Red Christmas

Chapitre 1 : La prophétie de Noël

4749 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 6 mois

Cette fanfiction participe au défi d’écriture de novembre-décembre 2024 : Secret Santa, mettez le paquet !

Il s'agit d'un cadeau rédigé à l’attention de OldGirlNoraAlrani (ce sont certaines de ses réflexions sur le topic consacré à Doctor Who qui m'ont donné l'idée du fil conducteur de ce texte), la deuxième partie de ce Two-Shot sera publiée le 31 décembre. Très bonne lecture et joyeux Noël à tous, même si, comme vous le constaterez je n'ai pas forcément adopté un ton léger et un angle festif pour ce texte.

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21 novembre 2059, Londres.


« Un seigneur du temps victorieux, c’est mal. »


La belle affaire !


Voilà que l’humaine qu’il vient de sauver des eaux de la planète Mars lui adresse une mercuriale en règle. Douce ironie quand il songe que moins d’une heure plus tôt, elle l’avait supplié de les sauver elle et son équipage. Maintenant, qu’Adélaïde a enfin pris la pleine mesure et digéré l’information de sa mort en tant que point fixe dans l’espace et le temps, la voilà plus royaliste en la matière que le Seigneur du temps lui-même.


La vanité des humains est parfois confondante. Que sait-elle des règles régissant l’Univers à part les bribes qu’il lui a transmises plus tôt ? Il comprend les mécaniques à l’œuvre dans les paradoxes mieux que quiconque ; voit au-delà de l’horizon des événements et perçoit la subtilité des rouages se mettant en branle à la moindre anicroche dans la chronologie. Et une anicroche, il vient d’en créer une monumentale. Il y a maintenant – grâce à lui – trois personnes qui devaient périr sur Mars, qui sont bien vivantes, sur Terre. Trois personnes qui respirent et qui vont poursuivre leur existence, vieillir et sûrement se reproduire. Pourtant, pas l’ombre d’un Faucheur ou la queue d’un Chronovore pour venir sonner le glas et se repaître du chaos qu’il a volontairement causé.


C’est comme si l’Univers lui-même lui confirmait sa victoire : il ne vient pas de détruire la réalité, il l’a simplement remodelée à son bon vouloir, sauvant quelques vies au passage et, certes, changeant peut-être le destin de l’humanité. Il se bonifie au fil de ses incarnations et devient vraiment brillant en vieillissant ; fantastique comme dirait l’autre ! Si ses dernières actions ont engendré des conséquences fâcheuses, ce sera sa seule responsabilité de les réparer en temps voulu : le Capitaine Brooke n’est pas en position de s’en préoccuper et lui ne devrait même pas avoir à s’en justifier. Des siècles passés à se dresser entre la petite planète bleue et les hordes d’envahisseurs venues la prendre. Il est le seul à pouvoir s’autoriser à déterminer quels risques sont ou non admissibles.


La Terre est encore là et le Docteur aussi. Il vient de remporter un combat contre le Temps et il est toujours debout. À la fin, c’est lui le vainqueur, il ne laissera pas les craintes d’une terrienne butée, affadir la saveur d’un exploit arraché au Cosmos. Alors, il se contente de lui sourire, avec un brin d’arrogance, et déverrouille la porte de la maisonnée d’un nonchalant geste de tournevis. La femme s’éloigne de lui, pleine de défiance et le visage fermé. Il n’en a cure.


Il est le dernier Seigneur du temps : le seul qui puisse encore déterminer ce qui est acceptable en matière de respect du continuum temporel. Ce n’est pas la première fois qu’il joue avec les règles et qu’il parvient à les contourner ; maintenant, il n’a plus personne pour faire son procès. De guerre lasse, il ne soucie guère des remontrances d’un Capitaine ayant perdu son cap et son équipage. Il lui tourne délibérément le dos, déjà prêt à regagner le TARDIS ; il l’a sent hésiter un instant sur le seuil de la porte, et, un instinct acquis de longue date, lui souffle qu’elle est en train de tirer son arme de son étui. Considère-t-elle qu’un Seigneur du temps victorieux est une menace qui doit être neutralisée par n’importe quel moyen ? Il ne se retourne pas. Elle ne peut rien contre lui : pas ce soir, alors qu’il se réjouit de sa réussite contre une fatalité inscrite dans l’Histoire.


