Jade, l'apprentie humaine

Chapitre 11 : La promesse d'une vie meilleure

4451 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 12/02/2018 15:24

Chapitre 11 : La promesse d'une vie meilleure 



J'étais très troublée. Outre les faits abracadabrants du livre que je venais de refermer, mon opinion de Malphas et Reford, qui n'était déjà pas fameuse, changeait du tout au tout. Étais-je dans le faux ? Pour m'en assurer, il fallait que je voie Nessie au plus vite. Le couvre-feu n'allait pas tarder, mais dans tous les cas, j'étais consigné dans ma chambre jusqu'à nouvel ordre. Il attendrait sûrement que je dorme pour arrêter de me surveiller. A ce moment-là, je pourrais donc sortir librement. Soudain, j'entendis des coups secs contre ma porte.  


— Je peux rentrer ? 


C'était la voix de Reford. Je m'approchai de la porte, la main sur la poignée. 


— Non. Si tu veux me parler, il va falloir le faire de là où tu es ? 


Je crus entendre un soupir désabusé. Après un court moment de silence, il se lança. 


— Tu as fait une grosse erreur en protégeant ces filles.  

— Ça aurait dû être à Malphas de le faire ! Répliquai-je du tac-au-tac. Il est vexé que je lui aie piquer son job ?  

— Comment ça ? Tu n'as que quelques jours d'existence, tu ne sais rien de ce qu'un parent doit à son enfant !  

— Tu as vu comment il traite les autres ? Si encore, ils les traitaient tous comme de la merde, j'aurais pas tilté, mais là je trouve ça injuste !  

— Et si elles n'étaient pas ses filles, t'y as pensé à ça ? 


J'ouvris la bouche, mais je n'avais rien à répondre. Ça expliquerait beaucoup de choses, en effet. Mais à mes yeux, cela ne pardonnerait pas ses actes. 

— Qui sont-elles, Reford ? Lui demandai-je d'un ton autoritaire. Je veux la vérité. 

— Ce sont des esclaves, cracha-t-il dédaigneusement. Ils sont au service du maître qui les as achetés et ne servent qu'à suivre ses ordres. Voilà ce qu'elles sont.


Leur corps appartient à leur maître. Elles n'ont même pas un statut d'humain, mais d'objet.  

Je ne dis rien. Je devais assimiler toutes ces informations d'un coup. Voyant que je ne répondais pas, il continua.  


— Voilà ce que tu as protégé ce soir. Les punitions font partie de leur quotidien ! C'est pour qu'elles se perfectionnent dans leur vie future ! Sinon, comment veut-tu qu'elles apprennent !  

— Tu parles comme si tu étais l'un des leurs... murmurai-je rageusement, les poings serrés. 

— Qu'est-ce que tu dis... ? S'enquit-il. 

— Nous aussi, nous étions des objets, Reford. Nous n'avions pas de nom, rien qu'un statut et une mission : protéger le village de Tyrène de l'envahisseur. Toi en tant que sorcier, et moi en tant qu'archère. Mais Malphas nous en as extirpé pour nous promettre une vie meilleure ! Nous pourrions être humains, et arrêter d'être utilisé comme de la chair à élixirs ! Et il n'a pas eu besoin de nous punir pour nous apprendre.  

— Enfin, tu ne comp... 

— Mais tu sais ce qui m'étonne le plus ? Je suis née en tant qu'objet, et j'essaye par tous les moyens de devenir humaines, tandis que deux humaines que j'apprécie sont rabaissés au statut d'objet... au nom de quoi ?! Quel est-ce monde dans lequel je vis ? Hein, Reford ? Où est la logique ? Qui décide de quoi ?! Je pensais que tout le monde avait le droit de suivre ce qu'il avait envie de faire ! 

— Mais enfin... c'est le cas, archère ! 

— Je ne m'appelle pas comme ça ! Hurlai-je en frappant du poing contre la porte.  

— Ecoute, calme-toi, d'accord, chuchota-t-il d'un air affairé. Ce monde est bizarre, tu comprends ?Les humains sont étranges, c'est vrai ! Ils... Ils font tout et leur contraire, et... sont persuadés d'être dans le vrai à chaque instant parce que s'ils y croient, c'est que c'est vrai, hein ? Ajouta-t-il ironiquement. Mais regarde ce que ça t'apporte d'aller contre le courant. Désormais, tu es bloquée dans cette chambre, et Maître Malphas est en colère contre toi.  

