Crash Bandicoot : Le Berceau du Bien et du Mal

Chapitre 6 : La force d'avancer

4898 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/05/2024 17:26

Avant qu’ils deviennent les acteurs de la lutte ancestrale du Bien et du Mal, avant que le destin choisisse de les mettre au devant de la scène, ils étaient humains. Ils menaient une existence banale, baignée d’amour et de haine. Les liens qui les unissent ne se rompront jamais parce qu’ils s’aiment et se haïssent trop pour ça. La vie de deux jumeaux Aku Aku et Uka Uka ainsi que leur petite sœur dans son plus simple appareil.



CRASH BANDICOOT : L'EQUILIBRE

Seconde partie : Les préquelles



Crash Bandicoot : Le berceau du Bien et du Mal


Chapitre 6 : La force d’avancer




Oni Oni se redressa en sursaut. Comme toutes les nuits depuis des semaines, elle se réveillait après un cauchemar. Elle revoyait son frère au-dessus d’elle, un sourire sadique accroché à ses lèvres. Elle pouvait encore ressentir l’effleurement de ses doigts sur sa peau quand il soulevait sa robe, la pression de ses mains sur son corps…


Elle referma sa bouche grande ouverte. Aucun son n’était sorti, ne restant que l’action d’hurler après les images terrifiantes et les émotions répugnantes que son subconscient lui faisait revivre. D’un geste maladroit, elle essuya ses yeux et son visage larmoyant, puis se releva, chancelante. Elle observa d’un air mélancolique sa famille qui dormait à poings fermés et sortit prestement de la hutte. Le simple fait de voir la silhouette d’Uka Uka avait suffit à lui provoquer une sensation d’étouffement. Son frère était devenu une source de crainte démesurée. Son propre sang… Elle peinait à rester dans le même endroit que lui quand ils se croisaient. Heureusement, Aku Aku veillait à ne jamais la laisser avec son jumeau. Il était toujours là pour la protéger. A ses côtés, elle se sentait plus forte. Le trou béant dans sa poitrine, blessure immatérielle du crime d’Uka Uka, et la souillure de son être étaient comme lavés, apaisés par la présence réconfortante d’Aku Aku. Elle avait eu peur de ressentir de l’aversion pour son frère, lui qui avait le même physique que son bourreau. Mais il n’avait pas la même aura, le même sourire ainsi que cette lueur au fond de leurs regards sombres. C’étaient tous cela qui lui avait permis de faire la part des choses et de ne pas punir Aku Aku contre son gré.


Elle marcha un long moment sur la plage, s’éloignant du village. L’écume de la mer venait lécher les pieds nus d’Oni Oni, lui arrachant par moment des frissons quand une brise fraiche l’accompagnait. Accaparée par ses sombres méditations, elle finit par essayer de penser à des choses positives. L’amour que lui portait son frère et son mariage. Au début, l’annonce de ce dernier avait achevé son malheur : le viol d’Uka Uka, les décès de sa mère et Paro et puis maintenant cette union. En dépit qu’Arka était plus vieux de dix ans qu’elle, il restait un homme gentil et très doux. Il faisait tout pour lui plaire et lui donnait le sourire. La gentillesse, c’était ce qu’elle pouvait espérer de mieux. Surtout avec un corps aussi impur qu’était devenu le sien. A cette simple évocation, elle sentit son cœur se comprimer fortement. Elle inspira difficilement et sortit de ses pensées pour se rendre compte qu’elle était arrivée aux pieds de la falaise qui mettait fin à la plage déserte. Elle se dit qu’il était temps de rentrer et tourna les talons pour faire demi-tour.


