Ramène-moi ! (version 2.0)
Chapitre 4 : Retrouver des couleurs familières
2971 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 21/02/2024 17:17
Au fond du jardin de la Clinique, près de la mare aux carpes, Kaori s'approcha de Mick et s'assit près de l’eau, à même le sol, les bras autour de ses genoux. Elle se laissa elle aussi bercer par la danse des poissons colorés, happée par le rouge vif et le orange acidulé. Mick finit par s’asseoir lui aussi et murmura :
— Kazue a raison. Il y a de bonnes ondes ici pour réfléchir. J'y ai déjà passé du temps lors de ma convalescence. Tu te sens d'attaque, ma belle ?
— Il le faut bien. On n'a pas vraiment le choix... Oh ! Mick ! C'est horrible !
Elle éclata enfin en sanglots. Elle dissimula son visage derrière ses bras et laissa de grosses larmes couler le long de ses joues et terminer leur route sur son pantalon de pyjama d'hôpital sur lequel elles dessinèrent des taches rondes bleues foncées. Mick posa un bras réconfortant sur ses épaules mais ne dit rien. Entre deux hoquets, Kaori s'écria :
— Comment c'est possible, ça ? Comment est-ce qu'on peut avoir autant la poisse ?
— Un contre-temps malheureux, un adversaire vicieux, un acte précipité, répondit Mick d'une voix douce tout en serrant un peu l'épaule de son amie. Je résumerai ça par « les risques du métier ». Tu sais, ça arrive aux soldats les plus aguerris. Ça arrive même aux meilleurs, okay ? ça arrive même aux meilleurs, des conneries de ce genre.
Kaori se redressa, chassa la main de Mick et essuya ses larmes dans sa manche :
— Oh, je ne parle pas seulement de ça... J'ai l'impression... J'ai l'impression que...
Elle prit une grande inspiration pour retrouver son souffle et calmer ses sanglots :
— À chaque fois qu'on se rapproche, Ryo et moi, il arrive une catastrophe. Quand, c'est pas à moi, c'est à lui et tout se complique ! Comme si c'était déjà pas assez difficile de l'aimer, cet idiot ! On dirait que l'univers tout entier nous dit... non, il ne nous le dit pas, nous hurle ! … qu'on a rien à faire ensemble.
— Stop, stop, stop, Kaori. Tu m'expliques ? Parce que j'ai l'impression d'avoir loupé un épisode.
Kaori renifla puis se tourna vers son ami et lui lança, éperdue :
— Tu me crois si je te dis qu'il a enfin assumé ses sentiments pour moi quand il m'a libérée hier ? Qu'on est enfin rentrés ensemble, côte à côte à la maison ? Mais qu'on ne s'était pas encore embrassés ? Merde, Mick, tu te rends compte, on ne s'est toujours pas embrassés... Je pensais passer une soirée rien que pour nous deux et il lui arrive ça... Il lui arrive çAAAaaaAAA !!!!
Elle recommença à pleurer, le front posé sur ses genoux, pendant que Mick regardait à nouveau les carpes :
— Je comprends mieux ... Allez, vas-y, pleure un bon coup. Ça te fera du bien, il faut que tu évacues.
Il lui laissa un peu de temps pour reprendre son souffle puis il lui posa à nouveau la main sur l'épaule mais en tirant un peu en arrière cette fois-ci, l'incitant à se redresser pour le regarder.
— Je veux que tu me promettes une chose ...
— Oui, quoi ?
— Arrête tout de suite de penser ces idioties.
— Lesquelles ? demanda la jeune femme en s'essuyant à nouveau dans sa manche.
— Toi et Ryo c'est... c'est inéluctable, vous deux... Il faut que vous soyez ensemble ! Il le faut ! C'est ce que tu veux depuis tellement longtemps et lui aussi, c'est ce qu'il veut, j'en suis sûr ! Alors, OK, il a hésité pendant des plombes, ensuite il n'a pas su comment te le dire. Après, ses tentatives, c’était vraiment la loose grand format, mais lui seul est responsable, lui et personne d'autre. Il n'y a aucune volonté supérieure pour se mettre en travers de votre chemin. Aucune, tu m'entends ? Et si une telle volonté supérieure existe, je pense plutôt qu'elle a œuvré pour te mettre sur sa route, à ce pas-beau-de-service, tu ne crois pas ? Parce que sans toi, il était pas bien barré, j't'assure !
Au bout de quelques secondes, Kaori concéda :
— Tu as peut-être raison ...
