Red Christmas
Chapitre 2 : Le choix du Docteur - La fin de la chanson
7413 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour il y a 5 mois
Ce chapitre participe au défi d’écriture de novembre-décembre 2024 : Briser la glace !
C'est également la deuxième partie d'un two-shot cadeau rédigé pour le Secret Santa à l’attention d'OldGirlNoraAlrani : j'ai mis le paquet (en tous cas, j'ai été au bout de ce que je pouvais faire sur ce fandom), j'espère que tu apprécieras la fin de cette histoire ;)
_________________________________________________________________
31 décembre 2024, deuxième étoile à droite, en marge de la Terre.
Le TARDIS dérive, quelque part entre les étoiles, observateur silencieux des vastes étendues de l'univers. À l'intérieur, le dernier Seigneur du temps s’ennuie ferme. Ou plutôt, il se morfond. La culpabilité s'accroche à lui, l’enveloppant comme un linceul, le freinant dans toutes ses potentielles actions, l'étouffant et lui rappelant sans cesse le jour où il a cessé d’être un « guérisseur ». Quatre coups hésitants frappés contre une vitre continuent à résonner dans son esprit telle une obsédante litanie. Rappel abrupt de sa dernière et pire faute en date. Ce n’était pas la première fois – loin s'en faut – qu’il abandonnait quelqu’un. Mais c’était bien la première fois qu’il le faisait, non par obligation, mais par veulerie.
Il n'a pas pris de compagnon. Pas depuis ce jour de Noël, plus de quinze années humaines auparavant, où il avait laissé mourir Wilfred Mott. Il ne peut pas prendre ce risque. Il ne mérite pas de compagnie et a depuis longtemps mis fin à ses voyages temporels ; laissant son vaisseau voguer librement au gré des flots sans plus s’impliquer dans quoi que ce soit, ni poser le pied sur la moindre planète. Le TARDIS est à la fois un refuge et une prison volontaire. Il ne sait pas combien de temps, il se maintiendra dans cet état de pénitence errante, mais pour l’instant, il s’en satisfait. L’isolement lui paraît – à lui qui a toujours si mal supporté la solitude – la meilleure manière d’expier.
Mais il n’est jamais tout à fait seul : le bruit qui hante éternellement son esprit devient de plus en plus insupportable. Même dans son sommeil, il lui semble ne pas pouvoir complètement y échapper. Il ferme les yeux.
Et soudain, ça commence… Le TARDIS est aspiré par un champ de force inconnu et se dirige à pleine vitesse vers des coordonnées que le Docteur n’a pas choisies.
Pour la première fois, en plus d’une décennie, son vaisseau se pose très loin dans le futur et sur une planète étrangère. Ou plutôt, il s’écrase. Le choc est si violent que le Docteur perd connaissance.
Il se réveille dans une étrange pièce stérile. Le bourdonnement des machines emplit l'air et, à l'extérieur de la fenêtre, un vide tourbillonnant s'étend progressivement, des astres brûlant un à un, sous ses yeux horrifiés. Il n’arrive pas à comprendre où il est, ni ce qu’il fait là, mais il ne peut détacher son regard du spectacle macabre qu’il peut contempler à travers la vitre. Le TARDIS n’est nulle part en vue, mais il lui semble être arrivé à la fin d’un cycle.
Devant lui se tient un conseil de personnages, sans visages et sans émotions, comme construits à partir du vide même. Ils lui font part sans ambages de la vérité : l'univers est en train de mourir. Les forces de l'entropie s'accélèrent, le temps lui-même se dénoue. La source du déclin ? Les humains. Leur existence, imprévisible par nature, est devenue un cancer qui se propage à travers le temps et l'espace… ils sont en train de coloniser des zones qui ne devraient pas l’être et, à terme, ils vont réduire ce qu’il reste des étoiles en cendres. Rien ne peut empêcher l’avènement de ce futur, sauf l’éradication complète et immédiate de la planète des colons trop avides. La fin de la Terre.
Le Docteur se trouve à la croisée des chemins [1]. Le seul moyen de sauver l'univers est d'éradiquer l'humanité, d’infléchir le cours de l'Histoire, en veillant à ce que la planète Terre cesse, dès à présent, de constituer un problème. Le poids de la décision pèse comme une chape de plomb. C’est comme ce jour où il a déclenché « Le moment ». Cela n’avait pas été un acte de cruauté, mais de compassion ; la seule chose qui pouvait encore être faite pour empêcher la destruction de l’Univers dans son entièreté. Les circonstances sont tragiquement similaires, pourtant, cette fois encore, il hésite. Comme les infinies secondes d’agonie où il était resté suspendu au-dessus « du moment », tergiversant autour du bien fondé de son choix tandis que la Guerre du temps poursuivait ses ravages. C’est la même chose. Il sent le pouls de l'Univers tressaillir et observe par la lucarne de l’observatoire les étoiles qui s’éteignent à un rythme alarmant. À chaque seconde qui passe, la pression à agir devient plus forte. Pourtant, il ne peut pas : quelque chose le retient. À l'image du jour où son prédécesseur aux grandes oreilles et à l’accent du nord tranchant, avait baissé les bras sur le satellite 5, il recule ; incapable de mettre fin à la race humaine, même pour empêcher les daleks de détruire la galaxie.
