Jade, l'apprentie humaine
Chapitre 8 : Le petit déjeuner
Note : changement du nom des jumelles en Ariane et Diana
Finalement, Malphas avait raison : je n'avais pas compris son allusion à une soi-disant "Lune", mais la nuit m'avait bel et bien apporté mon lot de désolation. Je m'étais retournée dans les fleurs en les écrasant sans ménagement, ruminant la scène morbide de fin de soirée. Et puis... je ne cessais de retourner dans ma tête ma condition d'objet. Je n'avais pas envie d'être détruite. Et manifestement, c'est ce qui m'attendait en étant rattrapée par les autorités. Alors que faire ? Fuir ? Même si Malphas avait implicité dans son discours un lavage de cerveau de la part de Dana, je tenais quand même à ce village sans savoir pourquoi, et j'en voulais à ces perfides Gobelins.
Je me mis sur le dos, et vit à travers les pétales le ciel prendre une couleur rose-orangée vers le haut du ciel, derrière moi. Au moment où je m'apprêtais à réveiller Reford, je me rendais compte que lui avait un nom. Or je n'en avais toujours pas un, moi ! Même les objets en avait de ce que j'avais constaté, mais moi, on m'appelait juste par... mon métier ? Eh bien oui, beaucoup d'autres jeunes filles identiques à moi étaient des archères... !
— Reford ! Reford ! Je veux un nom !
— Quoi ?
— Je veux un nom moi aussi ! M'écriais-je une nouvelle fois, adoptant une moue boudeuse. Comment as-tu eu pour l'avoir ?
— Chuuut, nous sommes dans le champ de fleurs juste à côté de la sortie du district, tu te rappelles ? Des gardes y rôdent qui pourraient nous surprendre comme hier ? C'est cela que tu veux ?
— Dis-moi, c'est quoi ce bout de ciel orangé là-bas ?
— Le soleil est en train de se lever. Il se lève toujours à l'ouest et se couche à l'est. Là-bas c'est le nord, et là, le sud, ajouta-t-il, profitant de cette occasion pour me l'apprendre.
— N'empêche que j'ai envie d'un nom, moi !
— Tu changes de sujets comme d'humeur, il suffit ! Ah... Et en plus j'ai très mal dormi, avec ce parterre de fleurs mouillé...
— Moi je n'ai pas dormi ! Lui rappelais-je d'un ton fier.
— Car tu n'en as pas besoin, me rappela-t-il très justement d'un ton sec. Et maintenant, j'ai faim !
— Ça m'a l'air plus contraignant qu'autre chose d'être un humain finalement ! M'exclamais-je avec un sourire narquois.
— Ne me fais pas ce sourire, toi aussi tu tends à devenir comme moi. Bon, ce ne sera ni pour demain, ni pour le jour d'après mais... tu verras. Bon, qu'allons-nous faire maintenant ?
— Rentrer voir Malphas !
— Je te prierais de l'appeler "Maître Malphas", mademoiselle.
— Maître... ?
— Un peu comme la Reine des Archers, vois-tu ? Ce n'est pas son nom, mais on l'appelle ainsi pour lui montrer notre respect !
— Huum...
— Regarde là-bas, sur le sentier qui mène ici ! Une charrette de foin se fraye un chemin dans la forêt. Nous allons nous cacher dedans pour entrer de nouveau dans le village. Viens, allons-y.
La manœuvre fut longue, mais lorsque nous sortions avec précaution la tête du foin, le soleil s'était complétement détaché de l'horizon pour poursuivre sa longue mais gracieuse ascension. Alors que j'admirais cette beauté, avec difficulté cependant à cause de l'éblouissement de mes yeux, le ventre de Reford gargouilla violemment et nous dûmes nous cacher de nouveau dans le foin.
— Beh... Il grogne ton foin, dis ? S'exclama une voix dotée d'un fort accent que je ne pouvais nommer.
— Qu'est-ce que tu racontes ! Répondit notre "chauffeur". Alors ? Tu le prends, ce foin ?
— Déverse-le au coin de mon petit jardin, derrière ! Mes femmes le rangeront par la suite.
