JE SUIS VIVANT
Juste un mauvais rêve
« Je ne compte pas changer mes habitudes, Connor. Alors attends-toi à me voir me balader en caleçon, bouffer plein de trucs caloriques ou encore, gueuler devant la télé pendant mes matchs de basketball. » Tout en déverrouillant son domicile, Hank regarda sévèrement son partenaire. « Et règle numéro une : on me fout la paix quand les GEARS jouent ! »
« Compris Lieutenant. »
Dès leur entrée dans le séjour, un joyeux Saint Bernard brun et blanc surgit depuis la cuisine et fonça droit sur le déviant aux yeux écarquillés de surprise. La puissance du massif chien fut telle qu'il se retrouva inévitablement plaqué au sol.
« Tu connais déjà Sumo. » Rit le vieux policier à la vue de l’androïde étouffé sous l’immense canidé. « Tu as dû lui faire bonne impression la dernière fois que tu es venu chez moi. »
Le souvenir de cette nuit lui revint désagréablement en mémoire. Connor l’avait retrouvé ivre et inconscient au milieu de sa cuisine, le dégrisant de force sous une douche glacée.
« Ça me fait plaisir de le revoir, Lieutenant. » Parvint-il à répondre en extrayant un peu son visage de la grosse touffe de poils. « Vous savez, j’adore vraiment les chiens. »
« Je vois ça. » Hank croisa les bras sur sa poitrine, attendri par le sourire presque enfantin de l'androïde à la réception de baveux coups de langue sur sa joue. « Il t’a dans la peau. Sumo sait sentir les bonnes personnes. »
« Comment peut-il ? Je ne dégage aucune odeur corporelle. »
« C’est une façon de parler, Connor. » Soupira le lieutenant à la réponse naïve du déviant.
« Oh… »
« Allez mon grand, viens par ici ! Laisse-le un peu tranquille.» S’exclama le détective en saisissant le chien par le collier pour l’entrainer vers la porte arrière de la cuisine qui donnait sur un petit jardin. « Va te promener ! Je n’ai pas envie d’avoir un accident dans la maison. » Une fois dehors, Sumo se roula joyeusement dans la neige fraiche
Enfin libéré de la boule de poils, Connor se redressa sur ses jambes, défripant au passage sa veste grise malmenée.
« Tu dormiras sur le canapé. » Annonça Hank en indiquant le meuble beige non loin. « Il y a bien cette chambre au fond mais j’ai encore quelques affaires à trier et je n’ai pas trop envie de me lancer là-dedans. »
Connor nota le changement émotionnel à l’évocation de la pièce qui avait dû être autrefois, celle de son défunt fils.
« Ne vous inquiétez pas Lieutenant, je peux très bien me contenter du salon. »
« Tu dors au moins ? » Demanda Hank d’un sourcil arqué.
« Si vous considérez mon mode basse consommation comme un équivalent du sommeil humain, alors oui je dors. » Répondit Connor. « Concrètement, je peux rester pleinement actif trente heures d’affilées, mais il est recommandé à mes systèmes d’activer mon mode repos au moins une fois par jour afin de les optimiser et de les réparer en cas de dysfonctionnement. »
« Dysfonctionnement ? » Répéta Hank en croisant les bras sur sa poitrine. « Tu veux dire que tu peux tomber malade ? »
« Les androïdes ne tombent pas malades à proprement parlé mais s’il y a dysfonctionnement dans notre logiciel, nous pouvons fonctionner de manière incorrecte pendant une période prolongée jusqu’à qu’il soit corrigé. » Toujours efficace, Connor expliqua les choses de façon la plus simple possible. « Les séquelles peuvent aussi imiter les maux humains. »
« Sérieusement ? Comme quoi ? »
« Nous pouvons surchauffer et retarder nos réponses comme lorsqu’un humain devient hyperthermique ou fiévreux. Nous pouvons également être contraints de lancer un programme d’expulsion d’urgence similaire à un vomissement. Parfois nous endurons des tremblements physiques semblables à des frissons lorsque notre système ne parvient pas à maintenir la chaleur corporelle. La plus lourde de ces erreurs potentielles »
« C’est complètement dingue ! » S’exclama le policier après avoir assimilé toutes les informations. « Les androïdes ne sont pas si différents de nous finalement. »
« Vous ne croyez pas si bien dire, Lieutenant. Même nos biocomposants sont basés sur l’anatomie humaine. Ils ont la même forme que vos organes. Comparez par exemple ma pompe à thirium à votre cœur, mon système de ventilation à vos poumons ou mon filtre à particules à votre foie. »
« Et ça ? » Hank pointa un doigt en direction de la mèche rebelle des cheveux noirs de Connor. « Un choix de ta part ? »
« Ma coiffure a été programmée ainsi. Je n’ai aucune préférence en la matière »
« Et pour la couleur ? »
Connor ferma les yeux et modifia manuellement la teinte sombre de ses cheveux en un blond vénitien.
