Dans l'ombre de l'Inquisitrice.

Chapitre 6 : Ici tu demeureras, prisonnière de ton secret, sous les cieux déchirés

5242 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 25/04/2022 12:31

La soirée était belle, douce et froide ; nulle bourrasque ne venait troubler la quiétude de Darse. Rares étaient les lumières se détachant dans l’obscurité, les maisons enneigées semblaient éteintes et pourtant… Crevant l’obscurité, la taverne semblait rayonnée de mille feux et troublait quelque peu le silence étant donné le tapage qui en émanait. Désormais, celle-ci était bien remplie, afin de célébrer une nouvelle victoire de la Messagère d’Andrasté ; une énième raison de suivre Eurydice Trevelyan malgré son mauvais caractère.


Violine était assise sur un muret de pierre, non loin de ce qu’elle nommait affectueusement l’antre d’Adan. Un vague sourire jouait sur ses lèvres bleuies par le froid, tandis qu’elle observait rêveuse, le ciel étoilés et balafré de lueurs vertes ; une vision étrangement apaisante et féérique. À ses côtés, Solas faisait de même, dans un aussi religieux silence. Dame Trevelyan n’avait jamais aimé les bruyantes assemblées et les chambardements de taverne. Elle aimait cependant rire et même chanter à l’occasion, mais elle n’avait pas le talent de sa sœur, pour mettre l’ambiance dans ce type d’établissement. Et puis, elle confessait sans mal, qu’elle avait quelque peu peur de l’un des nouveaux compagnons de sa sœur…


Un colossal Qunari, nommé Iron Bull, doté d’énormes cornes et couturé de cicatrices, à qui il manquait d’ailleurs un œil, lui donnant une allure des plus farouches. Il avait beau être de notoriété publique qu’il soit d’une nature sympathique et enjouée – d’après les quelques commères du village -, Violine ne s’y faisait pas encore ; son arrivée était bien trop récente. Elle préférait dès lors, la compagnie du calme et apaisant apostat elfe à ses côtés ; une des rares personnes à même de réellement la comprendre.


Votre sœur est désormais des plus entourées., Commenta Solas, son regard tourné vers la taverne, tandis qu’il portait à ses lèvres fines, une tasse d’un liquide brûlant., Et de bien meilleure compagnie que la nôtre, visiblement.


La remarque était quelque peu amère, certes, mais la mage ne pouvait lui en vouloir. Violine soupira longuement, se tassant quelque peu sur elle-même, tout en repensant aux derniers évènements. Le Qunari n’était pas le seul nouveau membre de l’Inquisition et tous ne faisaient pas l’unanimité. Pour commencer, le colossal mercenaire avait amené avec lui tout un groupe de gens éclectiques et originaux, mais non moins sympathique ; cela était apparemment un critère de recrutement dans la charge du taureau. Notamment, un certain Cremisius Acclasi, que l’apostate trouvait parfaitement charmant, serviable et aimable en toutes circonstances. Toutefois, elle ne saurait dire si cela était dû à la réelle personnalité du Tévintide ou bien, à son statut à elle.


Venait ensuite le mystérieux garde des ombres : Blackwall. Doté d’une autorité naturelle et d’un charisme tout militaire, il ne cessait de lui donner du noble dame, de sa voix grave et chaude, dès qu’il la croisait, la faisant rougir jusqu’à la racine de ses cheveux de jais. Le garde ne s’en cachait pas, cela l’amusait grandement ; s’en était même devenu un jeu entre eux. De son côté, elle le foudroyait de son regard outré, avant de rire ouvertement. Non, il n’y avait point d’ambiguïté, quoi qu’en pensât Solas, qui l’avait plus d’une fois mise en garde contre Blackwall. D’ailleurs, cette relation amicale naissante, n’était pas non plus au goût du Commandant.


Mais si, les premiers lui étaient quelque peu sympathique – même Iron Bull de loin -, elle n’en dirait pas tant des deux dernières. D’abord, il y avait Sera. Une elfe, à l’air toujours contrarié, farouche et aimant un peu trop semer la zizanie. Ce qui d’ailleurs, ne manquait pas d’en agacer plus d’un, à commencer par Eurydice, et qui ne devait finalement de rester au sein de l’organisation, que par ses talents d’archères, notamment. Toutefois, aux yeux de la mage, elle n’était pas la pire ; tout juste une jeune fille effrontée et indisciplinée, qui cachait -sans doute- ainsi quelques sombres souvenirs. Mais, Violine l’assurait, elle n’était pas la pire.


