Dans l'ombre de l'Inquisitrice.
Pour la sixième fois, depuis le début de l’entraînement, Violine atterrit sur ses fesses au milieu de la neige ; le froid s’engouffrant toujours plus avant dans son corps du fait de son pantalon d’emprunt détrempé par la poudreuse immaculée. Une nouvelle ecchymose apparaîtrait bientôt sur sa hanche, là où l’arme émoussée avait frappé à plat. La jeune femme commençait sérieusement à regretter cette initiative, car il était évident que cela finirait par se savoir ; par se voir. Elle revenait toujours plus éreintée ; toujours plus courbaturée à mesure que les séances se suivaient dans le temps.
Que ne ferait-elle donc pas, pour prouver à son ainée, qu’elle avait sa place dans l’Inquisition, autre que celle d’être et de paraître ? Reléguée éternellement et plus avant au secret, elle tâchait d’en sortir au mieux. Sans parler du danger grandissant, qui la poussait ainsi à vouloir, apprendre à se défendre ; se défendre sans user de sa magie. Ainsi, s’était-elle plantée devant le commandant, un beau jour à la levée du soleil, les poings sur les hanches et plus déterminée que jamais, à obtenir son aide.
— Par le souffle du Créateur, vous n’êtes pas sérieuse ? Son vis-à-vis avait manqué de peu de s’étouffé, avec le contenu de son gobelet. Il la fixait toujours de ses yeux mordorés, cherchant en elle, quelques débuts d’hilarité. Oh, si, vous l’êtes…, Posant l’objet qui avait bien failli signer la fin de sa vie sur son bureau, il croisa ses bras puissants sur son torse. Et au nom de quoi, je vous prie, vous aiderais-je à vous rendre encore plus dangereuse, que vous ne l’êtes déjà ?
Violine avait alors ouvert la bouche, pour la refermée aussi prestement, son regard s’enflammant à la cinglante remarque de Cullen. Lui, impassible, lui faisait face et fermement opposé à elle, mais d’un calme froid. Les sangs de la mage bouillaient dans ses veines, telles des coulées de lave en fusion, mais elle se tempérait ; elle se tempérait comme elle avait appris à le faire à chaque fois qu’il se fermait à elle de cette façon ; elle se tempérait parce qu’elle savait qu’il avait raison, même si cela lui coûtait de l’admettre. Dame Trevelyan ne connaissait pour ainsi dire rien, à la magie de combat. Son père, tout comme elle, avaient estimés que moins elle en savait à ce sujet, moins elle serait tentée d’en faire usage. Dès lors, elle s’était contenté d’apprendre la magie curative et une base de défensive, afin d’être un minimum armé pour l’avenir.
Toutefois, il semblait qu’elle ait une profonde affinité avec la foudre et donc, la possibilité de faire bien des dégâts, si elle ne se contrôlait pas. Ce constat lui pesait cependant, car si dégâts elle pouvait faire, avec son inexpérience, ce serait tant à l’ennemi, qu’à ses alliés ou à elle-même. En cela, il lui était apparu qu’elle n’avait aucune aptitude pour se défendre autrement, elle ou les autres face à la menace actuelle ; qu’elle était de ce fait un fardeau. De même, elle ne pouvait pas apprendre avec les autres mages présents. Elle cacherait mieux un entraînement aux armes, qu’à la magie ; le premier étant bien moins voyant.
— Bien., Commença-t-elle alors résignée. Je demanderais alors à Blackwall., Rétorqua-t-elle, ravalant son envie intestine de l’invectiver une fois encore. Jene veux pas être plus dangereuse. Je ne souhaite que me défendre sans magie, c’est toute la nuance. Vous devriez être satisfait d’ailleurs, que je tâche ainsi de m’éloigner toujours plus de ma nature, afin de devenir une personne ‘normale’.
Dame Trevelyan n’avait pas pu résister à lancer ce dernier trait acide, en contre-attaque à l’invective de son protecteur. Elle restait néanmoins déçue de son refus, par le crédit et la confiance qu’elle lui témoignait ainsi, même si elle le comprenait. C’était là trop de risques à prendre ; un nouveau secret à garder.
— Je vous ai déjà dit hier, de tenir votre bouclier autrement., Soupira Cullen en lui tendant la main, afin qu’elle se relevât., Recommencez.
