Ramène-moi ! (version 2.0)
Chapitre 16 : La voix de l'ange
3799 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 04/07/2024 10:23
Kaori était toujours muette quand il se tourna vers elle, appuyé sur son coude, l'air taquin, les yeux malicieux. Ses yeux ! Elle voyait enfin ses yeux, elle croisait son regard... Son regard qui se fixait sur... elle... Elle suivit ce regard et constata qu'il se posait ostensiblement sur sa poitrine et son soutien-gorge de dentelle blanche. Soudain mal à l'aise, elle tenta de se dissimuler en enfilant rapidement son t-shirt. Trop tard bien évidemment, car l'expert, ravi, avait déjà tout mesuré et, visiblement, apprécié. Sourire béat aux lèvres, Ryo poursuivit :
— Mais je dois reconnaître que c'est très agréable de voir ce genre de chose au réveil... Vêtue comme ça, tu peux faire des visites diurnes ou nocturnes, hein, c'est quand tu veux, héhéhé ! Mais, tu devrais faire attention. Un peu plus et je pourrais penser que je suis mort et que je suis au parad... Ah, bah, non, non, non, Kaori ! Hey, mais pourquoi tu pleures ?!?
Il se redressa vivement mais ne sachant que faire, il se contenta de l'observer alors qu'elle éclatait en sanglots, ses mains dissimulant son visage. Ryo Saeba avait toujours perdu ses moyens devant une femme en pleurs et encore plus quand cette femme était Kaori. Amnésique ou pas, pour lui, arrêter les flots impétueux restait un mystère total.
— J'allais te faire un compliment en plus…
Elle pleura de plus belle. Décidément, il ne comprenait rien à cette femme ! Comme il ne savait pas quoi dire, il lui ouvrit ses bras. Elle resta immobile, puisque, ses mains toujours plaquées sur ses yeux trempés l'empêchaient de le voir. Il s'exclama :
— Bon, tu vas me faire attendre encore longtemps ?
Elle révéla son visage et le découvrit qui l'observait, immobile, les bras en croix. Elle cessa immédiatement de pleurer, se contentant de le regarder, incrédule.
— Hé, je vais bientôt avoir des crampes si ça continue ! l'interpella-t-il. Tu viens ou pas ?
Elle se jeta alors contre lui, le faisant vaciller mais il referma vite ses bras autour de ses épaules, la serrant contre lui alors qu'elle recommençait à pleurer. D'abord un peu perdu, Ryo joua avec les mèches rousses qui lui chatouillaient le menton en souriant de la réaction un peu excessive de la jeune femme.
— N'empêche, Kaori, ne t'avise plus de me traiter de pervers. Parce que mater un mec en train de dormir... en lorgnant sous les couvertures... en plus en ne portant que des sous-vêtements... Je veux pas dire, mais on atteint des sommets.
Terriblement gênée par ses propos, Kaori cessa de pleurer et s'éloigna de lui, tête baissée. Dépité, Ryo se dit qu'il ne savait vraiment pas y faire avec elle. Alors qu'il se grattait le crâne, il avisa le plateau qui était posé à côté de son futon. À boire ! Il saisit le verre d'eau qui y était posé et l'avala d'une traite. Il se précipita ensuite sur une des galettes de riz et mordit dedans sans plus attendre.
— Bon, tu m'expliques ? demanda-t-il la bouche pleine.
— Je voulais... Enfin, c'est le Doc qui a suggéré de faire ça, tu sais... Pour que tu retrouves la mémoire plus vite...
— Et tu as fait confiance à ce vieux vicieux ? demanda Ryo, manquant de s'étouffer alors qu'il avalait de travers.
Kaori redressa vivement la tête et tenta de se justifier :
— C'était censé t'aider à retrouver tes habitudes ! Même si je sais que je ne suis pas aussi bien que... enfin... tu vois. Et puis aussi je ne sais pas faire. Mais je me suis dit qu'il fallait tenter. Ça devait être le dernier recours. Je me disais que tu étais encore amnésique... Au fait, tu es encore amnésique ou pas ?
