La petite voleuse de cookies
Chapitre 19 : C19 : Long is the road to your kiss
4104 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 01/10/2017 19:31
CHAPITRE XIX
JACK HARKNESS
Il n'avait en réalité aucune espèce d'intention d'amener les choses sur le tapis trop précipitamment. Tout d'abord, ils étaient ressortis sans son manteau, qui était vraiment très distinctif, et elle avait pris – il s'en doutait – un malin plaisir à lui annoncer qu'elle allait le déguiser en touriste... Elle lui avait prêté un bob et des lunettes de soleil, puis ils s'étaient arrêtés dans une boutique où ils avaient acheté pour lui un bermuda blanc et une horrible chemise hawaïenne bariolée.
Le meilleur moment de complicité avait probablement été quand il les avait passés dans une cabine d'essayage, et puis était ressorti pour lui faire voir, et qu'elle avait levé les pouces en s'écriant « On garde ! ». Il avait protesté pour la forme qu'il était kitchissime là-dedans, elle lui avait rétorqué que le but de la manoeuvre était qu'il soit méconnaissable à peu de frais, puis elle s'était dirigée vers la caisse en sortant sa carte de crédit.
Alors il était venu près d'elle et avait posé avec un naturel confondant une main gauche opportuniste et flatteuse sur sa taille en demandant trop tendrement à son oreille pourquoi elle payait. Elle ne l'avait pas repoussé et juste répondu aussi bas : « On se calme, Pretty Woman. Je suppose que vous n'avez pas gardé d'argent local ? »
La façon dont elle l'avait appelé « Pretty Woman » comme une allusion à l'histoire du travestissement qu'il y avait entre eux, l'avait rendu assez euphorique, à peu près comme si tout lui revenait en mémoire en même temps. En ressortant avec ses sacs à la main, il avait argué qu'il pouvait toujours la rembourser, si elle acceptait de faire un détour par une cache où il avait laissé de l'argent avant de quitter la Terre. A l'époque, il n'avait pas été pas vraiment sûr que ce serait un adieu définitif à cette planète… Elle avait haussé une épaule moqueuse en disant que son salaire de prof lui permettait de les lui offrir. Et que ça lui ferait un souvenir.
Des souvenirs d'elle, en fait, il en avait quelques autres de relativement plaisants, mais pas autant qu'il en aurait voulu.
Ils étaient allés prendre un verre, avant de se chercher un restaurant sympa. Et pendant ce temps, elle lui avait posé des questions sur ce que ça lui faisait d'être de retour ici, et comment c'était de vivre sur Velquesh en comparaison… C'était une compagne très agréable et malicieuse, jamais pesante. Il commençait à comprendre pourquoi le Docteur aimait être avec elle, à défaut de comprendre pourquoi elle aimait être avec lui.
Détendue et dans son milieu, elle ne ressemblait pourtant pas tellement à celle qu'il avait connue. Son regard sur lui était différent. Le regard de la Clara Oswald victorienne était sans conteste plus admiratif. Elle le prenait pour ce dont il avait l'air, avec une honnête simplicité, dépourvue de tout artifice. Mais cette « Moneypenny » semblait déjà avoir une opinion bien arrêtée sur lui et le trouver bien plus amusant qu'il ne le prévoyait.
Pendant le dîner, elle lui apprit qu'elle n'était pas restée inactive et qu'elle avait retrouvé Helen Magnus parce qu'elle espérait avoir le fin mot de l'histoire… C'est en la faisant parler qu'il réalisa alors que pour elle, malgré le ton distancié et amusé qu'elle avait pour parler de son expérience, tout ceci s'était produit très récemment. Puis en continuant plus avant, il comprit qu'en réalité, elle avait cherché après lui tout de suite après être rentrée. Et cela lui causa une vive émotion imprévue.En ce qui le concernait, un peu moins de cent cinquante ans s'étaient écoulés. Il ne manqua pas de s'en prévaloir cocassement pour expliquer les légères défaillances de sa mémoire et cacher un peu ce que cela lui faisait.