Une minute plus tard, nous étions jetés par terre en même temps que la marchandise. Reford me dit d'attendre un peu, puis nous sortîmes la tête du tas avec dextérité, la bouche et les cheveux remplis de paille. Ça n'avait aucun goût. Je me demande si c'est parce que je n'avais pas encore développée le goût... En tout cas, je me mis à nettoyer le bout de viande (?) rose qui s'échappait de ma bouche et qu'il était dur de nettoyer en raison de son humidité.
— Ne tiens pas ta langue avec tes doigts sales ! Me sermonna Reford. Allons, nous avons de la chance : le maître se trouve à deux pâtés de maisons !
Je le suivis, un peu hagard, continuant de triturer ma langue avec mes doigts soi-disant sales pour en enlever les derniers bouts de paille. Il s'arrêta avant la barrière de son jardin. Ce dernier était troué de par en par, creusé ici et là sûrement pour trouver les troupes dont la garde parlait hier. La porte de la petite cabane était cassée. Nous traversâmes le jardin et toquèrent nerveusement à la porte, priant pour que ce soit le vieil homme qui ouvre. Finalement, ce ne fut pas lui, mais le soupir de soulagement fut au rendez-vous de la part de Reford.
— Mélodie ! S'exclama-t-il en lui sautant au cou. Tu ne sais pas comme ça me fait plaisir de te voir... !
— Et moi donc mon petit magicien ! Et toi aussi jeune fille ! Ajouta-t-elle en m'ébouriffant les cheveux. Il ne vous as pas été trop dur de vous cacher ?
— Non, commença à expliquer le sorcier, tandis que j'essayais tant bien que mal de recoiffer mes cheveux. En fait, nous sommes sortis et avons trouvés refuge dehors, dans un parterre de fleurs. Comment va le maître ?!
— Hé bien, personne n'a été amené et la Reine des Archers n'a pas jugé nécessaire de venir. Bon, viens manger un bout, tu dois mourir de faim : nous étions justement en train de petit-déjeuner.
Nous entrâmes dans la maison, et mon regard se porta directement sur la droite, vers la petite table ronde, contigüe à la cuisine : cette dernière était pleine de monde. Il y avait Malphas bien sûr, moins bien coiffés que la veille, mais en forme. Il portait une serviette de bain à capuche d'un violet tape-à-l'œil avec des points jaunes dessus. Sur ses genoux trônait une petite fille rousse aux grands yeux verts, la bouche pleine de miettes. Puis je distinguai d'autres femmes.
Une qui devait avoir l'âge de Malphas, avec des cheveux courts et blancs ainsi qu'un visage rayonnant. Je ne pus que lui renvoyer mon sourire, machinalement. Deux autres de l'âge de Mélodie (qui devait avoir la quarantaine si j'avais bien suivi le cours d'anatomie de Malphas) étaient assis à la table : Une brune aux cheveux ondulés jusqu'au bas de son dos. Elle avait des yeux mi-clos qui lui donnait un air fatigué, et dégageait une aura calme en générale. L'autre était blonde, avec les cheveux attachés et une frange. Elle me regarda d'un air neutre, quoiqu'un peu arrogant. Ormi ces quatre nouvelles filles que je découvrais, il y en avait aussi d'autres, mais je ne pris pas la peine de les compter. Cependant, elle devait être un peu plus d'une dizaine à la tablée.
Reford les accompagna directement à table, prenant des nouvelles de tout le monde. Il porta la jeune fille sur les genoux du maître à bout de bras sous les éclats de rire des autres. Il s'assit et rassura tout le monde, racontant brièvement notre nuit à la belle étoile. Qu'ils semblaient tous heureux comme cela, enfin réunis... Soudain, trois coups firent vibrer la porte d'entrée qui s'ouvrit sans autorisation. C'était encore une femme qui rentrait, plus jeune que Mélodie, mais plus vieille que celle dans les bras de Reford. Je ne le savais pas à ce moment, mais elle avait dix-neuf ans.
Ses cheveux noirs étaient tressés. Elle avait un teint légèrement bronzé, comme si elle avait passé une après-midi au soleil, et un joli sourire lumineux, accentué par la présence de ses fossettes. Elle portait à bouts de bras deux seaux d'eau qui à force de bouger autant, manquait de se déverser sur le plancher du salon nettoyé depuis la veille. Elle était très belle.
— Ariane ! S'exclama Malphas. Déjà rentrée ? Où est ta sœur ?