Ryo éclata de rire mais ne répondit pas à sa question :
— Quand même, c'est perturbant de te voir faire ce genre de trucs ! Faut croire que je déteins sur toi d'une manière ou d'une autre.
— Mais, mais, mais... Tu te rends pas compte ! Merde, Ryo, ça fait trois jours que tu pionces ! J’ai attendu trois jours pour savoir si tu allais enfin revenir ! Trois jouuurs !
Il la lorgna, tellement sérieux qu'il en était moqueur :
— Je t'ai donc tellement manqué ?
Elle rougit brusquement, à la fois à cause de ce que la question de Ryo impliquait et aussi parce que les deux yeux masculins qui lui faisaient face ne cessaient de se poser sur le haut de ses cuisses dénudées. Elle tira sur son t-shirt pour se couvrir, révélant ainsi le haut de sa poitrine par le col en v trop tendu. Elle n'osa cependant pas demander à nouveau s'il était vraiment de retour.
De son côté, Ryo, la bouche pleine, n'en perdait pas une miette, que ce soit de sa galette de riz revigorante ni du spectacle de ce t-shirt tendu, tout aussi revitalisant. Un silence un peu gênant s'installa. Quand il eut enfin fini de tout engloutir, il se résolut à poser la question qui le préoccupait depuis un moment :
— Blague à part, Kaori, pourquoi vouloir à tout prix faire revenir un sale type comme moi ? Il ne te plaisait pas l'autre Moi ? Sans déconner ? Plus de remarques salaces, pas de vacheries sur tes fesses ou ta cuisine, pas de geste déplacé envers les autres femmes, pas d'hésitation dans ses sentiments, pas de sorties alcoolisées... C'est tout ce que tu voulais, non ?
Sans lâcher le bas de son t-shirt, elle le dévisagea, incrédule :
— Alors, tu te rappelles ?
— Oui.
— De tout ?
Elle pensait évidemment au baiser qu'ils avaient échangé en revenant du cimetière.
— Oui. De tout. D'ailleurs, il faudra que je pense à trouver une autre planque à mes trésors…
— Quoi ! s’écria Kaori en se relevant brusquement. Tu viens de te réveiller et la première chose à laquelle tu penses ce sont tes satanées revues dég…
Elle s’interrompit quand Ryo l’attrapa lestement par le bras :
— Et aussi… il faut que j'apporte quelques corrections à un truc laissé en suspens.
Il l’incita à se rasseoir sur le futon et se mit à sa hauteur. Sans la lâcher des yeux, il prit son menton entre ses doigts :
— Tu avais bien raison, ça puait trop. Et puis, un premier baiser dans une sortie de parking qui sent l'urine... on peut mieux faire, tu ne crois pas ?
Il se pencha pour l'embrasser mais elle l'arrêta soudain en posant son index sur ses lèvres :
— Attends, tu es sûr que c'est ce que tu veux ?
— Hein... ?
— Je veux dire... Tu sais, je ne suis pas une fille que tu embrasses et puis pfffuiiiit... Enfin, tu vois ce que je veux dire. Je ne supporterai pas un retour en arrière, Ryo. Pas après... Pas si tu m'embrasses maintenant... Tu comprends ?
— Heuuu, oui. Je pense.
— J'ai plein de défauts, Ryo, et je veux être sûre que tu t'en rappelles bien avant qu'on avance tous les deux... Je suis impulsive, autoritaire, colérique, violente, je fonce sans réfléchir, je parle trop...
— Je sais…
Il se pencha encore un peu plus pour tenter à nouveau de l'embrasser. Elle se recula légèrement et continua à énumérer sur ses doigts nerveux :
— ... j'ai de trop grosses fesses, des seins trop petits, les cuisses trop creuses, de trop grands pieds, mes cheveux ne tiennent pas en place et mes abdos sont trop marqués...