Un génocide lui avait amplement suffi. Deux s’il admettait son rôle capital dans l’extinction des Racnoss. Trois s’il comptait les Pyroviles. De l’extinction de combien d’espèces est-il actuellement responsable ? De la fin de combien d’existences ? La notion lui donne subitement le vertige.
Il ne peut plus faire cela. Pas encore une fois.
Il ferme les yeux et serre les dents.
« Qu’attends-tu Docteur ? »
Il tombe au sol en se tenant la tête, des larmes perlant au coin de ses paupières. Il sent une masse familière et une énergie rassurante l’englober, il ouvre les yeux et halète, incrédule. Sous lui le sol froid de la salle des commandes du TARDIS.
Il met quelques minutes pour se reprendre.
Quel affreux cauchemar !
C’est fini. Il passe les mains sur son visage et s’agrippe les cheveux, comme si la sensation douloureuse pouvait gommer les résidus de l’atroce rêve qui vient de l’étreindre. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas ressenti un tel soulagement. Ce n’était qu’un rêve. Il secoue la tête pour s’éclaircir les idées. Il sait être troublé en ce moment, mais son isolement volontaire lui fait visiblement peu de bien : sans quoi, il ne s’endormirait pas, à même la plateforme de son vaisseau, et ne sortirait pas de ses songes en sanglotant comme un enfant effrayé.
Le TARDIS fait une brusque embardée. Le Docteur se relève pour examiner l’extérieur en allumant les caméras depuis le tableau de bord.
C’est impossible.
Depuis l’écran, il peut voir qu’il se tient au bord d'un gouffre immense, d’un bleu pâle et brillant. La planète Midnight se profile devant lui, les cascades de saphirs se déversent dans l'abîme glacé. Il devrait être à des années lumières de cette planète, il n’a jamais rentré les coordonnés. Ça ne peut être réel, pourtant un effroi, presque inédit, le fige sur place. Il se souvient trop bien de cette aventure vécue sans Donna : la créature venue des profondeurs ; les passagers qui se sont retournés les uns contre les autres ; sa voix dérobée et la fin tragique de Mme Silvestry ; la terreur tordue d'être pris au piège par une force invisible et malveillante.
Mais cette fois, c'est différent. La créature l'attend, sa voix basse et insidieuse. Ciel ! Elle lui promet la paix, s’il s’abandonne à elle. Il pourrait la laisser le prendre, la laisser le consumer, et à cet instant, tout prendrait fin. La solitude, le poids de ses diverses fautes, la fuite sans fin entre les époques et planètes… Tout pourrait s’achever. Il pourrait être libre. L’entité le prendrait, et il cesserait d'exister en tant que tel. N'aurait plus jamais à être accablé par le souvenir des kyrielles de crimes qu’il a commis.
La voix est hypnotique, presque envoûtante. Il est sur le point de capituler. Peut-être est-ce le seul moyen de s'en sortir. Que laisser tout se terminer dans la froide lumière de Minuit est la solution. Le bouclier cède et le toit du TARDIS éclate ; un froid glacial s’empare de ses membres, tandis qu’il sent l’inquiétante entité commencer à glisser sous sa peau.
Qu’a-t-il fait ? Il se débat, mais il est trop tard. Non ! Il ne peut pas faire ça. Ne peut pas laisser la créature le contrôler. Mais, déjà, ses paupières se ferment et il s’assoupit dans la torpeur polaire.
« Accepte-le. »
Il ouvre les yeux, tremblant de tout son corps. Il se redresse et observe son environnement : de nouveau dans la salle stérile donnant sur une grande glace derrière laquelle il avait pu voir des dizaines d’étoiles mourir. La salle dans laquelle il était supposé décider du sort de la race humaine…
Ce qui arrive, ce n’est pas de simples mauvais rêves. Quelqu’un est en train de jouer avec lui et cela le rend furieux.
— Cessez votre numéro et montrez-vous !
Un petit homme à la mine sournoise et au front roux et dégarni paraît se matérialiser depuis le néant. Il est habillé d’un costume complet vert sombre, porte lâchement une cravate et est chaussé de tennis orangées qui détonent curieusement avec son pantalon de costume. Il lui jette un coup d’œil critique, avant de le toiser avec malice.
— Eh bien, eh bien, impatient, mon cher Docteur ? Déjà lassé de mon petit numéro ? Il est vrai que ces derniers temps, vous n’avez plus trop le cœur à cabotiner.
— Qui êtes-vous ?
Sa voix est si dure, qu’elle lui semble sortir de manière métallique. Peu importe l’identité de l’énergumène lui faisant face, il sent une haine viscérale lui remuer les tripes. Une détestation presque physique.
L’homme esquisse un sourire narquois, un amusement sardonique planant dans son regard.
