Divergente 4 - Résurgence
Tobias ne s’est pas trompé. Si le trajet jusqu’à North Manitou Island se déroule sans encombre, la traversée jusqu’à la berge Est du lac est plus mouvementée.
Angoissés, les co-équipiers découvrent de quelle puissance est capable cette mer d’eau douce, d’apparence si calme, qui les a tant émerveillés depuis leur départ. Le vent s’est levé et a commencé à gonfler d’ondes mouvantes grises et écumantes la surface du gigantesque lac. Les vagues commencent à se former, percutant la jupe de l’aéroglisseur d’un faible clapotis s’alourdissant de minute en minute. Nageurs ou pas, tous sont soulagés d’atteindre la péninsule de Leelanau sains et saufs, à hauteur du parc de Peterson. De loin, Tobias avait repéré cette zone boisée jusqu’au bord du lac et bordée d’une plage. Celle-ci est constituée de gros cailloux, extraits de falaises en arrière-plan rongés par les assauts des vagues pendant les colères démesurées du lac, essentiellement lors de sa période glaciaire et juste après. Des vestiges de ces temps, fossiles incrustés dans les cailloux, morceaux de granit, se mêlent sur la plage à des coquilles de moules zébrées, vides et brisées.
La plage, large d’une trentaine de mètres, n’inspire pas confiance à Tobias, qui la trouve trop étroite en cas de gros temps. Il pousse l’Hovercraft à escalader la butte qui sépare la plage de ce qui fut autrefois une route bordant le lac, aujourd’hui recouverte de végétation rase, victorieuse du goudron humain abandonné. Il pivote le véhicule pour le placer face à la grève, afin que chacun puisse profiter du spectacle du réveil du lac. Et en effet, il ne faut pas longtemps pour que le vent forcisse encore, transformant l’étendue d’eau bleue en un paysage d’écume blanche bouillonnante poursuivant chaque caillou de la plage de ses assauts répétés. Charriant ses menaçants nuages, gris, moutonneux et alourdis, le vent annonce à l’équipe une soirée sans feu, et abrités sous la bâche de l’aéroglisseur. En quelques minutes, le couvercle protecteur est solidement arrimé aux crochets, le long des panneaux solaires. Chacun profite de la perspective de la pluie inévitable pour profiter du coin sanitaire : l’ondée remplira dans la nuit les réservoirs vidés par les douches. Chacun son tour, les aventuriers sortent de leur casier personnel des affaires propres et de quoi se laver. Les filles reviennent extatiques de leur toilette, revigorées et frissonnantes de froid. Chacune trouve un homme empressé pour lui frotter les épaules et la réchauffer. Jusqu’à présent, à chaque halte, Mark informait qu’il avait creusé à l’écart, repéré par un ruban blanc accroché à la plante la plus proche, un trou de la taille d’un seau, afin d’enterrer leurs déjections. C’est, disait-il, ce que faisaient les hommes préhistoriques durant les douces saisons, et aujourd’hui encore, les groupes qui devaient camper durant plusieurs jours loin de toute commodité. Le système gardait la nature propre et avait l’avantage de concentrer en ce seul lieu les insectes coprophages. Avant de partir, le trou était simplement recouvert de terre. Grâce à cela, chacun avait pu épargner ainsi le système sanitaire de l’Hovercraft. Mais ce soir là, il ne pouvait pas en être question. Mis à part Tris, toujours aussi attirée par la pluie, aucun d’entre eux n’a envie d’une promenade en forêt.
Les comparses prennent finalement plaisir à organiser cette soirée à quatre pattes sous la bâche. Tous, sauf Tobias. Malgré tous ses efforts, son rythme cardiaque trahit son angoisse grandissante de l’enfermement. Le dîner rapidement avalé, il reste accoudé sur un boudin dans un coin du véhicule, à regarder le lac à travers la paroi verticale bâchée transparente en façade du véhicule. La pluie tombe dru, oblique et frappe puissamment la bâche dans un martèlement de troupeau affolé, troublant d’un rideau dégoulinant la vision de l’horizon. A l’autre bout du véhicule, le trio formé par Christina, Mark et Peter s’organise en salon de thé. Christina semble avoir pardonné à Peter ses erreurs passées depuis la visite de Leonor Wright, elle est désormais plus ouverte et amicale avec lui. Ils s’installent en rond pour échanger des impressions sur ce curieux voyage et refaire le monde.