Non. La pire, c'était encore la grande enchanteresse de Montsimmard, madame de fer : Vivienne. Celle qui, par son statut, s’était imposée comme la conseillère de choix de la Messagère d’Andrasté, lui dictant habilement des vœux, déguisés en souhaits. Ainsi, menait-elle le jeu à son avantage, contrôlant discrètement les faits et gestes de l’aînée des Trevelyan. Ainsi, Solas n’était-il plus dans les bonnes grâces d’Eurydice ; ainsi, irait-elle quérir l’aide des Templiers sous peu et à plus grand dessein, les cercles seraient-ils reformés.


L’impression de Violine à ce sujet était en demi-teinte. Elle craignait certes, avec autant de ces guerriers gavés de lyrium, que son secret ne soit découvert ou même, que sa situation n’en devienne que plus inconfortable. Paradoxalement, elle espérait qu’ainsi, elle retrouverait Achilles ; si toutefois, il était resté fidèle à l’ordre et non parti guerroyé en quelconque contré contre les mages renégats. Contrairement à Solas, la benjamine des Trevelyan n’avait jamais entrevu que son aînée puisse faire un autre choix, que celui d’enjoindre les Templiers. Leur famille tout entière était versée dans l’adoration du Créateur d’une part, et d’une autre chaque génération de Trevelyan avait vu l’un des leur rejoindre l’Ordre. Point de mage donc, ou alors furent-ils bien cachés, voir retirer de la très noble famille. De quoi ajouter plus de poids et d’amertume à son secret ; à son existence même.


Quoi que vous ayez pu soutenir ou prôner, Solas, ma sœur n’aurait jamais soutenu les mages. Elle aurait de toute façon choisie les Templiers…, Soupira la jeune femme en portant sa propre tisane encore fumante à ses lèvres, leur rendant leur couleur rosée., Jadis, elle faillit en devenir une. L’ordre est des plus adulé dans ma famille. Par ailleurs, l’un de mes frères est Templier.


Le dernier souvenir d’Achilles lui fit monter les larmes aux yeux. Elle n’était qu’une enfant, tout juste, avait-elle cinq ans à l’époque. Lui était un jeune adolescent aux yeux pervenches et aux longs cheveux bruns bouclés. Elle avait pleuré encore et encore, accrochée à Eurydice, alors qu’il s’en allait avec deux officiers. Elle se souvenait encore, de son dernier regard triste, mais non moins empli de fierté à sa famille. À l’époque, elle n’avait pas encore découvert sa magie. Ce ne fût que quelques mois plus tard, que l’incident survient et que du souvenir ému d’un frère, survint la terreur du lendemain ; des retrouvailles. Son frère était devenu la pire des menaces pour elle ; comme sa sœur à présent. 

En effet, Eurydice ne se montrait pas plus aimable qu’auparavant, bien que le temps passât et qu’elle observait scrupuleusement ses ordres ; en apparence du moins. Sa seule victoire fût de lui faire consentir de la laisser préparer des baumes et des onguents avec Adan, tout en jurant ne plus toucher un seul blessé. Si seulement, elle savait que ce fût elle qui avait récemment soigné la blessure de Blackwall, ou encore recousu l’arcade de dame Cassandra. Tous observaient le même religieux silence, car tous désapprouvaient l’acharnement avec lequel Eurydice rabrouait sa sœur, là maintenant ainsi farouchement à l’écart des soins et des nécessiteux. Ainsi, un nouveau secret était-il né, mais bien moins lourd à porter cette fois, car elle n’était pas seule. Enfin avait-elle trouvé une utilité ; une reconnaissance. Pourtant, elle n’en demandait pas tant.


Violine ! Votre chaudron !


C’était là, la voix contrariée de l’alchimiste bougon, qui lui tenait sans doute lieu d’ami désormais, qui la fit sursauter, manquant de renverser quelque peu sa boisson tiédie par le froid ambiant. Cela eut le don de faire émettre un rire léger à Solas, qui ne se déridait pas si aisément.


J’arrive, Adan ! Cria-t-elle en retour, tout en descendant prestement du muret, sous le regard amusé et bienveillant de l’elfe.


