Jade, l'apprentie humaine
Chapitre 10 : Les sœurs Keller
Je me trouvais dans le grenier, un gros livre sur mes jambes en tailleur, un coude posé sur une page du livre, et ma tête soutenue par mon poing fermé. La faible lueur de la lanterne éclairait faiblement la pièce d'une couleur chaude qui vous faisait rapidement somnoler, particulièrement lorsque vous commenciez à lire des pavés dont vous compreniez à peine le quart de mots.
Nous revenions tout juste, moi et Reford, de notre mission. Les filles étaient de retour (cela s'entendait... !) et Malphas était aux anges. Moi qui pensait m'entendre avec ces dernières, je m'étais largement trompée... !
Tout d'abord, en voyant le char s'arrêter devant moi, je vis qu'elles étaient richement habillées. Elles étaient toutes séduisantes, voire sexy, mettant en valeur leurs attributs. Elle semblait faire tâche dans le décor tant elles étaient belles. Reford m'expliqua que c'était dû à une prouesse qu'on pouvait seulement voir dans un village loin d'ici, dans lequel les filles avaient passés leurs études : a priori, il existait des poudres secrètes et autres ingrédients qui, appliqués sur le visage, rendait tout le monde plus beau. "Mais elle n'ont n'en pas besoin", avait précisé le sorcier, le regard bêtement fixé sur leur silhouette.
Après l'avoir chaleureusement embrassé, elles me lancèrent un froid salut, et posèrent au sorcier milles et unes questions sur moi, plus ou moins déplacés. Dans le même temps, elles commencèrent à faire un scandale parce qu'elles avaient achetés des chaussures toutes neuves et qu'elles étaient obligés de rentrer à pied à la maison alors qu'autour d'elles, les chars ne semblaient pas manquer. Le sorcier tenta de les calmer tant bien que mal, mais rien n'y fit. Je voyais bien aux regards que nous aimantions qu'elles n'énervaient pas que moi.
Ensuite, elles commencèrent à se moquer de mes habits, de ma coupe, et surtout du fait que je marchais pieds-nus.
"— On dirait ces sauvages qui vivent dans des contrées reculées et qu'on ne voit que rarement, avait piaillé l'une d'elle.
— C'est de là qu'elle vient ?! avait demandé une autre, surexcitée. "
Reford eut du mal à trouver un mensonge potable, mais force est de constater que ces filles l'avalèrent sans broncher, lorsqu'il leur dit que j'étais une des cousines éloignées de Malphas
Je haïssais tout chez elles. Leurs rires piaillant, leurs fausses manières, leurs regards arrogants, leurs habits ridiculement fournis en accessoires inutiles. Elles avaient de la chance d'être la fille d'un homme à qui je devais la vie... !
Pour me calmer, et échapper à leurs voix criardes qui faisaient vibrer le plancher sur lequel j'étais couchée, je m'étais refugiée au grenier, ouvrant au hasard une dizaines de livres. Je ne le savais pas encore, mais celui que j'avais sur les genoux était une sorte d'annuaire. Etaient marqués en ligne les noms et prénoms, ainsi que les adresses de leur correspondant. Je regardais avec envie chacun d'eux, jalouse de la chance qu'ils avaient d'être nés humains.
Alban, Cunégonde, Cyrielle, Ermeline, Perceval, Nestor, Roland... J'en voyais des dizaines et des dizaines défiler sous mes yeux, et je décidai que j'allais en choisir un dans le lot qui m'appartiendrait. Pourquoi pas... Baudoin ?
Soudain, j'entendis (mais ne vit pas) la trappe du grenier s'ouvrir. Ce dernier était un dédale dont les murs étaient constitués de bibelots et de livres en tous genres. Et on y entrait par le toit à l'aide d'une échelle. Je me demandais bien qui avait pu entrer... Sûrement Reford me cherchait-il ? Je reportai l'attention sur mon bouquin, mais une fraction de secondes plus tard, j'entendais une discussion chuchotée, avec une pointe d'excitation dans la voix, voix que je pensais connaître...
