JE SUIS VIVANT

Chapitre 32 : Coup de ciseau

1984 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 25/03/2024 19:42

Coup de ciseau



L'arrivée du printemps annonça l'éclosion de la nature et le retour des barbecues dans les jardins. Le délicieux fumet de la viande grillée émanait agréablement dans le petit quartier résidentiel de Hank.


Détroit était déjà en proie à une vague de chaleur torride qui balayait la ville comme une marée le long du rivage. Les températures quotidiennes atteignaient facilement les vingt cinq degrés avant midi.


Heureusement, le vent qui soufflait assez régulièrement sur la ville prenait des airs de bise rafraîchissante, atténuant un peu cet insupportable effet canicule qui rendait les journées étouffantes.


Il était évident que le réchauffement climatique jouait un rôle dans cette météo exceptionnelle.


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Debout devant le miroir de la salle de bain, avec une réticence affichée sur son visage, Hank promena ses doigts sur quelques mèches perdues de ses longs cheveux gris.


Voilà des années qu'il ne se souciait plus de son apparence. Il élaguait parfois les pointes pour entretenir la masse, mais jamais plus que cela. Sa longue coiffure négligée était devenue comme une partie de lui-même.


Mais sa décision était prise.


Il souhaitait repartir sur de bonnes bases.


Son retour au sport avait déjà donné de beaux résultats sur son physique. Il était maintenant temps de s'occuper de sa tignasse de "hypster" qui dégoulinait jusqu'à la nuque.


Connor entra dans la salle de bain avec un petit ensemble d'outils de toilettage dans ses mains et remarqua l'air tendu du détective dans le miroir. 


« Si vous préférez attendre et aller chez un coiffeur, je comprendrais. »


« Non. Ce n'est pas ça. » Lâchant ses mèches, Hank secoua un peu la tête et regarda le reflet du déviant avec une expression empreinte de tristesse. « C'est juste que je ne me suis pas fait couper les cheveux depuis... enfin... tu sais. »


« Oui je sais. »


« Je suis conscient qu'une coupe de cheveux ne changera rien, mais en même temps... » Le détective baissa brièvement ses yeux bleus vers le sol. « C'est comme si je me forçais à oublier cette horrible nuit en revenant à mon apparence d'avant... Et je ne veux pas l'oublier. »


« Vous n'oublierez pas, Hank. » Le rassura Connor. « Vous aurez juste un reflet différent. C'est tout. »


« Ouais... » Souffla l'homme en retournant enfin son regard sur le miroir.


« Êtes vous sûr de vouloir me laisser m'en charger ? »


« ...Tu peux y aller, gamin. » Distraitement, Hank passa sa main gauche dans ses cheveux avant de laisser retomber son bras le long de son corps. « Finissons-en. Le plus tôt sera le mieux. »


« Très bien. » L'androïde attrapa deux serviettes et fit signe à son ami de quitter la salle de bain. « Ce sera plus facile de faire ça dans la cuisine. »


Docilement, le quinquagénaire s'aventura dans le couloir et découvrit la chaise déjà retirée de la table, avec à proximité, d'autres fournitures prévues pour la coupe.


« Surtout Connor, ne fais rien de trop élaboré, d'accord ? »


« Bien sûr. »


Agacé mais coopératif, Hank s'assit et, d'un soupir las, croisa les bras sur sa poitrine pour canaliser son évidente nervosité. Connor glissa sur lui une serviette pour empêcher les mèches coupées de lui démanger la nuque.


Après avoir tout mis en place, le déviant accéda à une photo d'archive du policier qui arborait à l'époque une coiffure bien plus courte et professionnelle.


Levant sa paume gauche, il étudia le cliché holographique qui datait d'environ une dizaine d'années et prit quelques instants pour modéliser chaque détail de la coupe dans ses processeurs afin de la reproduire le plus fidèlement possible.


« Cela ne prendra pas longtemps. » Rassura l'androïde en se saisissant de la paire de ciseaux. « Dernière chance... »


« C'est bon. Vas-y. » Encouragea le détective en extérieurisant son stress d'une profonde expiration .