Allez-vous enfin consentir un jour, à me dire ce que vous préparez ainsi chaque semaine avec tant de minutie ? L’interrogea-t-il alors, tout en la suivant du regard.


Une lueur d’espièglerie passant dans les yeux améthyste de Violine, dessinant ensuite un sourire de la même nature sur ses lèvres, alors qu’elle redressait la capuche bordée de fourrure de sa cape sur ses épaules.


C’est mon secret, Solas, et je le défendrai jalousement. Tout comme vous avec les vôtres.


Puis, elle fila sans demander son reste à l’intérieur du laboratoire de fortune, où elle passait le plus clair de son temps. Faisant voler le riche tissu qui la protégeait du froid, elle déposa son vêtement sur un des coffres et se dirigea alors droit vers sa mixture en ébullition ; juste à temps. Remuant avec application le liquide, elle tira ensuite son petit chaudron de fonte du feu, pour le poser sur l’une des tables. Tandis que les flammes faisaient danser de folles arabesques sur son visage concentré, dame Trevelyan s’appliquait désormais à remplir les fioles de belle taille à sa disposition, tâchant ainsi de ne point en perdre, et de ne pas se brûler. Le tout sous le regard attentif d’Adan.


Je dois admettre, que vous avez su habilement tirer votre épingle du jeu, en faisant croire à votre sœur que vous n’œuvriez que dans ce laboratoire. Très ingénieux et très utile… Hum… Qu’est-ce que vous fabriquez au juste ? Demanda-t-il en se penchant sur le récipient principal, qui se vidait lentement, inspectant ainsi le contenu, tout en humant son odeur.


Un tonique pour mes nerfs et les vôtres… Ironisa la jeune femme, en lançant un regard amusé à l’alchimiste, avant de laisser échapper un léger rire à sa moue boudeuse. Une décoction apaisante. Autant pour faciliter le sommeil, que pour apaiser les douleurs les plus intenses. Ce qui est toujours utile, vous en conviendrez, du moins je l’espère.


À la lumière vivre d’une bougie, Violine inspecta alors la couleur bleue du liquide, désormais prisonnier du verre, avant de bouchonner la fiole une fois parfaitement satisfaite. Le chaudron vidé, les fioles remplies, l’apostate rangea un certain nombre de celles-ci dans la réserve. Elle empaqueta les autres dans une caissette, y ajoutant une petite boite en pierre. Ci-fait, elle prit une vieille cape brune râpée sur la patère et la jeta sur ses épaules, avant d’en remonter la capuche sur sa longue chevelure. Adan soupira, agacé et réprobateur.


Que ne devez-vous faire pour échapper à son courroux… Comme si celui des cieux ne suffisait pas ! bougonna-t-il. Inutile que je vous rappelle une fois de plus d’être prudente. Passé une bonne nuit, Violine. Continua-t-il de maugréer en retournant à ses propres affaires.


Je fermerai pour la nuit, une fois ma tâche accomplie. Bonne nuit à vous aussi, Adan.


La demoiselle quitta alors le laboratoire de fortune, fermant délicatement la porte pour s’enfoncer incognito dans les méandres de la nuit. Lorsqu’elle dépassa le muret, il n’y avait plus nulle trace de Solas. Probablement était-il parti rêver dans cet immatériel fascinant, qu’il chérissait tant, et qu’elle-même n’osait imaginer un jour frôlé, tant cela l’effrayait.


Au fil des discussions avec l’elfe mage, ils en étaient venus à penser de concert, que la marque d’Eurydice était en lien avec l’Immatériel, et qu’elle en tant que mage y était très sensible ; d’autant plus sensible par les liens du sang qu’elle partageait avec la Messagère. Si Violine n’avait plus eu de crise aussi violente qu’à ses premiers jours à Darse, elle n’en demeurait pas moins incommodée par la proximité de sa sœur. Le monde tournait alors au ralenti et quelque chose semblait vouloir la faire flancher ; rompre sa volonté de conservé sa magie sous contrôle. Et cela l’effrayait.


