Entretien avec un Chasseur
- "Elle se rappelait quoi ? De ce qu'elle avait fait de l'enregistrement ? C'est ça, n'est-ce pas ?" Me demande le Binoclard, impatient.
Je hoche la tête.
- "Ouais ... Et elle m'a hurlé ça dans le crâne avec sa délicatesse toute personnelle. J'en ai eu des échos dans la cervelle pendant plus de vingt-quatre heures ..."
Sans surprise, mon compagnon se bidonne ... puis il se penche brusquement vers moi, cessant de rire, pour me demander :
- "Attendez, attendez ... Et ça lui est revenu, comme ça ?" Il claque des doigts en me regardant, les sourcils en circonflexe.
- "Oui, comme ça ..." Je claque aussi des doigts.
- "Comme ça, paf ?" Il répète son geste.
- "Mouiiiii ..." Murmurè-je, un peu excédé de tous ces clac-clac ; c'est qu'il en fait un peu trop parfois ...
- "Comment ça se fait ? Nan, j'veux dire ... Elle a passé des mois à tourner en rond dans l'appart et elle ne savait plus où elle avait mis un truc aussi important que cet enregistrement ? Et, là, ça lui revient d'un coup ! C'est un peu difficile à avaler, non ?"
Je prends une grande inspiration, pose mes mains à plat sur la table et me penche aussi vers lui, me retrouvant ainsi presque nez à nez avec lui. Je vois mon reflet dans le verre épais de ses lunettes rondes et je lui demande :
- "Avez-vous déjà connu la peur ?"
Je le vois se troubler un peu avant de me murmurer :
- "Heuuu ... Vous savez bien ..."
Il toussote pour s'éclaircir la gorge et se réadosse à sa chaise, essayant de retrouver contenance alors que je ne lâche pas des yeux, accentuant son malaise, montrant ainsi que j'exige une réponse de sa part qui, finalement, ne tarde pas à venir :
- "Oui. Je sais ce qu'est la peur ..." Avoue-t-il, les yeux baissés.
- "Bien. Et, dites-moi, pendant combien de temps avez-vous ressenti cette peur ?"
- "Bah ... " Il me regarde, circonspect.
- "Oui, voilà, ça n'a pas duré longtemps." Je me penche encore un peu plus pour souligner mes propos : "Mais vous vous souvenez comment vous vous sentiez, non ?"
- "Oui." Me répondit-il en essayant vainement de réprimer un frisson.
- "Et ... est-ce agréable ? Diriez-vous que vous étiez ... épanoui ? ou en pleine possession de vos moyens ? Ou en capacité de prendre les bonnes décisions ?" Demandé-je, avec un ton que je voulais chargé de sous-entendus.
Binoclard secoue négativement la tête et je me contente de cette réponse :
- "Alors, imaginez ce que ça peut faire de ressentir ça pendant si longtemps ... La peur la paralysait totalement. Annihilant sa volonté. Rongeant sa force mentale peu à peu. C'est ça, le grand pouvoir de la peur. C'est l'une des plus grandes puissances de ce monde, la peur. Et mon Père se faisait un malin plaisir à la lui insuffler depuis des mois ..."
- "Et donc ... D'un coup ..."
- "D'un coup, elle avait moins peur. Elle me faisait confiance et elle surmontait sa peur."
Binoclard souffle entre ses dents :
- "Bah dis donc ... Et vous allez encore me faire croire qu'il n'y a rien entre vous ?"
Je faillis me cogner le front sur la table, tellement je suis surpris par sa remarque :
- "Nan mais ... c'est pas la question ..."
- "Ah bon ?"
- "Non ..." Dis-je en me redressant sur ma chaise.
- "Ah ... Dommage ... J'avoue que j'aimerais quand même savoir si vous ..."
Je le coupe rudement, n'ayant évidemment aucune envie de détailler ma vie privée :
- "C'est pas la question, j'vous dis ... La vraie question concerne l'enregistrement."
Il écarte les bras en signe de reddition :
- "OK. Bon, alors, il était où, cet enregistrement ?"
- "Z'allez pas me croire ..."
- "Dites toujours ..."
- "Juste en dessous de nous ..."
- "Oh ! Sous le plancher ?"
- "Non ..."
***
- "Tu l'as balancé où-ça ?" M'exclamai-je, tentant, tant bien que mal, de remettre mon cerveau en place.