Une mèche à la fois, Connor passa les cheveux de Hank au peigne fin et commença à les couper jusqu'à ce qu'ils soient plus courts et plus adaptés au code vestimentaire de la police.


À intervalles réguliers, il utilisa un vaporisateur d'eau tiède pour aider à les maintenir en place et bientôt un petit tas de mèches se forma sur le sol, sous les yeux inquiets du détective qui ne put s'empêcher de se mordre nerveusement l'intérieur de la joue.


Il fallut environ quinze minutes aux mains habiles du déviant pour métamorphoser les cheveux de l'homme. Après avoir coupé et peigné la toison grise, Connor utilisa une deuxième serviette sur celle-ci pour éliminer toutes les mèches parasites encore accrochées.


« C'est presque fini. »


« Mouais... » Maugréa le détective en se renfrognant derrière une moue ennuyée. « J'espère juste ne pas le regretter. »


« Vous pouvez me faire confiance, Hank. »


« Ce n'est pas de toi dont je doute, gamin, mais de ma décision. »


Mettant de côté les ciseaux, Connor prit la tondeuse portative et rasa les quelques poils restants le long de son cou et de ses oreilles. Une fois l'opération terminée, il jaugea le résultat de son travail en tournant tout autour de Hank qui arquait un sourcil curieux en essayant d'interpréter l'expression stoïquement illisible de l'androïde.


Puis une fois de retour derrière l'homme, Connor arbora un petit sourire satisfait. Le rendu allait au delà de ses espérances.


« ...Là. C'est bon. » Il retira la serviette disposée autour des épaules et la secoua vigoureusement. « Qu'en pensez-vous ? »


Hank passa lentement sa main droite dans ses cheveux raccourcis et la garda là pendant un moment, un peu perturbé par la nouvelle longueur.


« Je sais à présent ce que ressent un mouton tondu à blanc. »


« Analogie intéressante. » Répondit l'androïde d'un petit rictus amusé.


Époussetant les mèches restantes accrochées à sa chemise blanche, Hank se leva sans un réel enthousiasme et se dirigea dans la salle de bain pour faire face à sa métamorphose.


De son côté, Connor ramassa tranquillement les déchets sur le sol avec un balai et une pelle à poussière, laissant ainsi de l'espace à son ami pour accepter le changement.


Tout en observant son image dans le miroir, Hank passa ses doigts incertains dans ses cheveux, visiblement choqué par cette nouvelle apparence qui lui donnait bien dix ans de moins.


Pour l'homme, il était étrange et un peu obsédant de faire ce bond dans le passé. Il se revoyait tel qu'il était avant la tragédie de Cole.


Avant sa descente aux enfers.


Presque comme s'il avait peur de détourner le regard, Hank leva sa paume et la pressa doucement contre la surface froide du miroir. Ce fut à ce moment que Connor apparut dans le reflet, posant la sienne sur l'épaule du détective.


« Ça va aller ? »


« ...Ouais. Tu as fait du bon travail, fiston. » Admit-il sans jamais détourner ses yeux bleus brillants d'émotion. « Ça me fait juste bizarre de me voir ainsi. J'ai l'impression de faire face... à un autre moi. »


« Je comprends. J'ai eu une réaction similaire lorsque j'ai rencontré mon homologue machine à la tour Cyberlife, la nuit de la Révolution. » La mâchoire de Connor se crispa un peu au sombre souvenir. Il se rappela aussi la fois où il avait dû faire face à son reflet lors de sa première activation, une expérience réitérée au Jimmy's bar puis devant le miroir sans tain de la salle d'interrogatoire. « ...C'était perturbant de faire face à cette version froide et creuse de moi-même. »


« Nous avons tous les deux parcouru un sacré chemin depuis cette nuit, pas vrai ? »


« En effet. »


Les deux amis laissèrent planer un long silence, chacun concentré sur sa propre réflection.


