Become Human : L'aube bleue
Chapitre 1
Pas de vague
Gavin était assis, avachi sur une chaise dans la salle de pause exiguë du commissariat de Detroit, un gobelet en carton dans la main, d’où s’échappait une maigre fumée. Il avait rempli son café jusqu’au bord, noir et sans sucre, serrant les dents à chaque gorgée amère. La réserve de sucre, vide depuis des semaines, restait un témoignage silencieux du désintérêt de l’administration pour les petits conforts du personnel. Après tout, pourquoi investir dans une simple boîte de sucre alors que l’on demandait des heures supplémentaires non payées ? Gavin grimaça, une pensée cynique lui traversant l’esprit. Peut-être qu’ils devraient monter un dossier pour le syndicat, rien que pour agiter les choses un peu… Il secoua la tête, agacé par ses propres idées, et plongea dans son téléphone, cherchant une distraction.
La lumière froide de néon accentuait les coins usés de la pièce, soulignant la vétusté des équipements. Le distributeur de nourriture cliquetait par moments, comme s’il était hanté par l’image de snacks qu’il n’avait plus en stock depuis des mois. Gavin laissa échapper un soupir lorsqu’il entendit des pas derrière lui. Il ne leva pas les yeux tout de suite, mais un froissement de papier attira son attention. L’agent Chris Miller venait de poser une boîte de donuts sur la table avec une maladresse teintée d’embarras. Gavin le scruta un instant, la boîte, puis Miller lui-même, avant de hausser un sourcil.
— Qu’est-ce qui t’a pris cette nuit, Chris ? Une envie soudaine de nourrir toute l’équipe ? lança-t-il d’un ton goguenard, une lueur moqueuse dans le regard.
Miller lâcha un rire nerveux, jetant un coup d’œil vers la porte comme s’il s’attendait à ce que quelqu’un l’interrompe. Il se frotta l’arrière de la tête, ses gestes trahissant une hésitation inhabituelle.
— J’ai... euh… pensé que ça pourrait remonter un peu le moral, répondit-il finalement, sans trop y croire lui-même.
Gavin fronça les sourcils, déconcerté par cette soudaine générosité. Il tendit la main et attrapa un donut au glaçage rose, mais au lieu de mordre dedans, il le fit tourner entre ses doigts, son esprit dérivant un instant. Plus tôt dans la journée, il avait lu un article dans *Detroit Today*, un de ces papiers pseudo-optimistes qui cherchaient à présenter la ville comme un modèle de réconciliation entre humains et androïdes. La DSP, une organisation de défense des droits des androïdes, affirmait avec une assurance irritante que les relations s’amélioraient de jour en jour. Pourtant, l'article soulignait également des préoccupations sur les "désactivations", ces mises hors service brutales d’androïdes que l’on soupçonnait de déviance. Soixante pour cent des citoyens auraient même déclaré que les androïdes avaient leur place dans la société. Gavin serra la mâchoire. Soixante pour cent. Où avaient-ils trouvé ce chiffre ? Lui, en tout cas, n’avait jamais été consulté.
Il était sur le point de reposer le donut, son regard encore fixé sur la boîte, quand Tina entra en trombe dans la pièce. Sa voix enjouée brisa la tension invisible qui s’était installée entre lui et Miller.
— Eh bien, t’en fais une tête ! dit-elle en lui donnant une tape amicale à l’arrière de la tête, un sourire taquin aux lèvres.
— Moi, au moins, je ne suis pas en retard, répliqua-t-il du tac au tac, affichant un sourire sarcastique qui ne parvint pas à masquer un léger amusement.
Tina haussa les épaules avec une désinvolture exagérée, croisant les bras en s’appuyant contre le mur, son regard pétillant de défi.
— On en reparlera le jour où tu auras d’autres responsabilités que celle de râler sur le sucre, lança-t-elle, ses yeux rieurs jetant un éclat de lumière dans l’atmosphère morose de la salle.
Il la fixa un instant, il sentit ses lèvres esquisser un sourire malgré lui. Ils se connaissaient assez pour que les piques entre eux soient un rituel, une danse silencieuse entre l’ironie et une forme d’amitié implicite, presque protectrice.
Gavin se redressa finalement, glissant un dernier regard vers Miller qui semblait mal à l’aise, comme s’il portait un fardeau qu’il n’osait pas partager. Quelque chose clochait. Mais Gavin n’était pas d’humeur à creuser, pas ici, pas maintenant. Il se contenta de hausser les épaules et attrapa son gobelet à demi vide.
