Bart et Hugo, une histoire d'amour
Chapitre 5
Les quelques secondes silencieuses où Bart attend devant la massive porte du mas Vallorta lui semblent une éternité. Le monstre invisible du stress le dévore de l’intérieur. Si son grand-père refuse de l’aider, parce qu’il est avec un garçon ou parce que ce garçon s’est mis dans de beaux draps, le jeune homme ne sait pas vers qui il pourra se tourner. Il va vite le savoir car la porte s’ouvre et son grand-père l’accueille avec un sourire.
Léonard : Ah mon grand ! Que fais-tu là ?
Bart : Je... j’ai besoin de toi... Bafouille-t-il, mal à l’aise.
Léonard : Viens, entre. Explique-moi ce qu’il t’arrive.
Le jeune Vallorta entre au salon et reste quelques instants dos à son grand-père. Ses doigts effectuent des mouvements nerveux. Il n’a aucune idée de comment va réagir le vieil homme à l’évocation de la situation dans laquelle il se trouve. Pas sûr qu’il soit ravi à l’idée d’apprendre que son petit-fils, seul héritier du prestigieux domaine, est en couple avec un gentleman cambrioleur.
Léonard : Barthélémy, tu as des problèmes ?
Bart : Pas moi... répond-il fébrilement en se retournant pour faire face à son grand-père.
Le vieil homme comprend tout de suite que quelque chose de grave tracasse son petit-fils. Il le voit dans son regard, perdu et triste.
Léonard : Si tu veux que je t’aide, il va falloir que tu me racontes.
Bart hoche la tête et s’assoit dans le canapé. Son grand-père fait de même dans le fauteuil face à lui. Et le jeune homme explique tout, de A à Z. La rencontre, l’amitié, la complicité, l’amour qui est né et les cambriolages, pendant que l’ancien maire écoute sans dire un mot. Il découvre une facette de son petit-fils qu’il ne connaissait pas.
Bart : Dis quelque chose grand-père... demande le jeune homme, inquiet de son silence.
Léonard : Pour une surprise, c’est une surprise. Je te le concède. La nervosité de Bart repart de plus belle. Il recommence à triturer ses doigts en regardant sur le côté. Est-ce que j’ai dit que c’était une mauvaise surprise ? Ajoute son grand-père. Bart le regarde de nouveau. J’imagine que tu penses que ton vieux grand-père va te sortir le couplet de l’homophobie passive « je n’ai rien contre les gays mais pas dans ma famille.» Et bien tu te trompes mon grand. La vie m’a appris beaucoup de choses et surtout de ne pas passer à côté de la personne qu’on aime.
Bart : Merci grand-père... répond-il ému, le rose aux joues et un timide sourire.
Léonard : Par contre, te mettre à faire des cambriolages...
Bart : Non mais je sais, j’ai déconné ! Mais je te jure que c’est fini tout ça. S’il te plaît, aide-moi à sauver Hugo. Il mérite pas d’aller en prison, c’est quelqu’un de bien.
Léonard : Il s’est fourré dans un sacré pétrin !
Bart : Je sais... répond-il, désespéré.
Léonard : Cela dit, chaque problème a sa solution. Ajoute le vieil homme, d’un ton assuré. Laisse moi quelques minutes pour appeler mes avocats. On va le sortir de là, ton Hugo.
Bart ne répond rien. Il ne peut pas. Un immense sourire est bloqué sur son visage et l’empêche d’articuler un mot. Il voit enfin une lumière au bout du tunnel. Pendant que son grand-père s’éloigne, portable à l’oreille, Bart rumine. Il espère que Hugo n’est pas en train de s’enfoncer face à Karim.
Karim : Alors Hugo, tu m’expliques un peu ce que signifie ce texto ? Ça ressemble clairement à du repérage pour un cambriolage.
Depuis qu’il a vu son Roméo à la fenêtre, Hugo a décidé de ne plus répondre à une seule question des enquêteurs. Il a peur de dire quelque chose qui contredirait la version que Bart donnera s’il est interrogé. Et l’idée de Bart sur le «défi» de pénétrer dans une villa ne lui semble pas excellente.
Hugo : Aucun commentaire.
Karim : Tu vois, je pense que tu es le cambrioleur aux fleurs qu’on recherche depuis des semaines.
Hugo : Pensez ce que vous voulez. Je m’en fiche.
Karim : Ah ouais ? Et tu t’en fiches aussi que ton complice soit arrêté ?
Hugo : De quel complice vous parlez ? Demande le jeune homme, tentant de cacher son angoisse qu’il arrive quoi que se soit à Bart par sa faute.
Karim : Tu sais très bien de qui je parle. Vous étiez deux chez Victor Brunet. Il le certifie. Il n’a pas bien vu les visages de ces visiteurs mais il sait qu’un des deux était blond.
Le jeune kitesurfeur avale sa salive avec difficulté tant sa gorge se serre d’angoisse. Il fera tout pour protéger son amoureux. Mais il n’oublie pas non plus qu’il lui a promis de ne pas avouer.
