Brünhild et Siegfried
Chapitre 1 : Brünhild et Siegfried
2921 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 09/11/2016 13:13
Ces dernières semaines, je recherchais ardemment un texte à reviewer. Un OS discret que personne ne serait encore allé chercher. Une sorte d’inédit. Et je suis tombée sur… une perle. Une perle absolue, d’une beauté rare, hors du temps et de l’espace. Une perle qui m’a tant scotchée que j’ai eu du mal à écrire cette review, que je voulais la plus honnête possible tout en rendant à cet OS la justice qu’il mérite.
Ce texte, je l’ai trouvé par hasard, dans un fandom totalement inattendu. C’est d’ailleurs ce qui m’a interpellée et m’a poussée fort judicieusement à le lire.
Alors, mesdames et messieurs du jury, je plaide coupable : aujourd’hui, la review sera très enthousiaste. Chaussez vos bottes, vissez-vous votre Stetson sur la tête, montez en selle et galopons ensemble vers Brünhild & Siegfried d’Arakasi.
Orthographe/Style
Le français est impeccable. Je dirais presque à couper le souffle. Une maîtrise admirable des mots, une justesse dans le ton. Moi qui aime le vocabulaire peu orthodoxe, me voilà comblée. C’est presque poétique et la jolie prose de l’auteur s’envole parfois dans des tourbillons lyriques émouvants, à la qualité irréprochable.
Le style d’Arakasi est donc définitivement littéraire. Elle utilise avec précision un vocabulaire riche et très recherché, parfois dans les tréfonds de vieux grimoires abandonnés, peut-être désuets mais dotés d’un charme savoureux. L’auteur a ce faisant habilement rapproché le récit de son histoire : hommage aux légendes nordiques, le texte regorge du phrasé des grands et nobles contes de jadis, renforçant ainsi constamment le lien entre le fond et la forme.
Certaines phrases, magnifiquement tournées, possèdent un rythme et une profondeur qui, encore maintenant, après d’innombrables relectures, me touchent et forcent mon admiration. Que dire de ce court paragraphe : « Car la mythologie nordique ne se soucie guère de séides. Face au danger, le héros s’avance seul. Oh, il peut partir entouré – un ami, un destrier, parfois même une armée – mais l’ultime Épreuve, la seule qui vaille, se doit d’être solitaire. Curieux et effrayant sentiment que de se découvrir soudain surnuméraire… »
A lui seul, il résume toute la virtuosité de l’auteur dans son maniement de la plume et du fond, impeccable rappel de la base même des légendes et du monomythe.
Parce que rien n’est jamais parfait, j’ai quand même détecté quelques coquilles, que je mets sans hésiter sur le compte de la distraction. Elles n’embêtent sans doute que moi, qui suis, on le sait, une vieille pénible en la matière. Cela lui coûte tout de même le 10/10, car je ne peux malheureusement pas laisser passer les contes desMilles et un nuits , par exemple.
Mais c’est bien là le seul reproche que j’ai à faire à cet OS et je vous propose de revenir à l’étude du style.
La narration, extradiégétique, est exclusivement alignée sur le personnage du Dr King Schultz. A tel point que je n’aurais pas été choquée par l’emploi du je. Mais la manœuvre est habile, car la distanciation nous apporte un point de vue bien particulier, et j’ai eu l’impression de pénétrer les pensées intimes du bon docteur bien plus aisément que si nous avions été dans sa tête. Cela nous donne l’impression de l’espionner, de discerner à son insu sa joie mêlé d’embarras à la vision des deux tourtereaux s’étreignant et s’éplumant , et de suivre pas à pas ses craintes et ses espoirs quant à un avenir que nous, lecteurs, savons bien funeste. Il est le témoin volontaire et pourtant gêné des retrouvailles des deux esclaves, et nous, qui sommes menés par cette narration extérieure et cependant très orientée, faisons face à ce double voyeurisme qui nous pousse bien malgré nous à sournoisement épier l’indélicat. Je ne suis pas certaine qu’une narration subjective aurait rendu cette mise en abîme avec autant de succès. Pris dans la tourmente du récit, l’urgence de la situation finit par nous tarauder également et nous nous retrouvons à la fois soucieux des sentiments du docteur et de son appréhension de ce qui va suivre, et, à travers son filtre, hypnotisés par ce couple dont l’énergie se renforce au fur et à mesure que les paragraphes s’égrènent.
Cette narration est au présent, ce qui rend le texte très dynamique et permet de vivre les pensées du docteur avec lui, au moment où elles lui viennent. Les dialogues sont rares mais utilisés à bon escient, et ils permettent d’apporter ce qu’il faut d’interaction entre les personnages au milieu des introspections de Schultz. Les incises sont les bienvenues et, qu’elles décrivent une action ou nous renseignent sur les pensées du docteur, elles ponctuent efficacement les dialogues en les rendant plus vivants.
C’est une sacrée démonstration à laquelle nous assistons avec cet OS, celle du talent de l’auteur à plier les mots et les phrases à sa convenance, pour nous amener exactement là où elle veut.