Entre deux bouchées de sa salade, elle l'encouragea en le titillant d'un air finaud : « Allons, vous devez bien vous souvenir si c'est vous qui avez eu Jack l'Eventreur, non ? ». Ce fut l'occasion de lui avouer que non, ce qui l'arrangeait plutôt s'il voulait passer pour un type à peu près correct aux yeux exigeants de la petite institutrice. Helen et ses amis s'étaient occupés eux-mêmes de Druitt, quelques mois plus tard. On avait parlé d'une noyade dans la Tamise mais le corps n'avait jamais été retrouvé. Pourtant, les meurtres avaient cessé. Il n'avait pas fait pression sur Helen pour en savoir beaucoup plus étant donné le lien qui l'unissait au meurtrier. Au vingtième siècle et avec de la technologie alien, il n'aurait pas lâché l'affaire. Mais au dix-neuvième et sans moyens… un type comme Druitt était proprement insaisissable et quasi intraçable... Il pouvait être n'importe où en différents points du globe en simplement deux secondes…
Elle demanda ensuite en l'écoutant avec une attention identique et cette même patience qu'avait sa jumelle, si c'était Helen qui lui avait raconté tout ça et il devinait à son ton et à son regard brillant qu'elle savait quelque chose.
Au-dessus d'un dessert au chocolat commun livré avec deux cuillers, elle manœuvra pour le faire parler d'Helen, laissant échapper ici ou là des bribes de la conversation qu'elle aurait eue avec elle. Apparemment Magnus ne l'avait pas du tout enfoncé. Bonne surprise. Avec un peu de réticence, elle lui avoua qu'elle avait du mal à le voir comme un père de famille en train d'élever un enfant. Il répondit pour l'amuser qu'il n'en faisait pas une mauvaise habitude, mais que ça pouvait arriver occasionnellement, ce qui fit naître un sourire sur ses lèvres.
Très mal à propos, il se disait rêveusement que s'il pouvait les embrasser maintenant, son baiser aurait un merveilleux goût de chocolat… Il n'y avait pas de chocolat sur Velquesh. La Terre était la seule putain de planète de tout l'univers où il y avait du chocolat… Il avait déjà embrassé celle qui se faisait appeler Clara Oswald, mais pas « Moneypenny » et il avait envie de savoir si cela lui rappellerait d'autres souvenirs agréables.Mais elle s'était levée gracieusement pour annoncer qu'elle allait aux toilettes. En fait, elle allait aussi et surtout payer le repas, ce qui ne lui plaisait pas énormément mais il n'avait pas trop le choix.
Quand elle le rejoignit dehors, elle le prévint qu'il ne lui restait que le temps de trajet de retour jusqu'à chez elle pour lui parler de tout ce qu'il avait soigneusement évité d'évoquer jusqu'alors.
— Vous voulez rentrer déjà ? Il fait doux et il n'est pas si tard, souligna-t-il un peu déçu.
— Mon cher, je travaille demain, et je dois être à mon poste avant 8h…
Son humeur s'assombrit un peu. Il supposa qu'il avait peut-être un peu trop espéré rester davantage auprès d'elle. Passer la nuit avec ? Sans doute trop présomptueux de sa part. Quand ils arrivèrent dans sa rue, elle poussa un petit soupir et elle lui dit :
— Vous savez, Helen n'est pas venue seule. Elle était accompagnée d'un jeune homme qui travaille avec elle… Peut-être que vous aimeriez le rencontrer ?
— Vous savez, dit-il pour l'imiter, d'habitude je n'ai pas besoin d'entremetteuse pour m'aider à rencontrer de jeunes hommes…
— Il paraît. Mais celui-là est un peu spécial. Il s'appelle… Will Zimmerman.
— Et à quoi il ressemble ?
— Il est mignon comme tout !
— Ce que c'est d'avoir de bons gènes, quand même… fit-il en mâchouillant un sourire.
Elle stoppa devant sa porte.
