Entretien avec un Chasseur

Chapitre 12 : Une question de confiance

4313 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 18/04/2023 19:07

Chapitre 12 Une question de confiance


Mon petit Binoclard me regarde, éberlué. Il hésite, ouvre la bouche, la referme, l'ouvre à nouveau et dit : 

- "Le Chef des Enfers ? Votre père était le Chef des Enfers ? 

- "Lui-même." Réponds-je sombrement


Apprendre la nouvelle m'avait ébranlé, mais avec le recul je n'avais pas été réellement surpris. Prendre la place de Lucifer, le porteur de lumière, n'était pas si étonnant pour un illuminé comme mon père adoptif. Pas étonnant qu'il ait vendu son âme au Diable ou un truc du genre dans la perspective de régner sur les Enfers ! Et pourtant… Cette idée me terrifiait, parce que même si la haine et le ressentiment m'avaient fait le quitter, il restait le seul père que j'aie connu, et, au fond de moi, je l'aimais toujours. 


Gentil Petit Binoclard se racle la gorge et m'arrache de mes pensées. 

- "Alors?" 

- "Alors quoi?"

- "Eh bien, avec Mick, vous avez réussi à ramener Kaori ? Vous avez revu votre père ? Vous avez dû l'affronter ? Mick s'est battu avec vous ? Et Saeko ? Elle avait trouvé quelque chose de son côté ? Au fait ... Vous avez recroisé sa sœur, là, celle qui vous avait ficelé ?Vous avez mis un plan au point avec Mick ?"


Je soupire. En fait, j'ai beau dire ce que je veux, il n'arrêtera pas de poser des questions. Des questions auxquelles j'ai déjà répondu ou auxquelles je répondrai par la suite. D'un côté c'est gratifiant, ça veut dire que mon histoire lui plait, mais de l'autre, la vache, que c'est énervant… 

- "Oui, nous avions élaboré un plan." Finis-je par lui répondre. "Il avait décidé de commencer par essayer de retrouver le convoyeur de l'âme de Kaori. Avait-il été enlevé ? Et dans ce cas, l'impossibilité du passage de Kaori dans l'autre monde était un hasard ... Ce à quoi nous ne croyions ni l'un ni l'autre, mais il fallait bien commencer par quelque chose ... Il était beaucoup plus probable qu'il avait été écarté, d'une manière plus ou moins violente et il y avait fort à parier que mon père-Lucifer et les Diables Noirs et autres idiots aux noms débiles étaient de mèche."

Binoclard me dévisage, ébahi, puis il ouvre la bouche et lâche :

- "Ohhhh ! Alors, c'est çaaaa ! Puisque le Diable Noir ne parvenait pas à atteindre Kaori PHYSIQUEMENT, il a demandé à votre père de la maintenir dans le coma ?"

Je soupire gentiment :

- "Z'avez tout compris ..."

Il siffle d'admiration :

- "Et ben dis donc, ça c'est une histoire !!!" Il s'étend sur sa chaise, retire ses lunettes pour les essuyer et j'en profite pour souffler un peu.

La trêve est de courte durée. A peine ses lunettes de nouveau collées sur son nez, il reprend :

- "Alors, vous avez revu votre père ?" Insiste-t-il.

- "Ca vous le saurez plus tard ... D'abord ... Nous avions un petit souci à régler, je vous rappelle ..."

- "Ah oui, oui, oui, vous deviez communiquer avec Kaori ..."

Je hoche la tête :

- "Oui. Et Mick nous avait donné une piste pour que nous puissions parler."

- "C'était quoi cette piste ?"

- "Il fallait qu'on trouve le moyen de se faire confiance. Une confiance absolue, pour pouvoir échanger."

- "Mais elle était toujours intubée, elle ne pouvait donc pas réellement parler, si?"

- "Non, en effet, d'où la nécessité de confiance absolue. Parce que nous allions devoir nous parler par la pensée. Nous allions devoir apprendre la télépathie. Enfin ... en quelque sorte ..."  


****

Après le départ de Mick, je me retrouvai face à face avec Kaori et nous échangeâmes un regard gêné. Je soupirai et glissai les mains dans mes poches en me balançant d'avant en arrière. 

- "Se faire confiance, hein ? Il faut qu'on se fasse confiance pour se parler et on doit se parler pour apprendre à se connaître et se faire confiance ... C'est le serpent qui se mord la queue ! Il en a de bonnes, l'Emplumé, tu ne trouves pas ?" Lui demandai-je en souriant. 