— Diana arrive. Le voisin doit encore lui donner des directives.
— Ah, je vois... Va montrer à la jeune fille devant toi où sera sa chambre ! Ensuite, tu la remonteras ici pour lui faire son petit-déjeuner !
— Okay ! Répondit-elle avec un sourire. Allez, suis-moi !
— Heu... je peux t'aider ? M'enquit-je
— Non, non, t'inquiète. C'est par là !
Elle emprunta les escaliers en colimaçon et je la suivis avec joie : enfin je pouvais voir ce qui se cachait ici-bas... ! Le contact du métal des marches me fit frissonner en rentrant en contact avec la plante de mon pied. L'escalier se trouvait dans une espèce de tube fait en briques de pierres. Des bougies y étaient accrochés plus bas car la lumière du haut ne parvenait pas ici. Je débouchai finalement dans une grande salle.
Je pouvais voir un coin en bazar avec un coffre renversé dont le contenu semblait être des sculptures en bois : J'apprendrais plus tard que c'était des jouets. Il y avait aussi ce qu'on m'avait dit être des poufs un peu partout dans la salle, posé sur un tapis raide et plus propre que celui du salon. Le plancher et les murs étaient recouverts de planches de bois clairs, presque dorés. Derrière moi, une porte fermée à clé montrait une pancarte avec un cercle rouge barré d'un trait de la même couleur, avec écrit en-dessous : "Interdit aux invités".
— Qu'est-ce qu'il y a derrière cette porte ? M'enquis-je immédiatement sans gêne.
— Oh... disons qu'il s'y passe des choses.... Disons que c'est la salle de jeu du père Malphas.
— C'est-à-dire ? ("on l'appelle aussi le père Malphas ?")
— Oh, tu es trop jeune pour savoir, finit par dire Ariane avec un sourire gêné. Après tout, tu as un peu moins d'un jour, n'est-ce-pas ?
Tout à coup, j'entendis le bruit de bottines frapper les marches des escaliers. Quelqu'un était en train de descendre. C'est alors que je vis Ariane déboucher des escaliers et me regarder avec une mine surprise. Cette fois, elle avait une unique tresse dans son dos comparé à avant, là où elle en avait une de chaque côté de son visage.
— Hein ? Comment as-tu fait pour... ?
— Je ne suis pas Ariane ! M'interrompit-elle en éclatant de rire. Moi, c'est Diana Keller ! Ma sœur est derrière toi !
Je me retournai, scotchée de voir qu'elle avait raison. Les "sœurs" étaient donc exactement pareils ? Un complément d'information vint me contredire directement.
— Nous sommes en fait des sœurs jumelles, m'expliqua-t-elle en continuant sa route vers le fond de la salle. Nous sommes nés en même temps de la même mère. Et j'ai le même nom de famille du coup.
Je ne posai pas plus de questions pour l'instant. Les deux jumelles me sourirent et continuèrent de marcher en trimbalant leurs seaux d'eau. J'aimais les voir sourire. Peut-être était-ce la façon dont leurs yeux se plissaient. Ou juste la gentillesse sous-jacente qui débordait tant elle en avait à donner. Elles portaient les mêmes vêtements de paysanne : un corset en cuir marron sur une chemise en dentelle blanches dont elle avait retroussés les manches. S'ensuivait une robe vert foncé qui cachait toutes leurs jambes, et enfin, des bottes.
La porte au fond mena à un corridor un peu plus sombre. Les jumelles ouvrirent finalement une porte qui mena à une chambre simple.
— Ça c'est un lit, on dort dessus, lui expliqua Nessie. Une armoire, avec pas beaucoup d'habits dedans mais j'y remédierais, ne t'inquiète pas ! Là, il y a une table de chevet, et dans son tiroir, tu pourras trouver un petit livre qu'on a fait moi et ma jumelle. C'est ton cadeau de bienvenue !
— Bon, on te laisse t'installer, nous on a encore un peu de travail à faire, enchaîna sa sœur. N'hésite pas à demander de l'aide à qui que ce soit en cas de problème.
Et elles sortirent en fermant la porte derrière elle. Je me retrouvai seule dans cette chambre que j'appréciais, au confort relatif pour un habitant lambda, mais luxueuse pour moi qui avait dormi respectivement sur du foin et un parterre de fleurs. J'enlevais mon arc de mon épaule, puis mon carquois rempli de flèches et de quelques pièces d'or ramassés après ma fuite des troupes armées, avant de poser mes armes en dessous de mon lit en les faisant glisser sur le tapis circulaire aux poils longs, puis de mettre l'or sur la table de chevet.