La jeune femme, une fois à nouveau sur ses deux pieds, époussetât ses jambes tout en marmonnant d’intelligibles choses à propos des soldats et des armes. Un léger sourire s’esquissa aux coins des lèvres du Féreldien, qui prit soin de replacer la lame et le bouclier dans les mains de son élève. Avec tact et patience, il expliquait une fois encore, montrant mouvement après mouvement, tout en l’encourageant. Le front ruisselant, les muscles endoloris et ses vêtements détrempés, Violine souffrait en silence, accueillant chaque remontrance avec patience ; chaque compliment avec sourire et satisfaction.
Au détour d’un enchaînement complexe, son pied s’emmêla dans les jambes de son instructeur, la faisant trébucher. Dans un début de cri, elle tenta vainement de se rattraper en se tenant à lui, mais ne fît que l’entraîner dans son irrévocable chute ; son poids s’écrasant sur elle, en lui coupant momentanément le souffle. Pourtant, le choc passé, Violine éclata d’un rire cristallin et plus encore, devant la moue embarrassée du commandant.
— Doux Créateur ! S’exclama-t-il en se redressant promptement, la soulageant de son poids. Vous allez bien ? Je ne vous ai pas blessé ?
Et la jeune femme riait encore et encore, incapable de se remettre de son hilarité, à s’en faire mal aux côtes, faisant fi des douleurs de son corps et du froid autour d’elle. Sans crier gare, elle prit une poignée de neige et l’envoya au visage, déjà engourdi, de Ser Rutherford. Cela faisait bien longtemps, qu’elle n’avait ri de la sorte et ne s’était amusée de la sorte. Ce n’est qu’après coup, lorsqu’elle se retrouva face au visage figé de stupeur dudit commandant, qu’un éclair de crainte passa dans ses yeux violets ; la faisant se figer également.
Dame Trevelyan ouvrit alors la bouche pour s’excuser de son geste effronté et enfantin, mais tout ce qui en sortit, fût son souffle coupé par la neige atterrissant sur son visage ; la vengeance du Féreldien, riant à son tour ; riant avec elle pour la première fois, depuis qu’elle le connaissait. L’hilarité la repris alors, une fois la neige chassée de son visage, rosi par tant de fraîcheur. Le rire et l’amusement, malgré la gravité du monde, au milieu de ses heures sombres, leur allaient si bien ; dans cet aparté hors du temps. Revenant au temps présent, la mage frissonna du froid qui lui mordait à présent les chairs et soupira, mais de bien-être cette fois.
— Vous devriez, vous déridez plus souvent, Commandant., Dit-elle en se frictionnant les bras, assise à présent dans la poudreuse., Cela vous va mieux de rire, que votre air sérieux en toute circonstance. Pour toute réponse, elle eût droit à un léger sourire gêné et une main tendue pour se relever, une fois de plus. Je suis incapable… marmonna-t-elle en posant ses yeux améthyste sur ses armes d’entraînement, gisant au sol.
— Non, vous ne l’êtes pas., Le ton était catégorique et sans appel. J'oublie parfois, que vous n’aviez jamais tenu une arme, jusqu’il y a une semaine.
— Vous êtes trop aimable avec moi, Ser Rutherford., Ironisa-t-elle à demi en ramassant l’épée courte et le bouclier. Je ne sais ce que penserait vos recrues de ce traitement de faveurs à mon égard.
— Mes recrues ne se soucient guère de moi, en général. Enfin, pas… pas comme vous le faites ! Sa main gantée en vient à frictionner sa nuque et son air gêné revient au galop ; faisant ainsi sourire l’apostate., De plus, vous ne serez jamais en première ligne, eux bien. J’ai accepté d’apprendre les rudiments, afin que vous puissiez vous défendre. Rien de plus.
— Vous avez accepté, pour que je ne le demande pas à Blackwall. Contra-t-elle avec effronterie et ironie. Le voyant rougir d’une onde de colère, elle contra l’attaque à venir. Et je vous en sais gré.
La tension retomba aussi vite, qu’elle sembla être montée. Réduisant la distance qui les séparait, à rien, l’apostate posa sa main sur le gantelet métallique de l’homme, fixant un instant celui-ci, avant de relever ses yeux améthyste vers le visage du Commandant ; cherchant un instant la connexion avec l’intensité mordoré de son regard.