La jeune femme arpentait désormais les sentiers de Darse, croisant ci et là, un soldat de l’Inquisition faisant sa ronde avec application. Ils étaient chaque jour plus nombreux à rejoindre les rangs des soldats volontaires, leur motivation différant quelque peu cela-dit. Les uns voulaient se rendre utile devant la menace des cieux brisés ; les autres criaient vengeance pour la divine. Certains venaient prêter mains fortes à celle que la divine prophétesse avait envoyé les sauver ; quelques-uns voulaient simplement pouvoir dire ‘j’y étais’. Cependant, tous étaient logés à la même enseigne, dans des conditions rudes et souvent déplaisantes, comme l’avait souligné dame Montilyet. L’ambassadrice avait de nombreuses fois tentée de la rallier à sa cause, afin de pousser l’état-major à accepter leur migration vers des cieux plus clément, mais Violine ne se plaignait pas.


Elle laissa quelques fines traces de son passage, sur la neige qui tombait désormais en silence et qui surprendrait les braillards de la taverne, lorsqu’ils en sortiront. Les clameurs qui montaient de son sein étaient un peu plus fortes encore, laissant la demoiselle supposer qu’ils étaient de plus en plus avinés. Au moins, Eurydice n’aurait-elle pas à cœur de lui faire remontrance ce soir, trop imbibée pour encore tenir debout. Ses yeux violets se posèrent sur la lune, ronde et pleine, qui diffusait ses rayons laiteux sur le village à demi endormi, malgré les quelques nuages, lui offrant la lumière nécessaire à son escapade nocturne.


La mage s’arrêta non loin de son domicile de fortune, à une maison à vrai dire, son paquet serrer contre sa poitrine. Avec application, elle s’assura ne pas avoir été suivie de quiconque, afin de conserver le secret de sa venue. La lumière qui émanait de la modeste chaumière était bien pâle en comparaison à celle de l’astre plein qui trônait parmi les étoiles. Inspirant profondément, elle frappa trois coups à la porte de bois, avant de la pousser en silence, accueillant la chaleur de l’habitant avec bonheur. Tout en refermant derrière elle, elle retira sa capuche et s’assura que le propriétaire des lieux était disposé à la recevoir.


Commandant ?


L’homme lui apparut alors, sans sa rutilante armure et sans son manteau à col de fourrure, son gambison ouvert sur sa chemise en lin blanc ; les traits tirés et de profonds cernes sous les yeux, ce qui lui tira un nouveau soupire. Depuis que sa sœur était revenue dernièrement, elle n’avait de cesse d’assister à des réunions qui, apparemment, demandait plus de travail à l’état-major, qu’à elle.


Est-ce que vous savez ce que dormir signifie, Ser Rutherford ? Le sermonna-t-elle, en posant son paquet sur le bureau occupé par un nombre impressionnant de document.


Contrit, Cullen se frotta la nuque en grimaçant, tant de douleur que d’avoir été pris en flagrant délit par la demoiselle, qui s’était désormais fait un devoir de veiller sur lui, malgré ses protestations. Puis, soupirant, il se laissa retomber assis sur la chaise qui jouxtait le bureau, passant sa main toujours gantée sur son visage aux traits tirés.


Le travail ne manque pas, je suppose que vous l’avez remarqué.

Et cela devrait justifier que vous perdiez des heures d’un sommeil salvateur dans votre état ? Continua-t-elle en sortant les fioles de sa caissette, pour les posés sur l’étagère en face du bureau. Ne pas dormir ne réglera pas tous vos problèmes, Ser.

Je ne le sais que trop bien, mais souvent, c’est le sommeil qui semble ne pas vouloir de moi, alors que je le sollicite. Il prit la fiole que lui tendait alors la jeune femme et la regarda enfin réellement pour la première fois depuis son arrivée. Merci.


Violine lui intima de boire d’un geste de l’index, alors qu’elle terminait son rangement, l’œil distraitement attiré par les documents sur le bureau. Des cartes, des plans et des lettres manuscrites, le tout dans un désordre sans nom. Si fait, elle reposa à nouveau ses yeux sur l’ancien templier, qui avait fini d’avaler la mixture bleutée.


J’ai trouvé autre chose… Commença-t-elle avant d’arrêter en voyant la moue de son patient. Non, je n’ai pas usé de la magie pour le faire, arrêtez un peu vos sous-entendus !

Je n’ai rien dit ! Se défendit-il en reposant la fiole vide dans la main de Violine.