— Mais toi et moi, Reford, est-ce qu'on n'est pas justement deux choses qui vont à contre-courant ? Lui demandai-je rageusement à voix basse. On n'était pas censé avoir une espérance de vie aussi longue ? On n'était pas censé manger toutes ces choses, en apprécier le goût, rigoler, s'ennuyer, ou même se parler ! Aller à contre-courant nous as permis de nous libérer... ! 

— Mais ce sont des humains qui nous ont aidés, lâcha-t-il furieusement en tapant contre le battant de la porte. C'est grâce à eux qu'ont a pu... élever notre rang, tu comprends ? Mais toi, en défiant Malphas, tu te rebelles contre les humains, contre ceux qui t'ont sauvé ! Et n'aie pas la simplicité d'esprit de penser que tu as la moindre chance, ou que ça t'apportera quelque chose. Au lieu de ça, contente-toi de te taire, d'apprendre et d'écouter ! Tout ce qui sort de la bouche d'une inexpérimentée dans ton genre n'a aucun intérêt ! 


Dans un sens, il avait raison. Même si je trouvais ma cause noble, il n'y avait pratiquement aucune chance qu'elle aboutisse. Cependant, je me rappellerais toujours qu'en décidant de me rebeller, j'avais cessé d'être un objet de l'armée de Thyrène pour peu à peu devenir humaine... C'est en ayant le cran de se surpasser qu'on faisait changer les choses. Et je ne comptais pas laisser les choses tel quel.  


— Tu sais quoi ? Ok ! Je vais me taire ! Je vais me taire à tout jamais et tu n'entendras plus jamais ma voix, voilà ! 

— Parfait ! C'est mieux comme ça ! 

— Oui, c'est beaucoup mieux comme ça ! 

— Très bien !  

— Parfait ! 

— Reford, tonna la voix de Malphas depuis l'étage du dessus. 

— Allez, va rejoindre ton maître, petit toutou ! Ricanai-je. 


Il grogna de colère, mais ne relança pas de peur qu'on se lance dans une autre dispute, et s'en alla. La joie de l'avoir énervé fut bien éphémère, et je me mis à faire les cent pas dans ma chambre, ressassant l'histoire dans ma tête. Celle d'une famille attaquée dont seules deux jeunes filles survivent...  

Il fut bientôt minuit, et il n'y avait plus un bruit depuis un peu moins d'une heure. C'était le moment pour la fille entêtée que j'étais d'obtenir des réponses. Je me dirigeai vers la porte, le livre sous le bras. La poignée était fermée, mais ce ne fut un problème que quelques secondes. Je forçais le passage aisément de ma main gauche, cassant le mécanisme censé me garder enfermée ici. Peut-être était-ce dû au fait que je n'étais pas humaine. Cela me fit penser que j'avais sûrement une force supérieure à eux... !


Ce détail, inutile sur le moment, allait m'aider dans quelques jours. A tâtons, je marchai dans le couloir, la main caressant la paroi du mur, attendant d'avoir dépassé trois battant pour frapper légèrement à la porte. 


— Jade... ! Chuchota une voix dans l'ombre. Vite, entre ! 

— Il ne t'a rien fait j'espère ? M'enquis-je, inquiète.  

— Rien d'important. Pourquoi tu es venue ? Tu ne devrais pas t'inquiéter pour nous.  

— Où est ta sœur ? Elle va bien ? 

— Je ne sais pas. Ecoute, Jade, on ne va t'attirer que des problèmes, c'était une très mauvaise idée de rester ensemble comme ça... ! 

— Pourquoi donc ? Vous n'avez pas aimé ça ? 

— Si, bien sûr, mais...  

— Eh bien alors, ce n'est pas Malphas qui nous empêchera d'être amies, n'est-ce-pas ? 


Elle alluma une bougie et s'assit à côté de moi sur le lit. 


— Tu sais, les choses ne sont pas aussi... Qu'est-ce que tu tiens dans tes mains ? 


Je mis le livre sur ses genoux. Elle le regarda, puis détourna le regard vers moi, les yeux écarquillés de stupeur.  


— Ce n'est pas qu'une simple histoire, n'est-ce-pas ? Lui demandai-je précipitamment. J'ai eu comme l'impression... que c'était votre histoire. A toi et ta sœur... Je me trompe ? 


Son air ravi m'en dissuada. 


— Je savais qu'il fallait qu'on tente le coup ! S'exclama-t-elle. Ariane n'y croyait pas avec le dernier essai infructueux... ! 