« Et je peux la changer chaque fois que je le sens nécessaire. » Ajouta t'il en revenant rapidement à sa couleur d'origine.
« Putain ! » S’exclama le Lieutenant, très impressionné par la métamorphose capillaire. « Et tes yeux ? Ils peuvent aussi… »
« Non, cela nécessiterait la greffe d’une nouvelle unité optique. »
« Je vois… » Hank se retourna pour ôter son lourd manteau sur le crochet de l’entrée. « Bon, ce n’est pas que je n’aime pas discuter avec toi, Connor, mais depuis que je suis rentré, je ne rêve que d’une seule chose : prendre une putain de douche chaude ! » Sans attendre, le policier se dirigea vers la salle de bain. « Fais comme chez toi gamin, j’en ai pour quelques minutes… »
« Je vous attends Lieutenant. »
Connor l’imita dans la foulée et ôta à son tour son blazer gris et sa cravate noire sur le support. Uniquement habillé de son jean et de sa chemise blanche déboutonnée au col, le déviant paraissait plus décontracté et humain que jamais. Debout dans l’entrée, il resta quelques secondes parfaitement immobile, scannant le moindre recoin de ce qui allait être son nouveau foyer. D’anciens trophées de basketball exposés à sa gauche attirèrent son attention : des médailles, des plaques et des coupes couvertes de poussière qui étaient les témoins du passé sportif de Hank, ancien champion de son équipe universitaire. Pour Connor, il était facile d’imaginer le policier, du haut de son mètre quatre-vingt-dix, s’adonner à des paniers.
Le modeste salon disposait d’un vieux canapé beige trois places et d’un fauteuil inclinable assorti positionné près d’une cheminée en pierre. Au-dessus de la télévision, plusieurs étagères alignaient une collection de livres aux couvertures abimées par le temps et les multiples lectures de Hank.
"Arthur Conan Doyle, Agatha Christie, Michael Connely, Robert Pobi... Je vois que le Lieutenant aime particulièrement les romans policiers."
Le déviant s’attarda ensuite vers la chaine stéréo juste derrière lui et se pencha pour étudier le tas branlant de CD posés négligemment dessus.
Les vieux disques issus d’une technologie obsolète étaient encore protégés dans leurs étuis en acryliques, tous dans un état impeccable. La majorité des titres provenaient de groupes avec des paroles assez explicites dans leurs chansons.
"Hard rock, speed metal, rock alternatif, rock orchestral… Je n’imaginais pas que les goûts du Lieutenant étaient si larges en matière de musique Métal."
De nombreux groupes étaient encore célèbres bien qu’ils avaient maintenant plus de cinquante ans et que la majorité des membres originaux étaient décédés en raison de leur âge avancé, de la toxicomanie, de l’alcoolisme et d’accidents tragiques.
"AC/DC, ZZTop, Guns n’ Roses… Metallica."
Connor s’arrêta spécifiquement sur ce dernier groupe et ouvrit la boite en plastique. En appuyant simplement le bout de son doigt sous la surface du CD, il fut capable de télécharger l’album directement dans son processeur intracrânien, ce qui lui permit d’écouter les chansons. Il ne fallut pas longtemps pour qu’il ressente une agréable sensation de bien-être, amenant Connor à se diriger machinalement vers le divan pour s’y assoir et contempler la signification de chaque parole.