Votre regard en dit assez long. Mais soit… La fiole retourna dans la caissette et la jeune femme ponctua son geste d’un nouveau soupire. C’est un onguent. Il a la particularité de réchauffé la zone sur laquelle, vous l’appliquerez et donc, normalement, soulager vos douleurs dans le même temps.


Dame Trevelyan prit alors son petit récipient en pierre, qu’elle ouvrit pour en humer l’odeur délicate de plantes. Elle aimait les odeurs herbacées, même si souvent prenantes et puissantes, elles n’en demeuraient pas moins entêtantes et réconfortantes. Celle-ci, lui rappelait les jardins de la demeure familiale, lorsqu’elle s’y reposait en été, sous la chaleur parfois étouffante des après-midis dans les Marches Libres, à des lieux du froid glaciale de Darse. Sortant de sa rêverie, elle referma le contenant et le tendit à Cullen.


Vous m’avez dit souffrir du dos hier, je vous laisse trouver quelqu’un de confiance pour vous l’appliquer.


Les paroles étaient peut-être quelque peu piquantes et légèrement amères, mais c’était de bonne guerre après tout. Bien que leur relation soit cordiale, - voir de plus en plus amicale -, il demeurait cette méfiance, teinté de quelques rancœurs intestines entre eux. Lorsqu’il ne souffrait pas, Cullen avait la fâcheuse tendance à lui rappeler à demi-mots ce qu’elle était et toute la défiance que cela lui inspirait. Violine avait beau se comporter comme une personne lambda, elle ne parvenait visiblement pas à gagner la confiance du Féreldien. Le contenant n’avait cependant pas quitté sa main tendue, que l’ancien Templier fixait pourtant avec intérêt.


Vous… Commença-t-il en détournant ensuite son regard gêné, ce qui intrigua la jeune femme. Vous êtes de loin la personne la plus qualifiée pour cela.

Peut-être, mais vous ne me faites pas confiance et…

Je devrais pourtant., il soupira longuement, jouant nerveusement avec ses doigts sous ses gants bruns, sans jamais oser un regard vers elle. Vous ne m’avez jamais donné motif à ne pas vous l’accorder et je… C’est compliqué, vous savez., Conclu-t-il dans un souffle laissant apparaître toute la dualité que la situation imposait à son esprit.


Violine acquiesça, avant de fixer un point invisible à ses pieds. Oui, elle savait qu’il était difficile d’accorder sa confiance lorsqu’on avait été blessé, surtout de cruelle manière. Mais si elle ne sautait pas sur l’occasion d’aider si intimement le commandant, c’est parce qu’elle en était très gênée. Soigner des blessés était une chose ; elle se détachait de ces gens-là, ne les connaissant pas personnellement et n’ayant jamais eu de conversation avec eux avant de les soigner. Cullen, c’était différent ; elle le côtoyait, lui parlait et la durée des soins apportés tendait vers une certaine chronicité. Mais, il venait d’avouer à moitié qu’il avait besoin d’elle ; qu’il lui conférait une once de confiance qui, lui coûtait d’admettre. Quelque part, elle en était aussi surprise, que reconnaissante, même si elle en était tout de même très embarrassée. Discrètement, elle inspira profondément, se décidant à lui répondre.


Bien. Remontez votre chemise, voulez-vous. Violine tenta de mettre un peu d’aplomb dans sa voix, alors qu’elle n’en avait aucun. Semblant faussement décontracté face à la tâche à venir.


Elle lui tourna alors le dos, retirant sa cape, qu’elle posa sur un crochet au mur, laissant ainsi à l’homme une certaine intimité, ne souhaitant nullement s’immiscer plus loin qu’il n’y consentait. Elle-même aurait bien du mal à se livrer ainsi, avec quelqu’un en qui elle n’avait qu’à moitié confiance. Alors que ses doigts dévalaient lentement le tissu de sa cape, elle fixait cette dernière en tâchant de faire baisser la tension, qui venait de naître en son sein. Son cœur dans sa poitrine battait la chamade, tel un démon cherchant à quitter l’immatériel, en s’esquintant à cogner contre le voile. Inspirant profondément, elle tenta de calmer ce dernier, afin de ne pas communiquer son inconfort à son patient.

