From Vegas with love

Chapitre 18 : C18 : H&S Investigations

5550 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 27/05/2017 13:06

3e PARTIE : YOU ONLY LIVE TWICE

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CHAPITRE XVIII : H&S Investigations

JACK HARKNESS

Jack Harkness sentait ses yeux le piquer. Il les cligna plusieurs fois et se dit que c'était ridicule. Il n'aurait qu'à terminer demain. Pour l'heure, il était fatigué par l'heure tardive, la journée de planque infructueuse et par la rédaction de la paperasse consécutive, à la lueur d'une petite lampe de bureau de style banquier à l'abat-jour vert opalescent. Assez pour aujourd'hui ! Mais il prit le dossier et le referma d'un coup sec avec satisfaction. Il l'emporterait chez lui car il était probable qu'il allait se réveiller d'ici trois ou quatre heures, tout à fait dispos, et à ce moment-là, il serait bien content d'avoir un truc à faire d'à peu près silencieux pendant que les autres dormiraient.

Il jeta un œil à la pièce : son petit local professionnel qu'il avait décoré pour la blague dans le style des années cinquante, avec la complicité de River qui en avait un autre à côté du sien. Il ferma les stores, et rangea quelques dossiers en cours dans le classeur métallique gris sur lequel trônait un jeune mais exubérant philodendron en pot qui se plaisait manifestement avec lui.

H&S Investigations, c'était eux. River avait conçu leur publicité comme la couverture de l'un de ses bouquins dont il s'était procuré évidemment rapidement quelques copies. Il en aimait le côté rétro et stéréotypé mais qu'il avalait comme une petite madeleine de Proust, parce qu'il avait connu cette époque lui aussi...

Il sortit ses clés et en tenant la main vers la lampe pour éteindre, il eut la surprise de voir au même moment un appel entrant sur le bracelet de son ex-manipulateur de vortex. Il prit l'appel, et le visage de John se stabilisa en une image holographique à peu près nette. Des myriades de petits yeux clignaient autour de lui tandis que de petits cris admiratifs résonnaient suivis de « chut, chut ». Le Capitaine se rassit en arborant un large sourire.

John ! En voilà une surprise !

— Salut Jack, il est tôt ou il est tard, là où tu es ?

Les petits cris et les rires reprirent de plus belle et John tourna la tête pour s'adresser à quelqu'un qui devait se trouver près de lui.

— Taisez-vous un peu les mioches, on va se faire repérer ! Ça fait quatre semaines que j'ai pas parlé à mon pote alors vous allez me la boucler ou j'éteins l'image magique ! menaça-t-il.

Un miaulement collectif de déception retentit. Jack se mit à rire.

Il est tard, j'allais rentrer. Qu'est-ce que tu fais ? Et où es-tu d'abord ?

— Je pourrais tout aussi bien être n'importe où mais en principe dans l'un des sous-niveaux de la station orbitale de Velquesh. Ça ne ressemble à rien. Enfin, si à une sorte de bush plein de caillasses inconfortables qui me pètent le dos et je suis entouré d'un tas de mômes collants, et bruyants, ajouta-t-il plus fort, qui me pètent les… enfin tu vois… Je suis dans une espèce de… pff… camp scout d'entrainement local. Une école si tu préfères.

Une école ?! Et qu'est-ce que tu apprends sans indiscrétion ?

— Mhh, ça ne va pas te dire grand-chose, mais disons des trucs pour éviter le genre de désagrément dont tu as pu être témoin avant que je ne parte. C'est un enseignement classique ici, pour les jeunes garçons. Je fais bien entendu figure de gros attardé de service, une vraie curiosité locale.

Es-tu en train de me dire qu'on t'a laissé seul en compagnie d'un nombre indéterminé de jeunes garçons à peine pubères ? Est-ce bien judicieux ? se moqua Jack avec un sourire suggestif.

— Oh, ferme-la ! J'ai dû mettre tout le dortoir dans le coup sinon je n'aurais pas pu appeler… Normalement, c'est interdit. On ne devrait pas avoir de contacts avec l'extérieur avant plusieurs semaines, pour rester concentrés, blablabla, ce genre de trucs. Mais j'avais promis de t'appeler.