Kaori baissa la tête, penaude et je l'entendis marmonner dans mon esprit :
- "Ohhh, oui, je sais, c'est une cachette un peu nulle ... Mais, sur le coup, je me suis dit que personne ne viendrait le chercher là-bas ..."
Je me levai, chancelant encore légèrement alors que j'ouvrais la porte.
- "Ça va ?" Me demanda-t-elle, inquiète.
- "Ouais, ouais ..." Murmurai-je, en me frottant l'arrière de la tête. "La prochaine fois que tu te rappelles un truc de ce genre, évite d'hurler, hein ..."
Elle rit doucement :
- "Pourquoi, c'est tellement vide dans ton crâne que ça résonne encore ?"
- "Hahahha, très drôle, Mademoiselle !" M'exclamai-je en me tournant vers elle, contrarié.
Elle baissa le nez, les joues légèrement grisées :
- "Excuse-moi... Je ne maîtrise pas encore très bien ce mode de communication..."
- "Pas grave." Dis-je, surpris d'être aussi rapidement attendri, en la regardant se triturer les doigts. "Allez, viens vite p'tite tête. Allons voir s'il est toujours là... en espérant que les types qui sont venus ici ne l'ont pas trouvé."
Je descendis les escaliers à toute vitesse, sortis de l'appartement, dévalai ensuite les quatre étages pour la retrouver devant la porte de la cave.
- "C'est là ?" Demandai-je.
Elle hocha la tête :
- "La clé est dans la troisième brique en partant de la droite, en bas ... oui, voilà..." Je m'exécutai pendant qu'elle continuait à parler dans ma tête : "Tu sais... Je ne pense pas que les gars qui ont retourné l'appart aient mis la main dessus."
- "Comment tu peux le savoir ?" Je trouvai la bonne brique et la fis bouger facilement. "Tu ne savais même pas ce qu'ils cherchaient ... Puisque tu ne te rappelais pas de l'existence de cet enregistrement."
- "Peut-être." Me répondit-elle vivement et je compris à son ton qu'elle était vexée. "Mais, déjà, il semble bien que cette porte est restée fermée, non ? Et ensuite, je me rappelle très bien qu'ils étaient complètement furax quand ils sont partis... donc... Moi, j'te parie que l'enregistrement est toujours là !"
Je ne répondis pas et elle ajouta d'une toute petite voix après une courte pause, m'arrachant un sourire en coin :
- "Enfin, j'espère ..."
J'ouvris la porte de la cave et allumai la lumière, et là, j'en tombai presque à la renverse... Une salle de tir. Là, sous l'immeuble, dans cette simple cave se trouvait une salle de tir, avec les couloirs, les cibles, les treuils pour les rapprocher, les lunettes de protection et les casques anti-bruit, l'insonorisation et ... l'armurerie ... Tout ... On se serait cru dans un vrai film policier.
- "Putain, mais c'est quoi, ça ?!?" Lâchai-je, les bras ballants.
Elle bredouilla dans ma tête :
- "Bah, une salle d'entraînement au tir."
- "Ah bien !! Merci de la précision, Sherlock, j'avais remarqué !"
***
- "Vous déconnez !!!" s'exclama Monsieur Binocle.
- "Pas du tout."
- "Une salle de ..."
- "Pas maintenant, attendez la suite …" L'interromps-je.
- "Nan mais, une salle de tir quand même !!!!"
- "Après…"
- "Et qui l'avait ..."
- "Après, j'vous dit ..."
***
Elle baissa la tête et je ne parvins plus à percevoir son regard quand je demandai :
- "Et personne ne vous a rien dit ?"
- "Comment ça, personne ne nous a rien dit ?"
- "Bah, je sais pas moi ... Ça fait un barouf de tous les Diables quand on tire dans un espace fermé ... C'est insonorisé, certes, mais quand même ! Les voisins ? Ils vous ont jamais rien dit, les voisins ?"
- "Quels voisins ?"
- "Bah les p'tis vieux du rez-de-chaussée, là ..." Lui fis-je, commençant à m'inquiéter sérieusement pour sa mémoire.
- "Quels p'tis vieux du rez-de-chaussée ?" Me demanda-t-elle, en levant à nouveau les yeux vers moi.
Je la regardai incrédule. Elle faisait exprès ou quoi ?