La chambre était illuminée d'une lumière chaude grâce à une chandelle orangée suspendue en haut de mon lit. Dans l'armoire, je pouvais voir le type de robe que je voyais le plus depuis hier. Longue jusqu'aux talons d'Achille, marron du nombril au bas, et blanche sur le haut. Je voyais aussi deux paires de bottines et des mocassins.
Ensuite, je m'affalai sur le lit, le regard dans le vide. ("Oh, j'aurais adoré dormir maintenant ! Si seulement j'avais encore un peu de cette boisson de Malphas... ! Quoique, elle a un goût très mauvais. Tant pis, je vais rester là avec mes idées noires...").
En fait, ce devait être ça le pire. De n'avoir qu'un jour de vie, et dans ce jour, n'avoir qu'un mauvais souvenir qu'on est donc obligé de rabâcher encore et encore, sans relâche. Je ne pouvais penser à aucun autre bon moment, étant donné que je n'en avais pas encore vécu !
Je tirai le tiroir du meuble à côté de mon lit et ouvrit la première page. C'était une histoire. Mais, je ne savais pas lire... Ou du moins, pas correctement. Je me contentais donc de tourner les pages, jusqu'à voir une image de champ, avec des humains qui travaillaient dedans. Je regardais une des nombreuses facettes de la vie humaine.
Sur une autre page, je voyais trois enfants se poursuivre, tous sourires. Sans le savoir, un sourire se colla sur son visage.
Quelques secondes plus tard, une fille aux visage cerclés de tresses ouvrit la porte : c'était Ariane si me je souvenais bien.
— C'est bon, j'ai fini avec mes seaux. Viens avec moi, je vais te faire ton petit-déj.
— Je n'ai pas si faim que ça...
— Oui, Reford me disait ça au début... Mais bon, il va falloir te forcer !
Nous remontâmes à l'étage du dessus. La table à manger était toujours rempli de femmes, Malphas et Reford étant les seuls hommes.
— Qui sont-elles, Malphas ? Demandais-je alors tandis qu'elle me laissait à côté de la table pour se diriger vers la cuisine.
— Jeune fille, quelle impolitesse ! S'exclama une femme blonde. C'est "maître" Malphas je vous prie !
— Il n'y pas de mal, il faut qu'elle apprenne, répondit l'intéressé. Ce sont mes femmes.
— Vos femmes ?!
— Exact, à part celle sur mes genoux, dit-il en tournant le regard vers la jeune fille rousse. Elle, c'est ma fille.
— Hum... Je vois.
— Allez, enlève cet air renfrogné de ton visage et viens t'asseoir. Nous devons parler sérieusement. Mesdames, je vais vous demander de bien vouloir nous quitter, clama alors Malphas à l'assemblée. Je veux que l'une d'entre vous se place devant la porte pour nous prévenir d'une possible présence de la garde. Le reste peut vaquer à ses occupations.
Ces dernières quittèrent la table en quelques instants dans un boucan épouvantable. Je regardai systématiquement Reford et Malphas d'un air suspicieux, avant de m'approcher doucement de la table pour m'asseoir en face d'eux, l'air digne.
— Pourquoi sont-elles partis ?
— Ce dont nous allons parler est... secret. Je préfère le garder entre personne de confiance.
— Et elle ? M'écriais-je aussitôt en montrant Ariane du doigt.
— Elle ? Sourit-il. Ne t'inquiète pas, elle n'est pas dangereuse du tout. Considère-la comme un meuble.("Comme un meuble... ?!") Les autres sont des pipelettes. Alors... que comptes-tu faire ?
— C'est-à-dire ?
— Ton futur. Comment le vois-tu... ?
Je restais silencieuse, pensive. Mon regard se promena sur le cuisine jusqu'à s'arrêter sur la silhouette fine de la fille Keller, s'activant devant une marmite fumante. La fumée s'élevait haut, inconsistante, fuyante, s'échappant vers le plafond dans un tourbillon...
— Je n'y ais pas pensé, finis-je par dire. Mais... je pense que j'ai envie de continuer à vivre.