Sentant sa défiance augmenter à mesure qu’ils approchaient de leur destination, il avait – par pure précaution – veillé à rendre son arme inefficace, créant en pianotant sur la console du TARDIS un léger court-circuit à même de déphaser n’importe quel engin de mort. Peu importe ce qu’elle fera à présent, ce sera sans conséquence. Pourtant, il retient un peu sa respiration, curieux de voir si elle ira au bout du geste. Non. Bien sûr que non. Il entend avec une pointe de satisfaction la porte se refermer. Même remplie de désapprobation, Adélaïde Brooke n’est pas du genre à tirer sur un homme désarmé en train de battre en retraite. Il s’apprête à regagner son vaisseau et à s’envoler sur cette conclusion satisfaisante, quand il voit une lumière bleutée éclater derrière les vitres. Il comprend immédiatement ce que la femme a essayé et cela le glace sur place : elle vient de tenter de se supprimer pour essayer de réparer – au moins en partie – les libertés prises avec un futur qui était censé être gravé dans le marbre. Quelle folie ! Heureusement qu’il avait pensé à rendre le pistolet inutile : la seule conséquence a été un bref flash. Aucune détonation et pas de mort à déplorer. Encore une fois le destin a voulu s’imposer, mais a été contourné de justesse.


Étrangement, cela le met en colère : Adélaïde Brooke ne mourra pas le 21 novembre 2059, peu importe qu’elle en ait subitement décidé ainsi. Il le lui a dit plus tôt : il se battra contre elle aussi, s’il le faut. La base Bowie One a déjà explosé, il n’y a actuellement plus aucun humain vivant sur Mars, mais aujourd’hui son Commandant ne mourra pas. Pas sous sa garde. Il pénètre dans la maison bien décidé à donner un peu de bon sens à l’humaine têtue, prêt à lui tenir son meilleur sermon pour la convaincre de l’inutilité de sa démarche et l’empêcher de se livrer à tout nouvel élan mélodramatique.


Il se fige lorsque, entrant dans le hall, il voit la femme inflexible, prostrée sur le sol de son salon et des larmes pleins les yeux. Plus royaliste que le roi. Appuyer sur la détente a dû lui demander toute sa volonté, il doute qu’elle réussisse à renouveler de si tôt un tel acte d’abnégation. La vue l’attendrit un peu et lui fait relativiser sa précédente colère : ce n’est pas la faute de la femme, mais de la sienne, après tout. Il a tellement cherché à la consoler du caractère inéluctable de sa mort – en lui affirmant que des choses merveilleuses s'ensuivraient – qu’elle ne pouvait simplement se satisfaire de subsister si cela remettait en cause le merveilleux tableau qu’il lui avait peint.


Il s’approche et elle relève la tête. Ainsi remplis d’eau, les yeux orageux semblent traversés par une tempête. Pourtant, le jugement à son encontre semble un peu moins foudroyant que quelques minutes plus tôt. Il soupire et lui tend la main, espérant qu’elle la saisisse. Il ne pense pas qu’elle va réitérer son acte désespéré, mais il vaut mieux qu’il s’en assure. Il va lui offrir un cadeau qui lui montre que la vie en vaut toujours la peine et qu’aucun futur hypothétique – aussi beau soit-il – ne mérite qu’on la sacrifie sans sourciller. C’est lui qui a semé les graines dans son esprit et l’a convaincue que sa mort était une fin en soi, à lui de la persuader du contraire.


Il la supplie du regard et se penche un peu, bien décidé à lui montrer autre chose que le Seigneur du temps victorieux qui l’a visiblement tant déroutée et rendue si ombrageuse.


– Adélaïde, vous m’avez fait confiance plus tôt et vous m’avez sauvé. Faites-moi confiance maintenant, laissez-moi vous aider.


Elle saisit sa main et il la remet sur pied. Peut-être caresse-t-elle encore la rassurante perspective de ne pas être au-delà de tout secours. Ils ont besoin d’espoir tous les deux et il sait exactement comment leur en donner ; il l’invite de nouveau à le suivre dans le TARDIS, un plan en tête, elle l’accompagne sans décrocher un mot. Avant que les portes ne se ferment sur eux, il aperçoit Ood Sigma qui le fixe d’un air grave, planté dans la neige. Il semble au Docteur qu’une nouvelle vague de désapprobation silencieuse s’abat sur lui, mais il choisit résolument de l’ignorer. Au diable les prophéties et la solennité du chant des Oods. Il n’y aura pas de quatrième coup ce soir : le moment n’est pas venu que lui et Brooke tirent leur révérence.