Quand elle vit une silhouette à quelques mètres devant elle, son cœur rata un battement. Ses yeux s’écarquillèrent et son corps se mit à trembler quand elle reconnut Uka Uka. La faible lumière dispensée par la lune faisait briller les yeux de son frère en plusieurs lueurs inquiétantes. Quand il s’avança vers elle en esquissant un sourire sardonique, elle ne bougea pas. Ses membres inférieurs refusaient de faire le moindre mouvement. De toute façon, même si elle le pouvait, ses tremblements étaient si forts que ses jambes ne la mèneraient pas bien loin. Et… on ne pouvait pas échapper à Uka Uka. Elle en avait fait la douloureuse expérience la fois dernière. Avait-elle était trop utopique d’espérer qu’il la laisserait en paix ? Ne s’était-il pas bien vengé déjà ?


- C’est bien… Tu as retenus une leçon de tes erreurs : tu ne peux pas m'échapper, susurra-t-il en lui caressant la joue.


Elle ouvrit la bouche, ses lèvres se bougèrent, mais aucun son n’en sortit. Uka Uka mima une expression faussement déçu.


- Dommage, j’aime tellement ta voix… surtout quand elle me supplie. C’est tellement grisant !


Elle hocha la tête de droite à gauche et planta ses yeux larmoyants qui brillaient en de milliers éclats d’émeraudes. Elle le supplia du regard. Peu importe ce qu’il voulait, elle savait qu’il voulait lui nuire.


Il esquissa un sourire satisfait, se délectant de la peur de sa victime. Brusquement il l’attrapa et la jeta sur son épaule. Elle se débattit, agitant ses pieds en tous sens, frappant son dos de ses petits poings. Il finit par immobiliser ses pieds avec une seule main. Elle arrêta de frapper son dos en voyant que cela ne changeait rien et laissa éclater sa détresse.


- Ne t’inquiète pas… Je te promets que ça sera rapide !


Il partit dans un rire dément. Oni Oni sursauta tant la montée d’adrénaline fût puissante. Dans un ultime recours, elle planta ses dents dans la chair d’Uka Uka, lui arrachant un cri de douleur. Pour lui faire lâcher prise, il abattit son poing au creux de ses reins, ce qui stoppa l’action de sa cadette. D’un coup d’épaule, il l’éjecta sur le sol et palpa le point douloureux dans son dos. Il fit glisser des perles sanguines, son propre sang entre ses doigts, avant de fixer haineusement sa sœur. Il sortit un couteau de son fourreau et le pointa vers elle.


- Si tu ne me suis pas, je te garantis que je t’éventre ici et maintenant !


Elle se leva avec difficulté tant la peur amoindrissait ses mouvements. Elle se frictionna le bras contre lequel elle était tombée, et Uka Uka lui attrapa fermement son autre bras pour l’obliger à le suivre. Elle grimaça de douleur, faute de pouvoir émettre des sons plaintifs, tant la pression que son frère exerçait sur son membre était énorme. Elle manqua de trébucher à plusieurs reprises, ralentissant le rythme rapide imposé par son ainé ; ce qui l’exaspérait.


Ils marchèrent un temps qui parût interminablement long à Oni Oni. La fatigue devenant pesante lui ajoutait un poids supplémentaire, en plus des nombreuses entailles sur ses jambes provoquées par des végétaux épineux. Finalement, ils débouchèrent à l’endroit qu’Uka Uka affectionnait particulièrement. Là, il la poussa, et elle tomba sur le rocher où il s’installait la plupart du temps.


- Sais-tu pourquoi j’aime tant ce lieu ? demanda-t-il en écartant ses bras pour présenter l’amas de rocs avec un sourire terrifiant.


Oni Oni hocha la tête de droite à gauche pour montrer son ignorance. La panique monta d’un cran quand le sourire de son frère s’élargit.


- C’est ici qu’on faisait des sacrifices humains il y a bien longtemps. Et toi et moi allons renouer avec cette vieille tradition ! Ce rocher sera témoin de ton dernier soupir !!


Il éclata d’un rire sinistre en savourant la terreur qui se peignit sur les traits de sa cadette.