— Oui, ça j'aurais pu le deviner, sourit Malphas. Mais de quelle façon ? Je m'explique, ajouta-t-il face à ma mine dubitative. Tu n'es pas censé exister hors de ton camp militaire ou du champ de bataille. Tu es une désertrice ayant bravé l'une des règles les plus sacrée de notre royaume, et pour cela, ton châtiment sera la mort par torture. Donc maintenant, à toi de voir : Soit tu te rends, soit tu vis. Tu as pris le deuxième choix. S'offrent donc à toi plusieurs options.
— Dont l'une, par exemple, sera de de t'allier à nous pour sauver d'autres troupes armées, proposa le sorcier.
— Comme tu l'as fait pour moi et le chevaucheur ?
— Exactement.
Je fis une simple moue pensive en réponse, détournant de nouveau mon regard. En fait, je faisais exprès de faire la difficile : cet objectif m'intéressait, bien sûr. Mais j'avais vu la démonstration de force de la Reine des Archers, et j'en avais peur... !
— La deuxième option est de vivre comme l'une de mes femmes, ici. Rassure-toi, mes femmes sont des humaines et non des troupes armées, anticipa-t-il, voyant que j'ouvrais la bouche. Tu es la première à qui je le propose.
— En tout cas, c'est hors de question ! Décidais-je d'un ton implacable. En fait... j'ai envie d'aider d'autres troupes, comme le chevaucheur mort hier soir, et les deux barbares que nous avons perdus dans la bataille hier ! Cependant, je n'ai aucune idée de comment faire... !
— C'est là qu'on intervient ! S'exclama joyeusement Reford tandis qu'Ariane s'approchait de moi avec une tasse et un plateau. J'ai déjà commencé il y a quelques semaines sous les ordres de Malphas, et désormais nous sommes deux !
— Alors, comment allons-nous procéder ? M'enquit-je aussitôt en me penchant brusquement sur la table, attentive.
— Nous avons été inactifs ces derniers temps pour ne pas attirer la Reine des Archers, en visite dans notre village depuis un petite bout de temps maintenant. Mais dans une petite semaine, nous pourrons passer à l'action.
— La Reine des Archers part en voyage deux jours avec le Roi à ce moment-là, continua Reford.
La jeune femme m'apporta du pain et un pot de confiture
— Plus personne d'important ne sera là pour piailler la disparition de troupes comme hier... poursuivit le sorcier.
— Ariane, que fais ta sœur bon sang !? S'écria alors le vieil homme.
— Elle s'occupe des seaux d'eaux Père, répondit-t-elle d'une petite voix, essuyant ses mains sur sa robe. Excusez-la, ils sont un peu lourds pour elle. Si vous me permettez, je vais aller l'aider...
— Et laisser notre pauvre archère tartiner ses tranches de pains toute seule ?! S'insurgea le maître de maison en ouvrant de grands yeux. Allez, dépêche-toi, elle a assez attendu comme ça !
La jeune femme s'approcha de moi précipitamment en murmurant une excuse dans son col avant de s'emparer de mes tranches de pains. Ses mains fines et gracieuses s'emparèrent du couteau et commencèrent à travailler sous mon menton non sans empressement.
— Comme je m'apprêtais à le dire, enchaîna Reford tandis que je le regardais faire, la procédure à suivre sera vraisemblablement une infiltration. Maître Malphas pense que c'est plus sûr... !
— Ça fait moins de bruits qu'une fausse attaque de Gobelins par exemple, répliqua ce dernier en haussant les épaules, en réponse au ton quelque peu accusateur du sorcier.
Soudain, les deux hommes se figèrent comme s'ils avaient laissés échapper quelque chose. Une fausse attaque de Gobelins... ? Malphas était capable d'organiser cela ? Mais hier, n'y avait-il pas eu une embuscade imprévue de Gobelins en pleine forêt, qui nous avaient attaqués comme s'ils savaient qu'on passeraient par là ?
— Oh ! M'exclamais-je en me levant brusquement, bousculant les mains de la fille Keller. Ne me dites pas que l'attaque de hier... !?
Reford évita mon regard ébahi, regardant Malphas du coin d'un air mi accusateur mi gêné. Ce dernier eut un soupir et un prit une gorgée du contenu de la tasse devant lui.