C’était étrange de voir comment chaque chanson pouvait raconter sa propre histoire. Les chansons de voyages, de vie, d’amour, de perte, de colère, de solitude, de désespoir, d’espoir, de passé, d’avenir et de regrets étaient toutes incroyablement puissantes, même à l’oreille d’un androïde déviant. Connor téléchargea Le célèbre titre Nothing else matters et se mit à chanter avec désinvolture les paroles au mieux de ses capacités puisque sa programmation ne tenait pas compte de la voix, performance ou rythme musical.
Perdu dans sa musique, Connor ne remarqua pas la sortie de Hank. Habillé d’un jogging marron et d’un tee shirt noir, le lieutenant aux longs cheveux blancs encore humides s’approcha silencieusement jusqu’à l’entrée du salon en entendant le déviant chanter faiblement. Il était assis, les yeux fermés, ses doigts battant doucement la mesure sur son genou.
« So close no matter how far. Coudn’t be much more from the heart. Forever trusting who we are, and nothing else matters… »
Hank ne dit pas un mot et écouta la douce mélodie.
« Never opened myself this way. Life is ours, we live it our way. All these words, I don’t just say. And nothing else matters… » Complètement détendu, le jeune homme continua à chanter, inconscient du fait que Hank écoutait. « Trust, I seek, and I find you. Every day for us something new. Open mind for a different view. And nothing else matters… »
Entendre Connor contempler cette chanson avait momentanément laissé Hank abasourdi de là où il se tenait. En tant que personne qui aimait la musique, il ne pouvait qu’apprécier la sensibilité du déviant et sourit affectueusement à cette scène touchante.
Ne voulant pas montrer qu’il l’avait espionné, le Lieutenant retourna discrètement vers sa chambre en claquant volontairement la porte pour faire sortir le déviant de sa transe musicale.
Au bruit soudain, l'androïde se redressa, sa LED devenant jaune. Il bondit du divan comme si ce dernier l’avait mordu et alluma précipitamment la télévision d’un clignement d’yeux, zappant sur différentes chaines jusqu’à tomber sur CNN qui diffusaient les images de la révolution androïde de la veille.
« Tu fais quoi de beau, Connor ? » Demanda Hank en réapparaissant enfin dans le salon avec des vêtements sous le bras.
« ...Rien de spécial Lieutenant. Comme vous voyez, j’étais en train de regarder les informations. »
À ce mensonge, le quinquagénaire offrit un petit rictus amusé tandis qu’il observait à son tour les images retransmises à la télévision.
Les passages diffusés montraient différents événements de cette nuit historique : La manifestation pacifique de Markus, l’attaque de l’armée sur son camp de fortune, la chanson entamée à l’unisson, et Connor menant les milliers d’androïdes de Cyberlife dans les rues de Détroit.
Une journaliste blonde au maquillage impeccable commenta avec gravité les dernières images :
...Nous avons tenté de joindre Cyberlife pour obtenir plus d’explications concernant l'intrusion au sein de ses locaux mais la société robotique reste mystérieusement injoignable depuis l'évacuation précipitée de son personnel. Les installations abandonnées ont été immédiatement réquisitionnées par le chef des déviants Markus. En effet, plusieurs vidéos diffusées depuis nos hélicoptères ont montré l’immense foule d’androïdes se diriger vers la tour…
« C’est une bonne idée de se rendre là-bas. » Commenta Hank en se frottant nonchalamment la barbe. « L’endroit est suffisamment grand pour accueillir des milliers de déviants et reste assez isolé du reste de Détroit grâce à sa localisation sur la presqu’ile. »
Son partenaire resta étrangement silencieux.
« Au fait Connor. » Interpella t'il. « Tu ne m’as pas dit pourquoi tu n’étais pas resté avec eux l’autre nuit. »
« C’est compliqué, Lieutenant. » Répondit tristement le déviant alors que sa LED virait au jaune et qu’il croisait ses bras sur sa poitrine de manière défensive comme pour montrer qu’il ne voulait pas aborder le sujet.
« Et pourquoi cela ? »
Sans un mot, Connor garda la tête baissée pour éviter le regard plein d’interrogation de son ami.