— Appelez-moi le Seigneur des rêves [2]. Une jolie ironie, vous ne trouvez pas ? Après tout, qui mieux que vous sait manier les illusions et se complaire dans des chimères ? L’une des deux situations que vous vivez est un rêve, l’autre la réalité. Si vous ne démêlez pas très vite le vrai du faux, l’Univers est perdu. Alors dites-moi, quelle est la bonne option : celle où vous devez éradiquer votre espèce préférée ou celle ou vous vous laissez envahir par une entité inconnue et détruisez l’Univers de vos propres mains ? Car, pour votre gouverne, si vous laissez la créature de Midnight vous prendre, elle ne vous tuera pas… Oh ça, non. Choisissez ! Mais choisissez avec soin, Docteur : si vous mourrez dans le rêve, vous vous réveillerez, mais si vous mourrez dans la réalité… eh bien, ne soyez pas stupide, vous mourrez : principe de réalité.
Le Docteur contemple de nouveau le bouton qui clignote face à lui, la mention explicite « éradication de la Terre » inscrite dans un rouge lumineux au-dessous. Le laser géant pointé en direction de la planète autrefois bleu et qui semble maintenant couverte d’étendues désertiques. C'est presque grotesque, cela a tout d’un cauchemar et il veut se réveiller. Son choix est fait : c’est le rêve, l’autre option est inenvisageable. Il sort le revolver de Wilfred et le lance aux pieds de la silhouette malveillante. Il a soigneusement gardé l'arme sur lui depuis les événements du 25 décembre 2009. Un reliquat de ses erreurs. Il tance son adversaire en injectant dans sa voix une certitude qu’il ne ressent pas.
— Ceci est le rêve. Tirez-moi dessus, si cela peut mettre un terme à votre jeu de dupes.
Le Seigneur des rêves a un rire aigre qui lui échappe.
— Vous tirer dessus ? Quelle impatience à vous retrouver entre les griffes de la créature des cascades de saphirs ! Vous êtes si sûr de votre choix ? Non. Bien sûr que non ! Vous choisissez juste l’option la plus facile. Celle où, par votre soi-disant sacrifice, vous vous assurez de ne pas avoir à mettre fin à l’expansion de la race humaine ni à assister à la fin de l’Univers. Quel choix audacieux ! Voyons si la lâcheté paye…
L’homme replet appuie sur la détente. Une détonation se fait entendre. La balle traverse entre les côtes du Docteur : elle n’a pas plus de consistance que la fumée. Curieuse sensation sans douleur d’être traversé par une brise. Puis, sans coup férir, le monde bascule autour de lui.
Il est de nouveau sur Midnight, la créature inconnue continue à resserrer son étreinte sur lui, parasitant ses pensées. Elle s’insinue lentement, mais sûrement. Bientôt, elle prendra le contrôle de son corps et il sera incapable de la contrer. Il se sent suffoquer et fait quelques gestes douloureux en direction de la console du TARDIS.
Il peut voir le Seigneur des rêves, installé dans un coin de la pièce se régaler du spectacle : un regard torve vissé sur lui, tandis que ses lèvres étirées dévoilent des dents d’un blanc éclatant. Il tire deux coups de feu dans les airs. Une sinistre salve d’applaudissements.
— Vous avez fait le bon choix Docteur ! Félicitations ! Vous avez débusqué le rêve… maintenant, profitez bien de la réalité.
Un sursaut de révolte gonfle en lui, il s’agite et tente de faire reculer la créature assez longtemps pour programmer l’autodestruction du TARDIS. Il ne peut pas laisser l’entité le prendre. Il va mettre un terme à tout cela.
Avant qu’il ne puisse finaliser son geste, tout s’enraye et son action s’interrompt.
Le cœur du Docteur s'emballe et, d'un coup, le monde qui l'entoure se fracture. Il s’endort et glisse au sol. Les neiges d’un bleu malsain de l'abîme glacé de Midnight disparaissent et le toit du TARDIS se reconstitue. La voix de l’entité en recherche de chaleur et d’un vaisseau pour la porter jusqu’à un monde gorgé de sang s’éteint, comme de cendres qui se dispersent dans le vent. Ce n’était qu’un autre rêve.
Le brouillard dans lequel son esprit était plongé se dissipe brutalement et la vérité perce : il n’y a pas un univers cauchemardesque et un monde réel ; les deux versions proposées sont des mensonges. Une partie de bonneteau aux cartes pipées. Les dilemmes et les rêves sont destinés à le briser, à finir de le rendre fou.
Il se lève et jauge du regard le fameux « Seigneur des rêves » qui lui fait de nouveau paisiblement face ; l’observant en silence, un air sardonique étirant toujours ses traits. Soudain, il voit aisément au travers du déguisement.
– Assez ! Je sais qui vous êtes. Cessez cette comédie !
Un sourire mauvais étire le visage replet, avant que l’image de l’illusionniste se brouille, révélant une figure sinistre qu’il a croisé bien des siècles plus tôt : le Valeyard [3]. Le procureur retors qui avait cherché à le condamner à mort, lors du procès ayant opposé sa sixième incarnation au Haut Conseil. Le Maître avait à l’époque prétendu qu’il s’agissait de l’une de ses régénérations futures : un nom qui lui serait donné, quelque part après sa douzième incarnation, et serait la résultante des pires aspects de sa personnalité.