— Cela doit rester secret, souffla-t-il en haussant les sourcils, la voix quelque peu nerveuse. Nos actions ne doivent pas être divulgués au grand public, sous peine de nous condamner définitivement... !
— Et c'est que vous mériteriez ! Hurlais-je en pointant un doigt accusateur vers lui. Vous rendez-vous compte du nombre de victimes qu'il y a dû y avoir pour... sauver des troupes armées ? Et à la fin, vous n'avez que moi ?!
— Il est vrai que notre stratégie à quelque peu raté ! Avoua-t-il. Dans le désordre, nous souhaitions sauver le maximum de troupes ! Malheureusement, il y a eu des pertes... Cependant, c'est normal lorsqu'on se bat pour de grandes causes !
— Il y avait autre chose à faire ! Je refuse de croire qu'un massacre est le seul moyen d'en éviter un autre !
— Tu es né hier ! Clama alors Malphas en se levant à son tour. Alors je te prierais de respecter mon avis ! Tu ne sais rien de ce monde archère, rien ! Et tu n'as aucune idée de ce quoi le Roi serait capable pour nous arrêter ! Si ton ennemi utilise une lance, tu ne peux le battre avec une pierre !
— Mais avec un arc, si... murmurai-je, me rappelant de mon combat contre les Gobelins dans la forêt. Je ne prendrais pas part à... Ces choses que vous faites. Pas... pas comme ça !
— Hé bien, tu y participeras quand tu seras prête ! Répliqua méchamment Malphas en s'asseyant. Ariane, ne reste pas là à me fixer ! As-tu fini ?
— Oui, père. Excusez-moi. Puis-je aller aider ma sœur... ?
— Non ! Va chez le voisin, il a besoin de toi pour l'aider à mettre en place son marché. Je t'enverrai Diana quand elle aura fini.
— Mais...
— Pardon ?! Hurla alors le vieil homme en tapant vigoureusement sur la table.
— J'y vais de ce pas, père, murmura précipitamment la jeune femme avant de sortir.
Mon regard la suivit sortir et resta fixé sur la porte fermée, pensive. Était-ce une façon normale de traiter quelqu'un ? Malphas semblait pourtant avoir une relation courtoise avec les autres femmes de la maison.
— Est-ce que cela veut dire que vous êtes avec les Gobelins ? M'enquis-je soudain, refixant mes pensées sur la discussion.
Le vieil homme se retourna vers moi, les yeux plissés, indécelables.
— Aux grands maux les grands remèdes, finit-il par dire en vidant sa tasse.
— S'allier avec l'ennemi ! Hurlais-je, toujours debout. Non mais... ! Reford, dis quelque chose !
— Et que veux-tu qu'il dise jeune fille ? Me demanda Malphas, tandis que le sorcier regardait fixement la table, les sourcils renfrognés. Il a déjà épousé mon combat, mes convictions !
Il a traversé beaucoup plus de combats que tu ne le crois ! Au début, il était une petite fleur comme toi, toujours à se plaindre, à s'insurger ! Mais il a découvert la réalité des choses ! Crois-tu vraiment que les Gobelins méritent notre haine ? Ou bien as-tu toujours en tête le discours de Dana, celle chargée de vous endoctriner ?
— Je n'ai...
— J'agis pour le bien, et Roi agit mal ! ALORS QUELQUE SOIT LES MOYENS UTILISÉS, JE METTRAIS FIN A SES PRATIQUES INEXPLICABLES, ET CE N'EST PAS UN NOUVEAU-NÉ DANS TON GENRE QUI VA M'EXPLIQUER COMMENT M'Y PRENDRE !!!
Il avait violemment balancé sa tasse sur le sol en se levant une nouvelle fois, profondément énervé. Le souffle court, je voyais ses joues s'empourprer rapidement et sa poitrine se soulever. Après quelques secondes de silence, il lissa sa moustache, passa la main dans ses cheveux, réhaussa le col de sa chemise de nuit, et se rassit calmement. D'un geste de la main, il m'invita à le faire aussi. Je m'exécutai, le regard plongé dans le sien dans une attitude de défi. De son côté, Reford était toujours dans la même position, tapotant nerveusement son pied contre le sol.
