CONFINEMENTS
Chapitre 10 : Après la pluie...
1613 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 21/04/2020 19:10
Zo crut, l’ombre d’un instant, que Leo était de retour, puis réalisa qu’il n’aurait pas eu besoin de frapper à sa propre porte pour entrer. Du coup, il fronça les sourcils et jura.
Qui pouvait bien se promener ainsi le soir en pleine période de confinement ? Était-il bien prudent d’aller ouvrir ?
« Un message pour Leonardo da Vinci ! fit une voix de baryton.
Leo n’aimerait pas du tout avoir raté un message par sa faute. Il ouvrit à l’étranger.
Devant lui, le type faisait toute la largeur et la hauteur de la porte. Il portait quelqu’un dans les bras, comme on porte un blessé.
Sans attendre d’invitation, il baissa la tête et se faufila à l’intérieur, de biais pour ne pas blesser son protégé.
« Putain , vous vous croyez où ? On n’entre pas ainsi…
— Passez-moi une chaise ! Comme Zo le dévisageait bouche bée, il insista : allez ! Mon cousin est léger, mais je ne veux pas le maintenir trop longtemps dans cette position.
Quand la chaise fut avancée, il ôta la grande cape qui recouvrait le mystérieux paquet et l’installa sur la chaise comme à cheval, les jambes de part et d’autre du dossier.
Zo se prit la tête entre les mains :
— Putain ! Lui ? Vous voulez vous en débarrasser ? Vous avez sonné à la bonne porte… Laissez-moi juste le temps de trouver la tronçonneuse !
— Je ne vous le conseille pas, Da Peretola… Je suis obligé de vous le laisser quelques heures, j’ai des choses à régler, mais si à mon retour il lui est arrivé quoi que ce soit de fâcheux, c’est moi qui vous démonterai pièce par pièce, à la tenaille. En parlant, il avait ôté la chemise de Riario : allez me chercher de l’eau et un antiseptique. Apportez- moi aussi du tissu. Il est inconscient la plupart du temps, il faudra l’attacher.
— Oh, ça ! Avec grand plaisir ! dit Zo en disparaissant à l’arrière de la maison, du côté de l’atelier de Leonardo.
Girolamo ouvrit les yeux. Giovanni lui expliqua où il était.
— Mon père ?
— J’ai prévenu des gars à nous qui gardaient l’entrée… Ils s’en occupent. Tu es libre, cousin ! Plus personne ne te dictera ta conduite et ne menacera tes amis.
Ce fut plus fort que lui, Girolamo se mit à pleurer, puis carrément à sangloter. Il enfouit la tête dans ses bras. Toutes ces années de prison qui s’envolaient enfin ! Un avenir possible…
Zo revint avec l’eau et le désinfectant… et une scie sauteuse !
Giovanni le transperça de ses yeux vert-sauge.
— Je ne reste pas seul et désarmé avec ce serpent ! expliqua Zo. Je l’ai un jour vu tuer cinq hommes le temps d’une inspiration, pas plus ! Devant mes yeux !
— Qu’est-ce que vous ne comprenez pas dans le concept d’assujettissement, imbécile ? Je vous ai dit que je devais le lier… et pas avec ça ! Il fit un signe vers la corde que Zo avait apportée. Passez-moi un drap.
— Ouais… Que vous allez déchirer ! Sans blague, vous essayez d’être drôle ?
Le visage de Giovanni della Rovere se colora, il rugit :
— Passez-moi un drap !
Zo approcha l’eau et la solution désinfectante, s’en fut chercher ce qu’il demandait en traînant les pieds puis lui tendit un drap de coton en fixant le dos de son éternel rival :
— Avec quoi est-ce qu’on l’a fouetté ? Du barbelé ? Putain, ça ne m’étonne qu’à moitié qu’il chiale !
Giovanni s’était mis à l’oeuvre :
— Vous n’y êtes pas. Il vient juste de réaliser qu’il n’y avait plus personne pour faire pression sur lui.
— Ah non ? Et Le Pape, alors ?
— Mort. Raide mort ! Si je n’avais pas autre chose en tête, je danserais bien une gigue devant vous.
— Le CopSras ?
— Il y a des chances… Désolé, Giro, je dois nettoyer en profondeur.
Le Comte fit un signe de tête :
— Ça va, c’est juste un réflexe, murmura-t-il… Je… je…
Il perdit à nouveau conscience.
— Tenez-le le temps que j’achève, Da Peretola.
Comme l’autre hésitait, il dit :
— Il ne va pas vous sauter dessus dans cet état, hein ! Allez, bon sang !
— Je… Ce n’est pas la peur.
Giovanni suspendit son geste pour le regarder en face :
— Quoi, il vous dégoûte à ce point ? Merde, vous devez être salement mordu de l’artiste, l’ami !