Il programme le vaisseau, prétendant ne pas sentir la légère décharge électrique que sa vieille amie lui envoie ; elle non plus ne paraît pas approuver ses dernières actions. Peu ravie de leur destination, elle se met néanmoins en route. Elle vrombit et ses râles habituels et rassurants saturent un instant l’espace, avant qu’elle disparaisse et les mène à bon port.


25 décembre 2059, Liverpool.


Minuit sonne et le Docteur sourit en observant Adélaïde bercer la minuscule Susie Fontana, tout en conversant avec sa fille. Ils sont le 25 décembre 2059, il neige et le jour de l’éruption est passé sans qu’aucune conséquence désastreuse ne semble vouloir se profiler. Il a réussi son pari contre le temps. Plusieurs familles sont actuellement réunies pour passer le réveillon et l’Histoire suivra tranquillement son cours : Yuri aura de nombreux enfants, Mia se remettra de ses émotions et fera des découvertes majeures dans le domaine de la géologie et – il a été vérifié – tout est toujours sur les rails pour les générations futures. Grand-mère Brooke fera un excellent travail de transmission. Sa passion pour les étoiles poussera – presque comme originellement prévu – la petite Susie à suivre ses traces et être une pionnière, menant un vol spatial à terme jusqu’à Proxima du Centaure. L’une de ses descendantes fera bien tomber en pâmoison un prince tandonien et les choses suivront naturellement leur cours. L’avenir de l’humanité est sur la bonne voie : les incartades n’y ont rien changé et trois personnes ont trompé la mort.


C’est une belle soirée et, même s’il ne le montre pas, par crainte d’ulcérer de nouveau le Capitaine Adélaïde, il est un « Seigneur du temps victorieux » et cela n’a rien d’un drame. Cette complète réussite lui ouvre de nouvelles perspectives : il a longtemps été un observateur impuissant des catastrophes majeures inscrites à l’Histoire planétaire, mais c’est terminé. Il ne peut certes, pas sauver tout le monde, mais il peut visiblement se permettre parfois d’être plus interventionniste et en tirer des bénéfices inattendus. Trois vies, ce n’est pas rien. Il ne va plus se borner à être spectateur, s’il peut faire une différence et épargner davantage d’existences, il le fera. Gallifrey est depuis longtemps tombée et il est le dernier Seigneur du temps : à lui de jouer avec les règles existantes, voire d’en créer de nouvelles.


Douce nuit. C’est le cœur léger et l’esprit exalté qu’il quitte le domicile de la fille d’Adélaïde ; s’il entend le sinistre chant d’avertissement des Oods résonner et la convocation qu’ils lui lancent pour qu’il vienne en toute hâte visiter leur planète, il n’en laisse rien paraître. Il a plein de projets fous en tête et a envie de festoyer, il décide de repousser l’invitation et d’entreprendre de nouveaux voyages en solitaire. Il fait de nombreux détours en route – et prend quelques nouvelles libertés avec la chronologie, désireux de tester les limites de son champ d’action – avant de finalement céder et aller constater de quoi il retourne. Les Oods l’accueillent fraîchement et avec une bonne dose de réprobation, mais ils ont des problèmes autres, que son attitude bravache : le Maître est de retour et, peu importe ce qu’il est en train d’entreprendre, cela fait saigner le temps. Après, un avertissement sentencieux « Vous aussi, si vous persistez, vous le ferez saigner. », qu’il finit d’évacuer par un simple haussement d’épaules et un sourire froid – il sait ce qu’il fait et aimerait bien que tout le monde cesse de douter de lui et de remettre en cause ses actions à mauvais escient ! – ; le Docteur part sur Terre pour enquêter.


25 décembre 2009, Londres.


Il tombe directement sur le meilleur des hommes, un vieux soldat fier de ne jamais avoir tué personne. Ce bon vieux Wilfred Mott. Encore.