Lorsqu’elle fit volte-face, le commandant s’était exécuté, retirant son épais gambison et le tissu de sa chemise de son dos, mais tout en couvrant habilement l’avant de son torse, dans un geste de pudeur qu’elle comprenait bien. Violine s’enduisit les mains de l’onguent, avant de poser timidement ses mains délicates sur les épaules de l’ancien templier. La crispation était autant de son côté à lui, que du sien, et elle se sentit rougir d’une telle proximité, jusqu’à la racine de ses cheveux ; c’était bien là, la première fois qu’elle se retrouvait aussi proche d’un homme.


Tâchez de vous détendre. Le pria-t-elle, sous entendant qu’elle l’en espérait capable.


Méticuleusement, avec non moins de douceur et de délicatesse, elle parcourut les muscles endoloris du soldat, de ses larges épaules musculeuses, à la base du dos, tâchant d’en délier les nœuds. Ci et là, elle rencontrait les vestiges de sa vie d’antan, sous l’apparence de quelques cicatrices bien marquées, ou plus discrète ; une vie bien remplie pour un Templier ; trop remplie peut-être. Sa peau sous ses doigts, malgré les sévices d’antan, était douce et délicate ; ce qui la fit rougir plus avant de seulement y songer. Cela lui semblait si intime, que cela avait un goût d’interdit.


 Au fur et à mesure, la pression sembla quittée le Féreldien, mais la douleur restait présente. Elle la voyait, dans sa mâchoire qui se contractait ; l’entendait dans l’arrêt de sa respiration, qu’il reprenait brusquement dans un soupir d’aise retrouvée. Pourtant, sous ses doigts, qu’elle espérait suffisamment habile, elle le sentait frissonné et pas d’appréhension, ni de désagrément, mais plutôt de soulagement. Elle en termina par sa nuque ; cet endroit qu’il semblait particulièrement le tourmenté, vu le nombre de fois qu’elle le surprenait à le masser ; perdant le bout de ses doigts un instant, dans la naissance de ses boucles dorées. Puis, comme pour chasser d’anciens démons, elle repassa sur ses épaules dans un mouvement rapide. Enfin, elle retira pour de bon ses mains qui s’échauffaient, tant par le travail que par l’onguent, de l’épiderme du Commandant.

Pas un mot, pas un bruit, n’avaient transpercé le silence pendant les longues minutes que cela avait duré et maintenant encore, personne n’osait le brisé, de peur de rompre la béatitude de l’instant ; d’effacer cet aparté dans le temps et brisé le mur dressé avec la réalité. Pourtant, il le fallait.


Si cela fonctionne, je peux en refaire assez aisément…


Ses yeux améthyste croisèrent ceux de son patient, empli d’une certaine gratitude, mais donc la méfiance naturelle à son égard revenait au galop. Elle savait pertinemment ce qu’il voulait lui demander et cela lui faisait par avance bouillir les sangs et son regard se durci alors. L’altercation allait avoir lieu, elle le sentait dans l’air alourdi par les non-dits, par des rancœurs amères qu’il tenait encore en son sein et dont elle ne savait rien. Elle réagirait avec venin, parce que telle était finalement devenu leur relation. Mais l’altercation n’eût pas lieu, car elle prit position avant que cela n’arrive.


Ne me posez pas cette question, s’il vous plait. Dit-elle avec tristesse et amertume, se détournant de lui et brisant ce lien qui unissait un instant plus tôt leurs regards si singuliers. Je n’ai jamais utilisé la magie sur vous, et je ne le ferais jamais. Je ne peux me résoudre à vous tromper en quelques façons que ce soit. Pas après tout ce que vous avez fait pour moi. Tandis qu'elle fait volte-face, la jeune femme reprit sa cape usée et, sans la remettre, se dirigea vers la porte.


Une fois de plus, la maigre confiance installée sembla volée en éclat ; fragile illusion que cela pouvait être entre un Templier et une mage. Le fossé était par trop bien creusé et, Violine haïssait plus avant encore, ses semblables qui avaient heurté si durement le Féreldien ; la condamnant ainsi à toujours se heurter à ses défenses inébranlables ; lui qui pourtant, continuait de veiller sur elle, comme un frère. Mais l’apostate n’atteint pas la porte. Une poigne de fer s’agrippa à son bras, l’arrêtant dans son élan.


Dame Trevelyan…, La voix de Cullen à son oreille était étrangement douce, teinté d’excuses non formulées et d’une pointe de tristesse ; tristesse d’être à ce point incapable de passé au-dessus de ce qu’elle était ; tristesse de l’avoir une fois de plus blessé.