« Tu te reproches le raid sur Jericho, je me trompe ? » Le silence persistant de son partenaire conforta l’idée qu’il avait visé juste. « Gamin, si Markus a pu te pardonner, alors les autres le feront aussi. »
« Ce n’est pas aussi simple Lieutenant. » Soupira Connor. « Pour de nombreux androïdes, je resterais le chasseur de déviants, l’arme créée par Cyberlife pour les traquer et les détruire. Ils continueront à se méfier de moi... »
« Et tu crois que c’est en les évitant que tu parviendras à recréer un lien avec eux ? » Nouveau silence de la part du jeune homme qui semblait analyser les paroles du détective « Connor, il faut que tu ailles voir Markus. »
« Non... Il ne vaudrait mieux pas. »
« Voyons, tu connais mieux cette tour que lui, tu pourras l’aider avec la sécurité et lui donner des conseils pour son installation. Montre à tous ces déviants qu’ils n’ont plus à te craindre… »
« Je ne sais pas… »
« Essaye au moins d’y réfléchir, tu veux ? »
« Très bien, lieutenant... » Répondit Connor en poussant un long soupir. « Je vous promets d'y réfléchir. »
Hank approuva d’un hochement de tête puis lui tendit ses affaires.
« Tiens, j’ai pensé que tu aimerais te mettre à l’aise. J’ai retrouvé ces vêtements qui datent de quelques années. Je pense qu’ils devraient t’aller. »
Connor récupéra le survêtement ample en coton gris et le tee shirt noir officiel du groupe heavy metal préféré de Hank : Knights of the Black Death. Les lettres floquées en blanc dans un style gothique étaient usées par des années de lavages.
« Vous n’étiez pas obligé. Merci »
« Ouais, ouais… » Grommela le quinquagénaire en balayant de la main la gratitude du jeune homme. « Je sais que tu ne transpires pas mais j’en ai assez de te voir porter les mêmes vêtements. »
Quelques minutes plus tard, le déviant ressortit pieds nus de la salle de bain habillé des vêtements de Hank. Ce dernier sourit en le voyant s’approcher dans son nouvel accoutrement. Si on excluait la LED bleue sur sa tempe droite qui ne cessait de scintiller, Connor aurait pu se faire passer sans problème pour un étudiant de troisième année. Le tee shirt était certes un peu large mais il fallait avouer que ce style lui allait bien.
« Mieux ! » commenta le policier en se dirigeant vers la porte arrière de la cuisine.
« Ces vêtements sont très confortables » admit Connor en roulant des épaules pour ajuster le tissu sur sa personne. « Mais j’ai l’impression de ne pas me reconnaitre. »
« Tu t’habitueras. » Sourit Hank alors qu’il faisait rentrer Sumo à l’intérieur. Le massif chien se secoua pour évacuer les flocons accumulés sur sa fourrure « Ah… putain. Le temps s’est vite dégradé. » Maugréa t’il en luttant contre les puissantes rafales de vent qui le forçait à redoubler d’efforts pour refermer la porte. « Quand j’étais enfant, je rêvais de tempête comme celle-ci juste pour ne pas avoir à aller à l’école. Maintenant, en tant qu’adulte, je rêve d’hivers sans neige pour ne pas pelleter l’allée, tomber malade, ou subir… des putains d’accidents de voitures. »
Une ombre de tristesse traversa le visage de Hank et Connor sut qu’il faisait référence à la tragédie avec son fils, Cole.
« Mon scanner indique que le vent se stoppera tôt dans la matinée mais que la vague de froid durera encore soixante-douze heures. » Le jeune homme s’assit tranquillement sur le canapé beige, Sumo ne tardant pas à le rejoindre pour s’allonger sur ses genoux. L’énorme chien gardait le déviant complètement immobile et incapable de bouger.
« Encore trois jours ? Je peux continuer à rêver alors. » Se lamenta Hank en venant à son tour s’affaler sur le fauteuil inclinable.