— Ce salopard a failli me tuer à plusieurs reprises. Et vous trouvez bizarre que j’aie la nausée à l’idée de le toucher ? J’ai l’impression que je vais rouler un patin à la mort !
Giovanni haussa les épaules et hocha la tête :
— On ne vous en demandera pas tant ! Décidément, pauvre monde !
Enfin, Zo alla s’accroupir côté dossier pour saisir les poignets du Comte tandis que Giovanni achevait de panser son dos.
Il se serait fait couper la langue plutôt que de l’avouer, mais c’est vrai que quand l’orgueil, la froideur et le sarcasme quittaient les traits de ce Satan, on comprenait mieux comment Leo et d’autres s’étaient laissé séduire.
***
Hannibal avait réintégré sa cellule à l’hôpital psychiatrique de Maryland State. Le décor, image fidèle du lieu qu’il avait à l’esprit, était celui de la Chapelle Palatine de Palerme, sa préférée. Tout y était, des représentations de Saints sur fond doré jusqu’au squelette en prière sur le sol. *
Will s’approcha et posa la main droite sur la vitre, doigts écartés : « Bedelia m’a dit un jour que j’étais entré en religion et que c’était la chose la plus dangereuse qui puisse m’arriver.
Hannibal l’avait rejoint et toucha la vitre de la même manière :
— Tu vois qu’elle avait tort, pour une fois… Tu es toujours en vie.
— Je ne pense pas que ta psychiatre faisait allusion à mon intégrité physique, docteur Lecter.
— Te sens-tu donc plus instable qu’avant de me rencontrer ?
Son sourire ironique cassa un angle dans l’éraflure sur sa joue gauche.
— La logique voudrait que je réponde oui, car je ne parviens pas à te haïr pour ce que tu as fait subir à Jack.
— La logique est au contraire respectée ! Jack n’est pas ton ami, tu ne peux pas te soucier davantage de son sort que du mien. La hiérarchie de l’amitié est intraitable, Will, comme l’est celle de l’amour... Comment va ton bel Italien ?
— Il se rétablit petit à petit. Dis-moi que toi aussi.
Hannibal le fixa mais ne dit mot.
— Je suis navré, murmura Will.
— Je le sais.
— Je… je ne t’aiderai pas à t’échapper cette fois, Hannibal.
— C’est ta conviction du moment. Mais pourras-tu me laisser mourir quand les juges auront décidé que je ne suis pas mentalement irresponsable et que l’heure de mon exécution approchera ?
— Ils ne le pourront pas. Tu es malade, tu le sais.
— Je ne sais pas. Disons que je me suis écarté des normes sociales en étant plus proche des lois naturelles… Je tue pour manger et je respecte mes proies.
— Ce qui fait de toi, légalement, un malade mental.
— Alors que tu mets ta faiblesse au service du FBI… Mais tu viendras et nous reprendrons la route ensemble, bienaimé Will. "Ni avec, ni sans", tu te souviens ?
— Une autre constatation de Bedelia.
— C’est une bonne psychiatre, elle ne se trompe que très rarement. »
***
Giovanni della Rovere, paradait comme le David de Michel Ange, une épouse à son bras, un nourrisson dans l’autre.
Un an après la terrible pandémie du CopSras, il avait rencontré Lucrezia Pazzi lors d’un voyage d’agrément et en était tombé amoureux.
« Tu vois, Leonardo, il fut une époque où je me serais obligé à détourner mon regard d’elle, sachant que l’attirer dans ma vie serait pour elle une malédiction. Tu n’imagines pas à quel point je me sens libre aujourd’hui.
— Aucune nostalgie de la vie mouvementée que vous faisait mener Le Pape ? sourit Leo.
— Aucune ! Mais… Où est donc le parrain de ce merveilleux enfant ? Comment peut-il s’occuper à des tâches stériles alors que mon fils attend ses bras ?
— Ha ha ! C’est qu’il met la touche finale au repas, avec Zo dans les pattes ! Ça prend toujours plus longtemps avec Zo à proximité : il a tendance à s'empifrer au fur et à mesure.
— Quoi ? Tu laisses ces deux-là seuls en cuisine, avec toute la coutellerie à portée de main ?
Un papillon jaune se posa sur ses cheveux noirs de jais, cela lui donna tout à coup un petit air de Sylvain champêtre que Leonardo se promit de peindre. Il y ajouterait une branche de lierre, sans doute un oiseau sur l’épaule et le représenterait auprès d’une source…
— Leo ? Tu m’écoutes ?"
Non, Leo n’écoutait plus, il avait hâte que cette fête se terminât pour se consacrer tout entier aux premiers croquis.
Il n’y avait pas une minute à perdre, la vie pouvait changer si vite, après tout ...
et même s’arrêter !
* en réalité, le squelette en prière (Bernin) se trouve à Rome, dans la chapelle Cornaro. Ah, ces showrunners, quels plaisantins !