JE SUIS VIVANT

Chapitre 22 : Lancer franc

2996 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 23/11/2023 22:00

Lancer franc




La tête de Connor était baissée de honte tandis qu'il se dirigeait, avec Hank à ses côtés, vers la voiture noire garée devant le commissariat. C'était maintenant la fin de la matinée, et le ciel sans le moindre nuage offrait à Détroit une froide journée ensoleillée.


« Bon... » Annonça Hank à voix basse alors que le véhicule quittait le parking et prenait maintenant la direction du centre-ville. « Tu as été suspendu pendant deux semaines. J'ai déjà confisqué ton arme de service et ton badge. » Il continua à parler sans jamais quitter la route des yeux. « Cela figurera également dans ton dossier, je ne peux rien y faire malheureusement, c'est la décision de Fowler. »


« Je le mérite... » Admit Connor en regardant sa main droite bandée posée sur son genou. 


« Désolé gamin. »


S'enfonçant en arrière dans le siège, le déviant poussa une longue expiration et tourna la tête pour regarder par sa fenêtre latérale, loin de Hank, avec ce remord qui se lisait dans ses iris bruns. 


« J'ai tellement honte de moi... »


« Ouais. Les émotions ont tendance à faire cela lorsqu'elles prennent le dessus sur nous.


Un lourd silence s'installa dans l'habitacle, puis enfin, au bout de quelques secondes, Connor sortit de sa réflexion et osa demander d'une voix penaude.


« Comment va t'il ? »


En jetant un coup d'œil à son passager, le détective remarqua que la LED brillante de l'androïde pulsait rapidement en jaune, signe d'une grande anxiété.


« Ce connard survivra. »


Son partenaire accueillit l'information d'un léger hochement de tête puis perdit à nouveau son regard affligé sur les bâtiments et les passants qui défilaient le long de la route.


Le retour à la maison fut des plus silencieux alors que Connor résidait toujours dans ses propres pensées, essayant de comprendre ce qui lui était arrivé au commissariat. 


« Tu viens à l'intérieur, ou quoi ? » Demanda Hank en le fixant depuis son siège conducteur. « Nous sommes garés depuis au moins cinq minutes. »


« Oh... Oui. » Ramené à la réalité, il réagit assez rapidement et lança un regard nerveux au policier qui attendait sa sortie pour faire de même.


Hank scruta attentivement le gamin qui marchait péniblement, comme s'il portait une chappe de plomb sur ses épaules. Passée la porte d'entrée, il resta planté au milieu du salon, sculptural et sans énergie. Même l'enthousiaste Sumo, qui sautillait autour de lui pour le saluer et essayer d'attirer son attention, ne le fit pas réagir. Cette confusion dans ses yeux bruns le rendait plus humain que jamais.


En le voyant dans cet état, Hank passa sa main sur son menton barbu et considéra pensivement le déviant en quête d'une solution.


Quand soudain, une idée lui traversa l'esprit.


« Connor, fais-moi une faveur... » Lança t’il fermement en croisant les bras sur sa poitrine. « Va changer ton uniforme pour des vêtements plus décontractés, quelque chose de sportif, puis attends-moi dans le salon un moment. J'ai quelque chose dont je dois m'occuper. »


Sans surprise, le déviant ne réagit pas à la demande et se contenta de fixer le sol dans cet inébranlable mutisme.


« Eh ! Tu m'as entendu ? » Hank dut hausser la voix pour le faire enfin réagir. « Grouille-toi de changer tes vêtements ! »


Cette fois le ton autoritaire du quinquagénaire fit son effet et Connor sortit de sa léthargie pour se diriger silencieusement dans sa chambre, presque comme s'il était sur pilote automatique.


Tout en considérant la porte blanche, Hank marmonna pour lui-même :


« J'espère que ça va marcher... »


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Connor suivit les instructions et remplaça son uniforme par un basique sweat shirt gris à capuche et un jogging bleu marine. Il avait également troqué ses plus belles chaussures habillées par une paire de baskets noires. Assis tranquillement sur le canapé, il entendit Hank bricoler dans l'allée, près du garage, puis une fois sa tâche finie, le quinquagénaire franchit la porte et disparut sans dire un mot dans sa propre chambre, au bout du couloir.


De son côté, Sumo courait toujours dans le jardin et rendait fous les écureuils. Il ne cessait de les poursuivre à travers la cour herbeuse avec de bruyants aboiements. 