— Et voilà, je suis arrivée et vous ne m'avez toujours rien dit. Figurez-vous que je vous aurais cru plus courageux…
— Miss Moneypenny, je suis l'inventeur de la provocation gratuite… l'avertit-il avec un sourire un peu orgueilleux. Mais vous devez vous levez tôt demain et peut-être que ce que j'ai à dire, ou les questions que vous poseriez, nous entraîneraient plus tard que vous n'êtes prête à l'envisager…
Il ne pouvait s'empêcher de penser que ses moindres paroles trahissaient son envie qu'elle soit prête à envisager bien d'autres choses avec lui. Et à ce moment de sa vie précisément, alors qu'il sentait John sur le point de repartir et que River ne manifestait toujours pas le désir de le prendre au sérieux quand il lui demandait très clairement de l'épouser, tout cela l'attirait méchamment. Il savait aussi que c'était la chose la moins maligne au monde que de séduire la compagne du Docteur. Et que s'il le faisait, il ne pouvait s'attendre qu'à se faire arracher la tête… Et si c'était le cas, repousserait-t-elle jamais ?...
Elle essaya de l'aider en faisant encore une fois un nouveau pas pour l'encourager.
— Will m'a montré l'acte d'adoption d'un enfant nommé Arnold Zimmerman, avec le nom des parents adoptifs et celui de la mère naturelle… Est-ce que vous n'allez jamais combler les blancs pour moi ? Vous êtes bien venu pour ça, n'est-ce pas ?
— Ce n'est pas quelque chose que je peux vous raconter comme ça, devant votre porte, protesta-t-il.
— Faites court.
.°.
Pendant les deux semaines où son bracelet avait été en réparation, Jack avait souvent réfléchi à ce qu'il pourrait lui dire pour essayer qu'elle ne le déteste pas. Il en était venu à la conclusion qu'il devrait fatalement raconter plus de choses sur lui-même qu'il n'y était peut-être décidé. Plus de choses sur sa relation avec sa sœur, plus de choses sur le rôle qu'elle y avait joué elle. Mais à chaque fois qu'il se l'imaginait, le seul moment où il se sentait de le faire, ça aurait été en la serrant dans ses bras, après l'avoir repue de caresses, et pendant qu'il câlinait paresseusement la peau toute tendre de son dos…
Mais la réalité était loin de son fantasme.
— Ok, dit-il seulement en s'adossant à un pilier du perron. Quand j'ai rencontré votre sœur, j'ai cru qu'elle n'avait personne dans sa vie. J'étais étonné qu'une fille comme elle ne soit pas mariée ou au moins fiancée… Elle était jeune, elle était… assez jolie (il étouffa un sourire en voyant l'œil qu'elle lui lançait), ok, elle était très mignonne… Et elle avait l'air terriblement solitaire. C'est ce qui m'a intrigué quand elle est venue me parler la première fois. Je ne sais pas pourquoi elle l'a fait, mais comme je l'étais moi aussi, et bien, je n'ai pas vraiment cherché à comprendre le pourquoi du comment de ma bonne fortune…
— Ou peut-être bien que vous avez l'habitude que les filles vous tombent toutes cuites dans les bras au premier regard ? C'est assez ironique, quand on y pense.
— Pourquoi ironique ?
— Parce que vous êtes gay !
— Depuis le début, c'est ce que vous croyez ? demanda-t-il malicieusement en faisant briller ses yeux.
— Comment vous appelez un homme qui couche notoirement avec d'autres hommes ?
Il haussa une épaule avec une moue amusée.
— Et bien, ça dépend de l'époque… mais sur Terre, c'est plutôt invariablement méprisant. Mais en ce qui me concerne, puisque ma vie sexuelle a l'air de vous passionner, je couche avec des hommes, des femmes, et je ne suis pas raciste en ce qui concerne leur espèce. Je reconnais que lorsqu'ils sont vaguement humanoïdes, j'apprécie peut-être davantage mais de là à dire que je suis formel…
Un peu gênée de la tournure de la réponse, elle soupira et l'interrompit :
— Bon, j'ai à peu près saisi, ne digressez pas.
— Vous avez des questions, il faut bien que j'y réponde…
Elle leva les yeux au ciel, l'air un peu fâchée de son air taquin et puis dit d'un ton sévère qui devait faire merveille sur les petits chenapans de ses classes :
— Ok, vous avez gagné ! C'est long et j'ai mal aux pieds dans ces chaussures : à l'intérieur !…
— Yes boss ! murmura-t-il avec satisfaction en la suivant chez elle.
.°.
Une fois dans son salon, il avait quand même réussi à ce qu'ils partagent le même canapé. Un coude sur le dossier et un peu tourné de côté, il aurait largement préféré qu'elle soit assise contre lui, voire sur lui – mais ça il se doutait bien qu'il pouvait faire une croix dessus, à ce stade.