« On dirait bien. »
« Et toi Connor ? » Demanda t’il d’un ton étrangement curieux. « De quoi rêves-tu ? »
« Les androïdes ne rêvent pas, Lieutenant. » Toujours logique, le jeune homme expliqua la situation avec pragmatisme tout en passant sa main droite dans le dos de Sumo. « En mode repos, nos programmes deviennent dormants et les souvenirs enregistrés sont brièvement rejoués pendant que nos systèmes traitent toutes les données de la journée. Elles sont ensuite conservées dans notre banque mémoire. »
« Alors comme ça, tu penses avoir gardé la même routine qu'une machine ? »
« Cor... » Connor s'arrêta net, marquant une courte pause avant de finalement rectifier sa réponse. « La majorité du temps, oui… »
« La majorité du temps ? » Reprenant l’hésitation, voire la confusion dans la réponse de son partenaire, Hank poussa le sujet un peu plus loin. « Pour moi, cela ressemble à un non, fiston. »
« Je ne comprends pas encore très bien le concept des rêves. » Le front du déviant se plissa un peu alors qu’il essayait d’expliquer les choses à l’humain. « J’avoue, je me suis retrouvé parfois à être témoin d’images et de sons inhabituels lors de mes dernières phases de repos. Ce n’étaient pas des souvenirs enregistrés qui se reproduisaient, c’était différent… »
« Tu vois ? Tu rêves ! » Hank désigna le déviant d’un air suffisant. Ce n’était pas souvent qu’il était capable de prouver que Connor avait tort et il savourait donc chaque opportunité qui se présentait à lui « De quoi te souviens-tu ? »
« Je… » Connor voulait éviter la question jusqu’à ce qu’il ait plus d’informations. Il voulait comprendre les rêves en général avant même d’en parler. Distraitement, il commença à caresser les oreilles de Sumo au lieu de son dos et soupira doucement pour lui-même « J’aurai aimé pouvoir expliquer ce que j’ai vu, mais je suis toujours incapable de comprendre pleinement ces images étranges. Elles peuvent parfois être assez vives et intenses. »
« Ouais… » Ayant ses propres expériences de rêves désagréables, Hank pouvait sentir que quelque chose dérangeait Connor et évita de bouleverser accidentellement le déviant déjà confus. « Je vois ce que tu veux dire. »
Les lumières de la maison commencèrent à clignoter et à s’atténuer momentanément avec l’intense tempête à l’extérieur qui menaçait de couper l’électricité. En réponse à une éventuelle panne de courant, la LED de Connor clignota du bleu au jaune alors qu’il regardait autour de la maison les lumières s’éteindre temporairement et revenir à l’éclairage standard. Hank grommela à son tour et se leva pour se diriger vers le placard voisin au milieu du couloir.
« Merde. » le Détective commença à fouiller autour de l’étagère du haut en poussant quelques couvertures supplémentaires sur le côté. « Je ferais mieux d’allumer des bougies au cas où nous perdrions le courant. »
« Une panne pourrait s’avérer très préjudiciable » Se tournant pour regarder par-dessus le dossier du canapé, Connor interrogea Hank sur les fournitures d’urgence stockées. « Avez-vous un générateur de secours ? »
« Non. Pas de place dans le garage pour en ranger un. » Après avoir écarté quelques jeux de société oubliés, Hank trouva deux vieilles bougies et un briquet au fond de l’étagère. Par chance, Elles avaient des mèches toujours viables. « Nous devrons nous contenter de ça. »
Les allumant, Hank en posa une sur la table basse à côté du canapé pour que Connor puisse l’utiliser et garda l’autre pour lui.
« Bon, je vais aller me coucher. » s’exclama t’il en jetant un nouveau coup d’œil à la neige avec une expression lasse sur le visage. « Tu devrais aussi te reposer, Connor. »
« Très bien. Bonne nuit à vous, Lieutenant. »
« Bon sang ! Arrête de m’appeler Lieutenant. Surtout chez moi. Ça fait vraiment bizarre. »
« Heu… oui Lieu- Hank… » Rectifia le déviant avec un pauvre rictus gêné. « Je vais essayer de m’habituer à vous appeler par votre prénom. »
Le vieux flic leva les yeux au ciel puis referma la porte de sa chambre.
L’androïde repoussa doucement le Saint Bernard pour pouvoir s’allonger sur toute la longueur du canapé.
« Désolé mon grand, mais tu prends trop de place. »
Tirant la couverture bleue du dossier, Connor la drapa sur lui et le chien qui s’était déplacé sur le côté avant de poser sa tête sur l’oreiller bleu contre l’accoudoir et d’activer son mode repos.
Le bruit du vent hurlant à l’extérieur de la maison créait une forte agitation, ce qui rendit difficile le sommeil de Hank. Remontant sa couette au-dessus de sa tête pour se cacher de la luminosité de la bougie posée sur sa table de chevet, il ferma enfin ses lourds yeux bleus et s’endormit.