La coïncidence lui paraît trop grosse et il accueille l’événement avec circonspection. Pourtant, très vite, les événements s’emballent et lui et son compagnon ponctuel, mais récurrent se retrouvent à mener le combat ensemble : ils doivent sauver la terre, non pas seulement du Maître, mais également des Seigneurs du temps dans leur ensemble qui, bouffis d’orgueil et pleins de leur supériorité supposée se considèrent en droit de décider du sort de l’Univers. De détruire le temps lui-même avant de s’« élever ». Peu importe ce que cette élévation est supposée signifier, cela fait froid dans le dos du Docteur. C’est déjà le sort que ses semblables – merveilleux, sages et honorables, comme il aimait le prétendre à ses compagnons humains lorsqu’il les évoquait – avaient réservé à la galaxie dans les derniers jours de la Guerre du temps. C’est ce qui l’avait poussé à déclencher « Le moment ». Celui dont il prétend parfois qu’il n’a pas eu lieu : ce jour où celui qui n’a pas le droit de s’appeler « Le Docteur » avait fait brûler sa propre planète et tous les habitants la composant pour sauver le reste de l’Univers.


Il ne veut pas s’en souvenir, mais il est contraint de le faire : s’il oublie le nombre de personnes qui ont été consumées à Gallifrey, le jour où il a fait usage du dispositif, qu’est-ce que cela dira de lui ? S’il ne peut plus assumer de se rappeler le nombre d’enfants qui étaient présents sur sa planète le jour où il a choisi de tous les condamner, qui se souviendra d’eux ? 2 470 000 000 vies de bambins effacées d’un simple geste. Et Rassilon, dans toute sa folie arrogante vient de lui remémorer précisément pourquoi il en avait été réduit à cette extrémité. Peut-il encore le faire ? De nouveau condamner tout son peuple à retourner dans les limbes et à s’éteindre ? Et cette fois en utilisant directement une arme à feu, lui qui aime temps jouer les pacifistes malgré le passé génocidaire que se traîne l’une de ses incarnations passées ? Il s’accroche fermement au pistolet que Wilfred lui a imposé avec énergie mais, à l’instant crucial, refuse finalement d’appuyer sur la gâchette ; que ce soit pour mettre fin aux jours du Président ou à ceux du Maître. Dans un geste désespéré, il essaie de briser le lien au prix de sa propre vie, mais – au moment où tout semble perdu pour lui – c’est le Maître qui, dans un improbable retournement de situation – comme ce fou les aime – se sacrifie, à sa manière, en tuant Le Président et en réexpédiant tous les Seigneurs du temps de là où ils sont venus.


Durant l’espace de quelques secondes, il croit avoir réussi à survivre à la prophétie des Oods et à cet harassant jour de Noël sans se perdre lui-même, puis quatre coups résonnent.


Un. Deux. Trois. Quatre.


Le Docteur ferme étroitement les yeux, puis tourne résolument la tête vers sa pythie. Tant de tendresse dans le regard larmoyant et légèrement chassieux. Tant de bonté. Et pourtant, le brave homme vient de le condamner. Le brave vieil homme stupide qui n’arrêtait pas de croiser sa route et qui avait passé la journée à le convaincre qu’il allait trouver une échappatoire et à réussir à tous les sauver, sans sacrifier sa propre existence, vient de sonner le glas.


Un. Deux. Trois. Quatre.


Voilà son jugement ? Sa récompense ? Le sort est cruel et souvent d’une ironie mordante. Il va fulminer pour la forme, puis se sacrifier – comme il se doit – pour sauver Wilfred quand une perspective fugitive le traverse : et s’il ne le faisait pas ? S’il refusait son destin et trompait le sort en tournant simplement les talons ?


Il pourrait en faire tellement plus. Il avait déjà tant perdu… Rose, Martha, Madame de Pompadour, Astride, Donna et tant d’autres avant elles.


La pensée froide s’insinue dans son esprit : combien de vies humaines a-t-il déjà vu disparaître ? Combien peut-il encore sauver s’il choisit de rester et de refuser la régénération prophétisée ? Il a pleuré, hurlé, couru, combattu, vu des milliers d’espèces s’éteindre, assisté au déclin de centaines de civilisations, perdu des enfants, des petits-enfants et dit adieu à plusieurs reprises à des femmes qu’il avait sincèrement aimées… et il devrait de nouveau se résigner à perdre plus ? À se perdre de nouveau lui-même : une parcelle de plus. Une fois encore. Il ne veut pas se régénérer.


Il pourrait faire tellement plus.