C'est bien ce que je disais, tu leur montres le bon exemple, niveau discipline…

— C'est ça, fous-toi de ma gueule… Je sais pas trop si tu imagines bien ce que c'est… Même les profs sont plus jeunes que moi ici… Et je me coltine toute la journée une bande de gamins insupportables dont j'ai à peu près trois fois l'âge…

Sans blague, mais ça ressemble à ce que je vis tous les jours !… Est-ce que tu sors bientôt ?... Tu me manques.

Des ricanements se firent entendre, vite étouffés par un regard féroce de John à la cantonade.

— Si je passe le test final – et si j'y survis d'ailleurs – ça pourrait être dans huit semaines.

Huit semaines !

— Ouais, comme tu dis… Et toi, il se passe quoi de ton côté ?

Du changement, pour le moins. Je suis sur Velquesh, pas très loin du centre de recherche de Cormack Industries. J'ai monté une agence de détectives avec River, un petit truc sans prétention, car si tu te souviens il faut que je fasse profil bas. Nous avons loué une maison en banlieue et nous y vivons avec Amy, qui commence à s'arrondir doucement.

John plissa les yeux à cette nouvelle et approcha le nez du holomoniteur dans une tentative désespérée d'avoir un peu d'intimité.

— Quoi ? Tu vis avec les deux ? articula-t-il.

Jack eut un insupportable sourire faussement modeste, la tête inclinée et les yeux baissés, et quelques sifflements admiratifs suivis d'applaudissements discrets émergèrent autour de John. Il rugit à leur encontre, imitant à la perfection le feulement d'un fauve.

— Si vous nous faites choper avec vos conneries, ça va mal se mettre, silence j'ai dit !

Il revint vers Jack et lui jeta un coup d'œil troublé.

— Quand tu dis que tu « vis avec », tu veux dire que vous êtes… hem ensemble ?

Ah, ça tu verras bien, si tu reviens.

— Non mais quand tu dis « avec River » qui est-ce qui… l'héberge ? Toi ou Miss Watts ? fit-il en fronçant les sourcils.

Tu verras quand tu reviendras.

— Espèce de petit bata…

Il étouffa le juron en levant le poing, et puis le Capitaine vit l'image se renverser et se troubler, entendit des piaillements, et John qui chuchotait « Stop, stop, aïe, oui, c'est bon maintenant ». L'image revint et il vit John qui avait l'air un peu furieux, mais un peu seulement.

— Ok, on ne peut pas jurer. Jack, je crois que je vais devoir couper. Mais je voudrais bien que tu fasses passer de ma part le message à tes deux colocataires, toutes autant qu'elles sont : qu'elles ne s'imaginent pas un seul instant qu'elles ont des droits sur toi ! Quand je reviens, je te reprends, comme ça ! prévint-il en claquant des doigts.

Jack sourit mais n'eut pas le temps d'ajouter quoi que ce soit car la communication se coupa. Il laissa le sourire flotter encore sur ses lèvres, et puis attrapa son dossier, éteignit la lampe et sortit en fermant à clé.

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La circulation était fluide à cette heure avancée de la nuit et il fut rentré en moins de vingt minutes. Il essaya de faire le moins de bruit possible une fois dans la maison. En se dirigeant vers sa chambre, il vit que la porte de celle de River était ouverte, mais qu'elle n'était pas dedans. Il alla poser son dossier et retira son manteau. Puis il s'approcha de la chambre d'Amy-Leigh sous laquelle filtrait un faible rai de lumière. Il entrebâilla la porte et passa une tête. La jeune femme dormait dans son grand lit blanc aux draps myosotis, River était assise dans un fauteuil de peluche bleue près d'elle, et leva les yeux de sa lecture. Jack lui adressa des yeux une interrogation muette. Par le même procédé, elle lui signifia que tout allait bien et de ne pas s'inquiéter. Elle se leva en posant le livre où elle était assise de manière à ne pas perdre sa page, elle se glissa au dehors de la chambre en refermant derrière elle.

Quoi ? souffla Jack.