Karim : Et tu vois, en tant que policier, on cherche partout. Un collègue a lu tous tes messages sur ton téléphone. Bart Vallorta... c’est ton petit ami et probablement ton complice.
Hugo : Ça vous emmerde que deux mecs soient ensemble hein ? Alors vous inventez n’importe quoi pour les séparer. Bart et moi, on est bien ensemble, que ça vous plaise ou non. Cela ne fait pas de lui le complice de qui que se soit.
Karim : Je connais Bart depuis longtemps. C’est un gamin sentimental. Il a pu se laisser entraîner dans des trucs louches parce qu’il pense être amoureux.
Hugo : Peut-être que vous ne le connaissez pas aussi bien que vous le pensez. Tacle Hugo au passage. Bart n’est pas un gamin. Il est intelligent, brillant et il sait ce qu’il veut. Il est avec moi parce qu’il est amoureux.
Karim : Que tu crois...
Hugo : Je me fous royalement de ce que vous pensez. Continuez de me poser les mêmes questions, je vous donnerai les mêmes réponses.
L’insolence du jeune homme agace le capitaine et il quitte brièvement la salle d’interrogatoire, soupirant. Hugo, quant à lui, souffle un grand coup. La situation se tend de plus en plus et il ne sait pas combien de temps il va tenir.
Léonard : Bon, je viens d’avoir maître Amalric en ligne. Il vient de partir pour se rendre au commissariat. Il va s’occuper de Hugo.
Bart : Il va le sortir de là ?
Léonard : C’est un ténor du barreau, crois-moi. Si quelqu’un peut trouver une solution, c’est lui.
Bart : Oh punaise... souffle le jeune homme de soulagement. Il faut que j’y retourne alors.
Léonard : Attends, calme toi un peu Bart. Te précipiter au commissariat ne changera rien, à part peut-être mettre les enquêteurs encore plus sur les nerfs. N’oublie pas qu’ils savent qu’il y avait deux personnes chez ce Brunet. Ils peuvent très bien porter leurs soupçons sur toi, surtout si Hugo parle un peu trop...
Bart : Il ne dira rien ! Répond Bart d’un ton plus que certain. Il préférerait tout prendre sur lui plutôt que donner mon nom, je t’assure grand-père ! Jamais il me balancera. Et je lui ai fait promettre de ne pas avouer non plus.
Léonard : Si tu le dis, je te crois. Mais laisse faire maître Amalric.
Bart : Et je fais quoi en attendant ?
Léonard : Tu te détends un peu ? Ou bien tu rentres chez toi et tu expliques tout à Flore ?
Bart : Pas envie... bougonne-t-il en faisant une moue blasée.
La conversation/dispute qu’il a eu ce matin avec sa mère et son ex petite amie lui a suffit. Pour le moment, il n’a plus envie de donner la moindre explication à personne. Il veut juste que Hugo ressorte de ce maudit commissariat.
Bart : Je vais juste aller me balader un peu, je pense. J’ai besoin de calme.
Léonard : Si tu veux, Bart.
Bart : Je te remercie du fond du coeur grand-père... je ne sais pas ce que j’aurais fait sans toi.
Léonard : Jamais je ne laisserai tomber mon petit-fils. Répond le vieil homme en portant une main bienveillante au visage de Bart et lui donnant une petite tape affective.
Après avoir quitté le mas, le jeune homme marche sans but, perdu dans ses pensées. Sans vraiment s’en rendre compte, ses pas le portent tout de même vers son homme.
Environ quinze minutes plus tard, maître Amalric se présente au commissariat. Il demande le responsable de l’enquête sur le gang des fleuristes. Le policier en poste à l’accueil appelle Karim. Il se présente en tant qu’avocat de Hugo et veut le voir. Karim l’amène en salle d’interrogatoire.
Karim : Il est ici. Dit simplement le capitaine en désignant le jeune homme, entrant dans la pièce.
Avocat : Bonjour M. Quéméré. Salue-t-il en lui tendant la main. Hugo se demande bien d’où sort cet avocat.
Hugo : Bonjour...
Avocat : A partir de maintenant, M. Quéméré, vous ne dîtes plus un mot. C’est moi qui vais parler avec le capitaine. Enfin en premier lieu, capitaine, je vais vous demander de nous laisser quelques instants, mon client et moi. Je dois discuter avec lui.
Sachant qu’il n’a légalement pas le droit de faire autrement, Karim s’exécute.
Avocat : Très bien, jeune homme. J’en sais déjà pas mal sur cette affaire grâce à M.Vallorta. Mais vous allez tout de même m’expliquer, et surtout me dire ce que le capitaine Said vous a posé comme questions et ce que vous avez répondu.
Hugo : Mais...
Avocat : Quoi ?
Hugo : C’est Bart qui vous a appelé ?
Avocat : Son grand-père. Mais c’est Barthélémy qui a sollicité son aide.
Hugo : Vous savez que je n’ai pas les moyens de me payer vos services...
Avocat : Ne vous inquiétez pas pour ça. Tout est pris en charge par M.Vallorta. Préoccupons nous plutôt de votre sort, vous voulez bien ?