- "Les proprios ... Ceux qui m'ont engagé pour ... pour ..." Je suspendis mes paroles.
- "Pour ?"
J'aurais pu me frapper, je ne voyais pas vraiment d'échappatoire pour ne pas terminer cette phrase et j'allais révéler qui sont mes clients. C'était bien la première fois que ça arrivait… Je la regardai, un peu en colère contre moi-même et finis par lâcher en soupirant :
- "Pour m'occuper du fantôme de ton appartement ... Toi, en l'occurrence ..."
- "Hein ?"
Elle me regardait de ses grands yeux qui reflétaient toute son interrogation. Je lui répondis avec douceur :
- "Ben oui, tu crois que je suis arrivé comment dans ton appart, p'tite tête ?"
- "Je sais pas trop ... J'ai cru que tu étais un ami de mon frère ..." Dit-elle en haussant les épaules.
- "Ton frère fréquentait les Chasseurs de Nuit ?" Lui répondis-je en haussant un sourcil.
- "Non. Mais ..."
- "Donc, oui, j'ai été engagé par ... Raaa, j'aime pas dévoiler l'identité de mes clients ... Mais, toi, c'est pas pareil. On est un peu des partenaires sur cette affaire mine de rien, non? Bref ... Donc, oui, j'ai été engagé par tes propriétaires pour régler la question des nuisances que tu provoques dans ton appart."
- "Quoi ? Mais ..."
Elle avait vraiment l'air inquiète. Je tentai de la rassurer.
- "Pas de panique, c'est pas grave ! Ils ont l'air très sympas et compréhensifs ! Je pense qu'ils ne t'en voudront pas d'avoir fait des impacts sur les murs ou décroché le lustre. C'est des trucs qui se réparent vite fait, ça. Au pire, je peux même m'en charger si nécessaire ..."
- "Attends, Ryo ..." Et elle en leva les mains pour tenter de me faire taire, en vain.
- "Mais quand ils verront ce que vous avez fait de la cave, ils vont en rester sur le cul. Tu peux rêver pour récupérer ta caution."
Ses sourcils se froncèrent :
- "M'enfin, non, c'est pas ..."
- "Bon ... Je suppose que si on arrive à te réveiller, tu pourras revenir vivre ici. Quand les méchants seront tous derrière les barreaux, je veux dire ..."
- "Ryyyyoooo !" Cria-t-elle dans ma tête.
- "Quoiiiiii ?" Répondis-je en plaquant mes mains sur mes oreilles, comme si ça allait diminuer la résonance.
- "On a pas de proprio ... Enfin, je veux dire ... Les propriétaires de l'immeuble, c'est nous ... C'est Hideyuki et moi. C'était ... "
- "Hein ?"
Elle me regarda et prit le temps de détacher chaque mot dans mes pensées :
- "Oui. L'immeuble appartenait à un drôle de type. Un artiste peintre. A sa mort, il a légué une immense fortune à ses trois filles et comme mon frère leur avait rendu un service en retrouvant un des tableaux de leur père, elles lui ont vendu cet immeuble pour une bouchée de pain."
- "Quoi ?"
Elle soupira :
- "Y'a pas de voisins. Pas de p'tits vieux du rez-de-chaussée. Pas de proprios ... y'avait que Hideyuki et moi, ici ! Je ne sais pas qui t'a engagé mais, une chose est sûre, ils t'ont raconté des cracs !"
***
Gentil Petit Binoclard s'est levé, appuyé sur la table et exprime son étonnement dans ma direction.
- "Naaaaannnnnn !!!!!!!"
Je souris :
- "J'vous avais bien dit que la suite était vachement plus intéressante que cette salle de tir."
Je suis toujours adossé à mon siège, attendant que Binocle se remette de ses émotions. Il se rassoit enfin et vide son verre d'eau d'une traite. Il se lève, sort de la pièce et revient avec une bouteille de saké qu'il pose sur la table.
Il se sert un verre plutôt conséquent qu'il vide cul sec.
Je pince les lèvres pour ne pas éclater de rire et tente de garder mon sérieux alors que son regard se plante à nouveau sur moi :
- "Mais alors…. C'était qui ces p'tits vieux ? Des fantômes aussi ? Des esprits ? Des démons ?"
- "Rien de tout cela…"
Il me fixe la bouche ouverte, le regard vide. Puis enfin, il s'anima à nouveau :
- "Parce que y a encore d'autres trucs qui existent ?"