— Alors, ça, si je peux…
Kaori ignora ostensiblement Ryo pour continuer à débiter :
— ... je ne porte pas de talons et je ne suis pas assez féminine. J'adore les films à l'eau de rose et les séries débiles à la télévision, je jure parfois comme un charretier, j'adore papoter avec Eriko et Miki et je passe trop de temps au téléphone, je mange trop de chocolat et je ne change pas le tube de dentifrice vide... Ah... et je me comporte comme une gamine quand on va à la fête foraine…
Ryo leva les yeux au ciel :
— ... où tu gobes tes barbes-à-papas en moins d'une minute ... Je sais tout ça ! On vit ensemble depuis presque sept maintenant, je te rappelle !
Il se rapprocha encore une fois, réduisant sensiblement la distance qui les séparait encore. Elle perdit petit à petit de l'assurance, troublée :
— O.K. C'était juste pour être sûre... Qu'est-ce qu'on fait alors ?
— Bah, j'essaie de t'embrasser au cas où t'aurais pas remarqué, répondit-il en se remettant en appui sur ses bras tendus.
Il avança son visage vers le sien.
— Ahahaha... Très drôle, Saeba Ryo, maugréa-t-elle, sarcastique.
Ryo se rassit brusquement pour l'observer attentivement. Elle prit une grande inspiration et lui expliqua :
— J’aimerais simplement être certaine que tu es conscient de ce que tu fais, que tu es bien de retour, que tu rappelles de ce qu'il s'est passé avant que tu perdes la mémoire, que tu ne vas pas me ressortir ton histoire d'instinct de survie ou une excuse pourrie du même genre.
— Je comprends.
Et c'était vrai : elle voulait être sûre de ce qui allait se passer, de ce qu'il allait faire, qu'il n'allait pas tout gâcher entre eux. Après tout, leur duo fonctionnait platoniquement depuis des années, pourquoi prendre le risque de sacrifier un partenariat qui leur convenait à tous les deux ?
Après moins d'une demi-seconde d'hésitation, il avait trouvé la réponse à cette question : parce que ce partenariat ne leur convenait plus, ne lui convenait plus. Il ne voulait plus de ça mais comment lui prouver qu'il était sûr de lui ?
Voyant son hésitation, Kaori s'inquiéta :
— Ryo ? Tu es de retour, tu es sûr ?
Il tiqua, serra les dents et détourna le regard. Il en avait assez de cette question. Son passé... En quoi était-il si important au final ?
— Ryo ?
Il se redressa pour lui faire face :
— Je peux te demander un truc ?
Elle hocha la tête et il murmura :
— Ce qui compte, c'est aujourd'hui et demain, non ?
— Oui.
— Promets-moi que ça sera toujours le cas.
Elle le regarda en penchant un peu la tête, intriguée.
— Pour ce qu'il s'est passé dans la jungle... Tu sais... Tout ce que j'ai raconté... Enfin, c'était...
Il soupira pour réfléchir et prendre le temps de trouver les mots :
— Pendant longtemps ma culpabilité m'a empêché d'avancer. C'était agréable d'avoir oublié ça, tu sais. La boîte, la trahison, la douleur. Alors maintenant... maintenant j'aimerais passer à autre chose : aujourd'hui et demain. Toi et moi.
Elle lui sourit :
— D'accord. De toute façon, c'est ce qui m'importe à moi aussi. Je te promets de ne plus en parler et de ne pas te poser de questions sur le sujet. Aujourd'hui et demain. Toi et moi.
Ryo l'observa, admiratif. Elle est là, devant lui, droite et franche, sérieuse et pleine de conviction alors qu'elle est en petite culotte et en t-shirt, à genoux sur son futon, inconsciente de son pouvoir mokkori... Il soupira : Kaori, quoi !