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L’aube était proche et la tempête faisait toujours rage lorsque le policier fut réveillé par une voix criant avec panique.
« Hank !! »
En entendant son nom, il se redressa dans son lit et regarda confusément la porte fermée de sa chambre alors qu’il essayait de comprendre d’où venaient les cris. Lorsqu’il entendit son nom une seconde fois, il réalisa rapidement que c’était Connor qui l’appelait.
« Que diable ?! »
Il attrapa sa bougie presque fondue, sortit de sa chambre, et entra dans le salon où il s’attendait à voir l'androïde confronté à un intrus. Mais à la place, il l'aperçut toujours allongé, les yeux fermés.
Sa LED clignotait rapidement en rouge et son corps tremblait de manière saccadée, comme s’il luttait contre une force invisible.
« Connor ? » Levant la bougie un peu plus haut, Hank illumina le salon et regarda les bras du déviant bouger comme pour bloquer des coups physiques. « Bordel, mais qu’est ce qui se passe avec toi ? »
Avec précaution, l’homme tendit la main par-dessus le dossier et la posa sur l’épaule du déviant pour essayer de le réveiller.
« Eh gamin… »
Malgré les appels répétés, Connor continuait à lutter contre un ennemi inconnu quand soudain, sans avertissement, son bras droit se tendit, sa main se posant sur la bougie dégoulinante de cire chaude.
La vive douleur réveilla brusquement l'androïde qui se redressa d’un bond sur le canapé, avec un regard complètement terrifié.
« Bon sang, Connor. » S’exclama le lieutenant. « Tu vas bien ? »
Ce dernier pressa avec confusion, sa main droite brulée contre sa poitrine.
« Hank, je... Je suis désolé. » Souffla-t-il alors que sa LED se stabilisait dans un rouge cramoisi, qui était souvent signe de stress extrême chez un androïde.
« C’est bon, laisse moi voir. » En s’asseyant sur le bord de la table basse, Hank exhorta le déviant à coopérer mais ce dernier eut un mouvement de recul et garda son membre endommagé contre lui. Calmant sa voix, le lieutenant essaya de nouveau. « Allez, laisse moi voir ta main. Je veux juste vérifier les dégâts. »
« Ce n’est rien. » Tenta de rassurer Connor entre ses dents serrées. « Ça ira. »
« Ce n’est pas rien, et je veux savoir ce qui se passe avec toi. Alors montre moi ta main ! »
« Je... Je vivais à nouveau ces images dans mon sommeil. » Tout en frottant le bout de son doigt sur la peau artificielle brulée, le déviant parla avec une respiration tremblante. « Elles étaient terrifiantes. »
« Un mauvais rêve ? » Demanda Hank alors qu’il attrapait rapidement la main droite de Connor et l’éloignait de sa poitrine afin d’évaluer les dégâts à la lueur de sa seule bougie.
Il constata une profonde marque de brulure sombre sur le dos du membre. Le tissu artificiel était noirci et il y avait une grande tache grise sur le plastimétal blanc exposé en dessous.
« C'est plutôt méchant. »
« Ca se réparera tout seul. » Presque honteux de lui-même, Connor retira précipitamment son appendice de Hank et le posa à nouveau contre lui. « Il s’agit de dégâts esthétiques mineurs. »
« Je ne t’ai jamais vu aussi effrayé auparavant, Connor. Qu’est-ce que tu as vu ? »
« Rien. »
« Connor, ne m’oblige pas à te le redemander. » Gronda Hank de sa grosse voix. « Dis-moi ce qui ne va pas. »
« Promis, ce n’était rien. »
« Si tu dis rien encore une fois, je te jure que je fous ta cravate et ton foutu blazer au broyeur ! »
Contemplant attentivement les paroles de Hank, Connor répondit finalement en trouvant les mots appropriés pour exprimer ce qu’il avait vécu.