— Allez, les clowns, la salle de pause, ce n’est pas un bureau. On se remet au boulot, lança-t-il, non sans une pointe de sarcasme.
Alors qu’il quittait la pièce, il perçut un échange de regards entre Tina et Miller. Peut-être que lui aussi avait changé, sans s’en rendre compte. Peut-être que la ville entière changeait, lentement, inéluctablement.
Alors que Gavin s’apprêtait à franchir la porte de l’open space, quelque chose le retint. Il balaya du regard l’espace du commissariat, observant ses collègues. Les bureaux animés de discussions banales étaient aussi marqués par une ambiance lourde et pesante. Depuis la révolution pacifique des androïdes, tout avait changé, même les silences semblaient plus denses, plus lourds de sous-entendus. On ne parlait plus vraiment des androïdes, ou alors à voix basse, comme si le simple fait de les mentionner risquait de rallumer une tension qu’on croyait apaisée.
Le visage de Connor apparut dans son esprit. Cet androïde, autrefois simple machine d’enquête, était devenu une figure presque légendaire au sein du département. Gavin se souvenait de ses propres provocations, des moqueries acerbes qu’il lui lançait, espérant voir une faille, un signe d’irritation. Mais Connor restait de marbre, inébranlable. Parfois, Gavin se demandait si, derrière cette apparente neutralité, il y avait quelque chose de plus… humain. Mais il repoussa cette pensée d’un mouvement d’épaule. Ce n’était pas le moment pour des états d’âme.
Alors qu’il se dirigeait vers son bureau, un tintement retentit à travers les hauts-parleurs, brisant le murmure ambiant.
— Le capitaine Fowler souhaite voir le détective Reed immédiatement.
Les mots résonnèrent comme un couperet, et Gavin sentit une tension familière se nouer dans son estomac. Il jeta un regard autour de lui. Plusieurs collègues échangèrent des regards, certains amusés, d’autres compatissants. Chris Miller tenta de se faire oublier derrière son écran, soudainement il compris probablement les raisons. Il allait de toute façon bientôt vérifier sa théorie.
Gavin inspira profondément, puis avança d’un pas décidé, les talons résonnant sur le carrelage de l’open space. Lorsqu’il atteignit la porte, il frappa deux coups secs, laissant sa main retomber dans un geste maîtrisé.
— Entrez, lança la voix grave de Fowler, aussi tranchante qu’une lame bien affûtée.
Gavin obéit, pénétrant dans le bureau vitré. Fowler, assis derrière son bureau impeccablement rangé, n’avait pas levé les yeux de son écran, où défilaient des rapports et des statistiques. Le capitaine finit par désigner la chaise face à lui d’un mouvement de la main, sans même prendre la peine de lui adresser un regard. Il s’assit, son corps tendu, comme prêt à affronter la tempête qui se profilait.
— Tu sais pourquoi je te fais venir ?
Fowler avait enfin levé les yeux, son regard perçant se fixant sur Gavin avec une froide intensité. Ce dernier esquissa un sourire en coin, un brin provocateur, mais s’efforça de ne pas paraître trop désinvolte.
— J’imagine que… c’est à cause du robot d’hier ? répondit-il, l’ombre d’un amusement dans la voix.
Le capitaine soupira, un soupir lourd d’exaspération, chaque trait de son visage marquant son impatience.
— D’après le rapport, tu as « coursé » — et oui, c’est bien ce terme qui est utilisé — un androïde sans papier qui accompagnait un vendeur de hot-dogs. En pleine pause-déjeuner, en plus.
Gavin sentit une envie de rire lui monter à la gorge, mais il se retint, se contentant de hausser légèrement les épaules, feignant une désinvolture qu’il ne ressentait pas totalement.
— Il n’était pas en règle et il a pris la fuite. J’ai suivi mon instinct, expliqua-t-il, comme si cela suffisait à justifier sa course-poursuite au milieu du parc.
Fowler croisa les bras, se redressant dans son siège, son regard se durcissant davantage.
— On nous demande de ne pas faire de vagues. Et toi, tu cours après un androïde sur près de deux kilomètres, semant la panique dans tout le parc Murphy ? Tout ça pour un simple WB200, un modèle de base qui ne représente aucune menace.