« C'est tellement bizarre de me revoir ainsi après toutes ces années. » Le regard de Hank s'éteignit doucement. « Ça me ramène à une époque où je me souciais de ma carrière, où je voulais encore lutter contre la criminalité avec l'espoir d'un monde meilleur... Une époque où j'étais quelqu'un de bien. »


« Si cela peut vous rassurer, c'est toujours ainsi que je vous ai perçu. »


« Attends, tu es sérieux ? » S'exclama le policier en se retournant brusquement sur l'androïde. « Putain, comment peux-tu dire que tu me voyais autrement qu'un ivrogne pathétique ? »


« Rappelez vous notre première rencontre, Hank. Malgré votre réticence à travailler avec moi, vous êtes quand même allé sur le lieu du crime, vous avez traité l'affaire, et poursuivi la suivante sans rien négliger. » Connor croisa les bras sur sa poitrine comme pour rendre sa déclaration plus valable. « Malgré votre peine, vous avez toujours été dévoué à votre mission. Vous avez même été capable d'ignorer vos préjugés sur les androïdes pour résoudre nos cas ensemble. Et surtout vous avez cessé de nous voir comme des machines. Vous n'avez jamais été pathétique. Vous étiez juste... perdu. »


« Perdu, hein ? »


« Et moi aussi, je l'ai été. »


Connor se souvint alors de ce que la déviante Lucy lui avait dit lors de son infiltration à Jericho, la nuit du Raid. 


Elle avait raison. 


Il était perdu.


« Vous m'avez aidé à me retrouver, Hank, et cela vous a aidé en retour. »


Pendant quelques secondes, l'homme scruta pensivement le déviant d'une effarante perspicacité.


« Gamin quand tu parles ainsi, tu ressembles vraiment à une foutue rubrique astrologique. » Railla t'il avant de finalement pousser un profond soupir apaisé. « Mais j'apprécie. Merci. »


Touché par la considération de l'homme, le visage de Connor se fendit d'un large sourire.


« Tu sais... » Reprit-il en étudiant plus attentivement sa nouvelle coupe de cheveux. « Pour un androïde de base non programmé pour la coiffure, tu t'es plutôt bien débrouillé. Je vais finir par t'appeler Connor aux mains d'argent. »


« Je ne vois pas pourquoi. Mes mains ne sont pas en argent. Je suis composé à quatre vingt dix pour cent de... »


« Ok. Stop. » Souffla le lieutenant en l'interrompant autoritairement d'une main en l'air. « Je sais ce que je vais te faire regarder ce soir à la télé. »


Décidément, la culture cinématographique de Connor laissait encore à désirer. Il était vraiment urgent de remédier au problème pour qu'il puisse enfin comprendre ses références.


« Mouais... » Soupira le lieutenant en se concentrant à nouveau sur son reflet. « Cela prendra un certain temps, mais je vais réussir à m'y habituer. »


« Pensez-vous que Rose approuvera votre nouveau look ? »


« Je l'espère vraiment ! » Répondit-il en se grattant nonchalamment l'arrière du crâne. « Car il faudra un certain temps avant que mes cheveux ne repoussent si elle ne l'aime pas. »


Cela faisait quelques semaines que les deux humains se fréquentaient. Les sentiments entre eux avaient jailli si vite, si forts. Après plusieurs sorties et weekends passés ensemble, ils avaient rapidement officialisé leur relation. Hank redécouvrit alors avec bonheur l'extase d'émotions amoureuses trop longtemps mises de côté.


« Au pire, vous pourrez toujours porter une perruque. » Se moqua le déviant.


« C'est ça, fous toi de moi. » La suggestion fit doucement rire le détective.


Fier de sa boutade, Connor retourna ensuite dans la cuisine, laissant finalement l'homme face à lui-même, histoire qu'il puisse s'apprivoiser tranquillement.


Tout en ramenant les mèches éparpillées dans la pelle, il glissa sa main droite dans ses propres cheveux noirs.


Bien que la confiance en soi puisse être améliorée par l'apparence physique, la posture ou l'attitude, elle était avant tout un état d'esprit alimenté par l'expérience.


L'androïde le comprenait enfin.



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