La petite voleuse de cookies

CHAPITRE XVIII

CLARA OSWALD, WILL ZIMMERMAN, HELEN MAGNUS

Deux jours plus tard, alors qu'elle quittait Coal Hill pour son dernier cours de la journée (et qu'elle guettait malgré elle, si elle ne voyait pas le Tardis près des grilles de l'école), elle eut la surprise de voir sur le trottoir d'en face, deux personnes qui semblaient attendre quelqu'un. Elle ne les avait jamais vus dans le coin et doutait un peu qu'ils puissent être les parents d'un nouvel élève. La femme était brune et portait des lunettes de soleil et un foulard sur les cheveux, un superbe blouson de cuir, un jean sombre et des bottes, tandis qu'à côté d'elle un jeune homme tête nue, habillé d'un pantalon de toile beige et d'un veston sombre, accrocha son regard. Il se pencha vers la femme pour lui dire un mot à l'oreille, puis se dirigea spontanément vers Clara, une petite serviette en cuir vieilli sous le bras.

— Clara Oswald ? demanda-t-il avec un sourire intimidé.

— Ça dépend de qui la demande… répondit-elle prudemment. Vous avez une tête d'analyste de la CIA qui n'aurait jamais mis les pieds sur le terrain…

Son sourire s'élargit et il lui tendit la main.

— Rien de tout ça : je suis Will Zimmerman, on s'est parlé l'autre jour au téléphone…

— Oh wao ! Ne me dites pas que vous avez fait tout ce chemin pour me voir ? Vous deviez avoir de bien mauvaises nouvelles pour moi… supposa-t-elle en lançant un petit coup d'œil à l'autre membre du tandem, restée sur le trottoir d'en face.

— Pas forcément mauvaises, mais nous avions très envie de vous parler.

— Me parler de quoi ?

— Y a-t-il un endroit où nous pourrions discuter sans qu'on fasse trop attention à nous ?

Clara acquiesça sobrement en donnant un petit coup de menton vers le pub plus bas dans la rue et puis elle ajouta :

— Est-ce qu'Helen va rester là, à nous attendre ?

.°.

Comme il faisait déjà sombre dans le pub aux murs foncés et que la lumière filtrait mal par la baie composée de petits carreaux, Helen Magnus avait ôté ses lunettes noires et retiré le carré de soie qui protégeait ses cheveux longs. Quand ils s'étaient tous assis à une petite table d'angle, pour prendre un peu d'eau gazeuse avec une rondelle de citron, Clara l'avait dévisagée avec incrédulité.

— C'est à peine croyable, vous n'avez absolument pas changé ! remarqua-t-elle avec un léger sourire admiratif. A part la couleur des cheveux.

— J'allais vous dire la même chose ! rétorqua Helen en lui retournant son examen.

— Mêmes effets et pourtant des causes différentes !

Will réclama une explication. Cela n'arrivait pas souvent qu'elle puisse en mettre plein la vue à des gens habitués à des choses extraordinaires. Clara le savourait à sa juste valeur en hochant la tête avant de résumer avec un léger coin de sourire :

— C'est simple : Helen vit longtemps sans vieillir. Moi je voyage dans le temps, et je l'ai rencontrée avant-hier.

Pendant l'heure qui suivit, elle tenta de leur expliquer qu'elle était à la recherche de toute information disponible sur un homme qu'elle avait rencontré pendant son dernier voyage au 19e siècle et qui semblait avoir tout bonnement disparu de la Terre, alors qu'il aurait dû s'y trouver. Elle souligna à Helen que cet homme avait affirmé devant elle qu'il la contacterait pour l'avertir de l'identité secrète de son fiancé Druitt et se demandait s'il l'avait fait et si elle s'en souvenait. Helen avait acquiescé avec des ombres dans les yeux.

— Oui, il l'a fait. Je suppose que vous voulez parler de Jackson Harker ?

Clara opina vivement du chef.

— Malheureusement, je n'ai plus eu de nouvelles de lui après la Première Guerre Mondiale. Je sais qu'il a cherché à me joindre à cette époque, nous étions séparés depuis quelques années… mais je l'ai manqué et après, je n'en ai plus entendu parler que fortuitement.

— Euh ? Séparés ?

— Oui, nous avons été mariés pendant pas loin de quinze ans. On dirait que ça vous surprend ?

— Et bien, c'est-à-dire que…. que… cela ne me regarde pas ! bredouilla-t-elle, soudain déçue. Il y a pourtant une chose que vous pourriez peut-être me dire par contre, si vous l'avez si bien connu. Il affirme qu'il a pris en charge l'éducation d'un jeune enfant, quelques années après l'épisode que vous savez.