Tris demande à Mark de concocter une infusion concentrée avec des plantes apaisantes et favorisant le sommeil. Puis elle rejoint son petit ami en trainant leurs tapis de sols et leurs sacs de couchage là où Tobias a trouvé refuge, à l’avant du véhicule, le plus près possible de la sortie. Tobias sursaute quand Tris pose une main sur son épaule. Le vacarme de la pluie, et sa concentration pour essayer de retrouver son calme, ont obscurci sa perception du présent. Il sourit faiblement à sa petite amie, son front luisant de sueur, malgré la récente douche fraîche. Le temps qu’ils s’installent confortablement, Mark leur apporte, à genoux, deux gobelets de boisson fumante.
— C’est quoi ? demande Tobias avec un soupçon de méfiance.
— Une infusion parfumée, c’est bon, pas de l’écorce de saule ! Lavande, aubépine et tilleul. C’est aphrodisiaque ! répond Mark en souriant et en faisant un clin d’œil.
La sensualité exacerbée du jeune homme met parfois Tris mal à l’aise, il peut parfois se montrer entreprenant et audacieux avec Christina, sans se préoccuper le moins du monde des regards extérieurs. Mais elle lui est reconnaissante, ce jour-là, d’utiliser cet humour pour décrisper Tobias. Les grivoiseries entre hommes ont, elle l’a remarqué, contribué certains jours au resserrement des liens du groupe. Le leader se contente pourtant simplement de sourire et accepte le gobelet.
— On fera semblant de rien entendre ! lance Mark en s’en retournant, pouces en l’air. De toutes façons, on va faire plus de bruit que vous, hein, chérie ?
— Tu vas prendre mon poing dans le nez, plutôt ! lui braille Christina, dans l’hilarité générale.
Mark rejoint Peter et sa petite amie à genoux dans une démarche de pingouin et reprend place au sein du cercle, dos au couple placé à l’avant de l’Hovercraft. Tris s’approche au plus près de Tobias avec sa tisane et entreprend de le distraire. Le leader n’a manifestement pas envie d’un long discours, elle utilisera donc le silence, les gestes, les regards, pour détourner son attention de la bâche basse qui recouvre le carré de vie du véhicule.
Elle commence par détacher ses cheveux, qu’elle avait tressés après sa douche. Tobias les préfère libres. Avoir séché en épi leur a donné une superbe ondulation. Ils brillent à la lueur des torches électriques posées près d’eux. Tris détaille le visage de Tobias, il est grave, tendu, anxieux. Attiré par l’insistance de son regard, le jeune homme, tout en trempant les lèvres dans la boisson chaude et sucrée, tourne la tête pour reporter son attention sur le visage aimé. Tris fixe intensément son regard en un message muet, passionné. Puis elle jette un regard brûlant aux traits noirs qu’elle aperçoit dans son cou, et suit des yeux la ligne de ses épaules, jusqu’à son torse puissant. Etonné par ce déshabillage immobile virtuel, Tobias sent son cœur battre plus fort dans son cou, et enfin, pour une autre raison que l’angoisse de l’enfermement qui le tétanise depuis une heure.
Il lève les sourcils en constatant que Tris poursuit son parcours visuel scrutateur sur l’intégralité de son corps. Surpris, il en oublie quelques secondes son appréhension, pose les deux gobelets à l’écart et attire Tris contre lui. La tension de sa peur viscérale s’est muée en désir brûlant pour la jeune fille, attisé par son regard inquisiteur.
— Je voudrais des fois être encore instructeur et pouvoir voir dans ton esprit… murmure-t-il contre sa bouche.
— Tu as déjà tout vu dans les partages mémoriels…
— Oui, mais je voudrais voir autre chose que tes peurs, tout le contraire, ce qui te transporte, ce que tu aimes, ce que tu désires au plus profond de toi…
— Alors regarde-toi juste dans une glace…
— Tris, tu sais que nous ne sommes pas seuls ?