— Le dernier essai... ? 

— Je vais t'expliquer.  


Elle éteignit la bougie, et l'invita à se réfugier avec elle sous la couette. Il y régnait une atmosphère étouffante et il faisait chaud. Je dus maintes fois mettre mon nez à l'air pour respirer un peu, mais au moins nous étions à l'abri si quelqu'un décidait d'entrer impunément.  


— Comme tu l'as compris, moi et ma sœur ne sommes pas les enfants de Malphas. Nous avons été enlevés à notre famille lorsque nous n'étions que de petites filles, par des hommes qui ont attaqués notre village. Ces hommes venaient d'ici, et ils nous ont ramenés pour nous vendre en tant qu'esclave. Nous avions huit ans au moment de l'attaque, et nous en avons dix-huit maintenant.  

— Thyrène à attaquer votre village ? Mais pourquoi donc ? 

— Pour voler nos ressources et récupérer de la main d'œuvre ! C'est comme ça qu'ils s'enrichissent, et c'est-ce qui fait que ce village est l'un des plus puissants aux horizons ! 

— Mais ce n'est pas ce que Dana m'a dit... Elle disait qu'on se battait contre ceux qui nous attaquaient, pour défendre notre village... Pas pour en piller d'autres afin d'être mieux lotis ! 

— Elle a menti. Les humains mentent, Jade, souviens-t-en. 

— Mais tu es humaine... 

— Je suis ton amie, c'est différent, répliqua-t-elle. Ne croie que ceux en qui tu crois.  

— Je te crois, décrétai-je. Malphas est donc un homme vilain.  

— Oui. Cela fait dix ans que nous le servons sans jamais qu'il nous est montré ne serait-ce qu'un signe d'affection. Il préfère nous battre sans raison après une mauvaise journée... 


Je me mis à ruminer si furieusement contre cet honteux personnage que je ne dis rien pendant une bonne minute. J'avais découvert, il y a quelques jours, qu'il était à l'origine de l'attaque de Gobelins qui avait mis Thyrène à feu et à sang, cela rien que pour sauver quelques troupes. Il s'était allié avec cette sale engeance pour un plan qui n'avait même pas marché, mais en plus c'était un homme violent et irrespectueux. Il était temps que je lui donne une bonne leçon.  


— Moi et ma sœur, nous ne sommes pas assez puissants pour tenir tête au Père Malphas, ainsi que toutes ses femmes, et toutes ses filles en même temps. Mais nous étions déterminés à nous en aller le plus rapidement possible. Alors, lorsque Reford est arrivé pour la première fois ici, nous n'avons pas hésité. Nous lui avons parlé en secret et avons demandé son aide pour nous échapper. 

— Qu'a-t-il répondu ? M'enquis-je, pendue à ses lèvres. 

— Il nous as dit de ne plus jamais essayé de le contacter et de rester à notre rang d'esclave., sinon il préviendrait le père Malphas.  

— Cet imbécile... !  

— Quelques semaines plus tard, c'est toi qui est venu, et à ce moment-là, on s'est dit qu'un livre pourrait faire passer le message plus discrètement. Peut-être Reford avait-il refusé de peur qu'on le voie avec nous... 

— Il a refusé parce que c'est un lâche. Lui et Reford vont payer, parce que moi, je vais tout faire pour vous sortir de là ! 

— Et nous t'en remercions beaucoup. Mais pour cela, il nous faudra un plan... 


Nous parlâmes encore longtemps, les bâillements s'insérant de plus en plus dans nos longs monologues, jusqu'à tomber sur un accord : le jour du départ du Roi de Thyrène et de la Reine des Archers était le moment idéal pour prendre la poudre d'escampette. Tout le village serait dehors, les esclaves compris, pour saluer les illustres personnages qui prendrait l'allée principale, de l'Hôtel de Ville jusqu'à la sortie. Une fois dehors, il leur faudrait une diversion suffisante pour s'éclipser. Pour organiser cela, je me voyais dans l'obligation d'accepter la proposition de Malphas, qui était de se joindre à lui et Reford pour libérer des troupes armées le même jour. Je m'étais montré réticente, de peur de le voir utiliser une stratégie un peu trop sanglante. Mais, si je savais tous ce qu'il prévoyait de faire ce jour-là, je pourrais parler en parallèle avec les jumelles pour créer un plan qui nous permettrait de partir sans encombre.  