— Tu es sûre qu'un petit ryokan dans la montagne... tenta-t-il en se rapprochant d'elle.
Ses doigts jouaient avec la couverture comme ils auraient aimé jouer avec sa peau.
— Même pas en rêve, Ryo !
— On peut prendre notre retraite, tu sais. Vivre dans la nature, au grand air tous les jours, profiter de sources chaudes, recevoir des hôtes, tout ça... Toi qui aimes cuisiner pour tes invités, ça pourrait être chouette !
— Hors de question ! Je souffre trop ! s'écria-t-elle en montrant ses cuisses.
— Quoi ? Tes courbatures vont finir par disparaître, tu sais ! Tu t'habitueras ! dit-il avec un clin d'œil.
— Tu crois que je ne te vois pas venir ? Tu penses vraiment que vais te laisser mater les clientes pendant qu'elles se déshabillent pour aller dans les sources d'eau chaude ? Mais tu rêves, espèce de pervers obsédé !
— Tu n'es qu'une mégère rabat-joie. Tu l'avais oublié ce défaut-là, tiens !
— Oh, tu ne vas pas en profiter pour...
— Pour ajouter quelque chose ? Je vais me gêner !
— Vas-y si tu l'oses !
— Et, tu vas faire quoi ? Me taper dessus ? T'as pas le droit, je suis encore convalescent. Un choc à la tête et je peux redevenir amnésique.
— Qu'est-ce que t'en sais ?
— J'le sais.
Kaori resta coite quelques secondes, cherchant comment elle pourrait gagner la partie. Tout à coup, la solution lui apparut, évidente. Comment ne pas y avoir songé plus tôt ?
— Je sais où sont tes trésors, Ryo. Tu ne les as pas encore sauvés.
— Quoi ?
Kaori mima, du bout des doigts, des pages qu’on déchire. Ryo blêmit mais n'abdiqua pas :
— Tu es rabat-joie. Je maintiens.
— Ohhh ! Alors ça te fera rien si on en fait des confettis ?
— M'en fous.
Il ne mentait pas vraiment ; au pire, il lui resterait toujours la boîte à chaussure avec ses petits dessous... et avec un peu de chance, il aurait une jolie rouquine avec. Cette idée lui redonna courage. Mais il faudrait peut-être ruser un peu.
Ryo, impassible, lui tourna le dos et croisa les bras.
— Je suis d'accord avec tous les défauts que tu as énumérés. Mais j'ajoute rabat-joie et j'enlève tes fesses trop grosses. Elles sont pas du tout trop grosses, elles sont juste comme il faut, tes fesses !
Elle sursauta, interdite, ne sachant pas trop comment réagir devant ce... compliment. Oui, ça ressemblait à un compliment, version-Saeba-Ryo mais compliment quand même.
— Bah, oui, tu as énuméré tous tes défauts, poursuivit-t-il. Donc, je te réponds que tu as raison sur tout, ma belle, je ne vais pas te mentir ! Maiiis... tu as un joli petit cul... çaaa, c'est sûr !
Il profita de la surprise de la jeune femme pour se jeter sur elle, la renversant sur le lit avant de se positionner au-dessus d'elle. Enfin ! Elle rougit violemment et Ryo sentit à nouveau son cœur accélérer pendant quelques battements. Ce n'était vraiment pas le fruit de son imagination.
Ryo reprit :
— Tu sais, personne n'est parfait et moi non plus. D'ailleurs, tu en as fait une liste assez exhaustive, je crois : sale type, crétin, obsédé, bordélique, mufle, tête à claque, dragueur invétéré... même si je ne vois pas en quoi c'est un défaut si catastrophique que ça... je drague mais ça aboutit rarement, alors bon…
Les yeux de Kaori lui lancèrent des éclairs à ce moment-là et, avant qu'elle ne dégaine une percutante massue ou une simple objection, il posa son index sur ses lèvres pour lui signifier de se taire. Il se rapprocha encore un peu plus d'elle, en plaçant ses mains de part et d'autre de sa tête alors que son corps s'allongeait sur le sien. Il colla alors sa joue contre la sienne et lui murmura à l'oreille :
— Mais, toi tu es impulsive et violente en retour. Donc... ça s'annule, tu crois pas ? Et tu sais quoi ? Moi je les aime bien tes petits défauts... Parce qu'ils font partie de toi.