— C’est toi qui m’as attirée contre toi, je te rappelle… Je ne faisais que te regarder…
— S’il n’y avait pas cette maudite bâche… souffle le jeune homme dans son cou.
— Tobias ?
— Mmmh ? murmure-t-il contre son oreille.
— Qu’est-ce-que tu ferais si on devait mourir demain ?
— Qu’est-ce que c’est que cette question, Tris ? s’inquiète-t-il en soulevant vers lui son visage à deux mains pour la fixer les yeux dans les yeux.
— Réponds-moi, prie Tris doucement.
— Je passerais chaque seconde à te regarder, et à te toucher, de toutes les façons possibles.
— Alors fais ça, aujourd’hui, tout de suite, et toujours, car on ne sait pas de quoi sera fait demain, où on sera, ce qu’on affrontera. Tu as appris, et tu as enseigné, à ignorer les peurs. Tu ne crois pas qu’il y a une alternative ? Vivre maintenant ce qu’on risque de ne plus avoir la chance de vivre demain.
— On ne peut pas vivre toujours sans penser à l’avenir, Tris.
— Non, bien sûr. Mais là, c’est le passé qui obscurcit ton visage. Il s’agit juste d’être à nouveau conscient de la chance que nous avons, quand d’autres pensées gâchent certains moments.
Tobias sourit à Tris. L’air de rien, le temps de cette courte conversation, il a oublié la bâche et sa claustrophobie. La seule réponse qu’il trouve à répondre consiste en un baiser long et passionné à sa petite amie.
Quand Mark vient récupérer les gobelets abandonnés près d’eux, apaisés par le dérivatif de leur attirance mutuelle et par la potion infusée apportée par l’homme de la Marge, ils se sont endormis en se regardant l’un l’autre, comme s’ils n’allaient plus jamais se revoir.
***
L’équipe s’éveille dans une brume d’évaporation qui semble transformer la surface du lac en bain de vapeur. Le ciel s’est débarrassé de sa parure grise et arbore une couverture blanche laiteuse qui filtre en les diffusant les rayons d’un soleil invisible.
Mark est sorti peu après l’aube pour explorer les environs, forestiers et aquatiques, prendre des notes et poser collets et pièges en vue d’un passage au même endroit au retour. Il reparaît avec un petit bol de fraises sauvages, juste à temps pour apprécier l’odeur de la chicorée que vient de servir Christina. Intéressée, Tris approche son nez du gobelet pour voir et sentir la récolte ramenée par son ami, qui embaume autour de lui. Mark retient son geste quand elle veut se servir d’un joli petit fruit rouge.
— Les renards raffolent de ces fraises, Tris. Ils peuvent transmettre des maladies. Je vais les faire cuire et on pourra se faire une tartine de marmelade ce soir ou demain. Je mettrai des feuilles et tes tiges dans la tisane de ce soir, c’est bon aussi.
— Tu m’étonneras toujours, Mark, dit la sœur de Beatrice avec un sourire.
— J’ai posé deux collets. Si nous revenons ici au retour, nous aurons peut-être de la viande pour le dîner ! Sinon, un prédateur aura sa proie à notre place et sans courir ! Dans le lac, j’ai vu des carpes, des ombres et des rochers couverts de moules zébrées par endroit.
— Ça se mange ? demande Peter.
— L’ombre, c’est bon oui. Mais c’est rare, et c’est bon signe s’il y en a, car il aime les eaux très propres et oxygénées. Je n’en ai jamais vu ailleurs, ni mangé. Mais j’ai lu qu’il y en avait autrefois ici, quasiment décimés par la pollution. La carpe, c’est pas que c’est pas bon, mais ça sent la vase, il faut la faire mariner un moment avant de pouvoir la manger, et c’est plein d’arêtes. Honnêtement, on en faisait plutôt de la farine pour les porcs, dans la Marge, les carpes se reproduisent trop vite et au détriment des autres espèces. Il y a des saumons aussi. Ça c’est un régal par contre. J’essaierai d’en pêcher la prochaine fois.