C'est alors que nous entendîmes des bruits de pas dans l'escalier de métal. Au moment où je tournai la tête, je vis l'autre jumelle apparaître dans le couloir derrière le pan de mur qui nous séparait de celui-ci. Elle semblait encore plus essoufflée que Malphas. Son visage était rouge et suintant de sueur. Ses cheveux mouillés s'y plaquaient.
— Père, souffla-t-elle, à bout de souffle. J'ai fini...
— Nettoie-moi ce bazar et file chez le voisin, l'interrompit-il en montrant d'un signe de main sa tasse. Tu es déjà bien en retard ! Quant à toi, mange ! Ajouta-t-il à mon attention. Ça va refroidir.
— C'est quoi ?
— C'est très bon, répondit simplement Malphas. Tiens, prends d'abord ça. Mets-en une goutte sur ta langue.
De sa chemise de nuit, il sortit une toute petite fiole remplie d'un liquide rose foncé. Il le fit glisser sur la table vers moi. Je le pris dans mes mains. Il ressemblait à la fiole qu'il m'avait donné pour m'endormir hier... !
— Que sont ces fioles ?
—Des désinhibiteurs. Ton corps ressemble à celui d'un humain, mais tu n'es pas humaine. On t'a enlevé pas mal de capacités qui te rendent inefficaces ou qui sont simplement inutiles en combat. Comme la capacité de dormir, ou de pouvoir apprécier le goût de quelque chose. Ou encore, celle de souffrir physiquement.
Je mis une goutte sur ma langue. Immédiatement, je sentis une explosion de goûts, épicés et sucrés, piquant et doux, parcourant ma langue toute entière. Les informations arrivèrent à mon cerveau toute en même temps, faisant phaser ce dernier pendant deux secondes, temps pendant lequel je gardais les yeux vagues et la bouche entrouverte, dans un état second. Lorsque je repris mes esprits, ma langue fumaient un peu. Je me mis à tousser, tandis que Malphas sermonnait sa fille. Une fois que je pus, je plongeai un doigt dans le contenu de la tasse et le mit à ma bouche.
— Huuum... !
— C'est sucré, n'est-ce-pas ? Devina le vieil homme. C'est de la sève d'un arbre des contrées du nord. C'est un met particulièrement appréciés par les bourgeois, et très cher, mais j'arrive à m'en procurer gratuitement : j'ai planté un arbre dans le jardin !
En même temps qu'il parlait, je m'emparai des tartines et les engouffrait dans ma bouche comme une véritable sauvage. Je me rappelle que je sentais plus que maintenant les aliments descendre ma cage thoracique et stagner temporairement dans mon estomac.
— Je te donne trois jours pour te décider, dit alors Malphas en se levant. Si tu nous rejoins moi et Reford, nous aurons deux jours jours pour décider de la marche à suivre pour profiter de l'absence de la Reine des Archers et de notre Roi. Dans le cas contraire...
Il ne dit rien et s'en alla. Mais à peine fit-il quelques pas qu'il tourna sur ses talons, revint sur ses pas, et posa sur le table une petite pilule blanche sortit de sa chemise de nuit. Puis, avec un sourire narquois, il nous indiqua qu'il allait s'habiller. Diana partit en même temps que lui pour rejoindre sa sœur chez le voisin.
Quant au sorcier, il resta là, stoïque, le regard ailleurs, attendant que je finisse d'engloutir mon petit-déjeuner comme une sauvage. Un peu avant que je finisse, je sentis mon bas-ventre vibrer vigoureusement. Reford l'entendit, car il leva soudainement la tête, comme s'échappant brusquement d'un rêve. Une deuxième fois, mon ventre grogna, et j'éprouvai alors une sensation horrible dans mon derrière.
— Hein... mais qu'est-ce qu'il se passe... ?
— Ah, c'est bon, ça commence... se contenta-t-il de répondre avec un triste sourire. Hé bien, ton système digestif a déjà fini son travail. Désormais, tu as envie de rejeter les déchets, mais disons qu'on a aussi inhibé une sortie essentielle...
— Viens-en aux faits, grognais-je en grimaçant.
— Avale la pilule blanche, mais fais-le aux toilettes, répondit-il en essayant en vain de cacher son sourire. Ça va être un feu d'artifice... !
prochain chapitre samedi^^ Stay tuned, et n'hésitez pas à laisser un comm' ;)