Sortie en famille
Assis sur le canapé, la tête de Sumo posé sur ses genoux, Connor observait nerveusement les flocons de neige qui tourbillonnaient derrière la vitre et finissaient par tomber, formant une pellicule dense et blanche. La main de Connor glissa automatiquement dans l'épaisse fourrure du saint-bernard, tentant de calmer le stress qui était survenu en même temps que le froid et la neige.
L'annonce météorologique de la veille l'avait automatiquement plongé dans ses sombres et douloureux souvenirs. Hank était au courant de tout depuis leurs retrouvailles devant l'ancien Chicken Feed. Et si l'on pouvait dire que Connor avait acquis sa déviance grâce à lui, il avait également gagné un père puisque Hank l'avait pris sous son aile de façon significative en l'invitant à venir vivre avec lui. À partir de cet instant, Connor s'était mis à connaître le bonheur mais le froid s'accentuant, les souvenirs d'Amanda et du froid qui avaient failli le tuer l'avaient bouleversé. Depuis plusieurs nuits maintenant, seule la présence de Sumo lui permettait de dormir et d'avoir assez d'énergie pour se lever le lendemain. Bien sûr, Connor savait qu'il aurait trouvé un réconfort plus grand au côté de Hank, mais il refusait de lui montrer qu'il était à ce point faible, et d'une certaine façon, traumatisé par ce qu'il avait enduré.
Connor observa l'horloge murale, caressant toujours le poil doux et lustrer de l'animal. Hank ne devrait pas tarder à revenir. Il était allé faire quelques courses et bien que Connor lui ait proposé de l'accompagner, il avait refusé prétextant que Sumo n'aimait pas être seul. Évidemment, le plus jeune avait compris qu'il souhaitait simplement qu'il reste au chaud et, touché par son geste, il n'avait pas insisté.
Enfin, accompagnée par le bruit des clefs dans la serrure, la porte s'ouvrit.
Connor se leva, écartant avec précaution l'énorme tête du chien qui paresseusement se contenta de soupirer. Des sacs pleins les bras, Hank offrit un large sourire à celui qu'il considérait comme son fils et s'éclipsa dans la cuisine. Ce fut sans surprise qu'il constata qu'on le suivait. Il posa les sacs sur le sol et se tourna vers Connor, un petit sourire énigmatique sur le visage.
« Vas mettre des vêtements chauds pendant que je range tout ce bazar. »
Les yeux du concerné s'écarquillèrent, mêlant surprise et incompréhension. Il ouvrit la bouche, mais la referma lorsque Hank reprit la parole :
« Remue-toi, j'vais pas ranger les courses éternellement ! »
Il sourit en voyant Connor se diriger rapidement vers sa chambre, et commença à tout mettre en ordre. Peu de temps après, la silhouette de Connor apparut près de la porte d'entrée.
« Bon timing.
- Où allons-nous ? Interrogea Connor cachant mal sa curiosité.
- Dans la voiture. »
Connor leva les yeux au ciel et un petit rire lui échappa. Il ajusta son écharpe et se dirigea vers la voiture. La neige ne tombait plus et seule une couche blanche attester de son passage à Detroit.
Hank conduisait particulièrement lentement mais Connor qui en connaissait la raison ne fit aucun commentaire. L'album que Hank avait mis plaisait à Connor et l'absence de conversation ne le gêna donc pas. L'accent chaud de l'homme qui chantait lui était particulièrement agréable bien qu'étrange. Il fut presque déçu que Hank ne lui ait pas fait écouter cette musique avant. Durant un instant, il hésita à scanner la pochette du CD dont seule la première lettre, un G, tout en bas de l'album, était visible tant il était abîmé. Mais il voulait profiter du paysage. Il n'était pas question de le rater en cherchant dans ses données, il interrogerait Hank plus tard.
Le tirant de sa rêverie, le moteur se coupa en même temps que la voix du chanteur qui se brisa sur le mot " froid ".
Connor se détacha et voulut ouvrir la portière lorsqu'il s'aperçut que Hank ne bouger pas.
« Hank ?
- Attends ici. »
Et sans attendre de réponse, Hank sortit de la voiture. Il ne tarda pas à revenir deux grandes boîtes dans les mains. Il se rassit sur le siège conducteur et tendit l'une des boîtes à Connor.
« Mets ça. »
Avec précaution, le plus jeune ouvrit la boîte et découvrit une paire de chaussures à lacets dont l'étrange semelle pourvue d'une sorte de lame argentée le laissa perplexe.
« Allez, mets-les. » Sourit Hank, en sortant de la voiture et en rejoignant Connor du côté passager.
Connor s'exécuta et tenta de sortir lui aussi de la voiture. Malheureusement, ces drôles de chaussures nuisaient à son équilibre et si Hank n'avait pas été là, il serait tombé.
« Hé, vas-y doucement ! Avec ça c'est beaucoup plus difficile de marcher sur la terre ferme.
- Ça ? Demanda Connor en s'agrippant au bras de Hank tant son équilibre était mis à rude épreuve.
- Des patins à glace. Tu vas voir, sur la glace ce sera plus facile. L'étang est juste là. »
D'un geste du menton, Hank venait de désigner une étendue d'eau gelée à seulement quelques pas du véhicule. Lentement, ils avancèrent ensemble vers l'étang.