Mick rit :
— Bien sûr que j'ai raison ! J'ai toujours raison ! Tu devrais le savoir ! Et puis, ne t'en fais pas, je suis convaincu que tu y arriveras : bah oui, quoi ! Tu es une magicienne !
Kaori le regarda et soupira :
— Il faut que tu arrêtes le whisky, Angel, tu racontes vraiment des conneries quand tu t'y mets.
— Non. C'est vrai. Tu es une magicienne. Ou plutôt une fée, c'est plus jolie, une fée. Alors, écoute-moi bien, petite fée ...
Il s'accroupit devant elle, les pieds dans l'eau jusqu'à la hauteur de ses semelles et la prit par les épaules, la forçant à le regarder dans les yeux :
— Tu m'as sauvé la vie en ramenant mon esprit imprégné de cette drogue immonde, tu m'as redonné espoir alors que je sombrais, que je n'existais même plus... Si tu as réussi à faire ça pour moi, tu peux le ramener, lui. Parce que tu en as la force, parce que tu tiens à lui et aussi parce que lui, il t'aime plus que tout. Et ça, ça ne s'oublie pas, j'en suis certain.
— Tu crois ? Je ne suis pas sûre qu'il m'aime tant que ça, tu sais.
— Si. Moi, je le sais. J'y crois. Et toi aussi, tu dois y croire. Il faut le ramener.
— Et s' il ne veut pas être ramené ?
Mick détourna soudain les yeux pour fixer le sol.
— Je ne peux pas l'imaginer. Il ne peut pas rester comme ça. Ce n'est pas ... Ce n'est pas lui.
L'Américain se leva, enfonça ses mains gantées dans les poches de sa veste de costume et se retourna, portant à nouveau son regard sur l'eau paisible de l'étang :
— Saeba Ryo ne peut pas disparaître comme ça... Ce n'est pas digne de lui. Ce n'est pas digne d'un pro. Ce n'est pas digne du Numéro Un. Je sais qu'il refuserait de tirer sa révérence de cette façon.
Kaori se leva aussi et posa une main bienveillante dans son dos.
— C'est vrai, tu as raison Mick. On fera tout ce qui est possible pour ramener Saeba Ryo, notre Ryo.
Elle inspira profondément et fit quelques pas en direction de la Clinique, songeuse. Soudain, elle fit brusquement volte-face, redressa la tête et lui lança d'un air décidé, un sourire rayonnant aux lèvres :
— Tu viens ?
Mick se tourna vers elle, lui rendit son sourire et hocha la tête. Elle se sentit alors la force de dire :
— Allons-y alors. Je suis prête.
Son ami fit quelques pas puis grimaça alors qu'il arrivait à la hauteur de Kaori.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Non, rien... C'est juste qu'à chaque fois que je viens ici, je me retrouve avec les pieds mouillés. Mes plus belles bottines italiennes, en plus, râla-t-il en surjouant le désespoir. Tu n'imagines pas comme c'est difficile de sécher un cuir de cette finesse sans qu'il ne durcisse ou que ça laisse de vilaines auréoles...
Kaori ne put se retenir de pouffer de cette coquetterie inattendue puis, pendant que Mick lui expliquait ses petites techniques de cordonnerie, d'un pas confiant, ils se rendirent tous les deux dans le bureau de Kazue. Là, Kaori prit sa première leçon de méditation avant de rentrer à la maison, les bras chargés d'ouvrages et de rapports sur l'amnésie et sur différentes pratiques mentales.
Une semaine plus tard, Kaori et Mick vinrent chercher Ryo pour le ramener à la maison. Quelques jours auparavant, il avait accepté de participer au programme mis en place par Kazue et le Doc, déconcertant tout le monde en révélant sa principale motivation : la perspective d'habiter avec la jolie rouquine.
Il avait alors été prévenu que son passé était assez hors du commun. Kaori, Mick et Falcon avaient pris le temps de lui expliquer les grandes lignes de son métier actuel. Il avait froncé les sourcils, avait regardé Kaori avec insistance et lui avait demandé de but en blanc :
— Ça ne vous dérange pas que je sois ce genre d'homme ? Je veux dire... Vous me faites vraiment confiance ? Vous faites équipe avec moi par choix ? Parce que nous sommes quand même des hors-la-loi, si je comprends bien...
Kaori s'était assise au bord du lit de Ryo et lui avait expliqué combien leur mission était importante à ses yeux, pourquoi les gens comptaient sur eux et avaient recours à leur service, en quoi elle trouvait leur cause noble et qu'elle ne voudrait en aucun cas changer de partenaire ou de vie. Ryo était resté silencieux quelques secondes puis avait hoché la tête :
— Bon. Je vais vous faire confiance. Je vous connais à peine, je ne me rappelle rien vous concernant et pourtant, je sais... non, je sens... que je peux vous faire une confiance aveugle. Alors soit, Mademoiselle Makimura Kaori, je vous suivrai où vous voudrez ! J'espère ne pas vous décevoir.
