JE SUIS VIVANT
Suspendu
Se sentant totalement honteux de lui-même, Connor regarda le mouchoir blanc enroulé autour des jointures de sa main droite ensanglantée avec une légère moue ennuyée sur le visage. Même s'il voulait retarder l'inévitable conversation, le déviant savait qu'il ne pouvait pas rester éternellement dehors et qu'il devrait faire face à Hank.
Il poussa doucement la porte d’entrée et mit le pied à l'intérieur de la maison où il fut immédiatement accueilli par Sumo. L'énorme chien remua la queue, attendant juste l'attention de son androïde préféré.
« Hé mon garçon. Est-ce que Hank dort toujours à cause de son mal de tête ? »
Le Saint Bernard lança un regard étrange à Connor sans jamais arrêter de remuer la queue.
« Je ne dors pas. » Répondit l'homme depuis le canapé où il était allongé. « Du moins, plus maintenant.»
« Désolé. Je n'avais pas l'intention de vous réveiller. »
« Ne t'inquiète pas pour ça. » Le vieux flic groggy s'assit bien droit et passa sa main droite sur son visage fatigué. Baillant un peu, il cligna des yeux plusieurs fois et devint progressivement plus alerte à mesure qu'il se réveillait de sa sieste. « Pourquoi rentres-tu si tôt ? Ce n’est pas la fin de ton service. »
« Je… » Connor ne savait pas quoi dire ni même par où commencer. « C'est... C'est compliqué. »
Sentant que quelque chose n’allait pas, Hank lui lança son regard sévère.
« Va s’y. Crache le morceau. »
Le déviant fit le tour du canapé pour regarder honteusement Hank dans les yeux.
« J'ai été suspendu. »
« Suspendu ? Toi ? Tu te fous de moi ? » Hank rit un peu à cet aveu avant de constater l’expression sérieuse de Connor et le regret qui semblait le tourmenter. « Oh merde. Tu ne plaisantes pas, hein ? »
« Non. » Vraiment honteux de lui-même, Connor s’attendit à être réprimandé pour son mauvais comportement. « Je suis désolé, Hank. »
« Désolé ? Pour ? » Le quinquagénaire remarqua soudain le tissu ensanglanté de Thirium autour de la main droite du déviant et balança alors ses jambes par-dessus le côté du canapé comme pour se lever, mais resta assis. « Viens par-là. »
Connor hocha subtilement la tête en venant s'asseoir sur le fauteuil inclinable à côté du divan. Puis avec un petit soupir, il étendit son bras droit vers Hank, sachant qu'il voudrait inspecter les dommages.
Sans rien demander, le détective attrapa le poignet droit de Connor sous sa main bandée et retira le mouchoir pour examiner les dommages causés à sa peau artificielle sur ses phalanges. Les coupures étaient profondes, jusqu'au cadre en plastimétal blanc en dessous, et suintaient encore du sang bleu.
« C’est pas très beau mais j’imagine que ton programme d'auto-guérison réparera très vite les dégâts. » Déclara Hank tout en examinant la blessure. « Dis-moi ce qui s'est passé, gamin. Promis, je ne te jugerai pas. »
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Plus tôt dans la matinée :
Après que Hank ait pris un congé en raison d'un mal de tête trop douloureux à gérer, Connor arriva seul au commissariat. Sans le Lieutenant pour agir en tant que partenaire, le déviant s'était résigné au travail de bureau pour la journée afin d’aider les autres agents à rattraper leur retard dans la paperasse. Sa journée s’était déroulée tranquillement jusqu'à ce que l’officier Gavin Reed décide de se faire remarquer.
Alors que Connor passait nonchalamment devant la cafétéria après avoir remis un énième rapport, Gavin commença à l’insulter inutilement avec un ricanement arrogant dans sa voix abrasive. Il savait que cette fois Hank ne serait pas en mesure d'intervenir et de le faire arrêter.
« Hé, saloperie en plastique, où est ton partenaire ? » Poussant Connor, Gavin le bloqua à l'intérieur de la salle de repos. « Encore en train de soigner une gueule de bois, c’est ça ? »
La LED du déviant clignota du bleu au jaune avec irritation face au commentaire déplacé.
« Ivrogne un jour, Ivrogne toujours. » Cracha Gavin d'un ton vénimeux. « Je suis surpris qu'il n'ait pas encore essayé de mettre ton cul en gage pour se procurer de l’alcool. »
Connor redressa la mâchoire et fixa l’officier vicieux avec un regard mauvais, sa LED pulsant de plus en plus rapidement en jaune.
