LES TEMPS D'AVANT
« C’était une ruse, une mise en scène. » dit Leo à Lucas Webb.
Alors que ce dernier, Nico et Tom le dévisageaient, il expliqua : « en se faisant votre défenseur face à ces quatre types, il se ménageait votre reconnaissance. En réalité, c’étaient probablement des petites crapules de bas étage payées pour vous faire peur et qui ignoraient à quoi elles s’exposaient.
— Même pour Riario, c’est un peu tiré par les cheveux, non ? dit Nico.
— En quoi ? Une vie humaine n’a pas beaucoup de poids pour lui, ça on le sait, il nous l’a pratiquement dit tel-quel hier, sur le bateau. »
Vanessa entra à ce moment-là.
Quatre heures l’après-midi, le pub somnolait dans les parfums de cuisine du midi et au son de la bande originale du film “V for Vendetta“, que Leo faisait tourner en boucle sur son lecteur ces derniers temps. Elle embrassa Leo, Nico et Tom, salua Lucas et s’en fut préparer le bar pour l’heure du rush.
« Admettons, dit Lucas. C’est vrai que quatre morts ne comptent pas… mais il était là pour me faire signer des documents importants qui me liaient au marché que j’avais passé verbalement avec Della Rovere ! Je veux dire… il n’aurait pas saboté son propre travail juste pour se mettre dans mes bonnes grâces tout de même ?
— Justement ! Leo se leva pour aller chercher une chemise derrière le comptoir, revint et la tendit à son patron en se rasseyant : lisez !
Tandis que l’homme s’exécutait, Tommaso alla servir quatre bières à la pompe Stella sans quitter Lucas des yeux. Il donna un petit coup de coude à Vanessa :
— Il n’a pas l’air de percuter, le pauvre, murmura-t-il, moqueur.
Elle pouffa, mais ajouta, à voix basse elle aussi :
— Leo a tort.
— Comment, ça ?
— Je ne crois pas qu’il y avait une embrouille contre le patron.
— Ouais… je comprends que tu puisses avoir de la sympathie, mais ne lui plante tout de même pas une auréole au sommet du crâne, hein, Nessa. C’est tout de même la Forza, tu te rappelles ?
Elle haussa les épaules :
— Peut-être. C’est juste une intuition. »
Tom retourna à la table pour poser un verre de bière devant chacun et un énorme plat de cacahuètes au milieu… enfin, plus près de son milieu que du leur.
« Je ne vois rien de spécial, Da Vinci, dit enfin Lucas.
— Ces documents sont des leurres, bon sang ! dit Leo, un peu agacé. Si Lucas lisait si mal, il avait toutes les chances, en effet de tomber dans les pièges ! Où les gens avaient-ils la tête ? Lisez les petits caractères en bas de page trois, insista-t-il. Lisez à voix haute.
Lucas chercha ses lunettes, les posa sur son nez et lut :
— Le présent document et tous ses articles seront nuls et non avenus à défaut de porter les signatures des représentants des deux parties en date du 25 août 2018… Oui… eh bien, j’ai signé ! Là ! fit-il en pointant son paraphe du doigt.
Leonardo leva les mains :
— Mais pas lui ! Il a été … interrompu — Leo fit en l’air le signe des guillemets — par vos agresseurs.
Tom frappa du poing dans la paume de sa main :
— Par des hommes qu’il aurait payés pour ça ! Bon sang, c’est brillant, Leo !
— Oui, mais, tenta encore Lucas, quel intérêt avait-il à ce que cet accord soit nul ? Pourquoi tout ce tralala ?
Leo sortit de sa poche une feuille pliée en quatre :
— Parce que ce document-ci est le contrat prévu par Della Rovere… attendez-vous à ce qu’on vous le présente insidieusement, sur un coin de table entre deux coups de vent dans les jours qui viennent… et il stipule que vous lui vendez tous les chantiers pour une somme qui ne payerait même pas un pub comme le Shelter de Wimbledon… C’est à ça que devait servir votre reconnaissance : à vous rendre plus confiant encore !
Lucas avait pâli, puis rougi :
— D’où tenez-vous celui-ci ?
— De son ordinateur. Je l’ai copié sur une clef et imprimé pour vous.
Il alla se placer derrière son patron pour souligner du doigt ce sur quoi il voulait attirer son attention :
— Regardez : pour mieux faire passer le véritable contrat, on lui a donné l’apparence d’un document banal, sans l’en-tête de celui-ci. Et maintenant, lisez encore une fois à voix haute les clauses de ce document-ci, en tout petit !
— Le présent document est le seul accord de passation de propriétés valable entre les deux contractants et signataires… Putain ! Je vais les faire buter ! conclut Lucas, crescendo.
Les trois autres s’emparèrent de leurs verres pour les mettre à l’abri de tout éclat. Mais au lieu de renverser la table, Lucas se leva pour arpenter sa longueur, qui, quand il était en mode rage, ne faisait guère plus d’un pas et demi.
— À propos de tueries, Lucas, osa Leo, j’aimerais que vous nous teniez tous les quatre à l’écart de tout règlement de compte de ce genre…
— Tout ce que vous voudrez… Quand vous m’aurez piégé ce Comte de mes deux et me l’aurez ramené ficelé comme un saucisson. Ici même !
Leo recula :
— Ça ne va pas être possible.
— Comment ça ? Je vous dis, moi, que vous allez le faire !
— Non. D’une part, Riario a disparu et d’autre part, je ne jouerai pas ce genre de rôle. Jamais.
— C’est ce que nous verrons ! Vous êtes toujours mes employés, et mes contrats à moi ne sont pas des faux. Votre père y a veillé. Rompez-les et je vous mets tous les quatre sur la paille et peut-être même en cabane… Vanessa a juré sur l’honneur avoir seize ans pour être embauchée, les frais de campus de l’université de Machiavelli sont couverts en grande partie par les chèques que je signe, j’ai un dossier épais comme un dictionnaire sur Masini et quant à vous, votre dealer est un de mes hommes et témoignera quand je le voudrai… La même filière qui protège les affaires qui se font dans mes pubs vous enverra tous derrière les barreaux… Alors c’est ça ou la peau de ce fils de pute de Riario. C’est clair ?
Nico était sur le point de dire quelque chose, Leo l’en empêcha d’un regard appuyé et d’un geste de la main. Il dit :
— Pourquoi nous ? Vous devez bien avoir des spécialistes pour ce genre de boulot, non ?
Lucas empocha la feuille de contrat restée sur la table et mit la chemise sous son bras en regardant Leo avec un sourire :
— Parce que vous êtes un génie et un habile négociateur, Da Vinci. On vous l’a assez dit ces derniers temps je crois, non ? »
Quand il fut sorti, Leonardo tomba sur une chaise : « Je crois qu’on y est jusqu’au cou !
— On t’aidera, dit Tommaso.
— Oui… On fera tout ce qu’on pourra, confirma Nico.
— Et moi, je veux en être aussi, dit Vanessa… Il faut toujours une femme dans les situations épineuses. Souvent, c’est elle qui garde le mieux la tête sur les épaules ! »
Les trois garçons y virent une boutade, elle pas du tout.