôle. Franchement, ils avaient tellement acquis de liberté, qu'ils se permettaient tout. Par exemple, lors de son dernier séjour à Fort Céleste, il avait remarqué une mage au ventre défiguré par une grossesse. Le père, un mage. La conclusion, un drame, car bientôt un autre mage apparaîtrait sur les terres de Thédas.La liberté, il était d'accord, mais sous contrôle, car il fallait la tempérer.
– Et comme toute grande cause, elle engendre ses propres démons continua l’inquisiteur.
Cullen s'interdit à cette pensée. L'inquisiteur voyait enfin le problème de la surpopulation des mages, au mètre carré. Il n’en revenait pas, ils étaient dans un cas communion psychique.
– Comme les gardes des ombres dissidents suite à l'Inébranlable. Heureusement pour nous, une quantité non négligeable, c’est ralliée sous la bannière de l'héroïne de Ferelden…
« L’héroïne de Ferelden », voilà des mots qui réveillèrent le templier de ses songes.
– Une ressource qui n’appartient pas à l’Inquisition. coupa Cullen
Il était Fereldien, mais il ne voyait pas son rôle dans cette histoire. Grande désillusion pour le templier, il repensera à la prolifération des mages, plus tard.
– Mais à portée …
– L'héroïne n’a jamais donné suite à nos tentatives de rapprochements.
Le templier passa sa main gauche sur sa nuque, que lui voulait l'inquisiteur. Ses mains se joignirent devant lui et il commença à se balancer légèrement.
– Elle n'a jamais émis un refus définitif non plus. Un nouvel interlocuteur pour être une nouvelle source d'inspiration à nos négociations. Cassandra reprendra le front Orlésien. Le templier venait de comprendre, lui, le stratège qui a percé les défenses de l'inébranlable, le commandant, qui a mené l'assaut contre une armée de templiers dopés au lyrium rouge. Il allait être livré et sacrifié sur l'autel de la diplomatie. Il ne pouvait y croire, son inquisiteur, celui qui la soutenu sans concession, même contre ses propres principes. Il allait le trahir. Mais avant la trahison, il y avait bien pire dans cette histoire. C'est que de tous les conseillers de l’Inquisition, il était de loin le plus lamentable des diplomates.
– Par le créateur ....
– Vous souhaitez de l'action, je réponds enfin à votre attente ! conclut-il avec un sourire trop charmeur pour être honnête.
Il plaqua contre le torse l’ordre de mission écrit sur du cuir de fennec. Cullen sursauta sous l’impact. Machinalement, il l’attrapa pour le scruter. Un lieu de rendez-vous, une liste d'action à mener, des noms, mais son attention se porta sur cette phrase en fin de page.
« En cas d'échec toute menace doit être éliminée au nom de l'Inquisition »
Cette phrase le stupéfia d’horreur. Il s’en suivit une multitude de question dans son esprit. Que lui demandait-on exactement. La réponse était évidente, il devait accepter.L'Inquisiteur dépassa Cullen pour se rendre à la brèche, il s'arrêta sans se retourné pour le prévenir de l'importance de la mission :
– Il y a des dangers bien plus proches de nous qu'une poignée de garde des ombres dissidents
– Nous ne pouvons pas ouvrir un nouveau front. réalisa Cullen
La voix de l'Inquisiteur se fit amicale.
– Adieu mon Ami, que le créateur vous aide.
Il disparut englouti par le vent et le sable. Cullen voulait lui répondre avec la même amitié en retour :
– Vous aussi, inquisiteur.
Il en était incapable.