Le petit déjeuner se déroule dans l’ambiance parfumée des fraises sauvages mijotant sur le réchaud. Les affaires sont rangées, la bâche, sèche, est repliée au grand soulagement de Tobias. Il se dit toutefois que jamais il n’avait encore réussi, comme la veille, à oublier sa claustrophobie grâce à un dérivatif extérieur, ce qui renforce encore son amour et son admiration pour Tris.
Pourtant, il se souvient. Quand il avait invité Beatrice dans son paysage de peurs, elle aussi l’avait incité à combattre son stress avec des sous-entendus pleins de tendresse. La connexion entre les deux sœurs ne cesse de l’éblouir. La connaissance de la nature humaine dont fait preuve Tris, ses réactions, sont stupéfiantes pour une si jeune femme. Il se demande si c’est ce risque qui l’a longtemps auréolée, et qui ne peut toujours pas être totalement exclu d’une vie potentiellement écourtée, qui lui donne une telle sagesse, un tel appétit de tout vivre, de tout ressentir, à chaque seconde.
Ils ne se connaissent en somme que depuis quelques mois, et Tris a absorbé comme une éponge les émotions les plus enfouies du jeune homme. Beatrice et lui étaient enfermés dans un tourbillon de violence, de peur, de trahisons. La sœur de Tris a pleuré plus qu’elle n’a ri dans sa trop courte vie, mais aimé bien plus qu’elle n’a haï, aimé aussi bien plus les autres qu’elle-même, la vie de tous plus que la sienne. Ils n’ont jamais cessé de s’attirer comme des aimants, tout en faisant le compte de celui des deux qui mentait le plus à l’autre, qui se devait plus que l’autre de sauver leur amour, leur relation, et les gens autour d’eux.
Tris, elle, de son simple mais immense charisme, a dissout la noirceur de ses souvenirs, et illuminé son avenir. Il mesure dans ce comportement, si Altruiste, si humain, si Divergent, le cadeau héréditaire que la mémoire ancestrale de ses aïeux lui a légué. Il se jure, à tout prix, de protéger l’espoir incommensurable, sur lequel il n’arrive pas encore à mettre de mots, que représente la jeune femme pour l’humanité. Il sent peser sur ses épaules, le poids merveilleux, la charge extraordinaire, d’accompagner l’éveil de cette jeune femme au destin inconnu, mais forcément grand, qui l’attend. Il le sent dans toutes les fibres de son corps.
C’est Peter qui guide l’Hovercraft vers le bord de l’eau. Le lac ondule mollement, en projetant les unes derrières les autres, de petites vaguelettes sur la plage, les rochers, qui viennent s’écraser en gargouillant. Le bleu gris des flots reflète la lumière pâle et neutre d’un ciel terne mais calmé. A quelques encablures, une petite troupe de cygnes majestueux se laissent bercer par les ondes mouvantes qui déforment lentement la surface. Surpris par le bruit inhabituel du véhicule soufflant et remuant, ils s’envolent simultanément dans un petit nuage d’embruns, en trompettant avec indignation.
Peter fait longer la côte au véhicule en suspension, en remontant vers le nord. Devant les yeux des voyageurs, les stigmates de la baisse du niveau du lac se laissent deviner : coloris de pierres différents sur les rochers autrefois immergés, et aujourd’hui à l’air libre, plages beaucoup plus larges qu’autrefois, en comparaison des photos anciennes retrouvées. Chacun visualise le bouleversement naturel et environnemental infligé au lac majestueux pour tenter de réparer la folie humaine, en en commettant une autre.
Le véhicule dépasse Cat Head Bay et atteint la pointe septentrionale de la péninsule de Leelanau. Le véhicule profite du calme du lac pour traverser le bras d’eau en direction de l’Est. L’Hovercraft rejoint la région de Norwood en longeant à nouveau la côte vers le nord. Surexcités, les co-équipiers réalisent qu’ils atteindront leur but avant la soirée : le détroit de Mackinac. Ils longent la côte vallonnée et verdoyante, ondulant de dunes enherbées en forêts de feuillus et de résineux. C’est au ralenti qu’ils dépassent la bourgade abandonnée de Charlevoix, au loin. Autrefois un port, le village est maintenant à sec, éloigné du lac de plusieurs centaines de mètres. Le canal qui reliait le lac Charlevoix, à l’Est de la commune, et le lac Michigan, a été asséché par la baisse du niveau et ils aperçoivent, au loin, le bassin du lac de Charlevoix dont les berges léchaient autrefois la ville. Le pont levant, au dessus du canal est aussi délabré et misérable que ceux qui ponctuent encore par endroits la rivière Chicago. Le port esseulé n’abrite aucune embarcation et rien ne laisse penser au groupe que quiconque puisse encore vivre parmi les ruines désolantes des maisons en bois autrefois blanches et éclatantes de la bourgade, colonisées par une végétation sauvage en reconquête.