Gavin posa un doigt sur le bureau, un sourire narquois accroché aux lèvres.
— L’agent Miller et moi, on faisait un contrôle de routine. Cet androïde n’a pas répondu à nos questions et a pris la fuite. Si tu veux mon avis, c’était suspect.
Fowler s’avança sur son siège, l’exaspération de plus en plus visible dans son expression.
— Gavin, tu sembles t’amuser avec ces incidents. Mais ce n’est pas la première fois que tu harcèles des androïdes depuis le onze novembre. Ça doit cesser, et immédiatement. Tout le monde ici a fait l’effort de s’adapter. C’est à toi de faire de même.
La remarque frappa Gavin en plein cœur, ravivant une colère latente qu’il n’arrivait jamais vraiment à maîtriser. Comment pouvait-il s’adapter alors que le monde autour de lui changeait si vite qu’il n’arrivait plus à le reconnaître ? Mais alors qu’il ouvrait la bouche pour répliquer, Fowler le devança, le coupant sèchement.
— Bien. Tu peux disposer. Et ferme la porte en sortant.
Gavin se leva, le visage sombre, ressentant un mélange de frustration et de rage. Il savait qu’il n’aurait pas le dernier mot ici. En sortant, il claqua la porte plus fort qu’il ne l’aurait voulu, attirant quelques regards dans l’open space.
— Putain de merde, marmonna-t-il entre ses dents serrées.
Les regards de ses collègues se détournèrent rapidement, comme si chacun avait senti la tension prête à éclater. Chris se fit très petit ce rapport il en était l'auteur, Gavin l’ignora, se dirigeant droit vers son bureau. La journée risquait d'être longue.
****
Le Hopcat dégageait cette chaleur familière qu’on ne trouvait que dans les bars de quartier, avec ses murs de briques apparentes et ses lumières tamisées. Les conversations s'entrecroisaient autour d'eux, créant un fond sonore rassurant, presque apaisant. Pour une fois, Gavin pouvait relâcher la pression, loin des regards scrutateurs et des reproches implicites du commissariat. Il retrouvait en cet instant un peu de cette camaraderie qui lui manquait, mais surtout, il retrouvait Tina, l’une des rares personnes capables de l’amener à baisser la garde. C'était une soirée qui prévoyait d'être agréable.
Ils s'installèrent à une table près de la fenêtre, et Tina passa commande en lançant un regard complice au serveur.
— Pour moi, un fish and chips… et toi, Gavin ?
— Juste une Martin’s IPA, répondit-il sans hésiter.
Elle ajouta, d'un clin d'œil amusé :
— Alors, supplément de frites pour moi.
Gavin haussa un sourcil, un demi-sourire aux lèvres.
Tina éclata de rire, la tête légèrement rejetée en arrière, ses yeux pétillant de cette malice qui rendait leur amitié si précieuse.
— Allez.. je te connais mon petit Gav'. Une bière, des frites, et tu vas immanquablement piocher chez moi, déclara-t-elle en souriant, un brin de tendresse dissimulée derrière l’humour. Mais bref, ça fait un moment qu’on n’a pas eu l’occasion de discuter seul à seul. Alors, je vais faire un truc que tu détestes, annonça-t-elle, prenant un air faussement solennel.
Gavin la fixa, intrigué, tout en attrapant une frite sur l’assiette qu’on venait de poser devant eux, comme pour se préparer à une mauvaise nouvelle.
— Comment vas-tu ?
La question le prit au dépourvu, le déstabilisant un instant. Tina, avec sa franchise désarmante, savait toujours quand frapper juste. Gavin se contenta de sourire en coin, cherchant à ne pas paraître trop touché par cette marque d’attention sincère.
— Je vais bien, répondit-il en trempant distraitement la frite dans le ketchup. Mes "petits débordements", comme tu les appelles, c’est rien de grave. Juste… quelques erreurs de jugement, ajouta-t-il en haussant les épaules, avant de prendre une gorgée de sa bière.
Tina le regarda, plissant les yeux avec ce regard scrutateur qu’elle réservait habituellement aux suspects récalcitrants.
— "Erreurs de jugement" ? C’est un euphémisme, non ? Tu as quand même couru après un androïde sur deux kilomètres, juste parce qu’il n’avait pas les bons papiers.
