Quoi de neuf City Hunter ?
L’eau froide caresse ma peau, qui se fripe, signifiant qu’il serait temps que je sorte de ma douche. Je ne le peux pas. Je suis tout simplement impuissante, tétanisée par l’angoisse de devoir affronter un monde nouveau. Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine tandis que des frissons secouent mon corps nu. Mon esprit embrumé me commande entièrement, me dictant de rester encore un peu sous le jet d’eau, pour voir… Je souffre, mais je ne pleure pas. Comment cela peut-il être possible ? J’ai si mal et pourtant je reste impassible. Même lorsque tu es venu m’annoncer, d’une voix à peine assurée qu’il était mort, je suis restée devant toi sans avoir la moindre réaction. Puis tu es parti, les mains dans les poches, bougonnant que tu avais du travail ; je n’ai même pas tenté de te retenir pour en savoir plus. Calmement, j’ai refermé ma porte avant de reprendre ma vie tranquille, entre les dossiers du boulot et les tâches quotidiennes. Ne l’aimais-je pas assez ?
La fatigue me submerge, manquant de m’endormir, le front collé au mur. Mes yeux se ferment, les sons deviennent lointains tandis que mon corps lourd risque à tout instant de me lâcher. Un téléphone sonne. C’est le mien. Il me faut un temps relativement long avant de comprendre qu’il faut que je sorte lorsqu’il cesse de sonner. Tant pis. J’éteins la robinetterie, pose un pied sur le tapis de ma douche puis me saisis de mon peignoir. Je l’enfile avec lenteur, peine à le nouer avec mes mains gelées. Lorsque j’enroule mes cheveux dans une serviette, mes yeux captent la présence de mon reflet dans le miroir. Je fais peur : des cernes alourdissent mon regard, mes lèvres violacées me donnent un teint blafard. Rapidement, je m’extirpe de cette image, retournant dans ma chambre. Je fixe mon lit avec envie, m’y assois lourdement et voilà que mon regard se perd à nouveau dans la pièce. Le téléphone retentit à nouveau, je me décide à aller décrocher. Ma main droite se pose sur le combiné, je m’éclaircis la voix avant de l’élever à mon oreille.
« Ah ! Saeko ! Tu réponds enfin ! »
C’est mon père. La dernière personne à qui j’aurais espéré parler aujourd’hui. Je ne réponds rien, n’en ayant ni l’envie, ni l’occasion.
« Ma chérie… »
La chair de poule me parcourt tout le long de ma colonne vertébrale. Lorsqu’il use des mots doux, c’est mauvais signe. Son ton est affectueux, presque triste.
« Je suis désolé de devoir t’apprendre une telle nouvelle au téléphone mais j’ai trop de travail pour venir te voir… Saeko, je sais à quel point tu tenais à lui, Hideyuki Makimura a été tué, ce soir. La police est sur le coup, nous allons trouver un coupable. En attendant, prends le temps qu’il te faut pour te remettre de la nouvelle. »
Une bombe. La réalité me frappe de plein fouet, ce que je maîtrise encore. Mais pour combien de temps ? Dans un murmure, je lui réponds avant de raccrocher :
« Merci, papa. »
Je repose le téléphone. Mes joues s’humidifient, les larmes roulent sur ma peau blanche pendant que mon cœur se serre si fort que ma respiration devient douloureusement difficile. Je tremble de tout mon être, faisant face à une violente prise de conscience. Ryô, tu as pourtant eu les mêmes mots que mon père, seulement je n’ai pas voulu les croire. Cela me paraissait être une de tes mauvaises blagues et complètement insensé. J’aurais dû me rendre compte de la gravité de la situation à ta manière de me l’annoncer :
« Hideyuki… Makimura est mort. »
Toi qui ne l’appelais jamais par son prénom – devant moi –, tu l’as tout de même fait pour me dire ces mots que j’aimerais oublier. Je ne voulais pas imaginer un monde sans Hideyuki, le seul homme que je n’ai jamais aimé. Pourquoi la vie m’a-t-elle arrachée si tôt à ce bonheur ? Les souvenirs envahissent mes songes, amplifiant mes pleurs et créant des spasmes dans mon ventre. Je me laisse tomber sur le sol, me recroquevillant sur moi-même, telle une enfant battue cherchant à se protéger d’un parent violent. Ma tête s’enfouis instinctivement dans mes bras, un désir ardent de hurler ma douleur grandissant au fur et à mesure. Semblant transportée dans un autre univers, un monde lointain de Tokyo, je ne fais pas attention à la présence rassurante d’une personne qui a pénétré dans mon appartement. Des bras doux s’enroulent autour de mes épaules, quand la voix familière de Reika retentit au creux de mon oreille gauche. Elle me berce, caresse mon dos, essaie de me réconforter comme elle le peut.
« Je suis venue dès que j’ai su. Je ne voulais pas te laisser seule. »
Je daigne enfin lever mes yeux rougis par les sanglots vers elle, observant son visage concerné. Calmement, elle ôte ma serviette de mes cheveux, les libérant pour masser mon crâne de ses doigts fins. Je n’ai même plus la force de la remercier, seulement de la prendre dans mes bras. Son étreinte me réchauffe le corps et le cœur, les perles d’eau salées continuant leur course folle contre son épaule. Je suis heureuse qu’elle soit là, elle est la meilleure personne que je rêvais d’avoir auprès de moi. J’apprécie d’autant plus qu’elle respecte mon silence, ce qui n’est pas dans ses habitudes. Elle s’écarte progressivement de moi, me souriant en débarrassant mon visage de mes larmes.
« Et si je restais avec toi ce soir ? On pourrait prendre soin de nous, regarder un film, commander à manger… »
Je me tais, encore. Sa force de caractère la pousse à persévérer sans jamais me brusquer :
« Tu ne dois pas rester seule. Alors que tu le veuilles ou non, c’est moi qui décide. Va t’habiller, tu vas attraper du mal. Je m’occupe de tout. »
« Merci, Reika. Merci d’être là. »
Malgré moi, je sens mes lèvres s’étirer pour lui offrir un timide sourire.
« Tu es forte, grande sœur. Je n’ai jamais vu quelqu’un comme toi, alors même si ça doit être long, même si ça doit être dur, tu vas réussir à surmonter ton chagrin. Je le sais, tout le monde le sait. »
Ces mots résonnent en moi comme un mantra. Bien sûr que je suis forte et surtout, je vais m’en sortir. L’amour, bien qu’il soit agréable, fait parfois extrêmement mal. L’amour est parfois destructeur, mais il est toujours possible de se reconstruire.