Plus au nord à quelques kilomètres, le véhicule progresse en soufflant sur un vaste marécage qui fut autrefois Little Traverse Bay, asséchée par la baisse du niveau du lac, et refuge d’une myriade d’espèces d’oiseaux et – ils s’en aperçoivent à leurs dépends – de milliards d’insectes. Agressés par les bestioles piquantes et voraces, ils poussent le véhicule plus au nord en longeant toujours la berge, pour s’éloigner de la nuée volante assoiffée de sang.
Ils doivent contourner la pointe nord de Sturgeon Bay par l’Ouest. Tobias avait pensé traverser à travers le chapelet d’îles qui borde le côté nord de la baie, mais la baisse du niveau des eaux les a transformées en presqu’île rocheuse aride et accidentée que l’aéroglisseur ne peut pas escalader.
Le géolocaliseur annonce le détroit de Mackinac. Dès ce moment, chacun placé à l’avant de l’Hovercraft, plisse les yeux pour tenter d’apercevoir le but de leur voyage. Au loin, l’horizon encadré à gauche et à droite par les terres qui se resserrent, transforme soudain la ligne de démarcation bombée, brillante, séparant l’eau du ciel en une ligne noire indéfinie qui relie la côte Nord de la côte Sud. La main en visière pour limiter l’éblouissement du soleil et concentrer leur vision sur le point de l’horizon qui les attire inexorablement, chacun se concentre pour être le premier à annoncer leur arrivée sur le lieu où, peut-être, ils vont changer la vie de milliers d’êtres humains. Tobias pousse l’Hovercraft à son maximum pour approcher du but de leur expédition et pouvoir enfin vérifier la théorie de Tris. Comment ont bien pu faire les fondateurs pour assécher toute une partie du lac ?
— Qu’est-ce que c’est que cette ligne noire ? demande Christina comme pour elle-même.
— Je pense que c’est un pont, répond Tris, tendue, dans un souffle.
— Un pont ? T’as vu la longueur ?
— Il y en avait un autrefois, en tout cas, confirme Tris.
— La vache, regardez ça ! crie Peter. J’arrive pas à y croire, vous voyez ?!
— Quoi ? s’écrient en cœur les deux jeunes femmes.
— C’est un mur, répond à leur place Mark, mais un mur… d’eau !
— Un mur d’eau ? C’est impossible… s’étouffe Christina.
Tobias, muet de stupéfaction, arrête l’Hovercraft et le laisse immobile sur la surface de l’eau, bercé par le courant léger. Il rejoint ses comparses. Il dévisage Tris qui s’est retournée pour partager avec lui la sidération totale qui écrase l’équipe. Ils ne sont maintenant plus qu’à quelques centaines de mètres de l’édifice et devant eux, ils voient le plus extravagant monument qu’il leur ait été donné de voir.
Un pont monumental étire ses piliers sur les huit kilomètres qui séparent les deux bords continentaux du détroit. Deux paires d’immenses pylônes de plus de cent soixante mètres de haut, plantés dans le lac, soutiennent les câbles porteurs qui en rejoignent leurs sommets dans une élégante ellipse en forme de coupe. De part et d’autre des pylônes gigantesques, d’autres câbles rejoignent le tablier du pont, pour constituer, devant leurs yeux ébahis, l’un des plus grands ponts suspendus du monde. Mais ce qui leur laisse à tous la bouche béante, c’est le spectacle du barrage accolé aux piliers du pont, sous la route qui le traverse de part en part. Devant leurs yeux, ils comprennent comment s’y sont pris les fondateurs pour assécher le lac Michigan.