— Tu n'as pas oublié les dés, j'espère ?
— Comment aurais-je pu, Ariane ?
— Eh bien, tu es un peu tête en l'air quand même...
— Oh !
Je vis alors au détour d'un mur de livres, une lueur rouge apparaître petit à petit dans l'obscurité, jusqu'à voir apparaître les deux jumelles, Diana et Ariane Keller. Elles portaient toujours leur longue robe sale qui leur servaient à s'essuyer les mains. La première avait une seule et longue tresse dans le dos, à la différence de sa sœur qui en avaient deux légèrement plus courtes. C'est Malphas qui leur ordonnait de faire cela pour le reconnaître, je l'avais entendu hurler cela la veille.
Nos regards se croisâmes dans un silence seulement troublé par les piaillements étouffés des cinq chipies à l'étage du dessous.
— Oups... Pardon si on dérange...
— Non non, c'est bon, répondit-je d'un ton neutre, les fixant avec autant de tact qu'un hibou.
— Heu... Est-ce que... enfin, pourrais-tu ne pas dire à Malphas que tu nous as vu ici... s'il te plaît ?
— On t'en sera vraiment reconnaissante ! Renchérit Diana en hochant gravement la tête.
— Pas de problème, leur dis-je en haussant les épaules. Vous êtes ici chez vous.
Manifestement, elles semblaient se réjouir de mon indifférence. Elles se couchèrent alors par terre après m'avoir remercié, prenant appui sur leurs coudes. Nessie sortit deux carrés blancs aux points noirs de sous sa robe (que j'identifierais plus tard comme étant des dés), et clama :
— Je commence !
Et elle lança les dés.
— Oh ! Six ! J'ai eu de la chance !
— A moi... Quatre. Hum... Est-ce que je retente... ? Non, vaut mieux pas. Ok, à ton tour.
— Oh ! J'ai fait deux. Je retente... Trois. Ça me fait en tout... onze. Onze à quatre, Ronnie !
— Attends de voir... !
Je n'y comprenais absolument rien. Elles continuèrent pendant une bonne dizaine de minutes, de plus en plus excité au fur et à mesure que les chiffres montaient. J'essayai de me concentrer sur la lecture du livre, mais je ne pouvais détourner mes yeux de ce jeu dont les règles m'échappaient. En tout cas, elles s'arrêtèrent au bout d'un moment. Ariane avait gagné. Et elles s'en allèrent aussi vite qu'elles étaient entrées.
Le lendemain, je montai au grenier à la même heure, espérant secrètement que je pourrais de nouveau observer le jeu des jumelles. De plus, je voulais échapper à Malphas et ses filles infernales. Par ailleurs, voir Reford se mettre en quatre pour les satisfaire m'irritait au plus haut point. Cette fois, elles me sondèrent d'un regard timide pour savoir si elles pouvaient s'incruster, avant de recommencer leur jeu de dés.
Finalement, je me rendis compte que ce n'était pas tant les règles qui m'intéressait, mais surtout de savoir ce qui les rendait aussi heureuses. J'étais touchée de voir autant de joie, mais je n'en comprenais nullement la cause. Je me sentais comme... comme une personne sans jambe qui cherchait à comprendre ce qu'on pouvait éprouver en courant...
Une femme sans cœur qui ne cherchait qu'à partager leur sentiment...
C'est encore Ariane qui gagna, au grand dam de sa sœur.
Le soir même, je fis de nouveau des rêves bizarres. Quelque fois, j'étais en train de marcher dans une vallée. Puis brusquement à une vitesse que je n'oserais imaginer, je me retrouvais propulser dans le ciel, à la merci des vents surpuissants qui y habitaient. Ou alors, j'étais dans une prairie en feu, et des hommes habillés en noir nous attaquaient. Je ne comprenais pas pourquoi... Il m'arrivait aussi de rêver de Dana. Elle nous prenait par le col, et nous hurlait dans les oreilles d'une voix qui faisait vibrer le ciel lui-même, nous, les troupes. Elle nous insultait d'hérétiques, de déserteur... Et puis, aussi curieux que cela puisse paraître, je rêvais de notre Roi.