Non, tout va bien maintenant… répondit-elle sur le même ton. Je suis restée un peu parce que j'attendais que tu rentres pour savoir si tu avais des infos… ça a donné quoi aujourd'hui ? Peterson est en cheville avec le maire finalement ou pas ?

Si oui, on ne le saura pas aujourd'hui. Il a passé la journée à ne strictement rien faire, au club, au golf, au gala de charité des orphelins de la police… Qu'est-ce qu'elle a eu ?

Rien du tout, c'était une journée sans. Elle a fait quelques séances d'enregistrement pub pour la radio locale… En fin d'après-midi, Matthew Cormack est passé pour lui faire sa gentille cour de prince charmant… Ils sont sortis dîner… Il l'a ramenée à une heure tout à fait décente… Et puis il y a une heure, je l'entends qui pleure…

Se serait-il… mal conduit ?

Matthew ? Même pas en rêve ! fit-elle en secouant la tête. Et c'est d'ailleurs bien pour ça que je le tolère dans les parages.

Tu veux que je te relève auprès d'elle ?

Pas la peine. Va dormir, je te débrieferai de mon entrevue avec le journaliste demain matin.

Ok, bonne nuit.

Elle se reglissa dans la chambre d'Amy-Leigh pour aller éteindre la lumière et récupérer son livre.

River n'avait toujours pas réussi à avouer à la jeune femme qu'elle était responsable de son état. Comment lui expliquer tout cela ? Comment le justifier ? Elle n'avait pas d'excuses. Et dans ces conditions, il était bien plus facile de se faire passer pour une amie compatissante de Quentin qui cherchait comme elle à partager une location… plutôt pour la créature indigne qui lui avait « emprunté » son corps rêve pour satisfaire son fantasme d'une nuit torride avec un très séduisant desperado… De plus son statut de femme plus âgée (mais donc pas forcément plus sage), rassurait beaucoup la jeune femme, qui cherchait instinctivement les conseils d'une mère pour affronter cette incompréhensible grossesse, et ce n'était pas franchement le moment de tout saboter en lui avouant une vérité aussi peu reluisante.

Elle alla prendre une couverture dans sa chambre et puis retourna dans le séjour avec son livre. Elle s'installa sur le canapé et au bout d'un moment, elle finit par s'endormir.

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Jack la trouva ainsi sur le coup des cinq heures, pelotonnée sous sa couverture, avait juste ses petits pieds qui dépassaient. Il effleura son bras et elle ouvrit brusquement les yeux, et puis le reconnut. Elle eut un petit soupir de protestation.

Déjà prêt ? Mais il est quelle heure ? chuchota-t- elle. Il fait nuit…

Cinq heures. Je ne dors plus et je comptais reprendre mon dossier point par point… Pourquoi as-tu dormi ici ?

Elle haussa une épaule, et il s'assit près d'elle comme elle se redressait en s'étirant.

J'ai du mal à me réhabituer au cycle circadien, je crois… C'est quoi ? Le dossier de Peterson ?

Oui, mais tu ne veux pas aller te reposer encore un peu ?

Non j'ai froid et le lit est froid aussi…

S'il n'y a que ça, je peux tout à fait me dévouer pour arranger ça…

Oh, tu es tellement serviable, se moqua-t-elle en se levant.

Elle s'enveloppa sans façon dans la couverture comme dans un châle et se réinstalla près de lui. Il passa un bras autour d'elle. Clone ou pas clone, son contact physique direct restait… extrêmement agréable.

Bon, fit-il en lui montrant la première feuille, ça c'est la reconstitution chronologique heure par heure de ses déplacements du mercredi.

Ils ne disent plus mercredi, je crois. C'est harmada.

Oui, les déplacements du harmada, si tu veux. Le créneau qui pose problème, c'est ici, entre seize heures trente et dix-huit heures… Si la livraison a bien été faite en mains propres, comme le soutient la comptable, ça voudrait dire que Peterson n'avait que trente minutes pour se rendre à son interview télé, qui, pour autant qu'on sache, a eu lieu à l'heure. Problème : comment a-t-il pu être à la fois en train de réceptionner le paquet alors qu'il aurait déjà dû être en route pour les studios ? Que t'a dit Fielding quand tu l'as vu ?