« Tu sais, c'est une bonne chose que tu ne l'aies pas laissé conduire aujourd’hui… » Continua Gavin alors que l’ensemble du commissariat observait maintenant la confrontation entre les deux collègues. « Il aurait sans doute eu un autre accident. Au fond, c'est probablement mieux que son fils soit déjà mort. »
À cette remarque brutale, la LED jaune de Connor devint rouge et ses mains se serrèrent en poings.
« Il faisait un temps glacial cette nuit-là, mais je ne serais pas surpris si Hank avait bu avant de prendre le volant. »
« Gavin. Tais-toi ! » Gronda l’androïde d'un ton grave alors qu'il prenait une pose plus menaçante. « Je te préviens. »
« Tu me préviens ? » Se moqua l'homme qui ne lâcha pas. « Il a rendu service à son fils ! Il a épargné à ce pauvre gosse la douleur d'être élevé par un putain d’alcoolique ! Cole est mieux… »
Avant que Gavin ne puisse prononcer un mot cruel de plus, Connor recula son poing droit et frappa puissamment l’officier dans les dents, faisant jaillir du sang rouge foncé de sa bouche, du nez et de sa lèvre supérieure. Après avoir été cogné si fort, il se retrouva projeté violemment contre le mur.
Le déviant en colère coinça immédiatement son avant-bras gauche contre sa gorge.
« JE T'AI DIT DE TE TAIRE ! » Maintenant, c'était Connor qui criait, « Je t’interdis de parler de Hank ou de Cole. Si tu veux te battre avec moi, Je suis là, je t’attends espèce de CONNARD ! »
Tandis qu’il menaçait l'humain, sa LED s'alluma d'un rouge profond.
Les yeux gris-noisette de Gavin s'écarquillèrent de terreur. Nul doute que l’avant-bras de l’androïde pouvait écraser sa trachée comme une canette vide.
« Connor ! Gavin ! » La voix du capitaine Fowler résonna dans la salle de repos alors qu'il venait enquêter sur l'agitation. « Bordel, mais qu'est-ce qui se passe ici ? Connor ! Laisse-le partir. MAINTENANT ! »
Le déviant tint Gavin contre le mur pendant encore quelques secondes avant de le relâcher brutalement.
Il regarda froidement l’humain glisser sur le sol pendant que son nez et sa bouche jaillissaient du sang.
« Connor ! Dans mon bureau ! » Ordonna à nouveau le capitaine Fowler.
Tandis qu’il obéissait et s'éloignait enfin de l'homme ensanglanté, sa LED rouge revint au jaune et le Thirium commença à couler des jointures de sa main.
Tête baissée, Connor entra docilement dans le bureau de Fowler et s'assit sur la chaise située face à celle de son supérieur, attendant sa juste réprimande. Il tourna son regard à travers le mur vitré et aperçut un médecin du commissariat en train de prodiguer des soins pour les blessures de Gavin avec un paquet de gazes et un sac de glace.
Tout en déposant un mouchoir blanc sur l'épaule droite de l'androïde, le capitaine revint enfin s’asseoir derrière son bureau et croisa les mains dessus comme s'il était dans une profonde contemplation. Penché légèrement en avant, il laissa échapper une lourde expiration.
« Capitaine, je suis désolé pour… »
« On se tait ! » Ordonna Fowler en levant autoritairement une main en l’air. « Je sais pourquoi tu as fait ça, Connor. Gavin est un énorme emmerdeur. Mais bon sang, qu’est ce qu'il t’a pris de l’amocher de la sorte ? »
La révélation fit revenir sa LED jaune au rouge.
« À quel point est-il blessé ? »
« On dirait qu'il a perdu au moins une dent, sa lèvre supérieure va devoir être recousue et tu lui as cassé le nez. »
« Je… Je ne voulais pas lui faire de mal. Ce n'était pas mon intention de… »
« Connor. » Coupa brusquement le Capitaine, sa voix empreinte d'autorité mais sans agressivité. « Tu as toujours ignoré les provocations de Gavin jusqu’à maintenant. Qu'est-ce qu’il a pu te dire pour déclencher une telle fureur ? »
« Il... » Le déviant baissa brièvement les yeux sur le mouchoir blanc qu’il l’enroulait autour de sa main droite pour essayer d’endiguer le saignement de la blessure. « Il a mentionné le défunt fils de Hank. »
À cet aveu, Fowler s’enfonça en arrière dans son fauteuil et pressa sa main sur son visage avec dégoût.