Ils étaient seuls.
Ce fut Hank qui posa le premier un pied assuré sur la surface gelée. Il s'éloigna un peu du bord et aida Connor à faire de même.
Tout d'abord anxieux, le plus jeune se laissa finalement guider par Hank qui semblait parfaitement maîtriser cette discipline. Hank lui évita deux chutes en le retenant avec habileté mais, très vite, il put patiner sans aide.
Le calme du lieu ne pâtit pas de la présence de la petite famille. En effet, même si aucun ne parler, ils échangeaient de merveilleux sourires, signe évidant de leur complicité. Tous deux tournaient sur la glace, riant en silence, le bonheur étincelant dans leurs yeux.
Malheureusement, brisant la magie de ce moment, le téléphone de Hank se mit à sonner. Le plus vieux étouffa un juron lorsque le nom de Fowler s'afficha sur l'écran.
" Je reviens. " Souffla-t-il en retournant sur la terre ferme.
Faisant abstraction de la conversation, Connor se remit à patiner, gagnant de l'assurance à chaque mouvement qu'il réalisait.
Tous deux perdus, l'un dans sa joie et l'autre dans sa conversation, ils n'entendirent pas la glace se fissurer. Lorsque Connor comprit, il était trop tard la glace céda sous lui, mêlant son craquement sourd au cri du plus jeune.
Hank tourna la tête vers l'étang en une fraction de seconde et, s'interrompant en plus milieu d'un mot, il lâcha son téléphone et courut vers Connor, manquant de tomber.
" Connor ! " Hurla Hank paniqué.
La cassure se trouvait à environ un mètre de la terre ferme. Hank se coucha sur le ventre et rampa sur la glace, vers le pauvre Connor qui tentait de garder sa tête hors de l'eau.
Cette fois Connor, malgré sa détresse, avait été attentif.
" Nouvelle... Fissure... " Balbutia l'androïde.
Hank se figea. Il était encore trop loin. A moins que...
" Il faut que tu me tendes ton bras.
- Je... p... pas. "
Les efforts de Connor pour garder la tête hors de l'eau l'empêcher de faire ce que Hank lui disait. Cela aurait été tellement plus simple s'il n'avait pas eu aussi froid. De plus, le message inquiétant qui clignotait dans son crâne ajoutait à son inconfort.
" Connor, j'ai besoin que tu le fasses. Fais le pour moi. "
L'interpeler ferma un instant les yeux et abandonnant sa lutte première, il sortit péniblement son bras de l'eau gelé et le laissa retomber sur la glace.
Aussitôt, la main de Hank saisit son poignet et il commença à le tirer vers lui.
Connor réussit à sortir son second poignet, bien que l'effort lui fût encore plus pénible.
Si seulement il avait été plus attentif, il n'aurait pas été pris au dépourvu. Tout aurait été plus simple.
Les deux mains de Hank agrippant ses poignets, il se sentit quitter lentement l'eau de l'étang. De niveaux craquements se firent entendre mais Hank fut plus rapide. Au moment où le corps de Connor atterrit sur le sol froid, la glace se brisa une nouvelle fois dans un bruit sec.
Hank retira sa veste et la drapa sur les épaules de Connor qui tremblait violemment. Il courut jusqu'à la voiture, tenant sur ses jambes comme par miracle et, revint avec ses chaussures aux pieds et celles de Connor à la main. Il aida Connor, ou plutôt il échangea ses patins avec ses chaussures. Puis, il le soutint durant le trajet entre l'étang et la voiture.
Une fois Connor assis, il alla chercher, dans le coffre, la grosse couverture que Hank utilisait pour empêcher que Sumo ne salisse les sièges arrière et, enveloppa Connor dedans. Puis, il mit le chauffage à fond et démarra.
Connor resserra imperceptiblement la couverture sur ses épaules. Il ressentait l'angoisse de Hank.
" Ce n'est pas le chemin de la maison... "
Et il devait le calmer avant que...
" CyberLife pourra t'aider. "
Trop tard.
Pas CyberLife.
Non.
Tout sauf ça.
" Hank... "
Il avait tellement peur que Amanda reprenne le contrôle.
" Pas... "
Sa voix se brisa, cette fois il coulait, au sens littéral du terme.
Quelle ironie.
" ...CyberLife. "
Le seul fait de penser à Amanda le tétaniser. Son niveau de stress s'était affiché devant ses yeux.
87%
Il devait se calmer.
" Il faut te réchauffer sinon ton... " Il y eut un silence, visiblement Hank cherchait son mot. " Thirium, Il risque de geler. "
Connor fit de son mieux pour garder une voix stable.
" Hank, s'il te plaît, j'ai déjà commencé à... me réchauffer. "
Pur mensonge.
" Et puis, je serais plus à l'aise... à la maison... avec Sumo et toi. "
Entière vérité.
Hank hésita. CyberLife était plus loin que la maison.
Le rond-point apparut.
La respiration humaine qu'imitaient les systèmes de Connor cessa.
" Connor ?! " pressa le plus vieux en s'engageant dans une des sorties.
La maison.
" Pardon. " Souffla Connor en relançant ses systèmes d'imitation. " Et merci. " Ajouta-t-il en se calmant un peu.