- Je te l’ai dit, tu n’appartiens qu’à moi, et puisque tu me refuses ta vie, personne d’autre ne l’aura ! Mais moi, j'aurais au moins ta mort... Je t’avais mis en garde, chère sœur. Je t’avais dit que tu faisais le mauvais choix, mais tu n’as pas voulu m’écouter. Tu peux maudire ta stupidité !!


Il s’avança et se pencha au-dessus d’elle. Oni Oni cessa de respirer pendant quelques instants tant la peur lui coupa le souffle. Il sortit une étrange arme blanche. Une longue défense de sanglier reliée à un manche en bois.


- Je vais te tuer de manière à ce qu’on croit que les animaux t’ont dévorée. Pour un chasseur tel que moi, c’est chose facile. Oh mais j’y pense… tu veux peut-être dire un dernier mot ? ironisa-t-il.


Oni Oni, qui était légèrement redressée à l’aide de ses coudes, s’allongea sous Uka Uka et ferma les yeux. Quelques larmes roulèrent sur sa peau satinée, ultime action d’une condamnée. C’était fini. Il allait sceller son destin à la mort. Inutile de lui résister, il était trop fort pour elle. Peut-être avait-il eu raison. Peut-être aurait-elle dû se plier à sa volonté. Qu’importe. C’était trop tard maintenant…

Ses dernières pensées allèrent vers son frère, Aku Aku. Qu’il lui pardonne sa faiblesse. A ce moment là, elle aurait tout donné pour lui dire une dernière fois combien elle l’aimait.


Un bruit sourd, un gémissement, suivi d’un grognement de rage… Oni Oni rouvrit les yeux. Aku Aku s’était jeté sur Uka Uka. Ce dernier se dégagea de la poigne de son jumeau et un combat singulier commença. Uka Uka avait l’avantage d’être armé et Oni Oni retint sa respiration à chaque attaque meurtrière qu’Aku Aku esquivait avec maladresse et hésitation.


- C’est encore mieux que je ne l’espérais ! Je vais anéantir ma fratrie en une seule fois !!

- Tu es complètement fou !

- La folie est une composante de l’amour.

- L’amour ? Tu crois que tuer notre mère et notre sœur est une preuve d’amour ?!

- C’en est une pour moi.

- Alors tu n’es pas fou, tu es tout simplement monstrueux !!

- Merci du compliment !


Il s’élança en direction d’Aku Aku qui se tendit, prêt à esquiver. Oni Oni déchira fébrilement un morceau de sa robe et prit une pierre qu’elle plaça dedans. Elle le fit tournoyer au-dessus de sa tête et lança le tout en direction d’Uka Uka. Il se prit le projectile en pleine tête et recula en titubant, étourdi. Aku Aku profita de ce moment d’inattention pour se jeter sur son frère et donner un coup sec et précis à la main qui tenait l’arme blanche. Le son de l’os du poignet qui se brise arracha un hurlement d’Uka Uka et un frisson à Oni Oni. Aku Aku resta de marbre face à la souffrance de son jumeau et l’assomma d’un puissant coup à la nuque. Uka Uka s’effondra à terre dans un bruit sourd.


Le vainqueur recula de quelques pas, les yeux écarquillés et la respiration saccadée. Son corps trembla autant d’effroi que de rage face au corps inerte de son frère. Qu’avait-il fait ? Quelle limite avait-il franchie par un excès de colère ? Les paroles d’Arka résonnaient dans son esprit embrouillé par la torpeur : « Je comprends ta colère de défendre l’honneur de ton sang, mais tu n’es pas de ceux qui ôtent la vie. »


Il allait tomber à genoux quand une voix retentit. Un faible murmure à moitié couvert par le bruit de sa respiration haletante. Une voix qui lui avait terriblement manqué. Il tourna la tête vers Oni Oni qui l’interpella une fois de plus. Il se précipita vers elle d’une démarche mal assurée. Avant même qu'il ait terminé de s’accroupir devant sa sœur, elle se blottit contre lui en pleurant. Tant d’émotions se libéraient si soudainement.