— Où est-ce que j'en étais ?
— A ma sœur que vous trouviez à première vue étrangement solitaire. Elle ne l'était pas ?
— Non, pas tout à fait. Elle avait une amie proche dont je ne connais que le prénom, Rosa. Non Rosita. Elle aussi travaillait à la taverne. Rosita ne m'a jamais vraiment beaucoup apprécié mais j'ai fini par mériter son respect un peu plus tard. Donc quand j'ai rencontré votre sœur, elle avait cette amie et cette amie l'aidait à garder son secret. Littéralement, car Clara Oswald, serveuse à La Rose et la Couronne, était… mère célibataire. Ne me regardez pas comme ça, c'est vrai ! J'ai rencontré presque tout de suite son petit garçon. Il s'appelait Arnold mais ne répondait que quand on l'appelait Zimmy.
— Est-ce qu'elle vous a dit qui était le père ?
— J'imagine, un type qui devait s'appeler Zimmerman… Elle n'aimait pas en parler. Elle disait qu'il l'avait séduite et puis abandonnée quand il avait appris qu'elle était enceinte à peine quelques semaines après. C'est plausible car elle a d'abord cru que j'allais la laisser tomber quand j'ai découvert l'existence de Zimmy.
— Donc vous l'avez revue par la suite ?
— Oui. Pour le travail, je devais revenir à Londres toutes les cinq à six semaines environ et à chaque fois, je m'arrangeais pour prendre de ses nouvelles et la voir.
— Mais vous étiez… amants ?
— Vous n'en savez vraiment rien alors ?
— Non !
— Comment expliquez-vous qu'elle vous ressemble autant, si ce n'était pas vous ?
— Là, ça nous obligerait à digresser. Gardez le cap, Capt'ain. Donc vous étiez amants… euh... occasionnels. Ne détaillez pas, j'essaie de comprendre le contexte.
— Ne faites pas cette moue sévère… Vous avez vite saisi sur place que cette époque sans assistance sociale était très rude. Clara vivait dans un quartier insalubre, son immeuble n'avait pas le chauffage, elle gagnait juste de quoi payer son loyer et la nourriture pour son fils, que Rosita gardait gratuitement le plus souvent. Faire d'elle ma maîtresse était le seul moyen de la mettre un peu plus à l'abri du besoin. Je ne me servais pas d'elle, c'était plus… de l'entraide… Je lui donnais un peu d'argent pour qu'elle puisse changer de vie.
— Changer de vie en faisant d'elle une femme entretenue ?
— Qu'est-ce qu'il y a de mal à ça ? Ne suis-je pas ce soir un homme complètement entretenu ? s'amusa-t-il. Pas de jugement hâtif, s'il vous plaît Moneypenny. Rosita et moi étions d'accord sur un point et elle est devenue mon alliée là-dessus, nous voulions qu'elle quitte la taverne. Avec ce qu'elle pouvait économiser, elle prenait des cours pour mieux lire et écrire, et améliorer suffisamment son maintien et sa diction pour qu'elle puisse décrocher une place de gouvernante. C'était le grand rêve de Rosita pour elle et j'étais d'accord.
— Pourquoi ? demanda Clara.
— Pourquoi quoi ?
— Pourquoi vouliez-vous qu'elle change ?
— Je trouvais qu'elle méritait mieux que ce que les circonstances avaient fait d'elle. Et probablement aussi que je me souvenais un peu de vous quelquefois, avoua-t-il.
— De moi ? Allons, soyons sérieux, vous ne m'aviez vue qu'une fois…
Il failli réagir négativement avec colère mais se morigéna, elle n'avait toujours pas la moindre idée de l'impact qu'elle avait pu avoir sur lui à ce moment précis de sa vie…
— Vous aussi, vous ne m'aviez vu qu'une fois… et pourtant vous ne m'avez pas oublié pour autant.
