Top Cuisinière
Je n’aurais jamais pensé être un jour jalouse de Pascal. Si seulement je pouvais changer de couleur et disparaître dans le décor... Les applaudissements en provenance des gradins de l’arène, remplis à ras bord, sont comme des coups de tonnerre. Mon cœur tambourine à tout rompre et mes paumes sont moites. Comme l’ont demandé les organisateurs, je porte ma robe la plus connue : la violette, lacée sur le devant et dont le bas m’arrive aux chevilles. Ma mère a soigneusement décoré mes courts cheveux bruns avec des fleurs, confondant mon désespoir avec de la nervosité. Pour ne rien arranger, j’ai l’impression que la mère Gothel m’observe, tapie à quelque part, ce qui est évidemment impossible puisqu’elle n’est plus de ce monde.
En face, les autres candidates sont présentées une à une. Dans sa robe scintillante, Cendrillon est bien sûr la favorite, il n’y a qu’à penser à son livre de recettes devenu un best-seller dès sa sortie. Sa première concurrente sérieuse est Tiana, dont le rêve d’ouvrir un restaurant s’est réalisé. Il y a aussi la légendaire Belle, aux somptueux atours dorés, Blanche-Neige, entourée d’oiseaux et de libellules, ainsi qu’Ariel, spécialiste des plats que l’on déguste à la fourchette, notamment inventrice de la salade d’algues Zirgouflexus.
Le présentateur Stefan, dont le sourire est si éclatant qu’il fait mal aux yeux, me fait signe d’avancer. J’ai l’impression d’être une trace de boue sur un beau tapis blanc, mais je force mes lèvres à se relever et fais un signe timide en direction de la foule, qui rugit de joie en retour. Comme tous ces braves gens vont être déçus.
Après un interlude musical de la fanfare royale, la première épreuve est annoncée. Le grand cube en bois trônant au milieu de l’arène prend tout son sens : il faut y entrer, goûter un plat dans le noir complet, puis tenter de le recréer. Cendrillon ressort avec un sourire assuré et un pas déterminé, tout comme Tiana, tandis que Belle et Blanche-Neige et Ariel semblent plus hésitantes. C’est mon tour. Déjà paniquée, je suis submergée par la terreur quand le néant m’engloutit. Heureusement, une voix me rassure et quelqu’un guide ma main vers quelque chose de froid – un plat ? – et quelque chose d’autre de froid – une fourchette ? Une cuillère ? A la douzième tentative, je finis enfin par ramener quelque chose à ma bouche. C’est mou, pas désagréable. Mais le temps est écoulé, et je dois me précipiter vers mon plan de travail.
Hélas, l’intérieur de mon cerveau est tout aussi noir que le cube. Est-ce que c’était salé ? Sucré ? Est-ce qu’il y avait des fruits ? Des légumes ? De la viande ? Tous les précieux conseils de Giuliano semblent s’être envolés. L’angoisse manque de m’étouffer et seul Pascal réussit à m’éviter l’évanouissement grâce à un discours martial digne de Maximus. Concentre-toi Raiponce, allez concentre-toi. Hélas, rien ne vient. Je ne suis même plus sûre que le plat était mou… Le présentateur me désigne, la mine perplexe. Il doit probablement être consterné, comme tous mes supporters. Si seulement je pouvais voir les autres princesses, j’aurais peut-être une idée de ce que je dois cuisiner, mais elles sont cachées derrière des grands panneaux, et de toute façon, je refuse de tricher. Je finis par bricoler quelque chose à base de panais, de choux, de citron et de framboises. Comme la consistance semble aussi savoureuse qu’un tas de plantes desséchées, Pascal plonge sa queue dans la mixture et l’agite à toute allure, histoire de la réduire en purée. Le résultat est encore plus horrible à voir. Quant à l’odeur… Il vaut mieux ne pas la décrire. Peut-être qu’un peu de cannelle sauvera la situation ? Hélas, ça ne semble pas être l’avis du jury, qui réussit à camoufler ses grimaces derrière des toussotements polis. Mon « audace » est finalement saluée, mais il n’y a rien d’autre à sauver. Manifestement, mon plat ne comprend « aucun équilibre », « aucune gourmandise » et rappelle « ses pires gastros » au juge le plus impitoyable. Les larmes me montent aux yeux quand Cendrillon est félicitée pour sa reproduction quasiment parfaite du plat mystère, qui n’était au final qu’une simple compote de pruneaux au yuzu.
Quand je retrouve Giuliano, celui-ci voit bien qu’un simple mot méchant me transformera en fontaine. Il brandit alors une perruque brune et propose de se couper la moustache.
Je soupire.