J'étais dans une chambre luxueuse, couchée sur un lit, les bras attachés à ce dernier. Quant au Roi, il était debout devant moi, un sourire malsain sur les lèvres. Je le voyais alors remonter doucement ma jupe. A chaque fois je me mettais à crier, et à chaque fois le rêve s'arrêtait brusquement. Quelle était donc la signification de ces rêves... Reford me disait que ce n'était que des songes, des hallucinations visuel bégnines signe de l'activité de mon cerveau encore nouveau-né, mais ça avait l'air tellement réel...!
Le lendemain, j'attendais dans le grenier, sans livre, en tailleur et les bras croisés. Dès que les jumelles se présenteraient, je leur demanderais si elles voulaient bien m'intégrer à leur jeu... Je n'attendis pas longtemps. Mais ce fut bien plus dur que prévu de leur demander. Je les vis se mettre à terre, tandis que Diana sortait les dés de sa robe, et elles commencèrent à jouer.
Mon cœur battait la chamade. Mes mains étaient moites, ma gorge nouée. Et si elle me recalait ? Oh, la honte... ! Et si je n'étais pas capable de rire avec elle ? J'instaurerais un malaise, non ?
— Tu veux jouer ?
Je fus brusquement arracher à mes pensées par une voix innocente. Je regardais Diana, ébahie. Comment savait-elle ?
— Heu... Oui. Oui, je veux, répondis-je avidement, ne voulant pas rater ma chance. Mais je ne connais pas les règles...
— Ne t'inquiète pas, on va t'expliquer... Regarde, ici, on a deux dès qu'on se donne, chacun à son tour...
Finalement, c'était un jeu on peut plus simple. Il suffisait de lancer deux dés. Si la somme des deux était égale ou supérieur à sept, on n'avait zéro. Dans le cas contraire, on gagnait des points. Et on pouvait rejouer autant que l'on voulait. Mais si on rejouait, et qu'on avait plus de sept, on retombait à nouveau à zéro. Généralement, valait mieux jouer une fois et passer les dés, non sans avoir remercier sa bonne étoile d'avoir eu de la fortune. Le premier arrivé à cent ou plus avait gagné.
Le hic, dans ce jeu simplissime, c'est que le perdant avait ce que l'on appelait un gage choisi par le gagnant. Et en l'occurrence, étant donné que nous étions trois, il y avait deux perdants. Cela rajoutait un piquant qui faisait que chaque lancé de dés se faisait avec une tension palpable. Je me surpris à crier de joie quand l'une des jumelles faisaient zéro, espérant que j'en profiterais pour rattraper mon retard. Je me surpris à grogner, à soupirer, à jubiler. Mais ce que j'aimais le plus, c'était les regards complices que nous nous échangions. Des parties comme celle-ci, j'en ais fait d'autres, mais celle-là garderait pour toujours une place particulière dans mon cœur, encore aujourd'hui. Je donnerais tout l'or du monde, même des années de ma vie, pour revivre ce moment...
Finalement, je fus deuxième et Ariane gagnante, encore une fois.
— Alors Diana, quelle sera ton gage ? chantonnait Ariana en balançant sa tête de droite à gauche. Tu devras... cacher les chaussons de Malphas ! Ah, en voila une idée !
— Oh non... Il va encore s'exciter comme la dernière fois !
— Il faudra courir vite, renchérit sa sœur avec un petit rire.
— Je pourrais venir ? M'écriais-je.
— Oui, bien sûr. Mais... il ne faut pas parler de ces gages à Malphas... sinon...
La terreur voilèrent leur regards. Ce n'était pas une menace à mon encontre, mais plus comme une requête pour leur propre survie. Je hochai la tête sans hésiter.