Kaori en avait eu les larmes aux yeux et elle s'était sauvée, prétextant devoir préparer l'appartement pour son arrivée, préférant lui dissimuler son émotion.
Et puis, le jour J était arrivé. Elle pensait être prête à affronter le retour de Ryo chez eux mais, à la dernière minute, elle avait hésité et avait appelé Mick à la rescousse. Pour l'occasion, elle avait sorti la Mini Cooper de Ryo du garage, l'avait polie et lustrée pour qu'elle étincelle. Elle avait pensé que conduire sa voiture adorée et tant chouchoutée lui aurait fait plaisir et aurait peut-être éveillé des souvenirs mais il avait poliment refusé, ajoutant d'un air contrit qu'il ne saurait pas où aller. Il s'était alors assis côté passager, Mick essayant de se faire une place à l'arrière :
— Je te laisse conduire, ma belle. Les boîtes manuelles, tu sais que c'est pas mon truc...
Kaori avait donc pris le volant pour effectuer le trajet vers leur immeuble, comme à l'aller. De temps en temps, elle risquait un regard en biais pour observer Ryo, soucieuse. Lui, absorbé par le paysage, restait tourné vers la vitre : il découvrait sa ville, demandant parfois le nom d'un quartier, d'une rue ou d'un bâtiment.
— C'est étrange. Tout me semble familier mais en même temps, ça ne m'évoque rien.
— On ira faire un tour de nuit pour aller boire un coup, ça te rappellera peut-être des trucs, lança joyeusement Mick.
— Mmmm, grogna Kaori. Je ne suis pas vraiment d'accord pour ce genre de sortie.
— Oh, maman poule est de retour, on dirait ! la taquina Mick d'un ton moqueur.
— Rien à voir, Mick. Qu'est-ce que tu comptes faire si vous tombez sur des adversaires ou des professionnels ? Imagine ce qu'il pourrait se passer s'ils réalisent qu'il n'est plus tout à fait lui-même.
Elle se tourna vers Ryo :
— Désolée, Ryo, je ne ...
— Pas de problème. Même si je ne comprends pas très bien pourquoi je ne pourrais pas dire à des collègues que j'ai perdu la mémoire... Ils ne pourraient pas m'aider, au contraire ?
Comment lui expliquer que ceux qu'il considérait comme de simples collègues chercheraient plutôt à l'éliminer pour supprimer une gêne, une menace ou simplement prendre sa place de tueur à gage Numéro Un du pays ?
— On est pas au bout de nos peines, soupira Mick en posant son front sur la vitre latérale.
Kaori prit une grande inspiration et tenta de lui expliquer sans vraiment lui mentir :
— C'est que la concurrence est rude dans notre domaine d'activité, vois-tu, et il n'est pas question de montrer des signes de faiblesse ou on pourrait perdre des clients.
— Ah... d'accord. Il n'y a vraiment personne en dehors de vous, sur qui on peut compter ?
— Je sais que tu as des indics qui te donnent des infos mais je ne les connais pas tous et franchement, pour le moment, je préférerais éviter que des rumeurs ne se répandent. Pour notre sécurité à tous les deux.
— Je comprends, accepta Ryo. Pardon si je pose des questions idiotes.
— Y'a pas d'mal, j't'assure, répondit Kaori avec un grand sourire, même si elle n'était pas vraiment certaine de ne pas paraître un brin crispée.
— C'est que parfois, j'ai l'impression d'être dans un mauvais film... ou un cauchemar.
Le ton désemparé de sa voix troubla profondément Kaori. Elle ralentit inconsciemment alors que Mick posait la question qu'elle n'osait pas prononcer :
— Tu es sûr que tu veux rentrer à l'appart et te lancer dans le programme de Kazue pour retrouver la mémoire ?
Ryo se retourna :
— Oui, oui ! Ne vous inquiétez pas, Mick. C'était juste une remarque comme ça. Je vais tenir le coup. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai l'impression qu'il en faut plus que ça pour me faire renoncer à quelque chose, non ?
Avec un sourire en coin et un petit hochement de tête qui en disaient long, l'Américain répliqua :
— No doubt, man.
