Code Alpha 1.0 : 25 ans plus tard

Chapitre 2 : Chapitre 1 : Confessions informatiques

4064 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 06/08/2017 21:50


Antoine

Des génies de l'informatique, il y en a peu. Je veux dire, de vrais génies. Je ne vais pas me gonfler de fausse modestie, je pense être plus que simplement doué. Si la perfection devait avoir un seuil, je serais sans doute ce qui s'en rapprocherait le plus, dans le domaine de l'informatique en tout cas. Je suis un véritable artiste des ordinateurs. Rien ne m'échappe en programmation, encodage, décodage. Mais comme tout artiste, je suis un incompris. Faudra t-il que je meure pour que mon talent soit enfin découvert, à l'instar de Picasso ou Van Gogh ? Il faut dire que de l'extérieur, je frise la médiocrité. Mon esprit hors du commun étant mon seul atout, mon physique laisse vraiment à désirer. Maigre, pâle, lunettes, tant de caractéristiques qui forceront tout interlocuteur à me ranger dans une classe bien peu honorable, celle de simple utilisateur des nouvelles technologies, en termes plus vulgaires, un geek, un no-life qui passerait sa vie juste a jouer aux jeux vidéos, sans objectif autre que de se détendre et d'oublier sa vie morne.

Ces gens-là ne sortiront jamais de l'ombre dans laquelle leur vie les à plongés, contrairement à moi, qui serai un jour reconnu à ma juste valeur ! Je m'appelle Antoine Belpois et je suis destiné à de grandes choses ! Contrairement à mon père, moi je ne resterai pas dans l'anonymat. Mon chemin est tout tracé vers la gloire, mais quel destin m'attend ? Vais-je développer un nouveau support d'exploitation, plus performant et efficace que les autres ? Vais-je me consacrer à simplement développer des applications et des jeux vidéos, destinés à ceux que j'exècre au plus haut point ? Non, ce qui m'attend m'emmènera vers des cieux bien plus hauts, reste à savoir comment les atteindre.


- Belpois ? Vous dormez ?

J'ouvris les yeux en sursautant. Tous les élèves de la classe avaient le regard pointé sur moi et la plupart affichaient un sourire narquois aux lèvres. J'entendis quelques rires derrière moi. J'avais horreur de ce genre de situation. Ces gens se sentaient supérieurs parce que je n'étais pas dans la normalité, mais leur vision de ce qui était « normal » était tellement peu intéressante. Pour quelqu'un de mon âge, sortir, s'amuser à boire de l'alcool en se prenant pour un rebelle, c'était ça la normalité. Tant de distractions idiotes sans le moindre intérêt. Pour eux, ma vie était vide. Pour moi, leur têtes étaient vides.

Mon voisin de droite, Jean, s'écria alors à haute voix :

- Alors le geek, t'as encore passé la nuit sur ton ordi' ?

La classe éclata de rire, je serrai le poing, bien décidé à ne pas me laisser faire cette fois. Ce n'était pas la première fois que je servais d'animal de foire à mes camarades de classe. J'étais petit à petit devenu le bouffon de service, et ce rôle me déplaisait au plus haut point.

- Non, fis-je sèchement.

Et c'était la vérité. Mon ordinateur était cassé depuis quelques jours, à mon plus grand désespoir. Cependant, cette réponse ne l'arrêta pas. Il se mit à ricaner. Je crois que je n'avais jamais autant détesté quelqu'un de ma vie. C'était généralement lui qui s'en prenait à moi, à travers ses moqueries prétendument hilarante. Pouvait-il faire preuve d'encore moins de répartie ? Il fallait cependant reconnaître que le public dont il disposait, c'est à dire notre classe, se contentait de ses traits d'humour pathétiques. Ils devaient tous être du même niveau.

- Tu fais pitié, va t'acheter une vie et reviens me voir.

