Les Mondes Écarlates
DAI Fanfiction- Les Mondes Écarlates
Prologue
La montagne, long cortège de pics escarpés, étendait ses lignes titanesques sous nos pas de fourmi.
Une brume épaisse, immense voile de gris et de blanc mêlés, s’était déposé sur les silhouettes et les vies alentours.
Des rafales furieuses aplatissaient la flore déjà affligée, sifflant entre les roches hérissées de pointes, nous obligeant à courber le dos.
A mesure que nous avancions, les pierres roulant sous la semelle de nos chaussures, le sommet paraissait s’élever encore un peu plus.
Cela faisait quatre longs jours que nous marchions, ou peut être sept- la fatigue fait perdre toute notion du temps- et les vivres commençaient tout doucement à s’amenuiser.
Darse-ou ce qu’il en restait- devait être bien loin désormais, et j’en venais à me demander si j’avais bien fait de m’en remettre à Solas quant au choix de la destination à suivre.
Plusieurs fois j’avais tenté de le questionner, mais il était resté, comme à son habitude, exagérément énigmatique.
« Patience Messagère. », M’avait-il dit, « Faites-moi confiance. »
« Plus facile à dire qu’à faire, camarade Elfe. », M’étais-je dis en moi-même.
Car si je n’avais eu aucune difficulté à établir des points d’entente avec mes autres compagnons, Solas demeurait pour moi un mystère. Une équation compliquée que je n’étais pas certaine de vouloir résoudre.
J’enviais sa nature libre, insolente, qu’aucune chaîne n’était semble-t-il, parvenu à dompter.
Face à lui, je me faisais la sensation d’être tenue en laisse, prisonnière du carcan Chantriste comme les Saarebas au sein du Qun.
Car en plus de son statut d’Apostat, il était ce que l’on appelait communément un « somniari », de ces mages dotés d’une faculté incroyable qui leur permettaient de visiter l’Immatériel sans pour autant céder aux démons qui le peuplent.
Et s’il déroulait volontiers le fil de ses périples, des ruines antiques aux arènes des batailles passées, il ne dévoilait rien, ou presque, de l’homme qu’il était en réalité.
Mais puisqu’il était hors de question de demander asile auprès de Férelden, moins encore auprès d’Orlaïs- à moins d’être prêt à renoncer à notre indépendance- je me voyais forcée de m’en remettre à lui.
Après tout il ne m’avait pas sauvé, veillant sur mon sommeil pour empêcher que l’ancre ne me tue, pour décider de me jeter dans le premier précipice venu lors de notre périple dans les montagnes !
Prenant appui sur mon bâton, j’escaladais un dernier bloc, me retenant d’une main sur un maigre buisson et parvint enfin sur le plateau.
Instant très solennel que celui de l’arrivée.
La nature elle-même semblait s’être parée de ses plus beaux atours pour fêter notre avènement.
Des arbres inconnus étendaient leurs aiguilles pour venir chatouiller le ciel tout proche et exhalait de merveilleuses senteurs de résine fraîche.
Je crus entendre des chants de cloches, mélopée divine accompagnant nos pas jusqu’à destination.
A part quelques empreintes de pattes d’oiseau, le tapis de neige demeurait paisible.
« Nous y voila, Fort Céleste », Déclara Solas lorsque j’arrivais à sa hauteur.
Je jetais l’ancre de mon regard à l’horizon et manquais de laisser échapper un cri de stupeur :
Dans le creux des montagnes, une forteresse immense étendait ses longues tours crénelées dans l’azur des cieux.
Semblant se fondre dans la roche, elle reposait sur une vaste étendue d’eau gelée, cascade d’autrefois endormie sous la glace, comme un esprit figé derrière les déchirures du voile.
Un appontement colossal surmonté de deux avant-postes, de longues fortifications qui semblaient la ceindre comme des mains en coupe : elle se tenait là, vestige imposant et tranquille.
Une clameur monta de la foule derrière moi. Certains pleuraient à chaudes larmes, tandis que d’autres laissèrent éclater leur joie comme autant de feux d’artifices.
Nous avions à nouveau l’occasion de nous attacher à un lieu.
Ne plus fuir, toujours et continuellement dans un brouillard de larmes et de regrets.
Nous reconstruire peu à peu, au fil de l’eau et des saisons.
Reprendre des forces avant d’affronter le pire.
« Solas…c’est magnifique. », Dis-je dans un souffle.
***
24 Drakonis, 9 :41 du Dragon
Journal de bord
Quartiers de l’Inquisitrice Trevelyan
Fort Céleste
J’avais entrepris la tenue d’un journal à mon arrivée à Darse, cela me paraissant un excellent moyen de stimuler ma mémoire défaillante après les évènements du Conclave.
Mais puisqu’il se trouve désormais sous la neige de l’avalanche qui a emporté le village, je me demande à vrai dire, par où je vais bien pouvoir commencer.
Puisqu’il me serait difficile d’en retranscrire le contenu avec exactitude, je choisi de débuter un nouveau chapitre et me contenterai donc d’une brève présentation.
Et ce même si ces pages n’ont pas pour vocation d’être publiées (je suis loin d’avoir l’étoffe d’un Varric ou d’un Génitivi)
Je me prénomme Lohata Trevelyan. Inquisitrice Lohata Trevelyan pour être plus précise.
Inquisitrice… Ce titre me paraît encore bien étrange je dois l’avouer, et plus encore lorsqu’il s’agit de l’écrire noir sur blanc.
Je suis née le 21 Gardien 9 :32 du Dragon dans une cité-état du nom d’Ostwick, dans les Marches Libres.