- Tu as parlé… souffla Aku Aku, abasourdi.

- Je t’aime.

- Moi aussi, petite sœur, moi aussi.


Finalement, elle avait pu lui dire une fois encore et elle espérait que ça ne serait pas la dernière. Elle se blottit davantage et il resserra son étreinte. C’est parfois dans les pires situations qu’un déclic surgit…


- Uka Uka est… mort ? hésita Oni Oni d’une voix raillée.


Aku Aku tourna la tête et c’est là qu’il aperçut la respiration régulière de son jumeau. Il ne l’avait sans doute pas vu dans son état second.


- Non… viens, je te ramène.


Il la prit dans ses bras et bien qu’elle ne ressentit pas le besoin d’être assistée, elle ne broncha pas. Elle se laissa bercer par la présence réconfortante d’Aku Aku et, sans s’en rendre compte, s’endormit dans ses bras.


***


Arka souleva la toison en peau de sanglier qui masquait une maisonnette pour qu’Oni Oni puisse passer. La jeune fille entra et parcourut la hutte de son regard émeraude sous les yeux attentif du guerrier.


- Ton nouveau foyer te convient-il mon épousée ?


Oni Oni hocha timidement la tête. Arka ne chercha pas à cacher son amusement bienveillant à l’égard de l’embarras de sa nouvelle épouse. Les deux jeunes gens venaient de se marier et commençaient d’or et déjà leur nouvelle vie de couple. Oni Oni était gênée car elle ne savait comment se comporter et sa gêne était doublée devant l’assurance d’Arka.


- Nous avons beaucoup festoyés pour notre union et tu m’as l’air épuisée. Veux-tu te reposer ?

- Mais ?! Vous… euh… la tradition…

- Oui ?

- Je veux dire… vous ne devez pas m’enfanter ?

- Nous avons tout notre temps pour cela, répondit l’homme avec un sourire doux et affable.

- Oui mais… la tradition veut que vous me faites devenir femme…


Le sourire d’Arka se perdit et son regard se teinta d’une mélancolie sincère qui bouleversa la jeune fille. Elle comprit alors son erreur et se mordit la lèvre inférieure en détournant le regard.


- A mon grand regret tu as déjà effectué ce rituel.

- Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous blesser. Cet honneur vous revenez de droit et mon frère vous l’a volé.

- Je ne te le cache pas, mon épouse, il est très plaisant pour un homme d’être le premier dans la vie d’une femme. Surtout, toi qui est belle, avoua-t-il faisant délicieusement rougir Oni Oni. Mais si je le regrette c’est uniquement parce que ce rituel s’est passé dans des conditions douloureuses. J’ai failli à ma tâche de mari. Je n’ai pas pu te protéger de la malveillance d’Uka Uka.

- Vous ne pouviez pas savoir…

- Mon ignorance n’est pas une excuse. J’aurais dû être plus vigilant à ton égard.

- Cela n’est qu’une piètre consolation, mais je vous appartiens maintenant.

- M’appartenir ? Tu es ma femme, pas mon esclave. Tu as des obligations, certes, mais également des droits, Oni Oni.

- Mais je suis à vous… Je veux dire…

- Je vois. L’appartenance et la fidélité sont deux conceptions bien différentes. Tu te dois de me rester fidèle mais j’ai également ce même devoir. Et je peux te garantir, mon épouse, que j’honorais notre couche quand tu le désiras.

- J’aimerais vous faire ce plaisir mais…


Arka posa un doigt sur les lèvres d’Oni Oni en la dévisageant avec tendresse. Puis, délicatement, il lui caressa le visage et la jeune fille ne put détacher son regard des yeux fauves de son époux. Elle finit par baisser la tête, intimidée.


- J’attendrais le temps qu’il faudra.