Nouveaux éclats de rire. L'enseignante tentait tant bien que mal de calmer le jeu. Jean était sportif, populaire et « beau gosse ». Tout mon contraire. Dans ma situation déjà peu enviable, il aurait mieux valu que je laisse couler, comme à chaque fois. Mais aujourd'hui, je décidai que c'était trop. Je n'en pouvais plus d'être la victime de service. Dans un sursaut insensé, je frappai mon rival au visage, en visant son gros nez de fils d'alcoolique. J'entendis un crac, et après ce petit son, plus personne ne fit le moindre bruit dans la salle. Personne ne s'était attendu à ce que moi, « l'intello geek » de la classe ose faire ça. Ce moment fut presque jouissif. Je n'eus malheureusement pas le temps de savourer ma victoire, que déjà Madame Boulanger beuglait :

- Antoine ! Jean ! Vous filez tout les deux chez le sous-directeur !


Ce n'était pas sans être fier de moi que je me rendis dignement dans le couloir, suivi de l'autre idiot. C'était d'ailleurs la première fois que je me rendais dans le bureau du sous-directeur pour une raison de discipline, comme quoi il y avait bien un début à tout.

Au bout de quelques minutes de marche silencieuse (il était hors de question que je lui fasse la conversation), nous arrivâmes au bureau tant redouté par la plupart des élèves. Depuis l'arrivée de ce sous-directeur, les sanctions étaient devenues beaucoup plus lourdes, ne laissant pratiquement pas de seconde chance. Ainsi beaucoup de ceux qui se rendaient dans la pièce derrière cette terrifiante porte ne revenaient pas en cours. L'image de l'établissement était primordiale, et les trouble-fêtes n'étaient pas les bienvenus. C'est à ce moment là que la panique s'empara de moi. Je n'avais jamais eu de problèmes jusque là et je réalisais avec horreur qu'en rentrant dans cette pièce, je mettais mon avenir en péril.

- Bon, Jean... tu veux bien toquer à la porte ? chuchotai-je.

- Tarlouze, s'exclama t-il sans même me regarder.


Il accomplit alors l'acte tant redouté. Une voix irritante nous demanda alors d'entrer. Nous pénétrâmes dans la pièce, tout doucement. Personnellement, je tremblais de peur. Le sous-directeur était assis derrière son bureau, nous observant sévèrement. C'était un petit être avec le visage couvert de rougeurs, sans doutes dues à une acné dévastatrice dans sa jeunesse. Il était petit en taille, mais sa chaise était surélevée, comme pour pouvoir regarder les élèves de haut. Malgré son aspect assez grotesque, il était très redouté. Personne ne voyait jamais le directeur du lycée, officieusement ce poste était donc occupé par son adjoint qui faisait respecter le règlement intérieur avec une main de fer. C'était la première fois que je le rencontrais, et j'aurais vraiment préféré que ce jour n'arrive jamais.

- Mais n'est-ce pas Jean Schmidt ? Quelle surprise de te voir dans mon bureau...

L'ironie transpirait dans sa voix. Mon camarade de classe n'était pas réputé pour être un ange. Le sous-directeur se tourna dès lors vers moi.

- Et toi, qui es-tu ?

- A-Antoine Belpois... bégayai -je.

Une lueur s'alluma dans ses yeux.

- Pardon ? Parle plus fort !

- Antoine Belpois !

- Je vois. Donc, qu'est-ce qui vous amène ici ?

J'étais tétanisé. Je ne voulais pas être renvoyé. Je ne voulais pas tout perdre. Je fus donc incapable de parler, et laissais contre mon grès Jean faire le résumé de notre mésaventure. Bien évidemment, il donna sa version des faits, qui ne me mettait pas en valeur. Le sous-directeur écouta avec un rictus au visage que je ne pouvais définitivement pas identifier à un sourire. Il finit par interrompre Jean.

- Vous deux êtes au fond du trou, si vous partez de Kadic, ils ne vous accepteront nulle part ailleurs. Jean, tes bagarres intempestives exaspèrent tes professeurs, d'ailleurs pour une fois que c'est toi qui as le nez cassé... Quant à toi... commença t-il en me regardant.

Il me dévisagea, l'air songeur.

- Je n'apprécie pas les affrontements dans mon établissement. En plein cours ! Et de ce que je vois dans ton dossier, tu as l'habitude de dormir en cours ? Pas très bon tout ça.