Cette fois, j'explose d'un rire franc.
- "Ahhh mon Cher, nous n'avons pas assez d'une après-midi entière pour que je puisse vous dire tout ce qui existe. Certaines légendes sont totalement inventées et d'autres sont vraies. Et ces deux ancêtres-là… Ma foi… Comment dire ? Ces deux-là aiment beaucoup s'amuser avec les fils rouges du destin…"
- "Ahhhhh ! J'avais raisooooon !" S'écrie mon Binoclard. "Kaori et vous, vous êtes liés par les fils du vieillard sous la Lune !!! "
Je soupire.
Ben voyons, manque plus qu'il lève les mains au ciel dans un signe victorieux et il m'aura tout fait celui-là. Je croise les bras sur ma poitrine, un peu boudeur et lui dis la seule chose que j'arrive à penser :
- "Ca, ça vous r'garde pas, nan mais…"
Il insiste, très sûr de lui :
- "Vous êtes âmes soeurs, y'a pas à tortiller !"
- "Je suis âme-soeur avec personne, j'vous dis !"
- "Ah, bah, si les p'tits Vieux du rez-de-chaussée, c'était vraiment vraiment vraiment EUX, z'êtes fichu, moi, je vous le dis !"
- "Fichu, rien du tout ! Pis ça vous regarde pas, en plus ! Mêlez-vous d'vos oignons !"
- "Oh, c'est boooon !!! Le prenez pas mal ! C'est juste que je me réjouis pour vous et pour votre bonheur ..." Souffle-t-il, ostensiblement moqueur.
Je serre les poings, prends une grande inspiration et détourne le regard. Je me verse un verre de saké pas uniquement pour me donner une contenance, ça fait un petit moment que j'en ai envie. J'aurais préféré du whisky mais ça fera l'affaire…
- "Bon, je vous laisse faire vos recherches sur Yue Lao et les différentes versions de cette légende, hein." Ajouté-je en vidant mon verre d'un trait, alors qu'il me dévisage, abasourdi.
Je m'éclaircis la gorge et continue mon histoire.
- "Donc, la salle de tir qui vous intéressait tant, vous voulez savoir ?"
Il secoua la tête :
- "Continuez, continuez ..."
***
J'avais eu du mal à me remettre de cette révélation ... Et la voix de Kaori m'avait ramené sur terre :
- "Allô, Ryo ? Ça va ?"
Je secouai la tête :
- "Ouais, ouais ..."
- "Alors, c'était qui ces vieux alors ?"
Je lui souris et lui mentis :
- "Personne, t'inquiète pas ... Je dois me tromper." Je détournai son attention en lui montrant l'armoire emplie d'armes à feu en tous genres : "Alors, c'est quoi tout ça ?"
Elle parut gênée et murmura dans ma tête :
- "Ouais, mon frère ... Hideyuki avait des projets un peu ... un peu originaux..."
- "Originaux !" Je lui tournai le dos pour aller inspecter un peu mieux les armes, éberlué. "Originaux ! Pour toi, avoir une vraie salle de tir dans votre cave, avec AK47, fusils d'assaut, trois bazookas, des munitions à revendre ... Tu appelles ça : avoir des projets originaux ! Et behhh ..."
Je me tournai vers elle :
- "Et c'était quoi, ses projets originaux ? Dévaliser des banques ?"
Je me mordis les lèvres, maudissant mes paroles quand je vis ses yeux se troubler. Quel idiot ! Comme si c'était le genre de son frère ! J'avais partagé mes pensées avec ce fantôme et rien en lui ne pouvait laisser entrevoir de pareilles idées ...
Je tendis le bras pour essayer de prendre la main de Kaori mais retins mon geste. A quoi bon ? Pour lui passer au travers ? Je sentis la frustration et la colère mêlées à un profond sentiment d'impuissance m'envahir. Je pensais qu'elle allait me fausser compagnie, blessée par ma remarque idiote, mais il n'en fut rien.
Elle releva ses yeux brillants de sincérité et j'entendis clairement dans ma tête :
- "Il envisageait de quitter la Police. Trop déçu. Les manques de moyens permanents, la corruption partout, le système qui protégeait certains malfrats, les coupables qui échappaient à leur condamnation pour des vices de procédures... Il disait qu'il voulait changer les choses et aider les gens pour de vrai, qu'il terminerait cette affaire et qu'ensuite, il se lancerait ..."