Il m'a dit que l'entretien s'est déroulé tout à fait bien. Peterson est arrivé avec son staff vingt minutes avant, juste assez pour passer au maquillage et revoir quelques questions. Il n'avait pas l'air stressé. L'autre info, c'était que toute la rue principale était bloquée par un tournage pour trois jours, et le trafic routier détourné – j'ai dû moi-même faire un crochet pour y aller – ce qui était un facteur aggravant au niveau du temps de transport de Peterson. Alors, soit il a pris le métro en les attrapant tous miraculeusement au bon moment, soit il a pris une navette privée, soit… il s'est téléporté.

Ici Kirk à Entreprise ? s'amusa Jack.

Non, c'est vrai ! Cormack en a un. Je ne devrais pas le savoir, mais bon disons que je le sais quand même… Certaines grosses fortunes peuvent se le permettre, mais ce n'est pas tout le monde…

Et… est-ce que tu crois que tu pourrais utiliser tes « liens privilégiés » avec Quentin Cormack pour essayer de savoir le nom de son fournisseur ? On pourrait avoir des listes de clients…

Ce n'est même pas officiellement sur le marché… ça s'achète quand on a les moyens mais ça ne se vend pas encore à large échelle… En plus, la fine équipe de chez Cormack Industries et Systèmes, est du genre à développer ses propres brevets pour à peu près tout…

Jack reposa la feuille un instant, un peu rêveur.

Tu crois qu'ils pourraient me réparer partiellement mon manipulateur de vortex ? demanda-t-il en faisant briller ses yeux.

Un jour peut-être que leur petit robot surdoué le fera par accident…

Hem, celui qui te traite de déesse ?

Je reconnais qu'une fois de temps en temps, ça fait plaisir de passer sur cette petite méprise bien compréhensible… Mais si ton manipulateur est réparé, tu auras encore John et le Docteur à tes basques…

Dieu t'entende, ma chère ! s'amusa-t-il. A ce propos, John m'a appelé.

Ah ! C'était donc ça… Tu es soulagé de savoir qu'il va bien ?

Oui !

A la bonne heure ! dit-elle en se levant. Bon, c'est pas le tout, puisque je suis réveillée, je ferais aussi bien de me préparer. On se voit tout à l'heure. Si la petite se réveille, tu vas la voir ?

Il sourit parce qu'elle appelait Amy « la petite », et parce que depuis qu'ils avaient emménagé tous ensemble, il avait un peu l'impression de former avec River une famille bizarre où ils auraient été les futurs grands-parents, en train de discuter de la chambre du bébé, de s'inquiéter de l'état de santé de la jeune maman, entre deux comptes rendus de filatures et de points sur l'avancée des dossiers de leur minuscule agence.

C'était si « facile » de vivre avec River avec qui il partageait un esprit caustique, un certain aplomb, et du goût pour les armes à feu. Ils s'étaient d'ailleurs empressés d'aller faire valider ensemble leur licence pour être autorisés à porter de petites armes, qui lui faisaient penser à des jouets à côté de ce qu'il avait déjà eu entre les mains à Torchwood… Il aimait être avec elle parce qu'elle n'était pas le moins du monde impressionnée par ce qu'il était devenu, ni par son apparence, parce qu'il pouvait parler de la Terre avec elle et à différentes époques, et du Docteur, même s'ils avaient connu des incarnations différentes. De ce qui les rapprochait, comme de ce qui les différenciait. Il aimait son humour qui tempérait une gravité qu'il devinait plus récente, son sang-froid, la même façon qu'elle avait de pouvoir s'investir dans le travail. Elle lui ressemblait même sur les nuits écourtées. Sa féminité était de surcroit un atout considérable pour rassurer les clientes, ou faire parler les clients qui voulaient l'impressionner. De son point de vue, c'était une compagne particulièrement agréable, puisqu'au moins elle riait à ses blagues et aimait sa cuisine…

Il avait bien du mal à comprendre comment cette associée idéale pouvait être « l'ex » du Docteur, mais se disait aussi assez pragmatiquement qu'il ferait mieux d'être heureux d'en avoir fait une alliée.