Il n’avait jamais complètement voulu y croire, prétendant qu’il s’agissait d’une algarade sans fondement du Maître. Un mensonge de plus pour l’aiguillonner. Après tout, les Seigneurs du temps ne pouvaient – à sa connaissance – pas se régénérer plus de douze fois…
Pourtant, maintenant qu’il fait face à l’autre homme, il n’y a plus l’ombre d’un doute quant à son identité. Celui-ci le toise avec tel dédain que la véracité des dires du Maître n’est plus soumise à caution : dans tout l’univers, il n’a pas un ennemi qui le méprise à ce point ; pas une seule personne qui le haïsse avec cette ferveur.
— Tu vois enfin clair, maintenant ? Il t’aura fallu un certain temps. La vérité était-elle si dure à admettre ? Les choix que tu as faits n'ont jamais été réels. C'étaient des mirages pour te montrer comment tout cela finira…
Le Docteur se redresse lentement, une main posée sur sa poitrine, là où la sensation curieuse d’une balle imaginaire palpite encore en un écho fantôme. Son regard est rivé sur le Valeyard, et, malgré sa posture vacillante, il se permet un rictus. Lui aussi peut être maître dans l’art du mépris.
— Alors, c’est tout ce que tu as à offrir ? Des illusions et des menaces creuses ? Un petit jeu de miroirs déformés pour me faire douter de moi-même ? Des pitreries pathétiques !
L’homme ouvre les bras tel un prestidigitateur et opine du chef, faussement incrédule.
— Des pitreries pathétiques ? Comme c’est drôle de t’entendre dire ça ! Tu as joué trop longtemps avec les règles et engendré des catastrophes que tu étais incapable de contrôler. Tu as mené ta propre espèce à sa destruction et, de manière détournée, mis fin à des milliers d’autres existences. Maintenant, tu trahis tes amis et tu te fuis toi-même. Bientôt, c'est la race humaine entière que tu chéris tant, que ton arrogance condamnera. Le processus a déjà commencé. Quelques décennies et dilemmes de plus et tu seras mûr pour interpréter, sans insistance ou assistance, le premier rôle des rêves que je viens de te proposer !
Le Docteur avance d’un pas et fixe cette version haineuse de lui-même d’un air sombre, secouant la tête.
— Une personne est plus que la somme de ses pires moments : peut-être que tu es le pire de ce que je représente. Mais tu ne seras jamais moi.
Un éclat de colère traverse le visage du Valeyard ; le contrôle strict sur la façade qu'il souhaite afficher, vacille un instant.
— Oh, mais si. Tu l’es déjà. Et tu le sais. Regarde-toi : manipulant les règles à ton avantage, jouant à Dieu en décrétant qui mérite de vivre ou de mourir. Tu penses vraiment être meilleur que moi ?
— Je ne me prends pas pour un Dieu. Je ne fais que…
— … Mentir. À toi-même, surtout. Mais au fond, tu es conscient de la vérité. Tu es comme moi. Tu es déjà moi.
La voix du Seigneur des rêves le coupe et s'élève, plus forte et hargneuse. Il n’y a plus la moindre trace d’amusement qui persiste en elle. Juste de l’acrimonie et un jugement acerbe.
— Un tueur de masses qui se prend pour un justicier. Un lâche qui privilégie sa propre vie, face à celle d’autrui. Un homme qui se sacrifie quand cela l’arrange pour refuser de prendre une décision odieuse de plus. Cela n’a que trop duré et ne finira pas sans heurts supplémentaires… peut-être devrais-je t’ôter une épine du pied en mettant fin à tes scrupules insensés ? Peut-être est-il l'heure d'avancer l'échéance ?
Le Docteur est troublé par la haine qui brille dans les pupilles de l’homme fulminant qui lui fait face.
— Que veux-tu dire ?
Un éclat de rire froid et coupant comme la glace déchire l'atmosphère.
— Je suis le prochain. Tu te tiens sur le fil du rasoir, Docteur. Un pas de plus, et tu n’auras plus besoin de te soucier des conséquences. Plus de règles. Plus de chaînes. Seulement le pouvoir. Tu l’as déjà goûté, non ? Ne t’avais-je pas averti Docteur ? Il y a tous ces siècles, j’ai cherché à te prévenir, à tous les alerter du danger que tu représentais ! Vous avez choisi d’ignorer les preuves que je vous avais concoctées… N’avais-je pas affirmé que tu causerais l’extinction d’espèces ? Que tu provoquerais un génocide ? Qui aurait pu deviner à l’époque que c’était ta propre race, la première, que tu condamnerais aux flammes ! Tu as dépassé les bornes depuis longtemps et craché sur toutes les règles bornant les voyages temporels… Laisser ce vieillard idiot mourir a été le dernier pas vers moi. Tu ne peux pas revenir en arrière. Fais nous gagner du temps et accepte juste ce que tu es devenu. Cesse de te débattre et laisse-moi, dès à présent, la place. L’heure tourne, même pour le Docteur. Le moment est venu d’assumer notre destin et d’accepter ce que nous sommes : Le Vainqueur [4]!
Le Docteur remarque brusquement le revolver de Wilfred, toujours confortablement logé dans la main du Valeyard. Un coup de feu – le quatrième tiré ce jour par le vieux pistolet – le cueille par surprise, le clouant sur place, avant qu’il ne puisse esquisser un geste. Une douleur blanche éclate partout dans son corps tandis que la balle déchire impitoyablement la chair du thorax.