Il lui embrassa le front et Oni Oni vint doucement se blottir contre lui. Arka était un homme génial, elle se rendit compte à quel point elle était chanceuse de l’avoir comme époux. Mais elle n’était pas amoureuse et ne pensait pas qu’elle le deviendrait. Dans ce monde où les mariages arrangés sont de coutumes, l’amour est rarement présent. La seule chose que l’on pouvait espérer était de l’affection et de la gentillesse. Oni Oni n’en espéra pas plus, et elle remercia le Dieu Ten'Laïhi d’avoir entendu ses prières. Avec Arka, elle serait heureuse.


***


Uka Uka était assis sur sa pierre habituelle. Celle-là même qui aurait dû voir le sacrifice de sa sœur. Les blessures à son poignet et à sa tête, bandées avec soin par le sorcier-guérisseur, n’étaient rien comparé à la plaie béante de son âme. Il avait échoué ni plus ni moins. Son jumeau et sa sœur, qu’il avait toujours vu faibles, l’avaient vaincu. Aku Aku, dont il considérait sa nature pacifique comme une faiblesse, avait laissé la rage s’exprimer pour le terrasser. Cette haine contenue depuis des années s’était libérée pour le vaincre, lui, Uka Uka. Dans d’autres circonstances, cette situation l’aurait fait sourire. Son frère n’est pas aussi pur qu’il le prétend être. Il a laissé le Mal dominer pour assouvir ses fins. Mais voilà, la fin était l’amour. C’était pour Oni Oni, qu’Aku Aku s’était battu. C’était pour préserver sa vie qu’il avait usé de la violence. Uka Uka avait beau être rongé par la vilenie, il n’était pas aveugle. Les causes nobles, le cœur et l’âme gonflaient de lumière d’Aku Aku, lui garantissaient des barrières infranchissables contre le Mal.


Uka Uka ferma les yeux laissant la lumière lunaire se refléter sur son visage basané. Au loin, l’ambiance festive du mariage de sa cadette résonnait comme un bruit de fond à ses oreilles. Il repensa à son retour au village quand il avait reprit conscience. Devant son piètre état, on l’a questionné. Dans un dernier acte de vengeance, il avait monté une histoire de toute pièce. Sa charmante sœur s’était aventurée dans la forêt, la nuit tombée. Elle avait été attaquée par un animal sauvage et lui et son jumeau étaient partis à son secours. Alors qu’Aku Aku emmenait Oni Oni à l’abri, lui combattait la bête. Personne ne le contredit, pas même sa fratrie. Ils étaient rentrés blessés et sales. De plus, quand on retrouva la carcasse d’un sanglier, on traita Uka Uka en héros. Le seul regard mêlé de dégout et d’amertume de sa sœur et de son frère avait été une médiocre consolation ; mais une consolation tout de même.


Alors que les festivités avaient débuté pour le mariage d’Oni Oni, il lui avait juré que rien n’était fini. Qu’un jour, elle subirait son gourou et qu’elle se plierait à sa puissante volonté. Elle avait tremblé ; il avait été satisfait. A Aku Aku et Arka, il ne leur avait lancé qu’un regard méprisant et haineux associé à un sourire sadique. Eux non plus ne seraient pas épargnés. Pour s’être simplement mis sur son chemin, il les tuerait. Arka l’avait ignoré mais, lui, Aku Aku avait compris. La paix ne pourra être possible tant qu’ils vivront tous les deux. L’un d’eux devra disparaître.


Uka Uka rouvrit les yeux et leva son visage vers la lune. Un sourire carnassier s’étira sur ses fines lèvres. Rien ne pressait. Le temps serait son allié…


***


Dans l’immense tente du chef de son village, Aku Aku se concentrait pour créer une barrière de protection. Les traits crispés sur son visage hâlé et la sueur qui coulait sur son front démontraient une intense concentration. Soudain, il rouvrit ses yeux ambres et les paumes de ses mains. Une lumière aveuglante et une détonation retentit. Aku Aku fut projeté plus loin, les mains ensanglantées. Il avait raté son sort. Avec une grimace, il se redressa quand le chef entra. Il regarda le jeune homme blessé et une expression douce remplaça ses traits tirés par l’inquiétude. Il s’agenouilla près de son apprenti et entreprit d’examiner les mains abîmées de son élève. Il se releva avec difficulté à cause de son ventre proéminent et alla chercher des feuilles et une fine corde. Il étala un onguent à l’aspect purulent et noua les longues feuilles autour des blessures grâce aux cordes.