Gavin soupira, sentant poindre l'ennui et la frustration de ce rappel.
— Je sais, j’ai merdé. Mais avec ces androïdes, c’est… compliqué. Ils sont partout, et parfois j’ai l’impression qu’ils se fichent de nous.
Elle leva un sourcil, penchant légèrement la tête comme pour l'encourager à s’expliquer.
— Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
Il resta un instant silencieux, cherchant ses mots. Il n’était pas habitué à s’ouvrir ainsi, même face à Tina.
— Eh bien, ils ressemblent tellement aux humains, mais ils sont programmés pour obéir, pour suivre des règles. Ils n’ont pas de libre arbitre. Et pourtant, avec cette apparence et ce comportement… on ne sait jamais trop comment les considérer. Ça me perturbe, admit-il, presque à contre-cœur.
Tina hocha lentement la tête, une compréhension douce dans le regard.
— Je comprends ce que tu veux dire. Mais rappelle-toi que ce sont des machines, pas des humains. Ils sont là pour nous aider, pas pour nous remplacer. Ils n’ont pas de mauvaises intentions. Ils suivent leur programme, point.
Gavin détourna le regard, fixant un instant les lumières tamisées du bar, les reflets dorés dans son verre. Ces mots, il les avait entendus des dizaines de fois, mais ils n'avaient jamais réussi à chasser ce malaise profond.
— Ouais, je sais. Mais parfois, j’ai l’impression qu’on perd la distinction. Quand ils sont habillés comme nous, qu’ils parlent comme nous… c’est flippant, tu vois ?
Tina lui sourit, une lueur d’amusement dans les yeux.
— Est-ce que Gavin Reed serait en train d’admettre qu’il a peur des robots ? Tu devrais peut-être songer à changer de métier, plaisanta-t-elle, la voix teintée de douceur.
Il roula des yeux, mais il finit par rire, un rire léger, comme une soupape de sécurité après cette conversation lourde de sens.
— Très drôle. Non, merci, je préfère encore passer mes journées à courser des androïdes qu’à m’enfermer dans un bureau pour faire des rapports.
Leur échange fut interrompu par la vibration du téléphone posé sur la table. Tina jeta un regard agacé vers l’appareil, ses épaules se raidissant imperceptiblement. Elle avait espéré quelques heures sans interruptions, un moment simple et amical, et voilà que la réalité la rattrapait.
— Ne me dis pas que tu dois déjà partir ? demanda-t-elle, ses yeux cherchant un répit dans les siens.
Gavin haussa les épaules, résigné, en jetant un œil à l’écran.
— Crime dans le quartier de Greenbriar. Ça ne peut pas attendre. Ne sois pas jalouse, ton tour viendra, plaisanta-t-il, un sourire en coin, tout en se levant.
Il sortit quelques billets de sa poche et les posa sur la table, préparé à s’éclipser. Mais Tina le retint par le bras, son regard s’ancrant dans le sien, une dernière question résonnant en elle.
— Et si c’était « TON » affaire, cette fois ?
Gavin s’arrêta, surprit par la profondeur de la question. Il sourit, cette fois plus sincèrement, presque avec une pointe de tendresse, avant de hausser les épaules.
— Peut-être après tout certaines mangent des frites, d’autres sauvent le monde. Chacun son domaine, lança-t-il en lui adressant un clin d’œil.
Elle leva les yeux au ciel, l’air faussement exaspéré, mais son sourire trahissait une affection indéniable. En guise de réplique, elle lui adressa un doigt d’honneur discret sous la table, un geste qui traduisait à la fois leur complicité et leur humour mordant.
Gavin tourna les talons et se dirigea vers la sortie. Tina le regarda s’éloigner, son verre à moitié plein devant elle, un sourire pensif aux lèvres. Tandis qu’il disparaissait dans la nuit de Detroit, elle se prit à espérer que, peut-être, un jour, quelque chose finirait par toucher cet homme obstiné et l’amènerait à voir au-delà de ses préjugés.
****
La ville semblait s’étendre dans un silence presque solennel sous la lueur froide des réverbères, chaque ruelle sombrant dans une obscurité alourdie par le poids des immeubles endormis. Le moteur de la voiture de Gavin vrombissait faiblement lorsqu’il se gara près de la maison isolée, encadrée par les rubans holographiques rouge vif qui délimitaient la scène de crime.