Longtemps qu’il n’avait pas été touché par un projectile de ce type. Il s’effondre au sol et étouffe un cri, du sang remplissant sa bouche. Par tous les soleils de Gallifrey : il déteste les armes à feu. Quelle idée saugrenue d’en avoir gardé une durant plus dune décennie à l’intérieur de son vaisseau !
Il rejoue ce que le Valeyard vient de lui affirmer : « être le prochain ». Est-ce possible ? Il n’était supposé advenir qu'après sa douzième régénération. Même en prenant en compte « Celui de la guerre » comme une incarnation, il ne serait que le onzième… à moins que son tour de passe-passe pour se régénérer à partir de son bras coupé soit considéré comme une incarnation à part entière ? Encore une fois, ce serait son arrogance qui aurait posé les jalons du désastre…
Le Docteur frissonne et lutte pour se redresser et tenir sur ses jambes. Il n’a plus rien à répliquer face à cette version ricanante, amère et meurtrière de lui-même ; mais il est maintenant très au clair sur la ligne de conduite à tenir. Peu importe le coût, il ne laissera par ce futur se produire. Il ne se régénérera pas en cette chose. Il lutte pour se tenir droit, malgré la douleur cuisante qui le déchire et fait la seule chose à laquelle il puisse songer, tandis que son esprit commence à se défaire. Sa main tremble, mais l'univers lui-même semble le presser, hâtant son geste.
Ses yeux se ferment. Il programme la commande et ses doigts planent au-dessus du bouton d'autodestruction ; il s’effondre contre la console du TARDIS, sombrant dans l’inconscience, mais actionnant dans un ultime geste la séquence à même d’annihiler son éternel refuge.
Le feu brûlant de la douleur liée à sa blessure par balle s’éteint brusquement et il ouvre les yeux. Il est de nouveau seul, étalé sur le sol du TARDIS. Il tremble d’effroi et peine à retrouver son souffle. Le songe se dissipe, mais les volutes des cauchemars successifs s’accrochent encore à lui, l’enveloppant comme un sinistre manteau et lui étreignant la gorge. Il est perdu au point de ne plus tout à fait pouvoir distinguer ce qui réel ou non.
Le Seigneur des rêves. La fin de l’humanité. Midnight. Le Valeyard.
Les quatre coups.
A-t-il déjà été accompagné ou la conversation qui vient d’avoir lieu était-elle une pure illusion d’un esprit affolé ? Son souffle est court et une sueur froide perle le long de ses tempes.
Il s’assoit, serre les poings et jette des regards frénétiques autour de lui, ses yeux écarquillés cherchent dans les recoins de son vaisseau la moindre preuve d’une présence étrangère. Il n’y a rien. Ce n’était rien. Simplement un rêve de plus. Une pure manifestation de culpabilité… ou un odieux aperçu du futur. Qui sait ? Il vient d’être mis face à la matérialisation tangible de ses pires craintes : l’image du Valeyard flotte dans les airs et certaines des vérités acerbes qu’il lui a assénées persistent. Il n’y avait pas que des calomnies dans la diatribe vicieusement lancée.
Un meurtrier. Un lâche. C’est vrai.
Quatre coups. Un. Deux. Trois. Quatre.
Il est toujours question de Wilfred Mott, après tout.
L'homme qui est mort pour qu’il continue à subsister. Celui qui est mort à cause de sa faiblesse. Le monde n’a pas besoin d’un Seigneur du temps renégat, se croyant supérieur au point de décider que sa vie vaut plus que celle d’un homme bon. Un Seigneur du temps qui a perdu son cap au point de ne plus obéir à ses propres règles.
Ne jamais abandonner, ne jamais faire preuve de cruauté, ne jamais faire preuve de lâcheté [5].
C’étaient les serments qu’il s’était fait à lui-même le pire jour de son existence. Celui où il avait déclenché « le moment ». S’il n’obéissait plus à cela, à quels principes répondait-il encore ?
En tournant les talons et abandonnant Wilfred à la mort, par peur de sa propre fin, il avait brisé ses promesses de la pire des façons. Il ne va pas poursuivre dans cette voie : sa vie ne vaut certainement pas qu’il continue à risquer le sort de l’Univers. Peu importe ce que cela lui coûte, il veillera à ce que le Valeyard n’advienne jamais. Il sait ce qu’il doit faire.
Le TARDIS bourdonne doucement et le Docteur s'appuie contre la console. L’espace d’un instant, il voit le reflet de sa version déformée et dérangée se réfléchir dans la surface polie du vaisseau. Cette glace, il a envie de la briser. Ses mains ne tremblent plus. Les quatre coups résonnent toujours dans son esprit ; cette fois, ils ne sonnent plus comme le glas, mais comme un appel. Il a échoué, oui. Mais ce n’est pas fini.
Il pourrait tout achever comme dans son dernier songe, par une explosion, mais il ne veut pas finir sa très longue existence par la destruction du dernier TARDIS encore en vie dans la galaxie. Si sa chanson doit s’achever, alors il le fera à ses conditions. Mais, avant cela, il a encore quelques menus détails à régler. Si son plan se déroule comme il l’entend, il ne survivra pas plus de quelques minutes au sauvetage de Wilfred.