Chacun de ses mots à mon sujet fut comme un pieu qu'il enfonçait dans ma tête. Je transpirais comme pas possible. C'était fini.

- Mais vous avez de la chance ! Je suis de bonne humeur, et aujourd'hui j'ai envie de laisser une seconde chance aux cancres que vous êtes. Vous n'aurez donc qu'un avertissement et des retenues tous les soirs jusqu'à nouvel ordre... ensemble. En plus de travail scolaire, il se peut qu'on vous confie des travaux d'intérêts généraux. Au moins, vous apprendrez le travail d'équipe.

Je mis quelques secondes à comprendre ce que cela impliquait. Être tous les soirs... à travailler... avec lui ?! C'était inconcevable. Nous nous détestions. Cela allait être l'enfer, comme lui comme pour moi. Certes, cela valait mieux que l'exclusion définitive mais tout de même ! Et je ne m'en sortais pas indemne, j'avais quand même un avertissement !

- Maintenant sortez, avant que je ne change d'avis.

Nous nous exécutâmes, toujours surpris par cette affreuse nouvelle. Une fois dehors, je regardai Jean avec mépris et m'exclamai :

- Tout ça c'est de ta faute. Si tu passais pas ton temps à me provoquer...

J'avais envie de fondre en larmes. Et j'avais à nouveau envie de le frapper. Cette pulsion de violence grandissait en moi, j'avais envie de le tabasser jusqu'à ce qu'il me supplie d'arrêter. Il ne se rendait pas compte de ce que je risquais à cause de lui ? Kadic était le dernier endroit qui pouvait m'accepter ! A ma grande surprise, il ne prit pas en compte mon agressivité et déclara simplement :

- Putain, mais arrête de chouiner. Un avertissement et des retenues c'est pas la fin du monde.

Je me mordis les lèvres et retrouvais mon calme. Mon impulsivité m'avait une fois de plus mis dans une situation assez embarrassante. Entre la mort de mon PC et ça, tu parlais d'une semaine pourrie... Mais je savais pertinemment que je possédais de grande capacité. J'allais m'en sortir, j'en étais persuadé.


La journée continua de plus belle sans la moindre surprise. Je rentrais chez moi... Enfin, chez moi, le terme était plutôt mal choisit. C'était chez mon idiote et détestable tante, là où je séjournais depuis toujours, aussi loin que je puisse m'en souvenir. C'était une vieille femme molle, grosse et laide. J'ignorais ce qu'elle faisait de ces journées, et honnêtement, je m'en contrefichais. Son nom de famille était le même que le mien, mais nous n'avions rien en commun. Mon domaine était l'informatique. Le sien... la télé-réalité.

Elle m'attendait à mon arrivée, un sourire débile illuminant son visage. Qu'est-ce qu'elle me voulait encore ?

- J'ai une surprise pour toi Antoine ! me fit-elle.

Elle me tendit un vieil ordinateur portable poussiéreux. Du genre qu'on en n'avait pas vu depuis une éternité et qui pouvait valoir une petite fortune sur internet.

- Le temps que Noël arrive pour que tu en aies un neuf, tu devrais utiliser celui de ton père !

- Ah oui ? fis-je en essayant de garder un air peu intéressé.

Je pris l'appareil en question. Il était lourd, comme tous les vieux PC de l'époque. S'il pouvait véritablement marcher, ça serait un miracle.

- Super une antiquité ! Je suis super-content, je vais pouvoir faire de la super-archéologie mécanique en le disséquant ! Super !


En vérité, j'étais très excité d'avoir entre mes mains l'ordinateur de mon père, mais je ne pouvais pas montrer ne serait-ce qu'une once de gratitude envers Amélie. Je me fichais totalement qu'il ait appartenu à cet homme que je n'avais jamais connu et que je ne voulais pas connaître. Tout ce qui comptait, c'est que s'il fonctionnait correctement, j'allais pouvoir le revendre et m'en acheter un bien plus perfectionné ! Vu la bête, j'allais forcément trouver un collectionneur sur le web qui allait me le prendre à prix d'or.