Il redressa un peu la tête pour la regarder dans les yeux, pour qu'elle voit, pour qu'elle soit sûre, pour qu'elle comprenne que cette fois, il était sincère. Ils échangèrent un sourire hésitant mais lumineux avant que leurs lèvres ne se trouvent enfin.
Quelques instants plus tard, alors qu'il jouait au jeu de go avec le propriétaire des lieux dans la pièce commune, juste après son petit déjeuner, Falcon devint brusquement rouge comme une pivoine. L'oreille aiguisée de l’ancien mercenaire n'avait que trop parfaitement perçu les rires, les soupirs et les petits gémissements en provenance de la chambre au bout du couloir. Pas besoin d'aller vérifier pour comprendre que Ryo était réveillé. Et bien réveillé. Apparemment, Monsieur Hojo n'avait rien entendu et observa d'un oeil surpris le géant se lever pour se diriger d'un pas décidé vers la sortie en grondant :
— Jeuu-crouaa-qu'on-varen-trer-ala-mai-zzzoooon !
— Oui. Je pense qu'on sera bientôt de trop, ici, confirma le Doc en reposant son livre.
— Bien... acquiesça le maître des lieux, décidément interloqué devant ces drôles de citadins.
En quelques minutes, Le Doc et Falcon avaient regroupé leurs affaires, réglé leur note, salué respectueusement leur hôte et se mettaient en route pour Tokyo.
Le Vieux pouvait percevoir l'impatience de Ryo, même à cette distance. Dans les rayons du soleil matinal, le jeune homme se tenait droit comme un i, le sourire au lèvres, les épaules légèrement rejetées en arrière. Il avait empaqueté ces quelques effets personnels dans un vieux sac militaire qui pendait sur son épaule : un treillis de rechange, une brosse à dents, un morceau de savon et certainement quelques magazines coquins. Le Doc avait bien remarqué que trois exemplaires avaient mystérieusement disparu de sa maigre collection très privée ramenée dans ses valises des années auparavant. Mais il n'en avait rien dit. Après tout, c'était de son âge. Bien plus que de manier la mitrailleuse, viser avec un revolver ou charger un lance-roquette…
Aux côtés de Ryo, se tenaient Moon et sa fille Rosemary. La jeune adolescente était encore un peu maigre et pâle, conséquence de sa vilaine fièvre, mais elle était sortie d'affaire, tout ça ne serait bientôt plus qu'un mauvais souvenir. Comme convenu, Moon, sa fille et Ryo partaient tous les trois vers la civilisation : direction Los Angeles, États-Unis, un nouveau départ.
Quand le Doc était arrivé à leur hauteur, Moon lui avait tendu la main :
— Voilà, Doc, c'est l'heure pour nous de vous quitter. Je ne sais comment vous remercier pour tout ce que vous avez fait. M'indiquer ce dispensaire a sauvé la vie de Rosemary.
Le médecin lui rendit sa poignée de main :
— Je n'ai fait que mon travail. C'est plutôt moi qui devrais vous remercier de vous charger de ce grand dadais !
— Hééééé ! avait râlé Ryo.
Le Doc ébouriffa la tignasse de l'adolescent, se dressant sur la pointe des pieds pour ce faire. Moon avait ri avant de balancer son sac à l'arrière puis celui de sa fille. L'adolescente avait, à son tour, poliment salué le médecin puis s'était installée côté passager. Ryo, lui, semblait hésiter et dansait d'un pied sur l'autre. Le Doc lui avait souri en lui tendant la main. Le jeune homme l'avait serrée vigoureusement, un peu trop même, mais le médecin n'avait rien laissé paraître. Cette poignée de main était si sincère et si pleine de reconnaissance.