Wilf est très vieux pour son espèce. Combien de temps lui reste-t-il ? ? Quelques mois ou une poignée d’années – moins d’une décennie dans le meilleur des cas – à vivre. Il n’a aucune obligation de sacrifier des siècles potentiels de bienfaits pour préserver la vie d’un homme ayant déjà un pied dans la tombe.


Il serre les dents et se redresse. Il vient de précisément se rappeler ce que cela avait été de condamner Gallifrey aux flammes : les cris résonnent encore dans son esprit, les cohortes d’abominations ayant accompagnées les derniers jours de la Guerre du temps se mêlent au souvenir du rugissement du brasier dévorant son monde. S’il disparaît maintenant sera-t-il remplacé par une meilleure version de lui-même ou par un Docteur qui ne méritera pas ce nom et effacera de sa mémoire le nombre d’enfants ayant péri à Gallifrey ? S’il survit tel qu’il est, il pourra continuer à faire le bien et à veiller à ce que les étoiles ne s’éteignent pas. Il se souvient des perturbations que sa mort avait engendrées dans la version alternative de la réalité dans laquelle le Dupeur avait convaincu Donna de tourner à droite. S’il meurt qui lui dit que son incarnation suivante sera un homme bon, prêt à se transcender pour sauver des vies ?


Le risque n’en vaut pas la peine. Il ne va pas hypothéquer le destin de l’Univers pour épargner quelques années supplémentaires à un vieil homme. Sa résolution se raffermit. Il va refuser son destin.


Il a éradiqué toute son espèce et a mis, de manière détournée, fin à l’existence de milliers de ses ennemis ; alors, dans le grand dessein des choses, qu’est-ce que le sacrifice d’un vieil humain dans un caisson de radiation ? Une faute de plus, sur une liste interminable.


— Je suis désolé, Wilfred, je ne peux rien faire. Je suis tellement désolé.


Le vieil homme le salue, les yeux pleins de larmes, mais un sourire paisible éclaire ses traits. Il est incroyablement heureux que le Docteur ait survécu à leur succession de déboires et prend sa mort imminente avec plus de sérénité que de crainte. Bien sûr, l’homme n’aurait pas voulu qu’il se sacrifie pour lui. Et, s’il voit à travers sa lâcheté, il n’en dit rien. Exceptionnellement, le Docteur lui rend la pareille, le saluant gravement, avant de quitter la pièce et lui promettant qu’il continuera à veiller sur Donna à distance et à protéger la planète aussi longtemps qu’il le pourra. Il se détourne lentement, tourne les talons et s’éloigne délibérément alors que le verrou nucléaire est proche d’atteindre son point critique et de libérer des radiations mortelles partout à l’intérieur de la salle où s’est coincé son compagnon d’infortune.


Les quatre coups continuent à retentir dans sa tête, rythmant la cadence de ses pas et faisant sinistrement échos au battement de ses deux cœurs, comme pour le forcer à se retourner, à accomplir ce qu’il sait être juste. Mais il les ignore. Son choix est fait : encore une fois, il va déjouer le destin. Il peut en faire tellement plus. Il doit en faire tellement plus. Pas pour lui-même. Pour eux tous. Pour l’univers.


Il accélère le pas, refusant de se retourner pour jeter un dernier regard à son vieil ami avant que le caisson ne soit envahi par les radiations.


Les tambours de guerre et ce rythme si semblable se confondent à présent dans son esprit, une cacophonie torturée qu’il tente d’éteindre. Il se dit qu’il n’a rien fait de tragique, qu’il a simplement pris une décision difficile. Une de plus. Ce n’est pas la première fois et ce ne sera pas la dernière. C’est ce qu’il a toujours fait. Pourtant, quelque chose en lui vacille. Une ombre plantant plus profondément ses crochets sous sa peau. Une noirceur qu’il ne veut surtout pas nommer continuant de s’installer.


Il atteint le TARDIS. Ses doigts tremblent lorsqu’il ouvre les portes d’un claquement de doigts. Il ressent une terrible sensation d’oppression en pénétrant dans la cabine.