Je filai rapidement dans ma chambre, le seul endroit ou je me sentais chez moi. C'était mon petit havre de paix. Les murs étaient couverts de posters SubDigital, Star Wars: Les Derniers Jedis et Le Seigneur des Anneaux, des choses qui dataient de l'époque de mes parents et qui étaient aujourd'hui aussi ringardes qu'elles avaient été grandioses autrefois. J'allumai l'ordinateur, et grimaçai lors de l'apparition du logo Windows 10. C'était encore plus vieux que je ne le pensais ! L'ordinateur ne me demanda pas de mot de passe, ce qui fut étrange étant donné que, selon Amélie, mon père avait été un homme très prudent. Enfin bon, tant mieux pour moi. Le bureau ne contenait que deux dossiers à moitiés vides... alors que la mémoire de l'engin était saturée ! Les fichiers importants avaient dû être camouflés... Impossible de se connecter à internet, les méthodes de connections de la machines n'étaient plus du tout adaptées et tout était beaucoup trop vieux pour que mes connaissances ne me soient d'une quelconque utilité. Au bout de deux heures de recherche, j'arrivais tout de même à dénicher un dossier dénommé : « archives vidéos ». Une seule vidéo très courte m'était accessible, à cause de protection sans doute. Tans, pis, j'allais savoir m'en contenter... pour le moment. Je cliquai sur l'icône, et l'image d'un jeune homme blond apparut sur l'écran.


- Journal de Jérémie Belpois, élève de quatrième au Collège Kadic. 9 octobre...

Jérémie... ? Mon père quand il avait mon âge ?

- Il y a quelques semaines, je cherchais des pièces pour terminer mes petits robots. Impossible d'en trouver dans le coin ! Du coup, je me suis décidé à aller fouiller l'usine désaffectée, pas très loin du collège.

Pourquoi mon père aurait-il gardé une vidéo de lui adolescent, partant à la recherche de pièces pour petits robots ? Ça n'avait aucun sens et aucun intérêt ! Je ne le croyais pas capable d'avoir des activités aussi ridicules. Mais pourtant, je devais admettre que ça m'avait intrigué. La vidéo se bloqua soudainement, et un fichier texte apparut sans que je n'aie eu rien à toucher.


A : Bonjour. Comment vas-tu ?

Était-ce un bot ? Ou quelque chose comme ça ? En tout cas, l'excitation me tenait tout à coup et je m'empressai de répondre.

J : Bonjour. Je vais bien et toi ?

A : Les impressions d'aller bien ou d'aller mal me sont inconnues. Je ne peux par conséquent pas te répondre.

Peut-être que c'était une intelligence artificielle. Ou quelque chose du genre. Je vis que la fenêtre était intitulé « Alpha ». Quel étrange nom...

A : Tu n'es pas Jérémie.

Je tapai rapidement sur le clavier, voulant à tout prix en savoir plus. Cette... personne (?) avait connu mon père.

J : Non. Jérémie est mort.

La réponse mit du temps à apparaître. Alpha ne devait pas s'être préparé à cette réponse.

A : Je me sens... étrange. Comme si un de mes fichiers avait disparu. Est-ce normal ?

J : Oui. C'est de la tristesse.

A : Qu'est-ce que cela veut dire ?

J : Quand on se sent mal, c'est parce qu'on est triste. Et on est triste parce que quelque chose de pas très bien est arrivé.

A : Cette conversation est intéressante, je collecte beaucoup de connaissances. Mais je ne peux me résoudre à parler avec un inconnu. Qui es-tu ?

J'hésitai un instant. Ne risquait-il pas de couper la conversation si je lui dévoilais mon identité ? Autant tenter le tout pour le tout...

J : Je suis le fils de Jérémie.

A : Il m'a souvent parlé de toi. Mais tu es censé être un jeune enfant.

J : C'est normal, personne n'a jamais utilisé cet ordinateur depuis la mort de mon père.

A : Je vois. Est-ce triste aussi ?

J : Tu peux être triste d'avoir été abandonné oui.

L'ordinateur s'éteignit subitement. Plus de batterie sans doute.