Une seule chose le chagrinait à son propos : jamais elle ne voulait parler de John.

Elle éludait habilement et systématiquement le sujet, comme à l'instant. De cette même façon gracieuse qu'elle avait de le débouter, comme s'il n'était qu'un enfant qu'elle n'avait pas envie de gronder quand il s'aventurait à la tenir un peu trop familièrement par la taille un peu plus longtemps que nécessaire, à lui caresser le bras d'une façon plus câline que pleine de sollicitude. Elle ne lui avait pas non plus battu froid quand après une quinzaine de jours de ce qu'il convenait d'appeler leur vie commune, il s'était laissé aller à l'embrasser légèrement sur la bouche, presque par jeu pour voir si elle lui en voudrait… Il en avait été pour ses frais. Elle avait juste ri un peu avec une moue amusée et coquette, exactement comme si elle était flattée, mais qu'à aucun moment elle ne le considérait comme un amant potentiel.

Jack… sois un peu sérieux, aide-moi plutôt à remettre la main sur le dossier Akaltapa-Melnogh. A quelle époque as-tu donc appris le classement ? L'avoué arrive dans dix minutes et j'aimerais bien le relire.

Il avait sorti pour elle le dossier et répondu d'un ton qui n'avait probablement pas su cacher sa déception que c'était classé à H, parce qu'il avait mal orthographié le nom au début. Elle avait accroché un sourire en coin sur ses belles lèvres peintes en rouge carmin.

Allons, ne boude pas, avait-elle chuchoté. Je sais qu'il te manque et que tu te sens seul. Mais qu'est-ce que tu lui diras quand il reviendra et que tu n'auras même pas pu l'attendre quelques semaines alors qu'il fait tout ça pour toi ?

Et c'était là qu'il s'était bien douté qu'elle savait bien des choses qu'elle ne lui disait pas.

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Par exemple, comment avait-elle pu supposer qu'il ne resterait absent que « quelques semaines » alors qu'il venait de l'apprendre de la bouche même de l'intéressé ? Que son mystérieux départ était lié à autre chose que son propre « sauvetage » dans les coulisses du Vegas de Modarkand ? Est-ce qu'elle exprimait là une opinion ou bien une certitude ?

Il entendit des petits pas approcher, qui appartenaient à Amy-Leigh serrant son peignoir frileusement contre elle.

Bonjour Jack. Pourquoi personne ne dort ?

Je n'ai plus sommeil. Et toi, quelle est ton excuse ?

J'allais chercher des cachets à la cuisine, j'ai mal à la tête… Où est River ?

Salle de bains. Elle se prépare.

Où était l'urgence ? demanda-t-elle, en se frottant les yeux avant de se diriger vers la cuisine.

Il la suivit pour aller se servir un café, pendant qu'elle fouillait de son côté le tiroir où étaient rangés quelques médicaments. Une fois qu'elle eut récupéré ce qu'elle voulait, elle se versa un verre d'eau, prit ses cachets avec et le reposa ensuite dans l'évier.

Oh je ne comprends pas comment tu peux boire ce truc noir d'un autre âge… fit-elle en fronçant le nez devant son acre breuvage.

Je reconnais que froid, ce n'est pas terrible… Au fait, River m'a dit que tu sortais avec un certain Matthew Cormack ? Est-ce que je suis en droit de lui demander ses intentions envers toi ?

Ses intentions ?

Est-ce que c'est sérieux entre vous ?

Elle haussa une épaule.

Je n'en sais rien, reconnut-elle. Pourquoi quelqu'un voudrait-il sortir avec une gourde enceinte de trois mois ?

Au troisième mois, les femmes enceintes sont rayonnantes.

Elle haussa un sourcil dubitatif.

En ce qui me concerne, je ne me sens pas du tout rayonner. Je suis fatiguée, de mauvaise humeur, et j'ai tout le temps faim. Mais au moins il est gentil. Il me permet de penser à autre chose.

A autre chose que tes cauchemars ? Tu en as encore ?

Parfois, admit-elle en baissant les yeux.