— C'est la vérité, confirma Helen. C'est même la raison pour laquelle nous nous sommes mariés : pour pouvoir adopter le petit garçon dont il disait qu'il était le tuteur.

— Est-ce qu'il a jamais mentionné quels étaient ses liens exacts avec cet enfant ? Cela m'est difficile de l'imaginer en père et en mari attentionné car ça lui ressemble bien peu aujourd'hui.

Helen la regardait d'un œil amusé lui sortir des formules prudentes, alors qu'elle était parfaitement au clair sur l'homme qu'elle avait autrefois épousé, pas du tout par amour mais par "intérêt". De fait, c'était le meilleur mariage de convenance qu'elle avait jamais contracté. Ils s'étaient promis de rester ensemble jusqu'à ce qu'Arnold les quitte pour se marier et aller vivre sa vie d'adulte. Ils l'avaient même suivi un temps aux Etats-Unis mais chacun de leur côté.

Jack était à cette époque, comme elle, très conscient de l'avantage qu'il y avait à être ensemble légalement, pour la galerie, et donnait d'ailleurs admirablement le change en public. Il s'était toujours montré très respectueux d'elle et discret avec ses amants, ce dont elle lui avait su gré. Elle avait, du reste, appliqué avec lui la même politique... Ne pas se nuire, être respectueux, collaborer même !D'une aide précieuse dans les situations d'urgence avec les Phénomènes, il avait toujours été un agréable compagnon le plus souvent, malgré un goût très prononcé pour la taquinerie. Leur couple improbable d'exilés du 20e siècle, incapables d'y revenir, avait toujours bien fonctionné car ils s'entendaient à merveille sur beaucoup de choses. Mais leurs similitudes, si elles les avaient rapprochées facilement au début, avaient peut-être aussi créé, au bout d'un temps compréhensible, une certaine lassitude. Le point le plus difficile de leur relation n'avait été ni l'éducation de leur enfant, ni même leur mariage en tant que tel, et encore moins le sexe, mais bien l'idéalisme. En effet, entre lui qui avait l'habitude de gérer les menaces alien de façon expéditive et radicale, et elle qui entendait avoir une approche plus protectrice et préservatrice, les disputes passionnées allaient bon train. Mais… les quelques réconciliations sur l'oreiller aussi !

— Pour autant que je me souvienne, je n'ai jamais eu à me plaindre de lui pendant notre mariage qui par bien des côtés s'avérait plutôt… moderne. Quant à l'enfant, il m'a d'abord dit qu'il était son tuteur avant de m'avouer ultérieurement qu'il était son père. Il l'a fait de si mauvaise grâce que je suppose que c'était vrai. Je n'ai jamais saisi pourquoi ça l'embarrassait car je n'avais ni jugement ni ressentiment par rapport à cela.

Clara mit quelques secondes à encaisser l'information, en proie à une certaine confusion qu'elle essayait de son mieux de ne pas montrer. Will ignorant le problème de fond, la regardait d'un air à la fois soucieux et compatissant, parce qu'elle ne devait pas y réussir si bien que ça.

— Pardonnez-moi Helen, j'ai encore une dernière question… J'ai cru comprendre que vous étiez une femme très indépendante, attachée à votre travail et à votre carrière… Pourquoi avez-vous choisi, à ce moment, de fonder une famille et d'élever un enfant qui n'était pas le vôtre ?

— Oui, je vois ce que vous voulez dire. Jack et moi avions un certain nombre de points communs et nous avons vite compris que nous associer était la meilleure chose à faire, à la fois pour nous garantir la meilleure couverture pour nos activités et pour veiller sur Arnie. Nos expériences respectives dans la direction de cellules secrètes et la mise en place de réseaux internationaux nous fut mutuellement très profitable…

Will regarda Helen de travers parce qu'elle n'avait pas l'air de comprendre que la jeune anglaise était bouleversée et probablement gênée de la façon très ouverte dont elle parlait de son ex. Comme il soupçonnait fortement qu'elle avait peut-être des sentiments pour lui, il se doutait que ces révélations venaient sans doute étouffer dans l'oeuf une romance naissante. Pourquoi ne voyait-elle pas cela ? Elle faisait encore son butor.

Il posa gentiment sa main sur celle de Clara, très brièvement pour ne pas l'embarrasser, avant de dire sortir un papier de sa sacoche :

— Dans de vieilles archives, nous avons retrouvé un certificat d'adoption. Si vous le consultez, vous comprendrez peut-être mieux les raisons qui ont poussé Helen à… prendre cette décision.