— Je ne vous l’ai sans doute jamais dit, mais…, Elle marqua une pause, espérant sûrement, ne pas recevoir un mur de glace en plein visage à cette confession ; cet aveu. Merci, Commandant. De toute ce que vous faites pour moi. Sincèrement.
Le vent souffla une bourrasque bruyante, faisant voler une partie de la poudreuse et meublant ainsi le silence qui venait de s’installer entre les deux protagonistes. Il n’y avait pas de réponse ; peut-être n’y en avait-il nul besoin après tout. La teinte rosée que prirent les joues du militaire suffisait à faire entendre qu’il était aussi surpris, que touché de ces remerciements. Violine esquissa un sourire franc, avant de relâcher l’avant-bras de son instructeur, stopper dans son geste, par l’autre main ganté venant se poser sur la sienne.
— Vous pourriez…, Commença-t-il atrocement gêné par le souhait qu’il prononcerait ensuite. Vous pourriez commencer par m’appeler par mon prénom. Je veux dire… Ô Créateur…, Sa langue semblait s’en mêler dans sa bouche et son regard se fit fuyant ; agrandissant le sourire de la jeune noble en face de lui. Je pense que nous… enfin… sommes suffisamment amis, pour ne plus avoir à jouer des titres. Si cela vous convient ! Naturellement.
Violine se retient de rire ; ce n’était pas le moment. Cullen s’ouvrait enfin quelque peu à elle, tout comme elle tentait de le faire. Il y aurait bien encore des colères sombres, des paroles venimeuses et des peurs intestines entre eux, mais pas aujourd’hui. Elle devait cependant admettre, que son air gêné et honteux, comme un enfant prit la main dans le sac, avait de quoi la faire rire, autant que l’attendrir.
— Merci, Cullen., Dit-elle dans un souffle, le prénom de l’homme roulant sur sa langue avec délicatesse.
Elle se hissa alors, sur la pointe des pieds et posa un baiser, des plus amicales, sur sa joue rugueuse, portant une barbe de trois jours. Cela lui avait paru si naturel, qu’elle ne parvient même pas à regretter son geste, même si elle en rougit violemment ; tout autant que le Féreldien, qui sourit néanmoins. Une partie de la glace entre eux venait de se rompre. Il était à souhaiter, que cela fût-ce pour de bon.
Or, dans la béatitude de l’instant, la réalité les rattrapa soudain. Lorsqu’un cor retentit dans le lointain, annonçant le retour d’Eurydice Trevelyan de sa quête au refuge de Therinfal. Un frisson d’appréhension parcouru l’échine de la plus jeune des Trevelyan, qui se rapprocha inconsciemment de l’ancien Templier ; cherchant une fois de plus son réconfort et sa protection. Lui, bien conscient de ce qui poussait la jeune femme à cela, posa sa main contre son dos, dans un geste protecteur et apaisant. Il n’y avait finalement rien que Violine ne désirait plus, que de fuir cette sœur, qui devenait chaque jour, plus dangereuse à ses yeux.
Pourtant, il fallait affronter la réalité. Ils se séparèrent d’un accord commun, l’un partant avant l’autre. Violine ne rentra à Darse, que bien après que le Commandant eut rejoint ses troupes, sa besace pleine d’herbes médicinales ; le prix du secret. Son regard bas, elle passait à travers la nuée de Templiers, qui se faisait chaque heure plus importante ; leurs étendards flottant dans la colonne humaine qui avançait. L’angoisse la prit à l’estomac, le lui tordant d’une horrible manière. Son fardeau, déjà si lourd à porter, ne lui semblait que plus insupportable ; des plus insurmontables.``
Néanmoins, elle parvient à s’extraire de la marée humaine ; celle qui arrivait, tout comme celle qui venait acclamer. Respirant enfin, lorsqu’elle parvient à son point de chute fétiche : le laboratoire d’Adan. Elle se crispa toutefois, en découvrant que sa sœur se tenait là, en grande discussion avec Solas.
— Dans quelques jours, la Brèche sera scellée et nous en aurons terminé avec tout ceci. Je ne vois vraiment pas, ce qui vous met dans cet état, Solas., Maugréa-t-elle de son air moribond.