— Ça je vous l'accorde. Bon et alors, qu'est-ce qui s'est passé dans le meilleur des mondes victoriens où vous jouiez les Pygmalions ? Vous réussissez à mettre vos plans à exécution, elle devient gouvernante finalement, puis un malheureux soir de décembre 1892, elle compte au nombre des victimes pendant une attaque alien heureusement endiguée avant qu'elle ne devienne plus grave… Alors quoi ? Vous récupérez Arnold qui est orphelin et vous vous mariez avec Helen Magnus – avec laquelle vous auriez gardé le contact. En quoi c'est si compliqué à dire ?…
— Une attaque alien ? Tiens donc… En effet, cette version n'est pas très compliquée à formuler, acquiesça-t-il en la regardant de côté, un peu hésitant. Mais ce n'est pas tout à fait ce qui s'est passé. Peut-être que pour ce soir pourtant, elle pourra aller, car après tout ce sont les grandes lignes.
— Qu'est-ce que vous me cachez encore ?
— Chère miss, si vous n'êtes pas elle, pourquoi devrais-je vous en parler si en détail ? Est-ce qu'elle était… un lointain membre de votre famille ?
— En toute honnêteté, je n'ai aucun moyen de le savoir. Et vous marquez un point, grimaça-t-elle en se levant pour se frotter machinalement les yeux.
Il jeta un coup d'œil sur l'horloge et avec mauvaise grâce, il commenta :
— Mhh, bientôt minuit, vous allez me mettre à la porte…
— Avant que votre carrosse ne se transforme en citrouille, sans doute.
Il tendit le bras et elle l'aida à se lever mais il garda sa main dans la sienne.
— En parlant de ça, je veux récupérer mon manteau… Mon stagiaire réceptionniste va faire une drôle de tête en me voyant sortir du bureau dans cet accoutrement, ça n'est pas très raccord avec la mode velquashie…
— Ne me dites pas que vous êtes en train de trouver encore une pitoyable excuse pour vous pavaner en sous-vêtements devant moi ?
— A peu près une fois tous les cent cinquante ans, ce n'est pas excessif je trouve, remarqua-t-il en bombant le torse. Et puis cette fois, ils sont masculins…
— Je vous raccompagne, Jack, répondit-elle faussement inflexible.
.°.
Devant la porte, elle lui tendit les sacs où étaient ses vêtements de ville pour Velquesh.
— Manteau, pantalon, chemise… J'espère que vous n'avez rien oublié, car je me doute que nous n'allons pas nous revoir de sitôt, alors si vous avez un dernier truc à dire avant que je ne vous souhaite bon retour, c'est maintenant… Est-ce que… ça fait mal de voyager avec ce truc ?
— Ça dépend de la distance… répondit-il.
— Mais là vous allez très loin et dans très longtemps…
— Ça ira… J'ai été très heureux de vous revoir en personne, Moneypenny. Et malheureux que ce ne soit que pour si peu de temps. Et j'espère avoir pu répondre à suffisamment de vos brûlantes interrogations...
Elle sourit et lui ouvrit la porte avant de lui indiquer le chemin d'un geste.
— Allez-vous-en. Il n'y a aucun moyen de rendre le moindre adieu sympathique et le faire traîner n'arrange rien. Il n'y a qu'une chose sur laquelle vous ne sembliez pas prêt à me répondre mais je m'en accommoderai.
— Qu'est-ce que c'était ?
Elle se mordit la lèvre en penchant la tête de côté.
— C'était… c'était… Pourquoi avez-vous gardé l'enfant avec vous ? Ce n'est pas logique. Vous êtes un aventurier, un homme d'action, toujours mêlé à des histoires dangereuses… Pourquoi vous encombrer d'un petit orphelin qui ne vous était rien ?
— Je n'aurais qu'une seule façon de tenter de vous le faire comprendre de façon rapide et concise.
— Hum, très résumé ! Le Docteur adorerait…
— Et bien pour tout dire, murmura-t-il, je suis plutôt bien persuadé que non…
Les sacs lui glissèrent des mains quand il vint près d'elle prendre son visage dans ses paumes et presser ses lèvres sur les siennes doucement pendant un instant. Un simple baiser très doux qui n'avait rien de particulièrement passionné, mais assurément très impulsif.
— Qu'est-ce que vous faites ? soupira-t-elle légèrement.
— D'après vous ?
— Vous dites « juste au revoir » c'est ça ?
Le visage de Jack s'éclaira d'un large sourire.