Au-dessus de la table, il lui tendit un document plastifié qu'elle regarda sans parvenir à se concentrer trop… jusqu'à ce qu'elle tombe sur le nom de l'enfant.

— L'enfant s'appelle comme vous ! releva-t-elle. Arnold Zimmerman, c'est quelqu'un de votre famille ?

Will acquiesça sobrement, expliquant qu'il avait dû compléter un peu ses recherches généalogiques car s'il connaissait bien les noms de ses grands-parents parce qu'ils étaient répertoriés comme américains – son grand-père ayant fait le débarquement de Normandie – il n'était pas très sûr de ses aïeux irlandais.

— J'ai découvert que cet Arnold Zimmerman était le père de mon grand-père Jack. Peut-être avez-vous remarqué le nom de sa mère naturelle ? se risqua-t-il à dire, très impatient de savoir ce qu'elle avait à dire là-dessus.

Clara jeta les yeux dessus sans afficher le moindre étonnement, puis lui rendit le document.

— Un nom très banal et qui connaît toujours un certain succès manifeste, répliqua-t-elle avec un triste petit sourire mâtiné d'humour. Mais vous allez sans doute pouvoir m'expliquer. Si Jackson Harker est le père de cet Arnold, pourquoi il ne s'appelait-il pas… Arnold Harker ?

Elle semblait attendre ici une réponse d'Helen qui secoua la tête en signe d'ignorance.

— Je pense qu'il ne m'a pas dit toute la vérité là-dessus et je n'ai jamais pu la lui faire avouer. Mais vous, avez-vous une aïeule qui portait le même nom que vous ?

— Non pas du tout. Enfin, génétiquement parlant, j'ai bien dû avoir quelques arrière-arrière-grand-mères, mais comme la transmission du nom reste massivement patrilinéaire, je me doute qu'elles s'appelaient autrement.

— Mais… vous n'êtes pas un peu frappée par le fait qu'une femme qui s'appelle comme vous, ait eu un enfant avec un homme que vous connaissez ? insista Will. Le flegme britannique n'est pas une légende !

Elle ne tenait pas spécifiquement à leur faire savoir qu'en plus d'avoir le même nom, elle était aussi son portrait craché !

— Si, sûrement plus que je n'en donne l'air, admit-elle. Tous les cas d'homonymie sont toujours un peu troublants, n'est-ce pas M. Zimmerman ? Psychologiquement, nous tendons à penser que nous sommes uniques… et soudain, quelqu'un osant porter le même nom que nous, déboule et nous voilà tout perturbés.

— Vous avez retrouvé Jack finalement ? questionna Helen. Tout à l'heure, vous avez dit « il affirme ».

— Pas en 2014. Mais beaucoup plus tard. Et sur une autre planète.

— Sur une autre planète ? Vous me faites marcher ?

La jeune femme esquissa une petite moue un peu moins dépitée. Elle se sentit mesquine mais ne résista pas à se venger un tout petit peu :

— Quinze ans de mariage et il ne vous a jamais dit qu'il n'était pas Terrien ? susurra-t-elle en battant des paupières.

— Quoi ? C'est un extraterrestre ? Il m'a toujours dit qu'il venait de Cardiff !…

.

Clara la laissa à sa surprise pour répondre à son téléphone qui sonnait, s'excusant avant de se lever pour aller prendre hors du pub, sur le trottoir, l'appel en provenance de sa logeuse. Celle-ci la pressait de rentrer chez elle car une fuite d'eau s'était déclarée. Elle l'assura qu'elle se mettait en route immédiatement puis retourna près de Will et Helen pour leur dire qu'elle devait écourter car un souci domestique la contraignait à rentrer.

Sur le bitume, alors qu'Helen allait chercher leur voiture de location garée un peu plus loin, après l'avoir saluée, Will s'attarda un instant en lui prenant la main avec suffisamment de délicatesse et une absence totale d'équivocité pour qu'elle la lui laisse.

— J'aimais vraiment bien l'idée d'avoir retrouvé… une sorte de cousine ? J'ai ressenti quelque chose de spécial à votre propos.

— Pourquoi ? Vous êtes médium ou un truc dans le genre ?

— Non, dit-il avec un sourire un peu confus. Non, et je suis ridicule de croire que vous avez la même impression que moi...