— Bon alors, quelle sera ton gage à toi...
— Pas trop dur pour le début, conseilla Nessie.
— Non, je m'en fiche, répliquais-je avec un sourire. D'ailleurs, j'en ai un que je pensais vous donner... ! Ecoutez...
Deux heures plus tard, j'étais dans le salon et les jumelles dans la cuisine. Malphas était debout, dos à nous et contre la cheminée, regardant intensément la couverture d'un livre. C'était le moment. De sous ma robe, je sortis une flèche de mon arc. Je jetai un regard aux deux sœurs qui pouffaient déjà de rire dans leur robe. Je dus me mordre les lèvres pour ne pas me faire repérer et reporter mon attention sur le derrière du maître. Puis, d'un coup sec et précis, je tranchai la ceinture de Malphas avec le bout de l'arc, avant de cacher cette dernière et de m'asseoir.
Son pantalon beige tomba immédiatement au niveau de ses chaussons, découvrant ses épaisses jambes poilu avec un derrière était de la même pilosité. Je ne pus m'empêcher de partir d'un grand rire, me tenant les côtes. J'entendis aussi les rires étouffés de mes deux nouvelles amies dans leur robe. Malphas cacha ses parties de devant, infiniment gêné. Ses joues devinrent rouges, jurant furieusement avec ses cheveux et sa moustache blanche.
— Qu'est-ce qui vous fait rire ? lança-t-il d'un ton autoritaire et sans équivoque à ses filles.
— Rien père, excusez-nous, réussit à dire Ariane, avec une pointe d'hilarité que je perçus dans sa voix.
A partir de cet instant, nous sommes devenues amis. Ce gage que je m'étais auto-dédié, c'était comme un bizutage avant de rentrer dans un groupe. A leurs yeux comme aux miens, j'étais désormais plus qu'un invité spécial de Malphas. J'étais leur compagnon de jeu. Nous partagions au moins un secret en commun, et nous avions eu un fou rire ensemble. Les "conditions" étaient réunis.
Le lendemain, alors que nous jouions, Ariane m'appela logiquement archère, étant donné que je n'avais aucun nom, ce qui me fit tilter.
—Non !
— Pardon ?
— Je ne m'appelle pas archère...
— Ah bon ?! Oh, toute mes excuses, je ne savais pas... Comment t'appelles-tu ?
— Je... Je ne sais pas...
Les deux sœurs se regardèrent d'un air surpris qu'elles essayèrent de dissimuler au mieux.
— En fait, j'aimerais avoir un vrai nom. Mais, je n'arrive pas à en trouver un bon...
— Oh... je vois, murmura Diana en lançant ses dés. Que dirais-tu qu'on essaya d'en trouver un ensemble pendant que l'on joue ?
Ni une ni deux, quelques secondes plus tard, nous empilions deux jeux à la fois. Me trouver un nom, et arriver à 100 en lançant les dés.
— Je pense que Christie existe... ?
— Pourquoi pas Cunégonde ?
— J'y avais pensé, mais c'est trop long... répondis-je.
— Aimée ?
— Chloée ?
— J'avais pensé à Roland aussi !
— Ah non, ça c'est un nom d'homme... !
— Ah... !
Cela nous prit pas mal de temps. Mais alors que moi et Diana étions bien partis pour perdre une nouvelle fois, cette dernière pensa à quelque chose.
— Pourquoi pas Jade ?
— Jade ? m'enquis-je, perplexe.
— Oh oui ! S'écria sa sœur. C'est le nom d'une pierre précieuse. Elles sont très solides. Et vu que tu es une guerrière, ça te sied parfaitement !
— Jade... répétais-je avec un vague sourire.
— C'est simple et net, mais aussi joli.
— Je le prends !
— C'est vrai ? s'écrièrent-elles, toute contente.
— Oui, je l'aime beaucoup !