— Comment la connaissez-vous celle-ci ?
— Le Dixième vous la pique, quand vous n'êtes pas là… Vous avez dû l'impressionner durablement avec...
Il laissa échapper un petit rire, puis la sentit trembler légèrement contre lui quand d'une paume ouverte, il caressa gentiment sa nuque, tandis qu'il enroulait son autre bras au creux de sa taille pour l'appuyer franchement sur lui.
— Et est-ce qu'il fait ça aussi ? demanda-t-il plus malicieusement.
Elle baissa ses grands yeux déroutés, ses longs cils effleurant ses joues empourprées d'une très flatteuse roseur. Tâchant de contrôler son souffle, il appuya son front contre le sien.
— Jack, ce n'est pas très gentil de jouer ainsi avec moi… le prévint-elle.
— Mhh, vous mériteriez que je vous dise que c'est « juste un geste affectueux qui ne signifie rien du tout »… Mais ça ne serait pas vrai…
Pendant qu'elle souriait au souvenir de ces paroles qu'elle lui avait dites en d'autres circonstances, il profita pour reprendre encore ses lèvres pour un baiser infiniment moins chaste auquel il eut le bonheur de la sentir répondre, cette fois pas timidement du tout. Quand il rompit le contact un peu à regret, il avait le souffle un peu court mais il se sentait joyeux. Cent cinquante ans d'attente venaient de trouver enfin leur récompense…
— Quoi ? demanda-t-il en la voyant délicieusement troublée par son contact.
— Est-ce que c'est… une manière de dire que vous avez gardé l'enfant parce que vous aimiez bien l'autre moi ?
— L'autre vous ? demanda-t-il en glissant un doigt sous son menton pour qu'elle le regarde dans les yeux. Alors maintenant, c'est « l'autre vous » ? Je croyais que vous n'aviez rien à voir l'une avec l'autre ?…
Elle lui décocha un de ses regards mouillés pailletés de futures larmes qu'elle essuya d'une main contrariée.
— Je suis désolée… D'une certaine façon, c'était moi ! Je le sais sur le plan intellectuel, mais… je ne peux pas m'en souvenir. Je ne me souviens pas des autres vies !
Il leva un sourcil interrogateur. Elle essaya de se reculer d'un pas car tenue tout contre lui, elle n'ignorait rien de ses réactions physiques pour le moins enthousiastes, mais il la retint à faible distance, comme si ça n'avait pas d'importance, en demandant gentiment :
— Dites-moi seulement ce que vous savez...
— Oh… soupira-t-elle pitoyablement contre son épaule en évitant de le regarder. Je crois que vous la connaissez forcément un peu cette histoire… A un moment, j'ai essayé de sauver la vie du Docteur, et il s'est produit quelque chose de pas prévu… Je me suis retrouvée… répliquée en plusieurs exemplaires, tout au long de sa ligne de vie. Ces répliques qu'il appelle des « échos » ont toutes une seule mission : le protéger et déjouer l'influence pernicieuse de la Grande Intelligence, un esprit qui se sert volontiers des ordinateurs comme support. C'est une coïncidence malencontreuse que vous ayez rencontré mon écho de l'époque victorienne, et moi-même dans la même journée.
— Coïncidence malencontreuse n'est vraiment pas le mot que j'aurais employé, dit-il en embrassant le dos de ses doigts repliés.
Elle haussa une épaule et il s'éclaircit la voix en la relâchant.
— Et pour cette raison, je crois que si je ne pars pas maintenant, et tout de suite, je vais immanquablement finir la nuit dans votre lit…
— Prétentieux ! murmura-t-elle pourtant gentiment.
— Non pas du tout. Au contraire, je connais très bien mes limites, chuchota-t-il d'une voix enrouée.
Il lui ferma la bouche d'un dernier baiser pour l'empêcher de dire quoi que ce soit d'autre. Puis sans demander son reste, il attrapa ses affaires et se zappa en pressant la commande du manipulateur de vortex.
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Note de l'auteur : c'était l'avant-dernier chapitre ! Dans le prochain (et dernier), à tout seigneur tout honneur, nous revenons à notre aimable numéro Onze et à ce qui lui est arrivé quand Clara a quitté le 19e siècle...