Au bout d'un moment, Hank retourna au salon, habillé d'un polo blanc floqué du logo des Gears, d'un long short bermuda kaki et d'une vieille paire de baskets usées. Tenant sous le bras un vieux ballon de basket d'un orange délavé, il se planta devant Connor et lui lança un regard sévère.


 « Allez on se bouge. Dehors ! »


« ...Dehors ? »


Hank envoya brusquement le ballon au déviant qui le rattrapa des deux mains. La question silencieuse qui se lisait dans ses yeux fit doucement sourire l'homme.


« Ouais. Tu vas en avoir besoin. »


En réponse, la LED de Connor brilla d'un jaune intrigué.


« Pour quoi faire ? »


« Te défouler. »


« Me défouler ? Je ne comprends toujours pas. »


Hank utilisa sa main pour éloigner l'androïde du canapé et l'encourager à aller avec lui.


« Tu as une profonde colère en toi Connor, et il est évident qu'elle te fait souffrir. Je sais ce que c'est, gamin. je suis déjà passé par là. Tu as besoin de tout laisser sortir. »


Le déviant remarqua que Hank avait garé la voiture plus loin, près de la rue, et qu'il avait accroché juste au dessus du garage un vieux panier de basketball dépourvu de son filet.


« Prêt ? »


Il étudia un moment le cerceau rouge puis lança à l'homme un regard perplexe. 


« On va jouer au basket ? »


« Ouais. » Hank se tint au bout de l'allée et indiqua à Connor de se positionner sous le cerceau, à l'extrémité opposée. « Le sport. Rien de tel pour évacuer le stress et libérer une colère refoulée. »


« Comment ? »


« Tu vas le découvrir. » Sourit l'homme. « Va s'y. Lance le jeu. »


Bien que peu convaincu par l'idée, l'androïde commença à faire dribbler le ballon de deux rebonds avant de l'envoyer sur Hank.


D'un geste plein de technique et de dextérité, celui-ci le rattrapa et effectua dans la foulée un tir superbe depuis le fond de l'allée. 


« Un à zéro.»


Réagissant naturellement, Connor reprit le ballon tombé du cerceau et interchangea sa place avec celle de son partenaire. Il dribbla deux fois de plus, enroula parfaitement son lancé, et atteignit à son tour la cible sans difficulté.


« Un partout. »


« Comment va ta main ? » Demanda Hank en lui faisant une nouvelle passe pour qu'il effectue un autre panier.


« Ça va. » Déclara platement le déviant en continuant à dribbler.


« Tu as bien amoché ce type... » Perturbé par le commentaire, Connor tenta de marquer mais cette fois le ballon cogna le bord du panier avant de retomber au sol. Hank le rattrapa immédiatement et le lui redonna. « Tu sais, je ne t'ai jamais vu te déchaîner comme ça. Qu'est-ce qui s'est passé ? »


L'androïde se saisit maladroitement de la passe et se figea un instant sur place.


« Je ne peux pas l'expliquer. »


« Essaye. » Insista Hank en le regardant manipuler nerveusement la sphère orange dans ses mains. « Dis-moi juste ce que tu ressens, je ne te jugerai pas. »


« Je ne préfère pas... » Le jeune homme effectua un autre tir et, comme avant, il rebondit sur le métal.


« Gamin. » Hank attrapa le ballon de basket et dribbla plus vite, en direction du déviant instable. « Dis-moi ce qui se passe dans ta tête. »


La LED de Connor se mit à clignoter frénétiquement en jaune, signe d'une grande anxiété.


D’un regard plein de détermination, Hank balança puissamment le ballon dans les mains du déviant. Ce dernier sursauta de surprise face au geste inattendu.


« Qu'est-ce que... »


Puis sans marquer de pause, il gifla le ballon des mains de l'androïde et le lui vola d'un mouvement rapide alors qu'il se retournait et réussissait facilement un autre tir depuis le bout de l'allée. 


« Deux à un. »


Sans lui laisser le moindre répit après avoir récupéré une nouvelle fois la balle, Hank fonça sur Connor, plaqua sa main au centre de sa poitrine et le repoussa sans ménagement en arrière, manquant de le faire tomber au sol.


« Je pensais que les androïdes étaient bien meilleurs que les humains au basket. Tu me déçois. »


Surpris par les mouvements brutaux de Hank, le déviant resta figé de stupéfaction, réalisant à peine l'attaque qu'il venait de subir.


« Allez. Montre moi de quoi tu es capable ! » Le lieutenant récupéra le ballon de basket qui roulait dans l'allée et recommença son comportement agressif. 