Il est trop tard pour faire demi-tour : à cette heure le caisson hyperbare dans lequel était enfermé Wilfred Mott a rendu l’âme. Dans ces proportions, les radiations ont dû tuer le vieux soldat en quelques secondes. Il est trop tard. Il ne peut pas réparer ce qui vient d’être fait, ne peut pas revenir en arrière pour tourner à droite. La réalisation le laisse engourdi ; il se réfugie dans son vaisseau et se perd dans la contemplation des murs. Jamais l’espace à l’intérieur ne lui a semblé si étriqué. Il entre quand même et laisse la porte se refermer derrière lui dans un drôle de claquement.


L’habitacle semble plus froid et silencieux que d’ordinaire. Il crispe ses doigts sur la console, cherchant vainement un sentiment de réconfort qui ne vient pas. Il s’agite, frisonne et passe brutalement ses doigts dans ses cheveux, tirant dessus.


— Qu’est-ce que j’ai fait… qu’est-ce que j’ai fait… qu’est-ce que j’ai fait ?


Les mots incrédules lui échappent à voix haute avant qu’il ne puisse les retenir, ils se répercutent sinistrement dans le vide. Il y a une pointe d’hystérie dans son ton. La résultante de son acte de lâcheté le frappe soudain avec sa pleine violence.


Cela le fait trembler lorsqu’il prend la pleine mesure de ces dernières actions et accepte le poids de celles-ci : c’est le jour de Noël – sa fête humaine préférée – et il vient de laisser périr Wilfred Mott. Le grand-père de sa meilleure amie. Le vieil homme qui a toujours eu une foi aveugle en sa bonté. L’humain qui aurait été « fier d’être son père », parce que – trompé par son apparence trop juvénile – il ne pouvait pas réellement avoir conscience que c’était exactement l’inverse qui aurait dû être vrai : que leur différence d’âge était assez sidérante dans le sens inverse pour que lui, l’alien de plus de neuf siècles, soit honoré de considérer l’homme âgé comme son fils. Le père d’un vieux soldat qui rêvait aux étoiles et dont le plus grand orgueil était de ne jamais avoir tiré sur personne… Oui, le Docteur aurait été fier d’être le père de Wilfred ; pourtant, il venait de lui tourner le dos et de le laisser mourir, seul.


— Qu’est-ce que j’ai fait ?


Le TARDIS reste muet et il se sent plus esseulé qu’il ne l’a été depuis des décennies.


Il programme des coordonnées au hasard. Une planète lointaine. N’importe où, n’importe quelle époque, pourvu qu’il échappe à la réalité de son acte et à la répétition des quatre coups.


Espoir vain. Le rythme semble implacable et persiste à jouer sa cadence dans un recoin de son esprit, tandis que le vaisseau s’envole et s’éloigne de la Terre.


Il n’y a nulle part où s’enfuir. C’est comme la terrible litanie qui a poursuivi le Maître des siècles durant. Rien ne peut étouffer un son qui émerge du néant et est le produit d’un esprit malade. Le bruit est logé profondément dans son crâne et ce n’est que quand ses deux cœurs s'emballent brusquement qu’il se rend compte de ce qu’il a vraiment fait. Il n’a pas évité la prophétie, mais l’a au contraire accomplie : un Seigneur du temps victorieux, c’est mal et, les quatre coups qu’il a voulu ignorer ont acté sa chute. Il a de nouveau condamné son peuple à son extinction, a perdu son plus fidèle ennemi, et a tourné le dos à un homme meilleur que lui. Un homme qu’il aurait pu choisir de sauver.


Il n’a pas voulu se régénérer par peur de perdre ce qu’il était, mais se faisant, il a abandonné la meilleure part de lui-même. Il n'est plus que l’ombre du Docteur. Les quatre coups ont sonné sa fin : c'est un Noël rouge et déjà le Valeyard l'attend.  


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Notes :


Voilà, voilà, c'était le début d'une joyeuse histoire de Noël xD Je suis vraiment désolée d'avoir laissé ce bon Wilfred mourir le jour de Noël (si, si, j'ai honte vraiment :p). J'espère que OldGirl me pardonnera pour le côté assez sinistre de cette première partie et aura apprécié ce cadeau. Deuxième partie à déballer le 31 pour, peut-être, commencer l'année sous de meilleurs auspices ;)


*Red Christmas était pour information le titre originellement prévu pour l'épisode " La conquête de Mars" (Waters of Mars) qui devait être un épisode "spécial Noël" mais a été jugé trop particulier avec son dénouement pessimiste pour constituer un épisode festif… je vais voir ailleurs si j'y suis, très bonnes fêtes à tous.






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