Il devra avoir tout finaliser en amont : il est l’heure d’aller la chercher. Sa récompense.
Il tire Martha Jones et Mickey Smith d’un drôle de guêpier impliquant des sontariens ; vole au secours du fils de Sarah Jane, alors que celui-ci devait finir paralysé des suites d’un grave accident de voiture ; va rendre visite à la descendante d’une infirmière qu’il avait sincèrement aimée quand il se croyait humain ; pousse un valeureux Alonzo dans les bras de l’inénarrable Capitaine Jack Harkness. Et il va formuler un dernier adieu à une Rose Tyler qui ne le connaît pas encore.
Il lui souhaite une année fantastique. Il sait qu’elle le sera.
Puis, il regagne son vaisseau et caresse la console du TARDIS, comme pour s’excuser de l’ultime acte déraisonnable qu’il va lui demander d’accomplir. Il a vécu trop longtemps, mais son dernier acte dans la galaxie ne sera pas un meurtre. Cela ne finira pas par des flammes, mais par un murmure. Il ne provoquera pas un autre génocide et n’appuiera pas de nouveau sur la détente. Plus jamais. Et il ne s’enfuira plus.
Une fois encore, il va pousser très loin l’arrogance ; jouer avec le feu et aller à l’encontre de toutes les règles communément admises en matière de respect de la chronologie. Il n’est pas comme le Maître, il ne transformera pas son vaisseau en machine à paradoxe pour se faire – et il n’ira pas loin au point de regarder dans son cœur – mais il va forcer sa vieille amie à aller là où elle ne devrait jamais se trouver. Sur sa propre ligne temporelle. Et avec le même modèle.
Il va défier tous les pronostics, les règles les plus élémentaires édictées par son peuple et le Temps lui-même. Une toute dernière fois.
Deux TARDIS le même jour, à la même heure et quasiment au même endroit : Londres, le 25 décembre 2009. Une vraie folie ! C’est supposé être impossible. Le TARDIS rejette – comme prévu – les coordonnées à plusieurs reprises, vrombissant de mécontentement. Il désactive le verrou temporel de la machine et empêche le système de sécurité de s’activer en inversant le positronement des circuits en les branchant directement à ses propres veines [6]. Le vaisseau va siphonner toute l’énergie temporelle accumulée en lui depuis des siècles et consommer, au passage, toute l’énergie de son incarnation actuelle… ainsi que des potentielles suivantes.
— Désolée, Vieille fille, c’est notre destination finale.
Il n’y aura jamais de Valeyard parce qu’il n’y aura jamais plus d’autre régénération. Il a vécu beaucoup trop longtemps : pour le meilleur et pour le pire, il sera le dernier Docteur.
Le souvenir du rire mauvais du Seigneur des rêves s'estompe dans le néant tandis que le bruit des quatre coups est noyé par les râles réconfortants du frein à main, à jamais laissé tiré. Même pour cette ultime balade, il n’aura pas pris le soin de ménager son vaisseau ou de le piloter correctement.
Le TARDIS n’en tient pas rigueur à son navigateur versatile : elle se met en mouvement dès qu’elle a tiré suffisamment d’énergie et porte diligemment son voleur agonisant à la destination demandée.
25 décembre 2009, 4 minutes avant la mort de Wilfred Mott, Manoir des Naismith
Le TARDIS se matérialise dans la pièce moins d’une minute après que sa version passée n’en ait décampé. Le Docteur arrache les câbles qu’il avait harnachés à la hâte entre lui et les circuits du vaisseau ; il pense ne jamais avoir ressenti auparavant un épuisement si singulier. Il est en bout de course : il n’en a plus que pour quelques minutes et – cette fois – il ne peut pas sentir la moindre parcelle d’énergie de régénération couler dans ses veines. Il a atteint sa destination, mais il doit en payer le prix : il va mourir. Il espère ardemment ne pas avoir fait d’erreur dans ses calculs et être dans les temps pour réparer ce qui doit l’être. Réussir un dernier pari.
Il pousse la porte du TARDIS et retient sa respiration. Wilfred Mott le dévisage d’un air abasourdi depuis la vitre derrière laquelle il est coincé.
Un. Deux. Trois. Quatre faibles coups incertains assénés sur le carreau, avant que la voix de l’homme âgé s’élève paniquée.
— Docteur ? Mais… vous venez juste de partir ! Qu’est-ce que vous faites là ? Et qu’est-ce qui vous arrive ? Vous n’avez pas l’air dans votre assiette !
C’est drôle : la dernière fois qu’il les avait entendus, les quatre coups lui avaient fait ressentir une vague d’injustice indignée et une bonne dose de peur. Maintenant, ils lui font éprouver une joie sauvage. C’est la dernière fois qu’il les entendra. Le soulagement que le Seigneur du temps ressent est si puissant que cela pourrait le mettre à genoux, mais il ne peut pas flancher : s’il tombe maintenant, il ne pourra pas se relever. Déjà chaque pas qu’il fait pour se rapprocher du caisson est douloureux. Son corps est en miettes. Il doit lutter pour former les mots.
