Opéra Sanglant

Chapitre 1 : Mélodie...

2416 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 23:09

Marina errait dans la rue, les bras ballants, les yeux vides. Dans sa tête, cette mélodie, toujours cette mélodie, envoûtante, agaçante...

Parfois, Marina voudrait la faire taire, mais elle ne le peut pas, alors elle l'utilise pour se bercer.

Oh oui...cette mélodie la berçait, quand elle faisait couler le rubis en taillant le marbre, elle aimait la fredonner doucement en caressant la surface molle de la pierre qu'elle allait travailler. 

En repensant à ses œuvres, elle afficha un petit sourire, ce fameux petit sourire qui plaisait tant aux passants.

Ses lèvres fines légèrement violettes s'étiraient en un mince sourire angélique qui faisait fondre n'importe quel cœur de la ville.

Avec cette arme, elle aurait pu demander n'importe quoi, elle l'aurait eu, et ce qu'elle voulait, elle, c'était de la matière à travailler.

Les passants ignoraient qu'en lui souriant en retour, en lui parlant, ils lui offraient le marbre dont elle avait besoin.

Ses mains pâles tirèrent sur son tee-shirt noir un peu étriqué et remontèrent son jean.

Elle avait l'habitude de s'habiller de sombre, c'était moins salissant pour le travail.

Elle détailla chaque passants de ses yeux gris perçants, son sourire toujours accroché aux lèvres et continua son chemin, cherchant sa future toile.

Elle avait déjà une idée très précise de ce qu'elle comptait tailler:

cette œuvre grecque qu'elle avait longuement admiré dans ce catalogue de voyage, cet homme assis, pensif, le regard tourné vers le lointain.

Son projet était un des plus ambitieux qu'elle n’ait jamais pensé et ce serait certainement un des plus beaux.

Jouant du bout des doigts avec une de ses mèches blondes, elle traversa sur un passage piéton pour gagner le trottoir d'en face, les magasins de vêtements pour hommes y étaient plus nombreux, elle y trouverait certainement un bon monsieur prêt à l'aider.

Elle s'avança devant une des grandes enseignes et utilisa sa technique habituelle: baisser la tête, regarder ses pieds et attendre.

Qui se méfierait d'une pauvre enfant blonde et pâlotte qui semblait malheureuse comme les pierres?

Personne. 

Quelques minutes passèrent avant qu'une main épaisse ne s'abatte sur son épaule frêle: "ça va gamine?" lui lança un homme, la trentaine, un costume noir resserré autour de son torse peu musclé.

Il avait le visage fin et maigre, pas le profil que Marina recherchait, il allait devoir passer son tour.

Evidemment, elle aurait eu des plans pour lui mais elle était tellement excitée à l'idée d'exécuter son projet qu'elle ne pouvait pas se permettre de le remettre à plus tard.

Elle devait le faire ce soir.

"Petite?" insista l'homme en lui secouant doucement l'épaule, "ça va?".

Marina secoua la tête à l'affirmative mais ne prononça pas un mot.

L'homme se redressa et haussa les épaules face à la passivité de la petite, elle devait avoir 10 ou 11 ans, pas plus, mais il n'avait jamais vu d'expression aussi froide sur un visage aussi juvénile.

Il s'en fut sans se retourner et Marina put enfin remettre son radar de chasse en marche.

L'immobilité était la clé, si personne ne l'abordait dans 5 minutes, elle changerait de magasin et ainsi de suite.

Elle scruta l'écran rayé de sa montre: 15h53, elle avait encore de la marge, sa proie devait être prise avant 17h.

A partir de cette heure-ci, elle devait laisser libre cours à ses talents d'artiste.

La fillette vit un homme qui devait avoir la quarantaine, sortir du magasin par une des portes plus éloignées, un café à la main.

Par chance, il venait dans sa direction.

Les épaules larges, grand, les yeux bruns et les cheveux blonds ondulés mi- longs, il avait un visage très jeune.

Mais Marina ne se laissait pas abuser, il serait parfait à tailler, vraiment parfait.

Il allait arriver à son niveau bientôt, alors elle entra en action: elle se mit à marcher vers lui, les yeux baissés, et lorsqu'il arriva près d'elle, au lieu de l'éviter, elle le percuta de toutes ses forces.

Le café du bonhomme se renversa sur sa chemise blanche sentant bon le neuf, lui brûlant la peau.

Il poussa un cri en bousculant Marina.

Marina n'aimait pas être bousculée, ça faisait sauter le disque dans sa tête, la mélodie hoquetait, s'arrêtait un millième de seconde et reprenait du début.

L'homme regarda la catastrophe sur sa chemise puis fusilla la petite du regard, elle lui adressa un regard apeuré et murmura de sa voix fluette:

"pardon monsieur, ne me frappez pas je vous prie" et elle éclata en sanglots simulés.

Les pleurs fonctionnaient toujours avec les gens, ils se sentaient coupables des larmes et étaient prêts à tout pour que l'enfant cesse de gémir...y compris les suivre dans des hangars sombres et vides au bord des docks.

Le quadragénaire se tourna de tous les côtés alors que les passants le grondaient du regard, quelle honte de martyriser une enfant !

Il s'accroupit face à elle et la serra contre lui dans un geste qui se voulait protecteur, elle lui rappelait ses propres enfants avec son visage rond et ses petites mains.

Il lui chuchota au creux de l'oreille: "ne t'inquiètes pas...ce n'est qu'une chemise et je ne frappe personne...tes parents sont là ?".

 Marina secoua la tête à la négative, elle n'avait jamais su ce qu'étaient des "parents", la seule famille qu'elle ait jamais eue était composée de quatre murs blancs et d'un lit très peu confortable.