Tu sais que tu peux aller voir un psy pour en parler. Nous avons les moyens…

Oh, non ! fit-elle en secouant la tête catégoriquement. Je me sentirais humiliée de devoir en parler à un inconnu !

Alors parles-en avec quelqu'un qui n'est pas un inconnu, suggéra-t-il avec un petit clin d'œil. Avec moi ou avec River.

Hmh, non, fit-elle. River et toi vous êtes des inconnus…

Il fit mine de porter la main à son cœur en mimant un « aïe ».

…même si vous faites exactement comme si ce n'était pas le cas, et comme si je ne m'en rendais pas vraiment compte, continua-t-elle. Le truc, c'est que je ne suis pas aussi stupide que tout le monde pense.

Personne ne pense que tu es stupide…

Alors pourquoi « personne » ne daigne me dire la vérité ? River et toi vous avez des tas de secrets que vous ne me dites pas.

Des secrets ? Voyez-vous ça ! fit-il prudemment. Aurais-tu envie de nous aider à résoudre nos enquêtes ? Quand nous parlons à voix basse pour ne pas te réveiller au beau milieu de la nuit, nous parlons du travail. Nous ne sommes pas en train d'enquêter ensemble toute la journée, nous cherchons chacun de notre côté et nous nous passons les informations ensuite… Je reconnais que c'est souvent la nuit que nous trouvons le temps de le faire ou tôt le matin.

Je sais cela. Mais vous avez l'air bien trop… familiers l'un avec l'autre pour venir de vous rencontrer comme vous essayez de me le faire croire.

Pourtant c'est vrai. Mais si tu veux le savoir il y a des raisons qui expliquent tout à fait bien cela. Nous sommes à peu près de la même génération. Nous avons séjourné assez longtemps sur la même planète où nous avions des attaches, et nous avons découvert que nous avions même un ami commun, l'ancien mari de River que je connaissais avant son mariage… et nous avons exercé des métiers plus ou moins similaires… Donc quand je suis tombé sur elle ici, tout à fait par hasard, je lui ai proposé de s'associer avec moi pour m'installer à mon compte. Tu vois que c'est un coup de chance mais que c'est très simple…

Vous allez vous marier ?

Je ne crois pas, répondit Jack avec un sourire.

Pourquoi ? Vous vivez pratiquement comme mari et femme.

Non. J'ai déjà été marié et je t'assure qu'il y a une différence... En plus, River n'est pas amoureuse de moi.

Qu'est-ce que l'amour a à voir là-dedans ? Le mariage c'est pour la sécurité !

Jack haussa un sourcil avec un air dépité.

Oh, les jeunes d'aujourd'hui sont affreusement pragmatiques… Par chez moi, disons que les sentiments sont encore importants dans une union.

River fit son apparition dans la cuisine, maquillée, sanglée dans un tailleur noir, les cheveux tirés en chignon.

Qui va se marier ? demanda-t-elle.

Jack se leva pour céder sa chaise.

Amy voulait nous caser ensemble et j'ai dû lui expliquer que ça ne t'intéressait pas du tout…

Je viens tout juste de divorcer, j'aimerais un tant soit peu profiter de mon célibat pendant un petit moment, si ça ne te fait rien, acquiesça River.

Avec qui ? questionna Jack d'un air intéressé.

Avec personne pour l'instant, mais éventuellement, je pense que je pourrais avoir mes chances avec Quentin ? Qu'en dis-tu Amy ?

La jeune femme approuva doctement.

Que c'est un bien meilleur parti que Jack. Quentin est très très riche. C'est l'héritier de la fortune des Cormack.

Mon précédent mari n'avait pas un sou. Ça me changerait ! s'amusa-t-elle. Quelqu'un veut un petit-déjeuner ?

Non, bouda Jack. L'idée que tu épouses cet homme par vénalité me coupe l'appétit.

Qu'est-ce que c'est « vénalité » ? demanda Amy-Leigh. Vous dites toujours des choses bizarres exactement comme celle-là…

C'est ce qui cimente les mariages sur Velquesh et que tu appelles la sécurité… Jack a vécu sans doute trop longtemps sur une planète où ce n'est pas très bien vu !