Soudain, la Mini s'arrêta brusquement :
— Et voilà ! TA DAAAAA ! Ha ha ha ! On est arrivés ! Tu vois ici ? C'est notre immeuble ! Heu, non, celui-là... dit-elle en le pointant du doigt. Et là, en face, il y le bureau et l'appart de Mick et Kazue, tu te rappelles de l'assistante du Doc ?
— Oui, difficile d'oublier une telle beauté ! Au fait, je n'ai pas eu le temps de vous féliciter, Mick, vous avez beaucoup de chance ! ... Et de goût ! répliqua vivement Ryo tout guilleret en ajoutant même un clin d’œil de connivence à l'attention de son ami assis à l'arrière.
— Finalement, le vrai Ryo n'est peut-être pas si loin ... lâcha Mick.
Kaori rangea la Mini au garage et tous les trois purent enfin s'extraire de la petite voiture.
— Wow, c'est énorme ici ! s'étonna Ryo avec des yeux écarquillés.
— Oui, tout le sous-sol est à vous, je crois. Moi aussi, ça m'avait impressionné quand je suis venu ici la première fois, répondit Mick qui s'extirpait de la voiture et dépliait soigneusement son mètre quatre-vingt-huit derrière Ryo.
— Oh ! On peut visiter ?
Avant que Kaori ou Mick n'ait pu le retenir, Ryo ouvrait la première porte qui se trouvait devant lui. Tous se figèrent. Sous le regard interloqué de Ryo, se trouvait une pièce de plus de dix mètres sur vingt, aménagée en véritable stand de tir professionnel avec des dizaines de cibles, trois rangées, trois tables, deux casques, et au fond, trois grandes armoires grillagées avec l'armurerie complète : armes légères, munitions, bazooka, mitrailleuses... l'attirail complet du parfait soldat.
Médusé, pâle et crispé, Ryo se tourna vers ses acolytes tout aussi interloqués que lui, guettant sa réaction.
— It's Okay. Tout va bien, Ryo. Ce n'est pas si....
— Je sais. Je sais. Vous m'aviez prévenu, Mick. C'est juste que je ne m'imaginais pas ça aussi... grand.
— Je comprends, murmura Kaori.
Elle referma doucement la porte devant eux mais Ryo la retint :
— Non, attendez.
Kaori hésita et finalement le laissa faire quelques pas dans la grande salle.
— C'est marrant... murmura Ryo en reniflant. Enfin, marrant, ce n'est pas vraiment le mot exact mais...
— Oui, quoi ? Quelque chose te revient ? s'enquit impatiemment Kaori pleine d'espoir.
Hélas, c'eut été trop simple et Ryo secoua négativement la tête.
— C'est juste que c'est tellement paisible ici, malgré la présence des armes. C'est un endroit familier aussi, non ?
Kaori hocha la tête. Elle ne saurait compter les heures qu'il avait passées ici, vidant chargeurs sur chargeurs, soit pour s'entraîner, soit pour évacuer une contrariété, soit pour s'éloigner d'elle. Il avait même essayé de la former, elle et son arme mal réglée... Elle serra les dents en repensant à ces désagréables instants mais ce n'était pas le moment d'en parler :
— Oui, tu viens souvent. Ça fait partie de notre mode de vie, disons. Moi aussi, je passe de temps à autre. D'ailleurs, certaines de ces armes sont à moi.
— Ah oui ? Lesquelles ? demanda Ryo en lorgnant, à distance raisonnable toutefois, l'armurerie.
— Bazooka et C4.
Ryo se tourna vers elle, surpris :
— Comment une femme comme vous...
— C'est Falcon qui m'a formée, le coupa-t-elle, contrariée qu'il ne croit pas en ses capacités de combattante. Il m'a aussi appris les bases de la pose de pièges en tous genres.
Ryo la dévisagea d'un air étrange, à la fois admiratif et interloqué. Il se tourna à nouveau vers l'armurerie. Il huma l'air et rit en se grattant l'arrière du crâne, enfin libre de tout pansement :
— Tout cet attirail fiche franchement la trouille mais je trouve que ça sent bon. C'est drôle.
— Ah... Ah bon ? s'étonna Kaori en cherchant du regard ce qui pouvait bien venir chatouiller l'odorat du nettoyeur.
— Poudre et graisse à revolver, répondit Mick en souriant et en entraînant Ryo vers la porte. La véritable odeur des pros. Si tu aimes ce parfum, c'est que tout n'est pas perdu, mon pote. Allez, viens, c'est peut-être un peu trop tôt pour aller sniffer de la poudre à canon, tu n'crois pas ?
— Mick ! s'écria Kaori en fronçant les sourcils.
— C'est bon, je blague, je blague ! Mais, il faudrait peut-être commencer plutôt par le début. Montons.