« Je… je crois que ce j’ai vu serait considéré comme... un cauchemar. »
« Gamin, les cauchemars font partie intégrante des rêves. » Expliqua Hank avec philosophie. Le détective fit de son mieux pour aider Connor à accepter que ce qu’il avait enduré n’était pas un problème dont il devait s’inquiéter. « Cela peut arriver. »
« Comment gérez-vous cela ? »
« Eh bien… » Gérer les cauchemars bouleversants était quelque chose que Hank lui-même était encore en train d’apprendre. « En fonction de ce que tu as vu, cela pourrait t’aider d’en parler. »
« Comment parler apaise la peur ? »
« Parce qu’en parlant, tu n’y fais pas face tout seul. »
Après avoir analysé les mots de son ami, Connor baissa pensivement les yeux sur ses genoux.
« Je crois que je comprends. »
« Alors dis-moi, qu’as-tu vu ? »
« Amanda… » Répondit honnêtement le déviant.
« C’est qui ça, Amanda ? »
« Une interface IA imposée par Cyberlife pour m’obliger à suivre leurs ordres. »
« Je vois. »
« Elle a déjà essayé de prendre le contrôle de ma programmation la nuit de la révolution pour me faire assassiner Markus » Cette confession fit augmenter le stress de Connor et sa LED s’illumina à nouveau dans cette inquiétante teinte sanglante. « Elle a tenté de piéger ma conscience en me faisant mourir de froid à l’intérieur de mon propre esprit. Je me suis échappé de justesse. »
« Merde. Je ne savais pas que Cyberlife pouvait faire ça. » Cet aveu était quelque chose de complètement inattendu mais bénéfique pour Hank afin d’apaiser la peur de Connor. « Que te faisait-elle ? »
« Elle… me piégeait à nouveau dans cette tempête et cette fois, elle m’obligeait à vous tuer. » L’androïde leva ses mains tremblantes devant lui. « Je ne pouvais pas lutter… J’étais redevenu une machine. Je… »
« Du calme, Connor. » Rassura le détective en posant sa main sur son épaule. « Elle ne peut plus rien te faire et tu ne redeviendras plus jamais une machine. »
« Qu’en savez-vous ? »
« Je le sais, c’est tout. »
« Et si cela se reproduisait, si un jour je vous faisais du mal, Lieutenant ? »
« Connor, laisse-moi te dire quelque chose sur la peur du passé. » Hank attrapa doucement le poignet droit du déviant, juste en dessous de la blessure et éloigna l’appendice de sa poitrine « Si tu laisses la peur te contrôler, tu finiras par la subir toute ta vie. Le passé ne peut pas être changé et même si ça fait mal sur le moment… » Le vieux flic montra à Connor la légère marque sur le dos partiellement résorbée par son programme d’auto guérison. « …Ça ne fera pas mal pour toujours. En fin de compte, tout ce qui reste est une cicatrice »
Retirant sa main de l’emprise de Hank comme s’il était incrédule, Connor regarda la marque qui s’estompait et disparaissait sous ses yeux.
« Et ce sera juste un souvenir… »
« Oui, comme à chaque fois que je pense à Cole » Mentionner son défunt fils était un sujet sensible mais Hank ne pouvait pas le nier éternellement. « Ça fait mal, mais je ne peux pas arrêter de vivre. Et c’est toi qui m’as appris cette leçon, gamin. »
« Merci Hank… » Soupira Connor alors que sa LED revenait finalement à un bleu plus sain. « Je pense que vous parler m’a vraiment aidé. »
« Bien. Maintenant rendors toi. »
« Je vais essayer. »
S’enroulant à nouveau dans la couverture, Connor s’allongea sur le canapé tandis que Hank se levait et retournait dans le couloir. Regardant le dos de sa main, là où se trouvait l’ancienne brulure, le déviant plia ses doigts plusieurs fois comme pour tester son seuil de douleur.
Sumo grimpa à nouveau sur le divan et s’installa à la droite de Connor. L'adorable Saint Bernard laissa échapper un grand bâillement avant de poser son menton sur ses pattes tendues.
En passant sa main le long du dos du grand chien, Connor sentit une chaleur réconfortante l’envahir et était sûr qu’il n’aurait pas de deuxième cauchemar avec la fin de son cycle de repos. La maison chaleureuse et le soutien de son meilleur ami remplissaient son esprit de tout ce qu’il fallait pour qu’il puisse surmonter ses peurs et oser fermer à nouveau ses yeux.
« Je suis en sécurité. » Chuchotant à lui-même, il refusa de laisser Amanda ou Cyberlife contrôler à nouveau ses pensées. « Et je suis chez moi… »
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