— Et bien, je vous trouve très sympathique, mais je ne sais pas si ça compte… reconnut-elle chaleureusement. Je risque d'avoir des nouvelles de Jack bientôt, et pour le coup, il y a toutes les chances qu'il soit bien l'homme en souvenir duquel votre grand-père Jack s'appelait Jack… Vous voulez que je lui parle de vous ?

— C'est un voyageur temporel lui aussi ?

— Il l'a été. Mais c'est surtout un immortel. A ce propos, vous n'avez jamais décelé chez vous des choses particulières au niveau biologique ?… J'ai entendu dire que certaines personnes qui avaient reçu une transfusion de son sang augmentaient leur résistance physique et leur longévité. C'est ça qui est arrivé à Helen ? Elle a été transfusée à un moment donné de leur vie commune ?

Le jeune homme pétrifié essaya de masquer son trouble, ne sachant pas tout de suite quoi répondre à ça. Il subissait toujours une batterie de tests en tout genre à Sanctuary, à cause des menaces épidémiologiques potentiellement transmises par les Phénomènes. Il l'aurait su si son sang avait été particulier…

— Non… Non… Pas que je sache… Helen est devenue… comme elle est, bien avant ce fameux mariage, dont personne ne savait rien. Mais ce que vous dites est très inattendu et intrigant. J'adorerais pouvoir en reparler avec vous, un de ces jours…

Helen avait ouvert la portière de sa voiture et mis un pied dehors pour se lever, taper du plat de la main sur le toit et crier à l'attention de son équipier :

— Ohé les tourtereaux! Dites-vous au revoir maintenant ! Notre vol n'attendra pas, Will ! Il faut qu'on reparte maintenant si on veut y être à temps !

Will lâcha la main de Clara à contrecœur et lui déposa un baiser sur la joue avant de courir vers la voiture où il monta précipitamment.

L'institutrice les regarda s'éloigner avec un sourire et puis se mit à courir à son tour pour rentrer chez elle. Cette fuite d'eau avait vraiment intérêt à être importante.

.°.

CLARA OSWALD ET JACK HARKNESS

Elle était en train de sortir sa clé avec fébrilité, en se demandant dans quel état de catastrophe elle allait retrouver ses affaires quand derrière elle, retentit un sifflement puissant. Déjà ennuyée par les possibles dégâts qu'elle anticipait ainsi que la nécessité de devoir trouver un autre endroit où loger – ce qui aurait compliqué la possibilité que le Docteur la retrouve si elle n'habitait plus là – elle n'y prêta pas plus attention que cela...

— Hey, Moneypenny ! Vous allez arrêter de m'ignorer !

Interloquée, elle se retourna le geste suspendu et son sac béant dans les bras, pour découvrir Jack Harkness arriver à grands pas vers elle. Il grimpa le perron quatre à quatre, lui prit la clé et se dépêcha d'ouvrir d'un coup d'épaule en l'entraînant à l'intérieur dans son vestibule, avant de lui rendre sa clé.

— Jack ! Mais qu'est-ce que vous faites là !

Il leva le poignet et agita les doigts de sa main, tout en jouant des sourcils et de son fameux sourire.

— Et bien, je pensais que c'était évident ! Je teste le manipulateur de vortex !

— Mais… il est déjà réparé ?

— Oui et non, dit-il en la scrutant de tous ses yeux comme s'il ne l'avait jamais vue. Ça a pris quelques semaines…

— Oh je vois… Bon excusez-moi, j'ai été rappelée en urgence, il paraît qu'il y a une fuite d'eau dans ma salle de bains, il faut que j'aille voir...

Il attrapa doucement mais solidement son poignet pour la retenir.

— Relax ! C'est moi qui ai fait en sorte que votre logeuse vous appelle pour vous inciter à rentrer plus vite. Elle m'a dit que vous auriez dû être là depuis au moins une heure…

— Et bien, c'est tout moi, ça ! Tellement prévisible… Et c'était pour quoi, cette irruption précipitée chez moi ? Trop hâte de découvrir la déco post-moderne d'une maisonnette de banlieue ?

— Non, répondit-il en jetant pour la première fois un coup d'œil à son minuscule appartement. Je ne suis pas censé être sur Terre et si on m'y trouve, on pourrait ne pas être spécifiquement sympa avec moi… C'est plein de caméras municipales comme vous savez, faites pour assurer la protection des honnêtes citoyens… Je serais vite repéré si je restais trop longtemps dehors. Est-ce que… vous n'auriez pas un truc à boire pour moi ?

— Un truc genre quoi ? Du thé ?

— Ok, si vous remplacez l'eau par de la vodka.