- Amélie! Il est où le chargeur ? me mis-je a crier.

- Le quoi ? me répondit-elle depuis la cuisine.

De toute évidence, elle ne savait pas ce que c'était, et elle n'avait pas celui de cet ordinateur... Restant assis sur mon lit, fixant l'écran noir, je commençai à me dire que j'étais vraiment idiot. J'avais eu la possibilité de poser des questions personnelles sur mes parents à cette intelligence artificielle, et je ne l'avais pas fait... Il allait falloir que je trouve un chargeur, et vite ! Mais il pourrait aussi être une idée de visiter l'usine dont parlait mon père dans sa vidéo...

Le lendemain, je fis mon possible pour ne pas m'endormir en cours, ce qui fut bien plus difficile que je ne le pensais. Le repas arriva enfin, et je déjeunai avec Melvin, mon seul ami ici. Le problème, c'était que lui, pour le coup, c'était vraiment un gameur qui ne pensais qu'à jouer, jouer et encore jouer. Nos conversations étaient plutôt vides...


- Et alors que je finissais ma quête, je suis monté niveau 72 !

- C'est... hum... passionnant dis donc Melvin, dis-je sans écouter, en espérant qu'il change de sujet.

« Et toi, t'as pas eu trop de souci à cause de Jean ? »

Je ne touchais pas à mon plat, le regard vide, répondant aux questions de mon ami sans être vraiment là, mon esprit étant resté dans l'ordinateur de la veille. Melvin avait les cheveux roux foncés, ce qui lui avait valu le pseudonyme de Ron, en hommage à la vieille saga culte Harry Potter. Parfois je me disais que si ma vie était un roman, Melvin n'y juste tenu que le rôle du bon copain : assez sympa, mais pas très utile.

- Bof, je suis collé jusqu'à nouvel ordre... avec lui. On va faire des travaux d'intérêts généraux.

- Et bah mon pauvre, je n'aimerais pas être à ta place !

- J'aimerais pas être à la mienne non plus, répondis-je sans sourire.

Une jeune fille s'approcha de notre table, avec un grand sourire.

- Bonjour ! Je peux m'asseoir avec vous ?

Il était vraiment peu habituel que quelqu'un vienne se joindre à notre table, et encore moins une fille.

- Euh... bien sûr, fait comme chez toi » bredouilla «Ron ».

- Désolée de m'incruster, je suis nouvelle, dit elle avec un petit sourire gêné.

C'était une adolescente typique, c'est-à-dire banale. Dotée de longs cheveux blonds, elle portait aussi une jupe rose des plus ordinaires Si je devais la décrire à un ami, j'aurais sans doute utilisé l'expression : « elle est gentille ». Parce que c'était tout ce qui ressortait d'elle. Elle devait être gentille et idiote, point final. Je remarquai alors une espèce de peluche en forme de personnage d'animé japonais qui était accrochée à son sac fuchsia. Sans doute le stéréotype de la fille japan-lover... Je méprisais totalement ce genre de personnes se croyant originales parce qu'elles dessinaient des mangas insipides, comme des centaines d'autres.

- Qu'est ce que tu as bien pu faire pour te retrouver dans cet enfer ? demanda le gros rouquin.

Il était vrai que pour se retrouver à Kadic, il fallait vraiment le chercher. C'était un peu l'établissement de la dernière chance, le dernier endroit où on pouvait être accepté. Les gens ici étaient pour la plupart des cancres, ou des racailles de la pire espèce. Trouver une fille comme elle ici, c'était assez inattendu. La jeune fille réfléchit quelques instants à la question, beaucoup plus qu'il ne serait normalement nécessaire.

- Eh bien... je rêve trop. Je passe mon temps à imaginer des histoires ou à dessiner au lieu de travailler. Ma mère pense que ce n'est pas très bien, ils ont cherché une école plus adaptée, et me voilà ! Oh, mais je ne me suis pas présentée, je m'appelle Ambre, et vous ?

Ah ! J'avais tout juste ! Melvin avait la bouche pleine, c'était donc à moi que revenait la lourde tâche des présentations.