Amy se mit à rire de bon cœur comme si cette idée était vraiment grotesque.

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JOHN HART

Lorsqu'il débarqua enfin sur Velquesh, John se sentait à la fois nerveux et excité par la perspective. Il y a deux jours encore, il ne savait pas s'il allait pouvoir quitter pour de bon ce qu'il appelait pudiquement son « camp de boy-scouts ». A l'issue de l'épreuve finale, les gamins avaient insisté pour lui tatouer une étoile sur le haut du bras pour lui rappeler son expérience, elle le piquait encore un peu. Mais il était officiellement initié aux mystères masculins de Portabellion. Il n'avait pas le droit de parler de ce qu'il avait vu ou fait pendant ces trois mois. En temps ordinaire il n'y aurait prêté aucune importance, en se réservant le droit de faire très exactement ce que bon lui semblait. Mais vu la nature étrange et si peu familière pour lui de ce qui s'y était parfois déroulé, tout bien considéré, le silence lui semblait une bonne chose à observer. Tout ce qui comptait pour lui, c'était qu'il avait dorénavant une assez bonne assurance de n'être plus le jouet de forces qui le dépassaient qui l'auraient très certainement détruit. Ou l'aurait poussé à se détruire lui-même plus vite encore que le train où il y allait précédemment.

Parmi les expériences qu'il ne regretterait pourtant pas, même s'il aurait volontiers convenu que ça cassait son image, une fois encore, il y avait la camaraderie avec les jeunes. Une de ces nombreuses expériences qui étaient passées à la trappe de la dureté du lieu où il avait grandi et qu'il avait essayé assez maladroitement d'établir avec Jack, plus tard. Les garçons l'avaient traité presque comme n'importe quel autre novice, en le chambrant pareillement – voire davantage. Les enseignants étaient sensibles au fait que sa propre démarche ait été volontaire, mais ne faisaient pas non plus de différence ou tâchaient de ne pas la marquer. De fait, en tant qu'adulte poursuivant un objectif, il était plus motivé. Il voyait la différence avec les jeunes qui y étaient parce c'était simplement une étape normale de leur cursus religieux.

En considérant son reflet pour la première fois depuis longtemps dans une vitrine de l'astroport, il vit cependant qu'en fait de casser son image, il avait proprement l'air d'un sauvage : avec ses vêtements tout déchirés, une barbe qui lui donnait l'air d'être un vieillard, et des cheveux trop longs.

Le tableau des départs lui confirma qu'il n'avait pas beaucoup de temps avant de pouvoir prendre la navette jusqu'à la ville que lui avait indiquée Jack. C'était sans doute le moment idéal pour se servir de la prime touchée pour avoir ramené l'androïde de Cormack… Le morceau de plastique fit un petit miracle en lui permettant de retrouver en un temps raisonnable à peu près figure humaine, mais il dût courir pour arriver dans les temps à l'embarquement et passer ses nouveaux vêtements dans les toilettes de la navette.

Une fois à bord, juste avant le départ, il laissa un message vocal à Jack pour lui donner l'heure de son vol et lui demander où il pouvait descendre en ville. Il estimait que le temps que le Capitaine trouve ce message, il aurait probablement atterri.

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A sa surprise, il trouva Jack qui l'attendait à son arrivée. Ce dernier le repéra tout de suite et se dirigea vers lui. Ils s'étreignirent et John crut un instant qu'il n'avait survécu à son épreuve d'initiation finale que pour mourir broyé dans cette accolade.

Je t'embrasserais bien mais ça heurte un peu les coutumes locales, prévint le Capitaine en le relâchant comme à regret.

Et dire que je me suis rasé pour rien, soupira John avec un demi-sourire.

Oh non, pas pour rien… Pas de bagages ?

Question de pure forme, car il n'en avait jamais, en véritable apologie ambulante du voyager léger. Jack le conduisit jusqu'à l'endroit où il avait garé sa voiture. Ils grimpèrent à l'intérieur, puis le Capitaine dégagea le véhicule de la zone astroportuaire en un temps record. Du coin de l'œil, tout en se frayant un chemin dans la circulation dense de ce début d'après-midi, il observait le beau profil de son ami qui avait fermé les yeux quelques instants. C'était étrange de le voir dans ces vêtements tellement peu… ostentatoires. Il savait que John était comme lui, en général sensible au « prestige de l'uniforme ». C'était d'ailleurs assez amusant de constater qu'il aimait les vêtements militaires d'un autre âge, alors qu'il était si allergique à la discipline qui allait avec.