Une fois le ballon rendu au déviant, Hank le chargea dans la foulée. Il pressa violemment son épaule contre la sienne pour le déséquilibrer et lui dérober la précieuse sphère.


Après la réussite de cette attaque sournoise, Il se tourna pour faire face au panier et ajouta un nouveau point à son score.


« Trois à un. » Nargua t'il d'un rictus moqueur. « Est-ce que tu vas sérieusement me laisser te bousculer comme ça ? » 


L'androïde commença à se crisper, et à le foudroyer du regard.


« Allez ! Qu'est ce que tu attends pour te défendre ? »


« Je ne veux pas... »


« Quoi ? » Hank le poussa une nouvelle fois violemment. « Tu ne veux pas quoi ? Me faire de mal ? C'est ça ? Et bien moi je ne vais pas me gêner pour t'en faire. » Comme pour appliquer sa menace, il se prépara à le charger.


Au même moment, Connor sentit cet éclair de rage revenir en lui et envahir tout son être.


« Défends-toi, bon sang ou c'est moi qui vais te faire souffrir ! »


« NON ! » La LED de Connor passa brusquement au rouge. « JE NE VOUS LAISSERAI PAS ME FAIRE DU MAL ! »


L'androïde attrapa le col de Hank et l'attira vers son propre visage alors qu'il reculait sa main droite, prêt à le frapper à la mâchoire. Ses iris bruns glacés par la rage se posèrent dans les yeux calmes de l'homme et immédiatement, il se figea.


Lentement, le quinquagénaire leva les mains en l'air comme pour se rendre et offrit à Connor un sourire approbateur.


« Hank... je... » Babultia l'androïde en ôtant sa main tremblante de l'homme puis en reculant à quelques pas de lui avec des yeux pleins de remords. « Je suis désolé ! Je suis vraiment désolé ! »


Rongé par la honte et complètement submergé par l'émotion, Connor se précipita en courant vers la maison.


Le détective le regarda s'enfuir en poussant un long soupir.


Il n'avait plus aucun doute à présent.


Un traumatisme profond se dissimulait derrière sa rage.


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Hank entrebâilla la porte de la chambre et jeta un coup d'oeil à l'intérieur. Connor était assis sur son lit, dos à lui, penché vers l'avant, la tête prise en étau entre ses mains.


« Eh Gamin, si je t'ai malmené de la sorte c'était pour t'aider, tu sais... » Aux mots de Hank, le déviant se redressa légèrement mais ne se retourna pas. « Visiblement tu ne veux pas parler. Ok... Je vais donc te laisser tranquille. Mais sache que si tu as besoin, je suis là. » Conclut t'il avec défaite.


Alors qu'il s'apprêtait à refermer la porte, il entendit Connor s'exprimer d'un murmure las.


« Hank, je ne veux plus jamais me sentir comme ça... » Confia t'il d'une voix à briser le coeur. « Impuissant, à la merci de quelqu'un...»


Le lieutenant revint sur ses pas et se rapprocha doucement de lui.


« Tu parles de ce que tu as vécu avec Jonas, n'est ce pas ? »


Connor ferma douloureusement les yeux en hochant la tête vers l'avant.


« Mais ce n'était pas la première fois... »


Hank s'arrêta net, comme figé par l'inattendue révélation.


« Comment ça ? » s'enquit t-il de demander en plissant son front de confusion


« ...Cyberlife. »


Le nom de l'ancienne entreprise robotique éveilla un sentiment immédiat de colère chez le détective.


« Qu'est ce qu'ils t'ont fait ces salauds ? »


Il y eut un moment d'hésitation avant que le déviant finisse, volontairement, par parler de son passé.


« Comme vous le savez, au début de notre collaboration j'avais pour ordre de revenir tous les soirs chez CyberLife après chacune de mes missions. »


« Oui je m'en souviens. »


« Mais ce que vous ignoriez c'est qu'on m'obligeait à subir des réparations. Quel que soit mon état général, je passais toujours par la table d'examen. »


« Tu veux dire qu'ils t'ont fait des choses contre ta volonté ? »


Connor hocha à nouveau la tête.


« Au début, cela ne me dérangeait pas. Je ne ressentais aucune douleur et cela faisait partie de ma programmation. Je n'avais pas d'autre choix que d'obéir. Lors de ma première mission en tant que négociateur, j'ai subi une blessure par balle au bras gauche... » Tout en parlant, il désigna l'endroit où il avait été touché. « Quand je suis revenu après ma mission, les dégâts ont été réparés. Aucune douleur... Rien. »


« Mais à mesure que tu devenais déviant, tu as commencé à la ressentir, c'est ça ? » En déduisit Hank en s'asseyant à côté de lui.