- Moi c'est Antoine. Et lui là c'est Melvin. Mais tu peux l'appeler Ron. Je peux te demander ce qui te pousse à te joindre à deux cas sociaux comme nous ?

J'aurais aimé rajouter « Et à interrompre notre conversation ? » mais je ne pense pas que cela aurait été gentil pour cette pauvre simplette d'esprit.

- Eh bien, les autres personnes ne me parlent pas vraiment ici, personne n'est comme moi. Je me suis dit que ceux qui subissent le même traitement seront sans doute plus sympathiques. Ah, et encore désolé si j'ai coupé votre discussion...

- Non, c'est pas grave. Dis Ron, t'as pas quelqu'un dans ta famille qui s'y connaît en vieille informatique ?

Il finit d'avaler brillamment son déjeuner, avant de me répondre :

- Non désolé. Dans ma famille ils touchent pas du tout à ce genre de truc, me dit-il avant de bailler.

- Antoine, si tu veux je peux... je peux peut-être t'aider, commença Ambre.

Je grognais mentalement à l'idée de laisser cette étrangère toucher à une de mes affaires et ne répondais donc pas. Le reste du temps de midi fut finalement très silencieux, jusqu'à la sonnerie annonçant le début des cours.

Je saluais vaguement Ambre et Ron avant d'enfiler mon sac et de me rendre à ma salle de math. Ce repas n'avait eu que peu d'intérêt de toute façon. J'espérais secrètement que cette Ambre ne revienne pas à notre table. Elle faisait partie de ces gens « normaux » avec qui je n'avais rien à dire. Je tolérais Melvin, parce que dans un sens, lui aussi était un paria. On se moquait de lui à cause de sa grosseur, de sa rousseur et de son côté geek prononcé.

Ce qui était sûr, c'est qu'il ne me restait que trois heures de cours. Ensuite... heure de colle avec Jean. Et ensuite ? Et bien j'allai partir explorer cette fameuse usine.


???


Le sous-directeur avait attendu patiemment la fin de la journée pour se décider. Enfin, pour lui, être patient, c'était trembler de tout son long. Son entretien avec les deux élèves du cours de madame Boulanger l'obsédait. Réussir à effrayer les élèves, c'était quelque chose de vraiment fatiguant et il n'avait pas l'impression que cela ait bien marché avec Jean Schmidt. Un vrai petit rebelle celui là. En temps normal, il l'aurait fait exclure rapidement pour ne pas perdre la face mais il avait fait une découverte beaucoup trop intéressante pour se le permettre. Comment avait-il pu passer à côté de ça ? Le nom de famille aurait dû lui sauter aux yeux !

- Belpois. murmura t-il.

C'était vrai qu'il ressemblait beaucoup à son père. Beaucoup trop à son goût. Il était scolarisé depuis cette année à Kadic, ce qui pouvait expliquer qu'il ne l'ait pas repéré avant. Il retourna rapidement à son bureau, respira un bon coup et composa le numéro de téléphone qu'il n'avait pas osé appeler depuis de très longues années.

- Bonjour monsieur le Directeur, c'est monsieur Poliakoff a l'appareil.

Sa voix tremblait, et le reste de son corps suivit rapidement quand la voix de son interlocuteur se fit entendre.

- Je suis votre sous directeur si vous ne vous en souvenez pas... Oui, à l'ensemble scolaire Kadic...

Il avait tout à coup une envie de raccrocher, mais se retint. Il était un adulte désormais. Un adulte respectable.

- Oui, je sais, je ne dois vous appeler qu'en cas d'urgence, mais j'ai peut-être une information qui vous sera utile... J'ai pour élève cette année un certain Antoine Belpois... Je savais que ça vous intéresserait ! Très bien ! Je vous tiendrai au courant ! Euh non, mon nom est Nicolas...

Le Directeur lui avait donné des instructions très simples : surveillez ce garçon de très près, ne pas prendre d'initiative à son sujet et surtout de le rappeler au moindre comportement... étrange. Pourquoi prendre autant de disposition au sujet d'un seul gamin ? Nicolas Poliakoff souhaitait en son fort intérieur ne jamais connaître la réponse.


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