Où allons-nous ? demanda-il au bout d'un moment.

Si ça ne tenait qu'à moi directement à ton hôtel, mais figure-toi que je bosse. J'ai un rendez-vous important avec un client que je ne peux malheureusement pas remettre, donc je te conduis à mon bureau.

T'as pas plus ennuyeux encore ?

Si tu as de la chance, tu y verras ma nouvelle associée. Et elle n'est pas ennuyeuse du tout…

John eut un petit rire qui avait l'air heureux.

Je suppose que je ne devrais pas, mais j'ai hâte de la voir. Tu ne veux toujours pas me dire à quoi elle ressemble ?

Et te gâcher la surprise ? Ne compte pas dessus.

Est-ce qu'elle est très différente de Miss Watts ? insista John qui bouillait d'impatience et d'appréhension.

Assez, oui. Pourquoi ? Tu avais fini par te faire à son physique désespérément ingrat ?

Peut-être ? Je n'en sais rien, en fait.

Jack rit encore parce qu'il ressentait le trouble et l'agitation de son ami.

Tu n'en sais rien ? Ou tu n'as pas très envie de l'admettre ?

Est-ce que Miss Watts est plus jolie que River ? continua-t-il.

Pour ton information, Amy a déjà un prétendant contre lequel tu ne lutterais pas à armes égales : gentil, bien élevé, la ramène à l'heure, plein aux as…

Hem, gentil, bien élevé et compagnie, t'es donc en train de me dire subtilement que je n'ai aucune chance ?

Ça dépend… Si tu avais de la conversation et que tu savais être spirituel, encore... Ne t'attends pas à débarquer en terrain conquis avec elle…

Est-ce que… vous lui avez dit la vérité ?

Hélas, non ! River est contre. Peut-être qu'il faudrait profiter de ta venue pour ça. Elle mérite de la connaître et peut-être qu'elle irait mieux sans tous ces mensonges qu'elle ressent confusément.

Pourquoi River est-elle contre ?

Alors, ça va sûrement te paraître totalement ridicule mais… elle n'est pas spécialement fière d'avoir couché avec toi…

Limite vexant, commenta John avec un sourire radieusement sensuel.

Ouais, je peux voir combien tu as l'air vexé… fit le Capitaine avec un œil en coulisse.

John frissonna et pianota nerveusement sur l'accoudoir de la porte.

On est encore loin de ton foutu bureau ? J'ai follement envie d'embrasser quelqu'un.

Idem !…

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Lorsqu'ils arrivèrent dans le petit vestibule qui donnait sur les portes des bureaux d'H&S Investigations, qui restaient généralement ouvertes, Jack aperçut River de dos, au téléphone, comme si elle avait pris l'appel au passage, le manteau sur son avant-bras, indiquant qu'elle ressortait. Elle écrivait quelque chose. « Oui, oui. Je vais voir ce que je peux faire Oscar. Sans doute un peu plus tard. Je vous rappelle à ce sujet, sans faute... ». Elle raccrocha et continua à écrire.

Jack ? appela-t-elle en finissant de noter sans hausser le ton. J'ai accueilli Novak à ta place, il est dans ton bureau depuis dix minutes et il a l'air nerveux. Où étais-tu passé ?... J'étais en ligne avec Fielding, on a rendez-vous pour prendre un verre au sujet de la disparition de notre contact. Tu viendras ?

Elle se retourna pour attendre sa réponse et vit qu'il n'était pas seul.

J'ai fait un saut à l'aéroport. Merci pour Novak. Je te laisse refaire connaissance avec John ?

Elle lui adressa un regard aiguisé.

Hum, ça devait bien arriver. File, avant qu'il ne perde patience…

Jack se retira et ferma la porte derrière lui en les laissant seuls avec un épais silence.

.°.

 

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