Gavin sortit de la voiture et avança lentement, attentif au moindre détail. Le jardin, envahi de mauvaises herbes, ressemblait à un cimetière végétal et, là, sur le sol, de fines traînées bleutées parsemaient l'ensemble. Du sang d’androïde, pensa-t-il en se penchant pour mieux examiner. Les gouttes, dispersées comme les prémices d’une fuite désespérée, racontaient à elles seules le passage de quelqu’un, ou quelque chose, pris dans un instant de panique.
À l’entrée, un agent de garde lui bloqua brièvement le passage avant de reconnaître le badge de Gavin. Celui-ci pénétra dans la zone de sécurité et aperçut rapidement Collins, un visage familier mais tendu, qui sortait de la maison. La lueur de son visage habituellement placide semblait avoir cédé à une inquiétude sous-jacente.
— Bonsoir, Gavin.
— Bonsoir, Ben. Alors, qu'est-ce qu'on a ? demanda Gavin en tentant de masquer l’impatience dans sa voix.
Collins passa une main nerveuse sur sa nuque, ses yeux fuyant brièvement le regard de son collègue.
— C’est récent, deux heures maximum. Les voisins ont appelé après avoir entendu des bruits de lutte. À l’intérieur, deux androïdes habillés comme des humains, sous fausses identités… et tous deux désactivés.
Gavin fronça les sourcils, ses lèvres se pinçant en une ligne fine. Depuis quelque temps, les affaires impliquant des androïdes semblaient se multiplier, et cela ne manquait jamais de le mettre sur les nerfs. Mais il savait que tout commentaire acerbe pourrait attirer sur lui l’attention indésirable de ses supérieurs.
Collins sembla deviner sa pensée et continua avec une gravité inhabituelle dans la voix :
— Et il y a du sang humain, ajouta-t-il d’un ton bas, presque comme s’il confessait un secret dérangeant.
Ils entrèrent dans la maison avec précaution, enfilant des surchaussures pour préserver la scène intacte. L’odeur métallique et âcre qui flottait dans l’air les frappa immédiatement. Le salon, saccagé, ressemblait à une scène de bataille où les meubles renversés, une lampe brisée éclatée sur un vieux tapis, et divers objets éparpillés, créaient un tableau sinistre de violence contenue. L'atmosphère glaciale semblait imprégnée d'un malaise, comme si les murs eux-mêmes avaient absorbé la terreur des derniers instants.
Au centre de la pièce, un androïde d’apparence féminine, aux cheveux argentés et à l’expression figée, reposait en position fœtale. Ses bras tendus étaient agrippés désespérément au rebord du bar de la cuisine, comme si elle avait lutté jusqu’au dernier instant pour se maintenir. Ses yeux, grands ouverts, fixaient un point invisible dans le vide, leur éclat éteint témoignant d’une peur qui, malgré sa nature mécanique, semblait cruellement humaine.
Plus loin, un autre androïde, aux cheveux bruns coupés courts, gisait sur le dos, inerte. Un trou béant dans sa poitrine laissait échapper un liquide bleuâtre qui s’était imprégné dans le tissu de son t-shirt, formant une tache sombre et sinistre. Gavin se força à ne pas détourner le regard, bien que la scène lui inspire un malaise grandissant. Il n’avait pas l’habitude de voir des androïdes dans de telles postures, aussi vulnérables, aussi… désespérément proches de la souffrance humaine.
Collins, les bras croisés, lui fit signe d’approcher.
— Ah ! Le voilà, murmura-t-il en désignant quelque chose derrière Gavin.
Il se retourna et son regard tomba sur une silhouette imposante qui avançait lentement, à la lisière du faisceau lumineux d’un spot. L’homme, vêtu d’un long manteau sombre au col blanc relevé, triturait sa manche pour la remonter, dévoilant des doigts tachés de rouge. Ce détail attira immédiatement l’attention de Gavin, et une méfiance instinctive s’éveilla en lui. La posture de l’inconnu, la tension dans ses épaules, et ce détachement calculé dans ses gestes dégageaient une confiance froide, presque menaçante.
Gavin sentit sa main se crisper légèrement, les muscles de son bras tendus par un réflexe de méfiance. L’homme leva enfin les yeux vers lui, et Gavin, pris entre le frisson d’inquiétude et l'adrénaline qui montait en lui, esquissa un ricanement nerveux pour briser la tension.