Jade... Jade, Jade, Jade, Jade... Je ne cessais de me répéter ce prénom encore et encore, l'adoptant à chaque fois un peu plus. Jade... Un prénom trouvé par mes deux seules et meilleures amies. Quoi de mieux comme symbole ? Je leur devais bien plus que quelques heures guillerettes dans mon existence... Ne restait plus qu'à choisir mon nom de famille. Les jumelles me conseillèrent de prendre celui de Malphas, Lisidior... Mais j'avais encore envie de réfléchir.
Deux jours plus tard, les jumelles ne vinrent pas. Sûrement en avaient-elles marres de jouer à ce jeu... ? En tout cas, je décidai de rester dans le grenier et de continuer mon étude. Plus que les noms, j'apprenais des choses sur la physionomie humaine. Mon vocabulaire progressait de manière exponentielle.
Soudain, je décidai de m'arrêter et prit un autre bouquin concernant la détention d'objet et comment en prendre soin. Je descendis une heure plus tard, deux énormes livres sur les bras, épuisée. Au-dehors, il venait tout juste de s'arrêter de pleuvoir. Je fis attention de ne pas glisser en marchant sur le toit, me dirigeant vers l'échelle. Quelques secondes plus tard, j'ouvrais la porte de derrière d'un grand coup de pied et rentrait en salissant la sol fraîchement nettoyé dans ma grande maladresse.
Heureusement, Malphas ne s'en rendit pas compte. En fait, il était dans le salon, occupé à crier plus fort que d'habitude. Il avait à la main un bâton épais dont ils se servaient pour frapper violemment ses deux filles. Je restai scotchée devant la scène, frappée d'horreur. Autour de moi, je vis aussi des femmes de Malphas regarder la scène, mais cette fois d'un air dédaigneux. L'une des filles du vieil homme était maculée de boue. Reford aussi regardait, insondable.
Les jumelles hurlaient de douleur, mais personne ne faisait rien pour les secourir. Leurs robes n'étaient plus que des lambeaux de tissus, découvrant une peau sertie de coupures longilignes dont couler abondamment le sang. C'était la première fois que j'en voyais. Leur visage aussi étaient rouges de douleur, secoué par leurs pleurs.
— MALPHAS ! hurlais-je de rage en laissant tomber mes deux livres.
Tout le monde se retourna vers moi, bouche bée. On entendit que le crépitement du feu, et le sanglot des jumelles. Alors que je regardais la scène avec horreur, je me rappelai d'avoir vu maintes fois Malphas battre les deux filles. Avant, je m'en foutais complètement. Je n'étais nullement attachée à elles. Mais maintenant, j'avais l'impression de souffrir à leur place... Je trouvais étrange que l'attachement à une personne puisse jouer sur mon physique.
— Mais enfin... Qu'est-ce que tu fais ? Ce sont tes filles ? Pourquoi ne les traites-tu pas comme les autres ?!
— Ce ne sont pas tes affaires, impertinente ! répliqua-t-il. J'éduque mes filles de la façon dont j'ai envie.
— Mais... !
Je m'apprêtais à appeler Reford à mon secours, mais j'étais quasiment sûr que ce dernier se défilerait... Du coin de l'œil, j'aperçus Malphas lever une nouvelle fois son bâton.
— Ne fais pas ça ! lui ordonnai-je d'un ton froid. Tu pourrais le regretter...
Ma menace eut le même effet que ma première interjection.
— Tu me menaces ?
— Je te mets en garde.
— Qu'est-ce que ces pourritures t'ont mis dans la tête ?
— Rien !
— Menteuse ! cracha-t-il avec colère.
Et avant que je ne puisse faire quoique ce soit, de rage, il leva son bâton et l'abattit sur la tête de Ariane. Cette dernière tomba à terre, inerte.
— Ariane ! hurla sa sœur de désespoir. Non... !
— Archère, non ! s'écria le sorcier à son tour.