— Prends soin de toi, Babyface.
— Je ferai gaffe, ne vous inquiétez pas ! Et... Merci, Doc, de m'avoir, enfin, vous savez ...
— Pas besoin de me remercier. N'oublie pas, si tu retournes un jour au Japon, je serai à Tokyo. Mon engagement ici prend fin l'année prochaine. J'ai l'intention d'ouvrir une clinique là-bas qui sera ouverte à tous. Sans distinction de camp ou de clan. Viens me voir, ça me fera plaisir d'avoir de tes nouvelles.
— Un projet qui ne m'étonne pas de vous. Je peux vous poser une question ? avait ajouté le jeune homme à voix basse.
— Je t'écoute.
— Vous croyez aux rêves prémonitoires, le Vieux ?
Le Doc avait été surpris. Quelle drôle de question !
— Pas vraiment. Je crois plutôt à la force de l'inconscient qui nous guide quand on en a besoin. De quoi as-tu rêvé, Baby Face ?
Le visage de Ryo s’était fendu d’un sourire éclatant et solaire, ses yeux avaient pétillé de joie et de malice :
— J'ai rencontré mon ange gardien en rêve, l'autre nuit. Ou plutôt, j'ai entendu sa voix... Elle m'a dit de continuer à me battre pour devenir un homme bien. Que, plus tard, je serai un homme bien. Elle a ajouté que, malgré ça, je resterai quand même une tête à claques et un mufle. J'ai trouvé ça bizarre mais bon... Je lui ai promis de tout faire pour trouver comment devenir cet homme bien. J'espère qu'elle reviendra me voir la nuit... et pas que dans mes rêves !
— Elle ?
— Bah, oui ! Quitte à avoir un ange gardien, autant que ça soit une fille ! s’était exclamé le jeune homme en lui lançant un clin d'œil. Et, si j'en juge sa voix, je vous parie tout c’que vous voulez qu’elle est sacrément jolie !
Le Doc avait éclaté de rire :
— Alors, j'espère sincèrement que tu la rencontreras un jour.
— Moi aussi ! Et je la protégerai au péril de ma vie, vous pouvez en être sûr !
— Quel programme !
— Maintenant, j'ai plus qu'à chercher parmi toutes les jolies filles de la Terre pour la retrouver... Ça ne va pas être simple !
Le Doc avait ri :
— Je suis sûr que tu t'en sortiras très bien, Baby Face ! Allez, file ! Moon t'attend !
Ryo avait hoché lentement la tête en prenant une grande inspiration. Le Doc se souvenait bien avoir eu un pincement au cœur quand le jeune homme avait tourné les talons pour courir vers la Jeep qui démarrait déjà. Vers Moon et sa fille Rosemary, vers Los Angeles, vers son nouvel avenir. Ryo avait sauté à l'arrière de la voiture avec son sac. S'accrochant aux rebords de la cabine cahotante, il s'était tenu debout pour saluer le Doc jusqu'à ce que le véhicule disparaisse dans la jungle.
— Bonne chance, Baby Face, avait souhaité silencieusement le médecin en les regardant s'éloigner tout en agitant la main en retour. Bonne chance. J'espère vraiment que tu croiseras la route de ton ange gardien. Qui sait ? La vie est tellement imprévisible…
Ryo et lui se reverraient des années plus tard à Tokyo.
Assis dans la voiture de Falcon, secoué par les virages de cette route de col sans fin qui les ramenait vers la civilisation urbaine, Le Doc sourit pour lui-même en repensant à ce vieux souvenir :
— Je suis heureux que tu l'aies trouvée, Baby Face, sincèrement heureux. Profite enfin de ta nouvelle vie, tu l'as méritée.