— Je suis désolé Wilfred. J’ai mis un certain temps avant de m’en souvenir, mais je peux vous sauver. Et je dois le faire.
Le vieil homme comprend et secoue la tête violemment, l’implorant de l’abandonner.
— Non Docteur, ne faites pas cela ! Laissez-moi ici et sauvez votre vie ! Le monde ne s’en sortira pas sans vous et…
Le Docteur l’interrompt, il n’a plus le temps pour cela. Chaque mouvement lui coûte, mais il n’est plus qu’à quatre pas du caisson. Les bris de verre, partout étalés au travers de la pièce, se transforment en poussières sous ses pieds. Drôle de tapis de neige pour une dernière nuit de Noël.
— Vous laisser là ? Je l’ai déjà fait et cela n’a pas été une réussite… Je ne peux plus être sauvé. Laissez-moi au moins réparer mes torts et vous aider. Laissez-moi cet honneur.
Il se rend compte en le disant que c’est la vérité. Cette fois, il est pleinement en paix avec son choix. Mourir pour sauver la vie de Wilfred Mott est certainement le plus grand honneur que l’Univers pouvait lui accorder. Un vieux soldat désarmé qui n’a jamais pris une autre vie, mérite de continuer son chemin aussi longtemps que possible.
L’homme le salue les larmes aux yeux, il incline légèrement la tête avant de pénétrer dans l’habitacle et d’échanger leurs places. Les radiations le foudroient. Il peut à peine respirer quand les portes cèdent. Le verrou nucléaire finalement mis hors service avec un temps de retard.
Il y a de quoi sourire à l’ironie de tout cela. Il ne peut empêcher la phrase désabusée de franchir ses lèvres.
— Bien sûr, maintenant, ça s’ouvre… Wilfred Mott, je vous interdis de mourir avant 2025, croyez-moi ce sera une année spectaculaire !
À peine le temps d’articuler quelques mots que le sang remplit sa bouche. Le vieux soldat qui allait, sans doute, lui répliquer qu’en 2025 il aurait atteint un âge canonique et aurait depuis longtemps les deux pieds dans la tombe, le regarde d’un air alarmé. Il meurt encore plus vite que ce qu’il avait pronostiqué : il ne veut pas agoniser, sous les yeux du grand-père de sa meilleure amie, mais il ne semble pas avoir vraiment le choix en la matière.
Donna.
Il tire un billet de loterie de la poche de son long par-dessus. Un merveilleux cadeau de Janis Joplin. Il jette le ticket sur le sol face à Wilfred, espérant que l’homme comprenne le message implicite derrière son geste. Il ne peut pas expliquer les tenants et les aboutissants. Il n’a plus la force d’articuler quoi que ce soit.
Ayez une vie merveilleuse Donna Noble.
Le Docteur s’effondre et ses yeux se ferment. Tandis que sa conscience s’étiole, il éprouve la sensation fugitive qu’on le traîne sur un parquet. Soudain, il se sent entouré de l’énergie familière de son vaisseau. Et il entend le claquement des portes.
Merci Wilfred.
Le vieil homme a confié le corps du défunt à son "navire"… le Docteur sourit à l’idée, même perdu dans son trépas.
À la toute fin, c’est ce qu’il obtient : le Docteur dans son TARDIS. C’est bien. Il est au-delà de tout secours, ne peut plus être sauvé. Pourtant, il est parfaitement en paix. Il lui semble entendre, à bas bruit, le chant des Oods résonner, avant que des râles familiers ne retentissent. Un voyage impromptu et une dernière chanson pour le bercer.
Le Docteur s’endort.
31 décembre, 51ème siècle, Planète Bibliothèque, Système CAL
Le Docteur ouvre les yeux. La lumière solaire qui l’entoure lui semble irréelle, comme un rêve ouaté dont il ne veut pas encore s’éveiller. Il se redresse sans difficulté… aucune trace de la souffrance qui l’a déchiré un peu plus tôt ne persiste. Ici, il se sent léger, comme dans du coton : il a à peine la conscience de son propre corps. Il n’a jamais cru au Paradis, alors où se trouve-t-il ? Il scrute l’endroit qui l’entoure. Un parc immense aux couleurs violemment vertes, en arrière-fond, il voit se dessiner un immense manoir. Il ne reconnaît pas lieu, mais identifie immédiatement la femme qui le dévisage en silence.
Elle est tout de blanc vêtue. Comme une mariée. Si c’est un nouveau rêve, c’est le plus curieux et agréable qui soit. Pourtant, une curieuse culpabilité l’étreint. En sacrifiant son avenir, il a également hypothéqué celui de la femme qui lui fait face. Elle ne doit même plus savoir qui il est – s’il ne s’agit pas d’une illusion – mais il s’excuse néanmoins.
— Je suis désolé, j’ai détruit les futures versions de moi qui vous avaient fait si forte impression…
La femme le fixe silencieusement, son regard ancré dans le sien. Il baisse la tête, incapable d’affronter la tendresse incompréhensible qu’il trouve dans les yeux de l’inconnue. Elle rit et il ne peut s’empêcher de relever la tête face au son incongru. Un bruit léger, mais sincère. Réconfortant comme la chanson produite par le clapotis des remous à la surface d’un étang, la mélodie d’une rivière.