Trop tard. Je fis parler ma vitesse et en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, j'étais au-dessus de Malphas. J'avais pris appui sur le canapé pour sauter encore plus haut et armer ma jambe. Je frappai alors le vieil homme d'un bon coup de pied à l'arrière du crâne qui le fit tomber en avant.
— Reford ! appela-t-il d'une voix incertaine.
— C'est bon maître, je l'ai en joue... !
Je tournai le regard prête à tout voir, sauf ça : Reford tenait ses deux mains ouvertes devant lui dans ma direction, des flammes entre ses doigts, prête à me carboniser à la moindre occasion. J'eus à peine le temps d'être surprise : deux des filles de Malphas m'attrapèrent les deux bras et me soulevèrent au-dessus du sol.
— Non, lâchez-moi !
— Reford, emmène les jumelles au sous-sol, dépêche-toi !
— Dépêche-toi Reford, insista le maître devant la réticence du sorcier.
Et ce dernier obéit, sans broncher. J'essayai de capter son regard, mais il m'évita soigneusement. Tous les regards étaient braqués sur moi, mi dédaigneux, mi hostiles.
— Tu m'as beaucoup déçu, archère...
— Mon nom n'est pas archère ! beuglai-je de toute la force de ma voix, me débattant pour me libérer.
— Enfermez-la dans sa chambre ! ordonna-t-il. Je ne veux plus la voir jusqu'à nouvel ordre.
*****
Cela faisait maintenant trois heures que j'étais dans ma chambre. Au moins, désormais, je savais mieux lire qu'il y a quelques jours. Je pouvais donc lire avec un peu plus d'assiduité le livre que les jumelles m'avaient offerte, et que je m'étais rechigné à ouvrir après avoir frappé contre ma porte pendant une dizaine de minutes. D'ailleurs, une vingtaine de flèches devaient avoir transpercé le battant, se trouvant à la fois dans ma chambre et le corridor.
Quand j'y pense, cette histoire est très étrange, car elle parlait d'êtres humains dotés de pouvoir. Comme je l'avais deviné, c'était bien l'histoire d'une famille, avec un père, une mère, deux filles du même âge et leur petit frère, qui vivait paisiblement dans un village. Plus que les mots, je cernais mieux les images. Le livre m'apparaissait radicalement différent des premières fois. Mon œil s'était aiguisé, et à ma grande surprise, je remarquai que parmi ceux qui avaient attaqués le village par surprise, il y avait des troupes qui ressemblaient à des barbares ! Et d'autres à des archers... ! Je vis même des squelettes dotés de bombes foncés sur les remparts.
La femme avait le pouvoir de l'eau, de ce que je comprenais. Elle essaya donc désespérément de sauver sa famille des flammes qui engloutissait le village, mais fut capturée.
Le père essaya de prendre ses enfants et de fuir. Il les prit tous dans ses bras, et essaya de voler mais les ennemis l'attrapèrent par le pied. Il ne restait plus que les enfants.
De ce que je compris, le petit paniqua complètement. Il respirait fortement, de plus en plus. En fait, il aspirait surtout. Il aspirait l'air autour de lui, l'air qui se faisait rare. Mais il se mit aussi à aspirer les flammes, du bout jusqu'à la racine, la bouche de plus en plus ouverte, la peau de plus en plus brillante. Derrière eux, les troupes se rapprochaient rapidement. Et alors, il explosa, projetant les jumelles dans un lac à côté du village. Elles en sortirent immédiatement pour récupérer leurs familles, mais les troupes partaient déjà.
En fait plus je lisais le livre, plus je me disais que je connaissais bien les deux filles du même âge dans le livre... !
Entre temps, mon choix était fait. Je ne voulais pas faire partie de la famille de Malphas, mais plutôt de celle de Ariane et Diana. C'était les personnes que j'aimais le plus au monde, les seuls que je considérais avec respect. Désormais, mon nom serait Jade Keller.
prochain chapitre dimanche prochain ;) à plus !