— Allez, va te reposer maintenant, m'ordonna une énième fois Diane. Demain, tu devras te lever tôt pour annoncer à Malphas que tu acceptes sa proposition. A partir de là, nous trouverons des moyens de communiquer entre nous. 

— Et Ariane ? Quand sortira-t-elle ? 

— Elle ira bien, me rassura-t-elle. Allez ! 


Le tremblement dans sa voix me serra le cœur. Elle s'inquiétait pour sa sœur, et c'était forcément pour une bonne raison... ! Mais je ne devais pas faire quelque chose d'insensé maintenant. Mes actes étaient désormais très importants et détermineraient nos futurs à toutes les trois. Je décidai donc de prendre mon mal en patience et sortit à contre-cœur de la chambre.  


— On va s'en sortir ! Lui murmurai-je avant de sortir. J'en suis sûre.  


Elle ne répondit pas, mais j'espérais au moins l'avoir fait sourire d'espoir.  


Le lendemain, je dus m'excuser auprès de Malphas pour le non-respect dont j'avais fait preuve, ainsi que devant ses filles et ses femmes pour le spectacle inutile de la veille. C'était le pire moment de ma vie à ce moment. Je serrais tellement les dents que j'en avais mal à la bouche toute la fin de matinée. Immédiatement, le vieil homme m'emmena dans son bureau, avec Reford, qui était habillé de son classique uniforme de sorcier. Apparemment, leur plan était aussi évasive que le mien et celui des jumelles pour s'échapper, ce qui me fit quelque peu frissonner d'effroi. Mais apparemment, Malphas avait la conviction de sauver des milliers de troupes armées ce jour-là, qu'il cacherait je ne sais où... ! 


Les jours suivants furent essentiellement constitués de sorties dehors pour quadriller les parties u village qu'il nous faudrait connaître par cœur. Avec Reford, nous allions aussi demander le maximum d'informations aux gardes qui avaient la langue bien pendue, ennuyés à force de rester adossés contre les parois, du village, regardant les paupières lourdes, les va et vient des chars de commerce. 

Une semaine plus tard, alors que je rentrais tard de ma ronde, Malphas m'invita dans son bureau. Ce soir-là, j'avais mon habituel robe d'archère, avec par-dessus une cape beige foncé et déchirée vers le bas. Mes pieds nus étaient endoloris à force de déambuler dans les rues de Thyrène, et je m'assis à la table du vieil homme sans même demander dans une grimace de douleur.  


— Tu... euh, vous vouliez me parler ? 

— En effet. Tiens, bois donc un peu, tu m'en diras des nouvelles. 

— Qu'est-ce que c'est ? Demandai-je en attrapant l'échoppe qu'il me donna. 

— Du cidre doux, un vrai régal.  


Il voulait m'empoisonner ce vieux débris ou quoi ? M'enquis-je intérieurement. J'engloutis timidement une petite gorgée. A ma grande surprise, je trouvais cela sucré.  


— Alors ?  

— Pas mal, me contentais-je de répondre en reposant l'échoppe sur la table. Que vouliez-vous me dire ? 

— Hé bien, je suis ravie de ton changement de comportement cette dernière semaine, chère arch... euh, Jade ! Tu t'es vraiment assagie, et je ne te vois plus tourner autour de ces deux impertinentes. J'ai pourtant longtemps eu peur que ton attitude soit factice. Mais, tu vois, je suis quelqu'un de très suspicieux, et j'ai besoin de preuve pour être complètement sûr que tu es de mon côté.  


Il se leva lentement, son échoppe toujours à la main, et alla vers un coin de la pièce. Là, il poussa la porte déjà entrouverte. Et tira sur une corde. Au bout, deux personnes que je connaissais bien suivaient tant bien que mal : c'était les jumelles ! Diana semblait en forme, si ce n'est un bleu qu'elle avait sur le front. Mais Ariane, que je voyais pour la première fois depuis une semaine, était quasi-méconnaissable.  

Son visage était couvert de sang séché. Elle avait un œil au beurre noir et une lèvre enflée. Ses vêtements d'habitude sales étaient aussi ensanglantés par endroits, ou déchirés. Elle tremblait de peur ou de douleur, le regard fixé au sol. Sa sœur n'en menait pas large non plus. Quant à moi, j'étais frappé d'horreur, la mâchoire pendante, le cœur battant. 


— Qu'avez-vous fait... ? Murmurai-je, trop bas pour qu'il puisse entendre. 