— Tu es tellement jeune !
Elle s’approche avec une démarche chaloupée, réduisant la distance entre eux. Sur la pointe des pieds, elle se penche vers lui, ses lèvres frôlant presque son oreille.
— C’était inévitable, mon amour. Tu es pardonné. Complètement et pour toujours : pardonné à jamais [7].
Il frissonne, un curieux mélange de confusion et de joie s'emparant de lui. Pourtant, il essaie de résister, un peu pour la forme, reculant d’un pas.
— Pardonné ? Je viens de détruire l’avenir des hommes que vous prétendez avoir aimés. Je viens de condamner mes incarnations futures à ne jamais exister. Et vous… vous riez ? Comment est-ce même possible que vous vous souveniez de moi, d’ailleurs ? C’est impossible !
Elle incline légèrement la tête, un éclat malicieux brillant dans ses yeux.
— Très bonne question. Mais visiblement, même à toi, bien des mystères de l’Univers échappent. Et ce n’est pas comme si tu étais étranger à l’idée de défier l’impossible, Docteur.
Il serre les poings, cherchant une réponse rationnelle à ce qu’il est en train de vivre, mais elle pose une main légère sur sa joue, désarmante de douceur. Il insiste de nouveau, plein d’interrogations.
— Comment est-ce possible ? Qui m’a amené ici ? Et comment pouvez-vous vous souvenir de ce que je ne suis pas encore et ne serait jamais ?
Elle sourit d’un air moqueur, mais son regard brille de toute la tendresse du monde.
— Pour qui t’a amené dans cet endroit, la réponse me paraît évidente : ta plus ancienne et fidèle compagne ! Pour le reste, je suppose qu’il n’est pas l’heure d’avoir des réponses. Personnellement, je me soucie peu de la raison, tout ce qui compte, c'est que tu sois là. Peu importe ce que tu étais ou ce que tu aurais pu devenir. Ici et maintenant, tu es le Docteur et – en dépit de que tu crois – il n’y a pas une version de toi avec laquelle je préférerai être coincée pour l’éternité. Des vies passées à se croiser dans le désordre, en décalage, toujours en partance. Mais c’est fini : je t’ai enfin attrapé.
Il la regarde, perdu dans un tourbillon de sentiments. Une part de lui veut encore lutter contre cette absurdité, mais une autre s’épanouit dans ce moment de calme arraché au néant, après tant de chaos.
— Une éternité emprisonné avec vous pour comprendre l’impossible ? Ça ne semble pas assez.
Elle éclate de nouveau de rire et il se perd dans les éclats de sa mélodie.
— Une éternité, oui. Mais d’abord, nous devons nous redécouvrir. Briser la glace, ne crois-tu pas, mon petit cœur ?
Quel surnom idiot. Un sourire se dessine sur ses lèvres, malgré lui. Une éternité de paix dans une bibliothèque numérique, en compagnie d’une femme effrontée qui connaît son nom et semble tout savoir de lui. C'est insensé, mais peut-être, juste peut-être, est-ce exactement ce dont il a besoin.
River lui tend la main. Le Docteur l’attrape sans hésiter. Pour la première fois depuis des siècles, il n’a plus envie de fuir.
Il a été « sauvé ».
_________________________________________________________________
Notes :
Voilà, c'est fini pour ce Two-shot que j'ai pris beaucoup de plaisir à écrire mais qui sera sans doute ma seule et unique contribution à un fandom que j'adore, mais qui est, en principe, beaucoup trop "riche" pour je l'exploite en format fanfic : le méli-mélo spatio-temporel ça fatigue les méninges xD Voici quelques notes en vrac, même s'il y a un tas (trop) d'autres références à la série/à des répliques de celle-ci que je n'ai pas inventoriées.
[1] "La croisée des chemins" est le titre français du dernier épisode du 9ème Docteur, dans celui-ci les daleks lui donnent "le choix" d'éradiquer la race humaine pour sauver l'Univers.
[2] Voir l'épisode de la saison 5 "Le choix d'Amy". Cette matérialisation du subconscient du Docteur pourrait être un avatar du Valeyard.
[3] Voir la saison 23 de la série classique, ce personnage appelé "Le Docteur en Loi" mène un procès "The Trial of a Time Lord" contre le Docteur via des preuves falsifiées (il l'accuse notamment de génocide). C'est, selon le Maître, un condensé des pires aspects de la personnalité du Docteur… selon plusieurs théories il serait une incarnation future du Docteur.
[4] Oui, je ne pense pas que le Valeyard conserverait le titre de "Docteur"... il lui faudrait donc un autre nom ;)
[5] Réplique commune du 10ème, du 11ème et du "Docteur de guerre" lorsqu'ils s'apprêtent à déclencher le moment dans "Le jour du Docteur".
[6] J'ai tout donné avec cette explication foireuse qui, je l'espère, rend hommage aux autojustifications les plus oiseuses du lore :p
[7] Réplique du 11ème à River Song dans "Le Mariage de River Song" le jour où celle-ci est contrainte par le Silence à l'assassiner.
Bonne année à tous ! Qu'elle soit fantastique ;)