- Je ne comprends pas… lâcha Aku Aku alors que son regard se perdit dans le lointain.

- Ton échec ?

- Oui. J’ai fait comme vous m’aviez dit.

- Tu as canalisé l’énergie au creux de ton ventre ?

- Oui.

- Tu l’as laissé se diffuser dans tes bras ?

- Oui.

- Tu l’as stoppé dans tes mains ?

- Oui.

- Tu l’as diffusé doucement à travers ta paume ?

- Oui… euh, non. Je l’ai relâché subitement.

- Elle est la cause de ton échec.

- J’ai dû mal écouter, maitre, je croyais que je devais relâcher le tout d’un seul coup.

- Estimes-toi heureux que ce fût une barrière faible. Un sort défensif supérieur aurait fait bien plus que te blesser les mains.

- Pardonnez mon incompétence.

- Aku Aku, mon enfant, les erreurs sont humaines. Elles te permettent d’apprendre également.

- Je m’en passerais bien parfois, ronchonna Aku Aku en regardant ses mains.

- Cela dit, il faut que tu te montres plus attentif dans les instructions que je te donne. Il serait bien futile de te blesser de nouveau par manque d’inattention. A quoi avais-tu la tête quand je t’enseignais ?

- A vous. Je me demande pourquoi vous m’avez choisi comme fils adoptif. Arka a de bien meilleurs qualités pour devenir chef de village et…

- Nous avons tous nos qualités. Moi, je vois un immense potentiel en toi, Aku Aku. Tu es celui que j’ai choisi.

- Arriverais-je un jour à comprendre toutes vos paroles, maitre Umaga ? demanda Aku Aku avec une légère grimace septique devant les mots de son enseignant.


Le dénommé Umaga esquissa un sourire énigmatique mais bienveillant. Même si bien des choses lui échappaient, Aku Aku répondit à son sourire et ils se levèrent ensemble pour reprendre l’apprentissage.


***


Uka Uka arrêta de gravir la falaise abrupte pour faire une pause sur l’un des rares rochers qui le lui permettait, et observa un bref moment le panorama que lui offrait une telle hauteur en haletant. Il serra son poignet en grimaçant et se rendit compte que la consolidation de l’os n’était pas terminée. Il pourrait bien se le fracturer de nouveau à ce rythme, mais il était hors de question de perdre encore des semaines à attendre. Il avait un retard considérable déjà à rattraper.


Il inspira une bonne goulée d’air et repartit à l’assaut de la montagne, en évitant de trop forcer sur son membre fragile. Une heure plus tard, il atteint finalement un important espace rocheux qui voyait abriter un arbre rabougri. Il le contourna et allait reprendre son ascension quand il vit une mince fissure dans le roc juste derrière le conifère. Après l’avoir observé et palpé, il entra à l’intérieur de l’ouverture à peine accessible par sa taille. Il dut entrer en se mettant sur le côté et sa peau dorsale et fut bientôt irritée par la pierre derrière lui. L’air se raréfia et il se demanda un moment s’il ne devrait pas faire demi-tour…

Non, il devait continuer. Ce qu’il cherchait pouvait très bien se trouver là.


Après ce qu’il lui sembla durer une éternité, l’étroit couloir s’élargit soudain et il entra dans une immense caverne saturée d’humidité, ce qui ne manqua pas de heurter les bronches du guerrier. Comment pouvait-on respirer dans un endroit pareil ?


- Qui me fait l’honneur de sa présence ? demanda une voix éraillée par la vieillesse.