Du plus loin qu'elle se souvienne, les seules personnes dont elle se souvenait dans son enfance étaient ces gens habillés en blanc avec un masque sur le visage.

Il y avait aussi la vieille Wilma, celle qui l'avait séparée de sa famille blanche et stérile, celle qui l'avait menée dans "la vraie vie" qu'elle disait.

Pour la remercier, Marina en avait fait sa première œuvre; ce n'était pas très net, mais assez satisfaisant pour une première fois, on pouvait comparer sa sculpture à un dessin de Picasso:

désordonnée mais non pas dénuée de sens, tout était dans les nuances de rouge.

Elle se souvint que sa création avait été exposée partout à la télé, tout le monde parlait d'elle, reconnaissait son art, et elle en était fière.

"Petite? Tu veux que je te  ramène chez toi?" dit l'inconnu la tirant de sa rêverie.

Marina hocha la tête, décidément il n'était pas très malin celui-là, certains avaient cherché à téléphoner à la police ou à ses parents pour qu'on vienne la chercher mais ils avaient toujours fini par la suivre dans son antre.

Elle lui attrapa la main et l'entraîna à travers la rue d'un pas vif, laissant tomber la tragédie, elle tenait sa proie, elle ne la lâcherait pas, c'était certain.

Le jour déclinait, un coup d'œil rapide à sa montre lui indiqua qu'il était 16h24, déjà... il était vrai qu'il fallait marcher un peu pour atteindre le lieu qu'elle avait choisi pour mettre sa prochaine œuvre en place; quoi de mieux que les docks?

Elle sourit et continua à entraîner sa proie plus profondément dans les zones inhabitées.

Ils arrivèrent sur les docks, l'homme fronça les sourcils, cela faisait un petit moment qu'elle  l'entraînait à cet endroit, mais à sa connaissance personne n'y habitait...alors où l'emmenait-elle ?

Elle s'arrêta pour farfouiller dans un carton qui trainait; c'était le moment idéal pour la questionner.

Il s'approcha d'elle, se pencha pour lui parler et dit: «dis-moi, tu ne voudrais pas me dire où tu m'emmènes? Parce que je crois qu'on est un peu perd..."

Une barre de fer très dure s'écrasa contre son crâne, il s'effondra.

Marina ne savait pas si elle l'avait tué ou simplement assommé, ce qui importait c'était de commencer son œuvre et surtout, de la finir avant le lendemain !

Elle lâcha l'arme d'une lourdeur incommensurable pour elle et se dirigea vers le blond. 

Elle attrapa la chemise de l'homme et le tira de toutes ses forces pour l'asseoir sur une planche posée sur la machine qui servait à relever des palettes.

Elle avait appris par la force des choses qu'une fille de son âge ne pouvait pas traîner un homme, adulte qui plus est, sur plus d'un mètre sans être morte de fatigue, elle avait donc trouvé des solution palliant à ce problème.

Marina ajusta la position du blond sur la planche posée au sol.

Lorsqu'elle fût assurée qu'il ne bougerait pas quand elle activerait la machine, elle monta dans le véhicule étroit, tourna les clés encore dans le contact et releva une manette.

La machine souleva doucement la planche et le corps inerte avec.

Marina coupa le contact et redescendit du véhicule, elle entra dans le hangar le plus proche, ne prit même pas la peine d'allumer la lumière et décoinça le fauteuil roulant qu'elle avait caché pour cette occasion.

Elle revint auprès de l'homme toujours inerte, avachi sur la planche, gara le fauteuil, agrippa le col de l'homme et le fit tomber sur le fauteuil, il gémit.

Marina haussa un sourcil, encore en vie donc ?

Ça serait encore plus amusant comme cela.

Elle se mit à pousser le fauteuil avec difficulté, les pieds de l'homme raclaient sur le sol et la ralentissaient grandement.

Elle grommela et continua à pousser en grimaçant.

Ils entrèrent dans le hangar, Marina alluma la lumière et une lampe faiblarde s'éclaira au centre de la pièce.

Elle arrêta le fauteuil sous la lumière puis partit farfouiller dans le fond de la pièce.

Il y eu un bruit de métal s'écrasant sur le sol, puis elle revint avec plusieurs ceintures et un superbe rasoir du type "barbier victorien" qu'on ne devait plus trouver en vente.

Elle enserra chaque membres du blond avec les ceintures pour l'immobiliser et lui fourra un chiffon plein de gras qu'elle avait trouvé dans la bouche.

Marina admira sa lame un instant puis se décida à se mettre à l'œuvre.

Elle posa le rasoir contre la peau du poignet droit de sa victime et se mit à fredonner. 

Le lendemain matin, un flash-info tourna en boucle sur toutes les télévisions et toutes les radios de la région: 

flash-info, ce matin, des dockers on fait une découverte macabre, un homme attaché à un fauteuil roulant a été écorché puis brûlé vif.

Le plus troublant n'est pas la façon dont il est mort, aussi horrible que cela soit, mais la façon dont le tueur à placé le corps. En effet, la position du cadavre faisait très clairement penser

à la statue du célèbre Rodin, «le Penseur". La police n'a pas encore découvert de preuves pouvant avancer l'enquête, quoi qu'il en soit, l'Artiste a encore frappé. 

 

Marina quitta la télévision du café où elle était du regard, autour d'elle, les gens paraissaient inquiets, murmuraient au sujet de cet Artiste qui sévissait, et elle était fière que son exposition plaise autant.

La seule question qu'elle se posait était celle-ci :

"ai-je fais suffisamment de bruit pour l'attirer, lui ?

Le tueur propre, celui qui entoure ses victimes de plastique,

est ce qu'il voudra enfin venir jouer avec moi?".

Elle sourit encore tandis que dans sa tête, la ritournelle recommençait une énième fois.

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