Moins animée que la fourmilière bouillonnante qu’est Kirkwall mais plus ouverte que sa presque jumelle d’Osterburg, ma ville natale est surtout connue pour son Grand Tournoi (mais aussi ses courses de fromages graissés sur lesquelles je ferai l’impasse)
Cette incroyable journée de joute qui, une année sur deux, voit débarquer les combattants des quatre coins de Thédas, en quête de gloire ou de fortune.
Mais ce dont je me souviens davantage, évocations plus personnelles des brumes de mon enfance, ce sont les jours de marché sur le port.
Le parfum des huiles de fleurs Orlésiennes, celui du cuir Antivan et les longues promenades que je me plaisais à faire, lorsque la tour de Faxhold n’était encore pour moi que cette ombre lointaine, ce poignard immense planté dans les eaux côtières et qui deviendrait bientôt ma seule fenêtre sur le monde.
Je l’avais rejoint un beau matin d’hiver, lorsque la neige recouvre les pavés et que les cuirassés dorment d’un long sommeil gelé dans les eaux du port.
Notre gouvernante m’avait surprise à envoyer de minuscules boules de feu dans la neige alentour et avait menacé de démissionner si je n’étais pas immédiatement confiée au Cercle.
Mais contrairement à un grand nombre de mes confrères Mages, mon départ pour la Tour se fit sans heurt.
Pas de Templiers brutaux qui m’arrachent aux bras aimants d’une mère, ni de larmes, ni de cris.
Chez les Trevelyan, l’on ne se laisse pas aller à de grandes embrassades ou à quelconque élans sentimentaux, cela vaut bien pour les petites gens.
Non, l’on préfère se tenir droit et fier comme les statues d’Andrastée, quitte à finir par se craqueler et tomber en poussière à force de refouler ses névroses.
Mes pieux parents étaient sans doute même soulagés d’être débarrassés de ce poids, de cette fillette bavarde et expansive que j’étais.
Quant à moi, j’avais surtout la sensation de sortir d’une prison pour entrer dans une autre.
J’avais alors douze ans et ma vie, ne m’avait jamais appartenu.
Car même si la magie n’avait pas éclaboussé ma très convenable naissance, comme le torrent implacable qui creuse son chemin à travers la pierre, j’aurais eu à choisir une fois adulte, entre la bure Chantriste ou l’armure de Templier.
Chanter le Cantique de la Lumière, ou se taire. Dans la plus pure tradition Trevelyan.
Aurais-je voulu chanter autre chose, devenir ménestrelle ou barde peut-être, que personne ne l’aurait jamais su.
Et ce n’était pas en étant enfermée dans un Cercle que j’aurais pu me découvrir une quelconque vocation.
Mais malgré tout, malgré la surveillance constante et taciturne des Templiers et le monde qui se limitait alors aux murs d’enceinte de la Tour, j’avais fini par en prendre mon parti.
Explorant toutes les possibilités que m’offraient mes pouvoirs, apprenant à maîtriser mes sorts élémentaires de prédilection, tel que le feu ou la foudre.
Alors certes, mon insolente nature et ma propension à poser des questions m’avaient valu quelques réprimandes.
Car si j’étais un élément doué d’un point de vue purement pratique, mon comportement lui, avait le chic de mettre les enchanteurs en boule.
« Vous me ferez 100 lignes du Traité de magie de feu, Demoiselle Trevelyan. Et apprendrez ainsi qu’il ne faut pas répondre à votre mentor et/ou ennuyer les Templiers avec vos remarques incessantes. », M’entendais-je souvent dire, refrain dont les paroles changeaient sensiblement au rythme de mes affronts.
L’âge venant, j’avais toutefois fini par apprendre à tenir ma langue, et la vie suivit son cours.
Dix-sept années s’écoulèrent, calmement, d’études appliquées en cours pratiques, sans que rien ne vienne jamais troubler la monotonie de nos existences.
La nouvelle de l’explosion de la Chantrie de Kirkwall et de la rébellion qui s’en était suivie nous parvinrent d’abord sous la forme de murmures, rumeurs qui couraient à travers les étages de la Tour.
Puis ils se changèrent peu à peu en cris, tumulte extérieur qu’il nous fut bientôt impossible d’ignorer.
Lassés d’attendre un ordre qui ne venait pas, certains Templiers quittèrent leur poste pour ne jamais le reprendre, suivis de quelques mages qui disparurent en même temps que leur phylactère.
C’est ainsi, dans une Tour presque désertée, que le Premier Enchanteur m’avait enjoint de me rendre au Conclave pour y représenter le Cercle.
Si je m’étais bien gardée de l’embarrasser avec mes interrogations, j’en avais déduit que mon titre de Noblesse avait sans doute pesé plus lourd dans la balance que mes mauvaises habitudes.
Je venais à peine de réussir ma confrontation, quittant ainsi le quartier des apprentis pour celui des Enchanteurs de rang, qu’il me fallait déjà me soumettre au destin que mes pairs avaient choisi pour moi.
Et me voila des mois plus tard, entre les murs de cette immense forteresse devenue mon foyer.
Si je me plais à Fort Céleste et qu’au fil du temps j’ai su nouer des liens étroits avec la plupart de mes camarades, je réalise que l’Inquisition n’est qu’une tempête de plus qui m’a prise dans son sillage à mon corps défendant.
Si j’ai charge d’âmes, la mienne n’a en fait, jamais été à moi.
Mais il est des instants pour se plaindre et d’autres comme celui-ci, où il faut savoir s’asseoir sur ses petites prérogatives et continuer d’avancer.
Et c’est ce que je m’appliquerai à faire, aussi longtemps que Coryphéus et son armée menaceront le Monde.