— J'ai concocté une petite épreuve pour toi.  


Il sortit un petit poignard de son bureau, puis une grosse épée de barbares, et se dirigea vers moi. Il me tendit le couteau, et me plaça en face des jumelles. Mes yeux s'embuèrent, mais je ne sais si c'était de larmes de tristesse ou de colère. Du haut de ma petite taille, j'essayais de capter le regard des deux sœurs, en recherche de réponses, mais ces derniers étaient emplis de peur. 


— Tu m'as dit avoir bien compris qu'elles n'étaient que des meubles, n'est-ce-pas ? Des esclaves, des objets, des moins que rien bons à faire le ménage tout au plus, pas vrai ? Eh bien, continua-t-il, voyant que je ne répondais pas, j'aimerais que tu coupe le bras de l'une d'elle pour me prouver ton allégeance à ma cause.  


De surprise, je laissai tomber le couteau sur le sol. Mon regard devint soudainement vitreux. Pendant une poignée de secondes, mon cerveau tourna à toute vitesse, mais je ne rappelais rien de ce que j'avais pu penser pendant ce court laps de temps. Toujours est-il qu'une fois la surprise passée, j'avais l'impression de me réveiller d'un long sommeil, dans un univers inconnu, dans une scène incompréhensible.  


— Si tu ne le fais, pas, je te couperais la tête, ajouta-t-il sur le ton de la discussion en levant son épée. Ou bien je la couperais à l'une des jumelles, tiens... 


Je suis bloquée, geignis-je, désespérée. Que pouvais-je faire ? En fait, j'aurais pu riposter. Me baisser pour ramasser mon poignard, pour trancher profondément la cuisse de ce vieillard, avant de lui planter entre les deux yeux. Ensuite, je prendrais les deux sœurs avec moi, et nous nous échapperons. Mais, Diane m'avait dit maintes fois que la vieillesse de Malphas n'avait égale que sa force. Lui était au courant de la mienne, et fort de ce savoir, prenait quand même le risque de me donner une arme. Il connaissait donc les risques, et savait sûrement comment y réagir... De plus, j'aurais à combattre Reford, ainsi que son armée de femmes et de filles... 


— Coupe le moi, Jade, ce n'est rien... murmura Diane.  


Elle voulait protéger sa sœur déjà mal en point. En effet, j'eus l'impression qu'une simple blessure de plus sur le corps d'Ariane aurait été celui de trop... ! Diane, en comparaison, n'avait rien, mais quand même; couper un bras... 


— Je ne peux pas... Je... Je préfère mourir... ! 

— Non, enfin, Jade ! S'écria Diane. Il repoussera ! Mon bras repoussera !  

— C'est vrai ?! M'enquis-je, bouche bée.  

 — Bien sûr... répondit-il, la voix brisée, alors que des larmes coulaient sur ses joues.  


Nos regards se croisèrent, s'entre croisèrent. Je voyais en elle, et elle voyait en moi. Et à ce moment, je sus qu'elle mentait. Je n'aurais jamais dû le savoir. Mais le lien qui nous unissait était trop fort pour qu'un mensonge aussi gros puisse passer entre nous, et ce même si j'avais encore tout à apprendre. A la manière d'un enfant qui comprend que sa mère lui ment quand elle lui dit tout va bien alors qu'il sait qu'elle va mal, j'avais réussi à percevoir la peur et le désespoir réelle dans le cœur de mon amie. Elles ne voulaient pas que je meure, et moi non plus. Mais Malphas ne devait pas mourir non plus. Alors, il n'y avait plus qu'une seule solution  

Je feignis l'évanouissement.  


Immédiatement, j'entendis le vieillard paniquer. Il envoya balader Diana et Ariane, puis me porta et hurla le nom de Reford. Alors ils se mirent tous les deux à paniquer, et coururent quelque part, avant de me poser sur un lit plusieurs minutes plus tard. Ils avaient complètement oubliés mes amies, et j'en fus tellement soulagée, et j'étais tellement fatiguée, que je tombai peu à peu dans les bras de Morphée, tandis qu'autour de moi, Reford et Malphas s'activaient en vain pour tenter de me sauver. Mais malgré mon apaisement, je n'oubliai pas la haine que je tenais à l'égard du maître de maison. Je laissai cette rage froidement fermenter, pour la laisser exploser le moment venu. D'une voix calme et enfantine, presque innocente, je formulai une promesse dans ma tête : 


"Je te tuerai". 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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