Hugo hoche la tête. Il n’en revient pas de ce qu’a fait Bart pour lui. Aller demander l’aide de son grand-père n’a pas dû être facile.
Après quelques minutes d’entretien, l’avocat entrouvre la porte et fait signe à Karim de revenir.
Avocat : Capitaine ,il semblerait que mon client ait été arbitrairement arrêté pour des présomptions farfelues de cambriolage.
Karim : Farfelues ? Nous avons un témoin.
Avocat : Oui... un témoin qui n’est pas connu pour sa fiabilité dans ses propos. Cette jeune femme a déjà menti dans une enquête par le passé. Elle a d’autant plus de raisons de raconter n’importe quoi que M. Quéméré ici présent est le nouveau petit ami de M. Vallorta, anciennement en couple avec votre fameux témoin. J’attends d’autres faits qui pourraient justifier l’arrestation de mon client...
Karim : Nous avons trouvé une photo de la villa cambriolée dans les messages que ce sont échangés Bart et Hugo. Il parlait de faire un dernier coup.
Avocat : Et ? Rétorque l’avocat d’un air volontairement dubitatif pour déstabiliser l’officier de police. Rien d’autre que des jeux de gamins en recherche d’un peu d’adrénaline.
Karim : Voler dans une maison, vous trouvez que c’est un jeu ?
Avocat : Mon client et M. Vallorta n’ont rien volé. Ils ne se sont pas rendus dans cet endroit. Ils s’amusent simplement à photographier de belles villas et s’envoyer des messages prétendant faire ci ou ça. Cela s’appelle un jeu de rôle, capitaine.
Bonne idée, pense Hugo en silence.
Karim : Et comme par hasard, cette villa a été cambriolée le jour même.
Avocat : Avez-vous des preuves d’une entrée par effraction ? Une porte forcée ? Une vitre cassée ? Assène l’avocat, sachant très bien que Hugo n’abîme jamais rien chez les gens. Hum, on dirait que non, vu votre tête qui se décompose. Qui vous dit que les propriétaires de cette villa n’ont pas profité de l’histoire du gang des fleuristes pour simuler un cambriolage chez eux et arnaquer leur assurance ?
Re-bonne idée, pense le jeune homme. Décidément, cet avocat est une pointure. Il est tellement reconnaissant envers Bart de lui avoir envoyé.
Karim : Nous avons prélevé du sang sur les graviers du jardin, et votre client est blessé à la jambe.
Avocat : Et ça c’est une preuve ? Parce que mon client a un pansement sur la jambe, il a automatiquement laissé son sang dans ce jardin ? Vous êtes ridicule, capitaine.
Karim : Les analyses ADN nous donneront la réponse.
Avocat : Et en attendant, mon client va ressortir libre de ce commissariat car vous n’avez strictement rien de tangible contre lui.
Bien qu’il soit agacé au plus haut point, Karim sait que l’avocat a raison. Il vient de démonter toute son affaire en cinq minutes.
Pendant ce temps-là, au hasard des rues, les pas de Bart l’ont mené devant le commissariat. Même si son grand-père lui a déconseillé de venir, il n’a pas pu s’en empêcher. Pour l’instant, il n’y rentre pas. Il reste là, assis dehors sur un banc. Au bout d’un moment, une voix le tire de ses pensées.
Avocat : M. Vallorta.
Bart : Maître Amalric ?
Avocat : Pierre Amalric, en effet.
Bart : Comment va Hugo ?
Pierre : Hum... je vous conseille de lui poser directement la question... répond-il en s’éloignant vers sa voiture
Pendant une seconde, Bart ne réalise pas ce qu’il vient d’entendre. Puis il tourne la tête et voit Hugo, s’avançant vers lui, souriant.
Bart : Hugo... Murmure-t-il, son visage s’illuminant.
Émus, les deux hommes marchent l’un vers l’autre puis Bart finit les quelques pas qui le séparent de son amoureux au pas de course, le prend dans ses bras et le soulève légèrement de terre.
Bart : Ils t’ont relâché ? Demande-t-il après avoir reposé son amoureux au sol.
Hugo : L’avocat de ton grand-père a été génial. Il a démonté les arguments du capitaine Said les uns après les autres.
Bart : C’est génial ça !!
Hugo : T’emballe pas. Il reste un problème.
Bart : Quoi ??
Hugo : Ma blessure... ils ont prélevé du sang dans le jardin.
Bart : On va trouver une solution.
Hugo : Comment ?
Bart : Je sais pas encore mais des analyses ADN c’est long, c’est pas comme dans les films où ils ont le résultat dix minutes après. On a le temps d’y réfléchir !
Hugo : Je sais pas d’où te vient autant d’optimisme...
Bart : De toi... Répond l’ange blond en souriant. Viens, on rentre au van pour l’instant. J’ai envie de toi.
Hugo ne peut s’empêcher de sourire jusqu’aux oreilles en entendant les mots coquins de son amoureux. Lui aussi a envie de lui. Alors il décide de laisser ses problèmes derrière lui pour le moment, et de profiter de la vie avec son bel amoureux.