« Ah… Le salaud. »
« Mais je n'aurais pas dû réagir comme ça. Ce n'était pas professionnel. »
« Ouais, tout comme les commentaires de Gavin… » Maugréa le Capitaine en poussant un profond soupir. « Bon, compte tenu de ton comportement exemplaire, je vais être indulgent avec toi, mais je dois quand même t’imposer une mesure disciplinaire pour avoir frappé un collègue. »
« Je comprends... »
« Deux jours de suspension, sans solde. »
« Quoi ? » s’exclama Connor légèrement confus par la punition plutôt indulgente, sa LED rouge repassant au jaune pour démontrer sa réaction perplexe. « Le protocole stipule que tout officier impliqué dans une agression doit être suspendu pendant deux semaines et… »
« Je connais ce foutu protocole Connor, et je sais aussi que Gavin t'a provoqué. Tu as deux jours et Gavin aura deux semaines. » En prenant note sur son terminal, le capitaine Fowler décréta la suspension et laissa partir le déviant. « Maintenant rentre chez toi, tu es renvoyé. »
« Bien sûr. » L’androïde baissa les yeux sur sa main ensanglantée avec honte tout en se levant de la chaise pour prendre congé comme ordonné. « Merci, Capitaine. »
À la sortie du bureau, le déviant pouvait sentir les yeux des autres officiers observer chacun de ses mouvements avec un sentiment de jugement et de sympathie. Mais à ce moment-là, il ne voulait la sympathie de personne. Il souhaitait seulement faire comme si ce jour ne s'était jamais produit et effacer le plus grand regret de sa carrière professionnelle.
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Malgré son mal de tête, Hank écouta chaque mot de Connor. Il attendit patiemment qu’il finisse de lui raconter tous les détails et laissa échapper un profond soupir par le nez.
« Alors comme ça, tu as frappé Gavin ? » Sourit-il avec satisfaction. « Tu l'as même traité de connard ? Putain... J'aurais bien voulu voir ça. »
« Vous... » Toujours perplexe face au manque de colère du capitaine Fowler et de Hank, le déviant chercha à comprendre. « Vous n’êtes pas déçu de mon comportement ? »
« Connor, tu t'es défendu. Je ne suis pas déçu, je suis fier de toi ! »
« Mais je n'ai pas frappé Gavin parce qu'il m'insultait... » Toujours confus par le manque de réaction, l'androïde sentit qu'il avait besoin de souligner qu'il ne se défendait pas. « J’ai réagi parce qu’il s’est mis à parler de Cole… »
« Il s'en prenait à toi, Connor. Il se servait juste de moi et de Cole pour t’atteindre. » Hank jeta un coup d'œil au plastimétal partiellement visible exposé sur les jointures droites, là où le mouchoir ne couvrait pas la blessure et secoua un peu la tête. « On dirait que ça a fonctionné. Dommage que ça se soit aussi retourné contre toi. »
Le déviant s’enfonça en silence dans le fauteuil inclinable, détournant ses yeux du détective qui pouvait malgré tout le lire comme un livre ouvert.
« Oh, allez... Dis-moi que tu ne te sens pas vraiment mal d’avoir frappé Gavin ? Ce connard l'a mérité. »
« Je n'aurais quand même pas dû. » Déplora le jeune homme. « Il m'a déjà insulté par le passé et je n'ai jamais réagi de la sorte. »
« Tu as fait l’expérience de la colère Connor. C’est tout. »
« C’est une émotion très perturbante. Elle vous fait perdre tout contrôle. »
« En même temps, Gavin est assez doué pour pousser notre patience à bout. » Sourit le Lieutenant avant de lâcher un petit ricanement etouffé qui interpella curieusement son partenaire.
« Pourquoi riez-vous ? »
« J'étais en train de réaliser que nous serons débarrasser de cette tête de nœud pendant quinze jours. Quinze jours ! Tu te rends compte ? Mais ca va être le paradis au boulot. » Hank ne put s’empêcher d’offrir un rictus sournois à l’androïde. « Avoue Connor. Ça t’a plu de lui fermer sa grande gueule. Tu peux me le dire. Ça restera entre nous. »
Le jeune homme garda le silence et détourna honteusement son regard de son ami.
« Connor... » L'encouragea son partenaire en fendant un peu plus son visage.
Poussé à bout par le sourire machiavélique du détective, L'androïde craqua.
« ...Peut-être bien un petit peu. » Avoua t’il finalement dans un murmure honteux.
« Ah ! je le savais ! »
« Ça fait de moi quelqu'un de mauvais ? »
La grimace crispée de Connor n’échappa à Hank qui rit un peu avant de pistonner un poing amical sur son épaule.
« Non gamin, juste quelqu'un d'humain. »
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