« Oui... » Confirma Connor. « Ils refusaient de m'écouter quand je faisais part de mon inconfort. Une machine ne se plaint pas, me répétaient-ils... »


Le détective grimaça d'amertume en maudissant ces connards de techniciens.


« Je me souviens du jour où j'ai ressenti pour la première fois la douleur. C'était à la tour Stratford, quand le déviant de la station télé m'a poignardé la main et arraché mon régulateur de pompe. Ça a été un moment atroce et très perturbant... » Connor perdit son regard dans le vide, comme pour se remémorer le désagréable souvenir. « À mon retour chez Cyberlife, les techniciens m'ont réparé sans me considérer un seul instant. Je suis resté conscient pendant qu'ils soudaient et remplaçaient différentes parties de mon corps... »


Hank se sentit de plus en plus en colère à l'évocation des tortures vécues par le gamin.


« ...Je pouvais sentir la chaleur du métal chaud me bruler de l'intérieur, et ces mains m'éviscérer sans pitié. Chaque fois que je leur disais de me laisser tranquille ou de laisser mon programme d'auto-guérison résorber les dégâts, ils m'ordonnaient simplement de me taire et continuaient de travailler sur moi avec leur froide indifférence. »


« Ah, putain... » Passant sa main sur sa barbe, Hank essaya tant bien que mal de digérer cette terrible confession. Il comprenait mieux les réactions épidémiques de Connor contre ceux qui se montraient violents envers les siens. Lui-même l'avait vécu cette violence, ce qui le rendait plus empathique envers leur sort. Sans nul doute que son expérience au Canada avait réveillé ce douloureux trauma. « Je suis désolé, gamin. Si j'avais su qu'à l'époque tu étais déjà capable de... »


« Non. Ne vous excusez pas, Hank. » le coupa-t'il en tournant son regard triste vers lui. « Comment pouviez vous savoir ? Je ne vous ai jamais parlé de tout ça. »


« Tu aurais dû. J'aurai été là pour toi. »


« Sans doute, mais je n'acceptais pas encore ma déviance. Je pensais que le problème venait de moi, pas d'eux. J'ai préféré me taire par peur de me faire remplacer. »


Dans un geste de réconfort, le lieutenant pressa silencieusement sa main sur l'épaule gauche du jeune homme.


« Je... je suis tellement en colère, Hank. Contre Cyberlife, Jonas, ces fanatiques... » Confia t'il avec maintenant des larmes sur son visage. « Et je n'aime pas ce que je deviens... »


« Il est normal que tu ressentes cela Connor. Le contraire aurait été inquiétant. »


« Mais je veux que ça s'arrête. » Se lamenta le déviant en reportant ses yeux humides sur Hank. « Comment dois je faire ? »


« Je vais être honnête, gamin. Ta colère ne disparaitra jamais totalement. Elle fera toujours partie de toi. » Répondit sans détour le lieutenant. « Mais avec le temps tu apprendras à la canaliser et à ne plus te laisser consumer par elle. Cette colère deviendra ta force Connor, et grâce à elle tu te souviendras pour quoi tu te bats. »


« Vous pensez que j'y arriverai ? »


« Après tout ce que tu as déjà surmonté ? Bien sûr ! Je n'en doute pas un seul instant. » Le taquina Hank d'un petit coup d'épaule. « Et si un jour tu ressens le besoin de te défouler, n'oublie pas que je serais toujours partant pour faire une partie de basket avec toi. »


Pour la première fois depuis le début de la conversation, Connor souriait.


« Dans ce cas, il va vraiment falloir que je m'améliore. » Réconforté par les mots de son partenaire, il essuya machinalement la manche de son sweat sur son visage. « Vous avez un très bon niveau... »


« Oh ça ? » le détective bomba fièrement le torse. « Je n'étais même pas à dix pour cent de ma forme. Tu n'as encore rien vu. »


Connor gloussa timidement à la fanfaronnade de son ami puis se redressa un peu.


« Merci Hank... »


Le silence qui s'ensuivit s'éternisa quelques instants. Puis, sans dire un mot, l'homme enroula son bras autour des épaules du déviant. Pour les deux amis, ce geste signifiait bien plus qu'un long discours.



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