Face à elle, l’apostat elfe paraissait de bien mauvaise humeur et de très noire composition. Elle le savait, il ne voulait pas de l’aide des Templiers, craignant comme elle, qu’une fois tout ceci terminé, ils enferment à nouveau les mages ; craignant qu’en dédaignant leurs semblables, elle ne fasse qu’attiser le feu brûlant dans leurs veines.
Violine, elle, souhaitait battre en retraite ; profiter que l’aînée ne l’avait pas encore remarquée, pour se permettre d’allonger encore un peu sa quiétude. Son sac dans ses bras, la jeune mage tourna les talons en gardant Eurydice en visuel, fuyant le courroux à venir de son ami elfique également. Toutefois, elle n’avait pu prévoir la suite.
— Violine ?
La jeune Trevelyan se raidit, comme foudroyée sur place ; comme figé par la glace. Lentement, comme dans un rêve, elle opéra un demi-tour sur elle-même. C’était impossible. Non, cela ne se pouvait si tôt après le retour de sa sœur. Faisant face à son interlocuteur, elle sentit ses yeux bouillonnés de larmes ; son ventre se tordre. Des cheveux bruns bouclés. Des yeux couleurs pervenches. Elle en laissa tomber son précieux chargements d’herbes dans la neige boueuse, portant ses mains à sa bouche.
— C’est toi…, Sembla hésité le jeune homme aux traits pourtant tirés ; épuisé par le chemin et les combats passés. Mais un nouveau sourire, sembla fendre son visage. Oui, c’est toi.
— Achilles… Et ses larmes roulèrent sur ses joues rosies par le froid.
N’y tenant plus guère, la cadette parcourue la distance entre eux et se planta devant son frère aîné. Elle revoyait le garçon partant avec les Templiers ; elle avait devant elle un homme fait, un Templier dans la fleur de l’âge. Un désir instinctif de le prendre dans ses bras naquit en son sein, mais elle le refoula, ne sachant que faire. Ce frère, partit il y a des années de cela, elle voulait le retrouver, mais lui, le désirait-il ? Ne serait-il pas déplacé de lui sauter au cou ? Lui qui avait appris à se priver de sa famille ; fait sa vie sans eux. Au fond d’elle, Violine craignait sa réaction, autant que ce qu’il était devenu ; son exact opposé et le visage de ses potentiels bourreaux. La jeune sœur ne pouvait cependant pas rester de marbre face au retour inespéré d’un être aimé. Alors, elle porta sa main à la joue de son frère, parcourant ses traits du bout des doigts, comme elle le faisait jadis enfant, tout en souriant béatement.
— Achilles… Répéta-t-elle idiotement, comme pour se convaincre qu’il se tenait bien devant elle, qu’il n’était pas un songe.
— C’est moi, ‘Line… c’est moi…, Dans sa voix, il semblait vouloir se convaincre lui-même, de qui il se trouvait être, ce qui déchira quelque part le cœur de sa sœur.
Au fond de ses yeux pervenche, elle voyait un être perdu et blessé ; comme s’il avait quelque part laisser son âme et cherchait à la retrouver. Violine l’interrogea du regard, mais pour toute réponse, elle trouva l’étreinte maladroite d’un frère marqué par le temps et la douleur. Ses larmes ruisselèrent plus avant sur ses joues, et elle s’accrocha à l’aîné avec la force du désespoir ; comme pour ne pas le perdre.
Lui, son visage enfouit dans l’épaisse chevelure de jais, pleurait de même. Il se souvenait de l’enfant qu’il avait laissé derrière lui ; une petite fille pleurante et hurlante accrochée à Eurydice. Il retrouvait une jeune femme, qu’il ne pensait pourtant jamais revoir.
— Tu m’as manqué, ‘Line. Susurra-t-il à son oreille, serrant plus fort encore la taille de la jeune femme.
— Tu m’as manqué aussi. Ses doigts dans les boucles brunes du Templier, elle inspira une profonde goulée d’air. On retournera chez nous.
C’était là une promesse qu’elle lui faisait, autant qu’elle se la faisait. Car bien que la Messagère d’Andrasté paru confiante ce jour-là, Violine – tout comme Solas -, ne croyait pas que la fin de tout ceci fût aussi proche qu’elle le pensât.