- Uka Uka, répondit ce dernier, la main sur le manche de son arme.

- Tiens donc… Et que me veux-tu, gamin ?

- Vous semblez me connaitre ?

- Oui, j’ai entendu dire que tu étais un vilain garnement… ricana le vieil homme, sûrement dissimilé dans l’ombre des parois, mais la résonance des sons ne lui permettait pas de connaitre sa position précise.

- Pour répondre à votre question, j’ai entendu dire que vous pourriez m’aider.

- Je n’aide plus personne de l'île. Alors dégage, et je te recommande fortement de profiter de mon humeur magnanime. D’autres n’ont pas eu une telle chance.

- Apprenez-moi la magie noire !

- Jeune sot… Crois-tu être le premier à me le demander ?

- Mais je suis le premier à en être digne.

- J’ai changé d’avis finalement…


Un rayon rouge parti d’un coin de la grotte se dirigea droit vers Uka Uka qui s’abaissa et fonça vers la provenance du tir tout en sortant son couteau de son fourreau. Mais quand il parvint à l’origine de l’attaque, il ne rencontra que la paroi rocheuse. Un nouveau rayon fut tiré non loin de sa droite et exigea de lui une meilleure esquive. Malgré son talent, Uka Uka ne put empêcher l’attaque magique de lui érafler le bras droit.


- Tu n’es pas si doué que ça, gamin.

- Quand je vous aurais vidé de vos entrailles, vous reverrez votre jugement et me supplierez de vous épargner, vieux débris !

- Je croyais que tu avais besoin de mes enseignements ?

- Vous me les avez refusé alors je vous tuerai.


Un mouvement furtif attira l’attention du jeune homme qui se rua vers un autre pan de la paroi, mais, comme précédemment, il ne rencontra que le vide. Il allait partir pour une nouvelle inspection quand un flux d’énergie le propulsa contre l’amas de pierre. Alors qu’Uka Uka allait se décoller du roc, il n’y parvint pas. Son corps resta collé contre le mur pierreux. Ce fut seulement lorsqu’il concentra sa propre énergie magique qu’il vit de minces fils rouges entourés sur son corps et qui étaient reliés à la montagne. Il ne pouvait pas distinguer totalement la forme, mais cela lui fit penser à…


- On dirait que j’ai attrapé un petit insecte dans ma toile.

- Vieille pourriture !

- Ce n’est pas comme ça qu’on parle à son maitre, sale gosse ! Laisse-moi t’apprendre la politesse et la servitude.


D’un mouvement de la main ridée du vieil homme, les fils de la toile se détachèrent pour se relier à chacun de ses doigts décharnés. A l’aide de petits mouvements de ces derniers, il parvint à mettre à genou Uka Uka qui serra les dents.


- Je vous tuerai.

- Oui, oui, mon petit. Mais uniquement quand l’élève sera capable de surpasser le maitre.

- Faites-moi confiance… Je serais plus fort que vous.

- Et pourquoi veux-tu être fort ?

- Pour tuer mon frère et ma sœur, et régner sur l’île !!

- Tu n’es qu’un imbécile, mais tu as vu juste… tu es le premier crétin à me rendre visite qui me plait vraiment. Et bien, Uka Uka, je vais faire en sorte de réaliser tes souhaits. Je te rendrais plus fort.


Un sourire carnassier naquit sur les lèvres du jeune homme au teint hâlé quand un vieil homme vêtu de haillon décida de sortir de l’ombre et de le libérer. Il rangea son couteau et s’agenouilla devant son maitre, en se jurant de le tuer quand il n’aurait plus rien à lui apprendre. Le seul maitre qu’il aurait, car après… ca sera à son tour d’être le maitre des autres !


A suivre : Epilogue


Correction effectuée par Lenie


Note d'auteure :

- Umaga est un personnage de Neo_White, que je lui ai emprunté pour lui faire un clin d’œil comme il l’a fait pour moi avec Nefria.

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