Histoire/Personnages
Revenons un instant sur les événements qui précèdent ce texte. Le docteur King Schultz et Django, l’esclave affranchi et désormais chasseur de primes aux côtés de son bienfaiteur, s’introduisent chez le richissime et beaufissime Calvin Candie pour tenter de lui reprendre l’épouse de Django, la frêle Broomhilda. Une tâche malaisée, puisque Candie est le propriétaire suprématiste d’un domaine gigantesque, qui n’aime rien tant qu’asseoir sa domination, qu’il juge parfaitement légitime, sur ses esclaves noirs.
L’auteur nous embarque avec elle au moment où Schultz reçoit la jeune femme dans sa chambre, et qu’il s’apprête à lui révéler qu’il est venu avec Django. Nous suivons alors avec délectation le cheminement des pensées du docteur et ses réflexions sur Broomhilda dont le nom à consonance germanique a réveillé chez lui des souvenirs émus d’épopée médiévale et de quête romantique. Django et Broomhilda deviennent à ses yeux l’incarnation de Siegfried et Brünhild, héros tragiques de la chanson des Nibelungen. Il en dresse un portrait tout d’abord dubitatif, arguant que cette frêle jeune femme ne peut rivaliser, en terme de carrure et de prestance, avec les fières walkyries des légendes, puis, à force d’observation, admet que la beauté et la puissance de cette princesse-là n’est pas extérieure, mais bien intérieure. Elle brûle d’une énergie inconcevable et, surpris, le docteur King Schultz ne peut que reconnaître que les deux esclaves sont, de facto , Siegfried et Brünhild. Deux véritables héros faits de chair et de sang, qui s’apprêtent à affronter le dragon qui scellera leur destin.
Mais, à peine a-t-il réalisé qu’il côtoyait les protagonistes d’une légende moderne qu’il ricane, amer, devant le pathétisme de la situation et le bien piètre ennemi qu’incarne Candie. Un héros ne vaut que grâce à son antagoniste, et il juge Calvin Candie trop mesquin et bien peu digne de se mesurer à son Siegfried d’ébène. Quant à imaginer délivrer la belle avec une liasse de billets en guise d’épée…
Toutes ces réflexions l’amènent fatalement à considérer son propre rôle au sein de cette geste. Il est de trop, car il sait avec une implacable certitude que, dans les contes allemands, le héros se dresse seul face au danger. Peut-être à ce moment saisit-il que sa route s’arrête ici et qu’il a l’occasion de finir sur un coup d’éclat. Pour le lecteur qui connait la suite et a déjà assisté à son dernier tour de chant, la révélation a un goût de fatalité. Comme si Schultz, pour respecter au maximum la légende qu’il est lui-même en train de faire naître et dont il est le seul à avoir conscience, avait déjà programmé sa mort, dans la plus pure tradition des grandes épopées dont il est le garant.
Cet OS est court et il expose une mini-tranche de vie, une courte introspection plutôt qu’une histoire. Il se situe hors du temps et de l’espace, juste pour nous faire prendre conscience de ce qui va mener le docteur à une mort acceptée de bonne grâce. Le raisonnement est agréable à suivre car mené avec une minutie redoutable, affichant le moindre rouage prévalant à chaque nouvelle pensée.
Les personnages sont parfaitement respectés. Le docteur King Schultz est tel qu’on se le représente, intelligent et cultivé, portant un regard définitivement sarcastique sur le monde qui l’entoure et qui, en dépit de son dégoût de cette humanité décadente, retrouve avec Django et sa douce un regain d’intérêt pour l’Homme, au point d’être prêt à sacrifier sa vie pour permettre à ses amis de s’échapper afin de se construire un avenir.
Les deux autres, bien que décrits de l’extérieur, n’en sont pas moins finement cernés. Django a pris de la maturité et de l’assurance depuis son affranchissement et sa timidité (ou sa peur) des débuts a laissé la place à l’aplomb de l’homme libre qu’il est désormais. Au point de se moquer ouvertement, mais avec beaucoup de tendresse, de l’homme à qui il doit tout. Il est courageux, quoiqu’un peu inconscient, et Schultz lui sert encore de garde-fou pour le préserver du pire. Broomhilda enfin, de frêle esclave terrifiée passe à une jeune femme forte et solaire que la présence de son mari rend plus confiante. A travers les yeux du docteur, on la voit gagner en hardiesse et se préparer à la bataille inéluctable qui décidera de leur sort.
Des personnages forts, donc, fiers et volontaires, résignés et pourtant confiants dans leurs choix. Tout est cohérent et s’imbrique à la perfection pour nous offrir une histoire dont on ne sort pas indemne.
Conclusion
C’est une histoire harmonieuse, toute en force et en finesse, usant à la fois de la puissance de l’évocation des légendes nordiques et de la trame subtile et pointue des pensées du docteur pour nous emmener, à travers un parcours quasi initiatique, à la naissance des héros et à l’acceptation du destin, aussi inattendu et grotesque que soit son masque. Toutes les conditions sont réunies pour un inoubliable moment de lecture. Le rythme est soutenu, le style adroit et raffiné. Rarement mon plaisir aura été si complet avec un simple OS. Je ne peux que vous inviter au voyage vers Candyland pour affronter à votre tour les chimères dantesques des contes de jadis qui, comme chacun le sait, ne sont que le reflet de nos propres peurs.