— Je ne bois pas d'alcool !

— Pourquoi ? Vous êtes enceinte ?

— Dans une autre vie peut-être ! répondit-elle du tac au tac, sans réfléchir.

Profitant sans vergogne de sa stature, il la toisa de haut comme il aimait apparemment le faire, puis enleva délibérément lentement son long trenchcoat avant de le lancer sur le premier fauteuil venu – ce qui lui valut un sourcil très réprobateur qui signifiait à peu près « vas-y prends donc tes aises, te gêne pas ! ».

— Oh vilaine chipie, vous attaqueriez direct là où ça fait mal, sans même avoir la clémence de m'offrir un calmant avant ?

Elle le fixa sans comprendre sa remarque, tentant désespérément de ne pas se laisser happer par l'émotion incompréhensible qu'il y avait dans ses yeux clairs et changeants.

— Quoi ? Votre bracelet remarche apparemment, et vous avez l'air en un seul morceau. Vous avez eu peur de finir dispersé dans l'espace ?... Et bien ça ne s'est pas produit, j'ai l'impression… Sinon, je dois encore avoir dans le frigo un peu de mousseux italien éventé qui me reste de… Ah ! Eh bien, écoutez, je ne sais plus. Techniquement du week-end dernier mais j'ai l'impression que ça fait plus longtemps pour moi…

— C'est tellement tentant, répondit-il avec une pointe de sarcasme, que je crois que je serais prêt à risquer de ressortir quand même pour aller prendre un vrai verre.

— Prendre un verre… avec moi ?

— Et dîner après, si vous voulez. Je crois me rappeler que vous avez toujours faim…

Elle le considéra, le poing sur la hanche et un doigt sur le menton, en une théâtrale imitation de la moue pensive et perplexe.

— Vous m'invitez à sortir ? Euh… D'après le ton de votre dernière communication, j'aurais pourtant cru que vous étiez furieux contre moi…

Il soupira, regarda ailleurs et puis toqua de l'index sur le cadran de son bracelet.

— Je me suis calmé… Et en plus, le bracelet est encore en rodage. J'ai besoin de trois heures avant qu'il soit suffisamment rechargé pour pouvoir repartir.

Elle ne pouvait pas savoir que c'était un mensonge, mais qui aurait pu être vrai, si le type de chez Cormack Industries qui s'en était chargé, avait été moins doué. Elle lui adressa un gentil sourire patient comme celui qu'elle devait utiliser pour ses élèves un peu attardés.

— Jack, je ne veux pas vous chasser mais… à votre place, j'aurais plutôt eu envie de revoir des amis ! Il y a bien dans cette ville quelqu'un qui pourrait être heureux de vous croiser, même brièvement, durant ce laps de temps, non ? Vous avez largué les voiles en quelle année ?

Il lui lança un regard empreint d'une certaine tristesse. Elle avait autre chose en commun avec celle qu'il avait connue : zéro confiance en elle, et pas la moindre idée qu'il n'avait envie de voir personne d'autre… Elle perçut pourtant son changement d'humeur et le léger voile qui avait éteint ses yeux, et elle s'était dit qu'il ne fallait vraiment pas qu'il commence à jouer à ça avec elle. Pas avec la culpabilité qu'elle avait de l'avoir laissé comme ça tout seul là-bas…

— Non. Soit ils sont morts, soit partis habiter ailleurs, et pas tout près !… Vous pouvez donc sans vergogne me considérer comme tout à vous pour les cent soixante-dix prochaines minutes… D'autant que j'ai bien l'impression que vous me deviez une balade nocturne, non ?

— J'espère qu'elle sera moins mouvementée que la première…

— Vraiment ? Moi je crois plutôt que vous avez adoré ça.

Malheur ! Voilà que ça le reprenait de la regarder d'un œil trop tendre, comme si elle était en sucre.

— Personne ne vous a jamais dit que la chasse au psychopathe n'a jamais été un argument convaincant pour séduire une fille ?

— Si, mais une seule fois et il y a vraiment très longtemps... admit-il en souriant encore un peu trop parce que c'était déjà elle qui le lui avait dit. Accordez-moi de votre temps ce soir, parce que je suis venu de vraiment loin, et que j'ai beaucoup de choses à… essayer de vous dire.

Dans le regard qu'elle lui lança, il vit qu'elle n'était pas si surprise, et aussi qu'elle semblait attendre ses révélations avec un peu d'appréhension.

— Et si je savais déjà de quoi il s'agissait ? demanda-t-elle timidement.

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