Les larmes amères de la jeune noble quittèrent ses yeux violets, alors qu’elle était à nouveau face à lui. Un instant, elle aurait souhaité fondre dans ses bras, et le serrer aussi fort qu’elle pouvait sans crainte serrée ses frères, avec tout l’amour fraternel qui débordait de son cœur. Mais la pudeur et le respect l’en empêchaient. Sans parler de la timidité de Cullen ou du manque de bienséance que cela serait. Si on les surprenait, ce serait la fin.


Vous n’imaginez pas, à quel point c’est dur pour moi., Commença-t-elle en retenant le sanglot dans sa voix, qui menaçait de la faire chanceler. Chaque jour que le Créateur fait, je lutte contre ma nature profonde, pour la cacher aux yeux du monde, car je crains pour ma vie, depuis l’âge de six ans ! Je fais de mon mieux, Commandant. Ma sœur me rejette constamment et vous aussi ! Chaque fois que je fais un pas vers vous, vous me renvoyez à ce que je suis. Chaque jour, vous me blessez un peu plus, alors que je n’ai rien fait pour le mériter., Avec rage, elle passa sa main sur ses joues rougies et brûlées par ses larmes., À vos yeux, je suis un monstre, je le sais, et pourtant, j’essaie de vous aider. Vous savez, j’ai souvent prié le Créateur, qu’il me retire ma magie. Prié, pour être enfin quelqu’un de normal, mais il ne m’a jamais entendue. Parfois, j’en viens à me dire, que je n’aurais jamais dû venir au monde, ou que j’aurais dû suivre Eurydice au Saint-Temple Cinéraire. J’y serais morte et je serais en paix !


Ne dites pas cela ! Le ton durci dans la voix du grand blond, la fit sursauter, autant que l’instant où il l’empoigna, pour la secouer un bon coup., Ne dites plus jamais cela, Violine.


Le souffle un instant coupé, la jeune femme inspira profondément pour tenter de reprendre à la fois ses esprits et un peu plus écraser ses sanglots au plus profond de son être. Elle se trouvait pathétique à cet instant ; incroyablement pitoyable et peut-être injuste. Mais là était le résultat, d’un trop plein d’émotions, qu’elle ne parvenait plus à retenir en elle. De la solitude, à l’inutilité ; de la remise en question, aux réponses qu’elle n’aurait jamais. Perdue, elle ne savait plus réellement où elle en était. Ses poings serrés, elle sentit la morsure de ses ongles dans la chair tendre de ses paumes. Tout ce qu’elle voulait à cet instant, c’était d’un peu de tendresse et d’amitié, chose que les deux seuls ‘’amis’’ qu’elle avait, lui refusait ; ce n’était pas dans leurs caractères. Ô combien Nicholas le souriant, Cassiopée la bienveillante et Priam le souriant lui manquaient en cet instant. Se lover dans leurs bras et pleurer tout son soûl ; expié cette faute qu’elle n’avait jamais commise.


Des bras l’entourèrent alors, gauches, maladroits, mais forts et réconfortants, enserrant ses épaules. Elle se raidit un instant, tant de surprise, que parce que sa conscience hurlait à l’inconvenance. Elle se coula alors, contre le torse musclé du Féreldien, enserrant sa taille de ses bras bien mince en comparaison des siens et laissa ses larmes s’échappées à leurs guises, mouillant ainsi la chemise en lin blanc de l’homme.


Je suis désolé. Murmura-t-il alors, lavant ainsi ses offenses d’avant, et laissant ensuite le silence les englober, pour ne plus être troublé durant de très longues minutes.


Et c’était suffisant, pour qu’elle lui pardonnât, car bien incapable de l’invectiver plus avant. Elle ne savait pas, ce que cela lui coûtait de s’excuser ; ce que cela lui coûtait de la tenir dans ses bras. Elle ne savait rien, du bien et du mal qui le traversait. Elle n’en saurait rien avant longtemps. Car, c’est en silence, que Violine le remercia de cette maigre étreinte avant de le quitter, et de s’enfuir à la faveur de la nuit.


À la porte de la maisonnette, Cullen la regarda se fondre dans la nuit, demeurant ainsi dans le froid mordant, bien après qu’elle eut disparu de sa vue.


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