- "Il ne m'en a rien dit, pourtant ..." Soufflai-je, étonné.
Elle me tourna le dos mais je l'entendais toujours clairement dans ma tête :
- "Même Saeko n'est pas au courant. Il ne savait pas comment lui l’annoncer. Il avait tellement peur de la décevoir ... et de la perdre. Ce qui était complétement idiot mais il refusait de m'écouter sur ce point ... Parce que je n'ai même pas vingt piges, que je ne comprenais que dalle à l'amour, que je ne connaissais rien à son monde à lui ... bla bla bla ... tu vois bien le genre ?"
Elle serra ses bras autour d'elle avant de continuer.
- "C'est pour ça ... quand j'ai entendu qu'il pourrait être un flic corrompu, je n'ai pas compris. Ça collait pas, tu vois ? Et j'ai entendu qu'il se disputait avec Saeko à propos d'un rendez-vous et je me suis dit ... Je me suis dit qu'il allait se mettre en danger ou faire quelque chose de grave ... "
Je sentis presque son souffle quand elle soupira dans mes pensées :
- "Je me suis dit qu'il irait trop loin ...Trop loin, juste pour la protéger."
- "Et tu t'es imaginé qu'en le suivant, ça changerait quelque chose ? Que du haut de ton mètre soixante-cinq et avec tes petits bras, tu pourrais empêcher quoique ce soit ?" Demandai-je, abasourdi.
- "Oui, je sais, c'est nul ... Mais ..." Elle se dirigea vers une ouverture qui se situait dans le fond de la pièce. "Sans cela, personne ne pourrait témoigner sur l'identité de celui qui a commandité le meurtre de mon frère, sur ce que ces salops veulent commercialiser ... Tout ça, tout ça ..."
Elle se tourna vers moi, posa ses mains sur les hanches et elle me lança dans le crâne d'un ton autoritaire :
- "Et pis, d'ailleurs, je fais un mètre soixante-neuf et j'ai pas des petits bras. J'ai déjà réussi à t'assommer plus d'une fois, alors me cherche pas, banane ! ..." Puis elle me sourit, radieuse et triomphante pour ajouter en m'indiquant le soupirail : "Et l'enregistrement est lààààà ..."
Je n'arrivais pas à détacher mon regard d'elle. Elle avait un don. Elle était d'une positivité comme je n’en avais jamais connu. Depuis qu'elle avait repris la main sur sa peur, j'avais l'impression d'avoir une autre personne devant moi. Sa véritable personnalité sans doute. Sûrement encore un peu sur la réserve, mais tellement lumineuse, toujours à se concentrer sur le positif d'une situation. Elle était le Yin, j'étais le Yang. Nous formions une bonne équipe.
Je me secouai intérieurement et grimpai sur une chaise pour passer ma main dans le soupirail qu'elle m'avait indiqué, je tâtonnai puis finis par toucher un objet dur. Je m'en saisis et retirai mon bras.
Je descendis de la chaise et me rapprochai de Kaori, triomphant, alors qu'elle trépignait d'impatience.
Je m'arrêtai en face d'elle et ouvris la main et là, au creux de ma paume, se trouvait un étui en cuir noir élimé, pas plus grand qu'un portefeuille ... Je l'ouvris délicatement et révélai ainsi un petit magnétophone de poche, contenant une microcassette : l'enregistrement. Je relevai les yeux pour croiser ceux de Kaori, pétillants de joie.
Elle sautillait presque et, j'aurais dû m'en douter et l'en empêcher, ... mais ce fut comme une explosion entre mes tympans, alors qu'elle levait les bras dans une célébration de victoire : elle me hurla à nouveau dans la tête. Encore plus fort et plus aigu qu'avant. Pouvait-on se faire crever les tympans par l'intérieur et par la pensée ? Faudrait que je pense à poser la question au Professeur, parce que pour le moment, mon cerveau résonnait au point de m'en avoir fait perdre l'équilibre.
Je me retrouvai donc assis par terre, complètement sonné. Kaori, à mes côtés, prononça visiblement le mot pardon, à en juger par ce que j'arrivai à lire sur ses lèvres mais mon cerveau était tellement en vrac que je ne percevais plus du tout ses pensées dans les miennes.