Kaori haussa les épaules, elle aussi visiblement mal à l'aise, elle osait à peine me regarder dans les yeux et jouait nerveusement avec ses mains. Puis elle se redressa, me pointa du doigt puis l'endroit où Mick avait disparu, juste au-dessus de son dessin à la craie. Elle refit plusieurs fois le même geste et je compris :

- "Oui ... Il a bien dit qu'on devait se faire confiance toi et moi, comme lui et moi nous nous faisons confiance ... Pffff ...Il en a de bonnes !." Fis-je en passant la main derrière la nuque et en riant bruyamment, tentant de détendre l'atmosphère. "Après tout, il m'a sauvé la vie et toi pour le moment, tu cherches plutôt à me tuer avec diverses armes contendantes, non ?" 

Elle releva son beau visage vers moi et je lus l'interrogation dans ses jolies prunelles grisées. Rhaaaa, c'était rageant, j'aimerais tellement en connaître la couleur !! Je répondis à sa question muette avant de me laisser tomber sur le canapé. 

- "Oui, il m'a sauvé la vie cet Empaffé…"

Elle vint me rejoindre et posa lentement ses mains sur les genoux. Elle tourna la tête vers moi et je découvris dans son regard une douceur que j'avais rarement rencontrée. 

Je compris alors que c'était à moi de me livrer en premier. Je levai la main vers mon t-shirt et tirait sur l'encolure pour dévoiler la cicatrice blanche sur ma poitrine : 

- "Tu l'as peut-être remarquée hier quand tu es ..." Elle rougit tellement que je ne m'attardai pas plus sur les circonstances de notre petit tête-à-tête de la veille. "C'est la "marque de l'ange" comme dit le Prof, c'est là que Mick a apposé ses mains pour me ramener du Monde des Esprits ... Là où tu te trouves en ce moment en fait. Ce n'a pas été facile, ça a fait mal, mais c'était la seule voie possible pour moi. Mon destin n'était pas de finir sur le lit de camp d'un dispensaire en pleine jungle sud-américaine…"

Elle me dévisageait toujours mais je n'arrivais pas à décrypter son regard : était-ce de la compassion ? Ou plutôt de la peur ? Ou de la tristesse ? Un peu tout mélangé ? 

Et puis je m'étais lancé. J'avais tout déballé, tout : la jungle et la guerre, mes blessures et la trahison de mon père, mon sevrage et mon désir de vengeance ... tout ... Enfin presque tout. J'ai bien entendu gardé pour moi certains aspects trop ... violents et sordides.

Je conclus :

- "Je n'ai pas fait que des trucs bien dans ma vie, ça je le reconnais sans problème. J'ai été un soldat, j'ai tué ... Des hommes parce que c'était la guerre, des animaux parce qu'il fallait manger dans la jungle, des créatures étranges parce que c'est devenu mon métier ... Bon je suppose que tu as entendu tout ce que j'ai expliqué à Reïka ... Je ne vais pas tout te répéter. Et toi, tu sais que c'est vrai, les fantômes, tout le tintouin ... puisque tu es là, comme ça ... Que mon Père est devenu ... le Diable ... Putain ! Quand j'y pense ! C'est le Diable qui te maintient dans le coma ! Le Diable !" 


Kaibara. C'était lui qui l'avait mise dans cet état. Lui ...


Le dire à voix haute à Kaori m'avait fait le réaliser encore plus durement. L'homme qui m'avait élevé était devenu le Chef des Enfers, à la tête d'une horde de démons… Ca m'arracherait presque un rire ironique, tiens. 

Putain… 

Je le connaissais bien, même si cela faisait plusieurs années que l'on ne s'était pas vus. 

Je le connaissais et la distance que j'avais mis entre nous, avait dû nourrir son ressentiment à mon égard. Comme moi, le mien… tant d'années à ruminer une rancœur aussi puissante, nourrie par l'amour que nous éprouvions l'un pour l'autre… 

Ce combat allait être… définitif, pour lui ou pour moi, ça, j'en avais l'intime conviction. Et pour l'instant Kaori se trouvait entre nous deux…


Je reportai à nouveau mon attention sur elle : je m'attendais à la voir flancher un peu mais il n'en fut rien. Elle m'observait toujours de son regard doux et brillant. Je la fixai droit dans les yeux et j'avais failli lui demander franchement de quelle couleur ils étaient, tellement cette question me troublait à ce moment-là mais je préférai appuyer mes propos :

- "Et toi, ton destin n'est pas de mourir sur le lit d'un hôpital militaire paumé loin de la ville. Tu as encore des choses à finir ici."

Elle me regarda et je vis ses yeux en noir et blanc se mettre à briller d'émotion. Je poursuivis :

- "Il faut que tu te réveilles, il faut que tu témoignes, que tu mettes ces salauds hors d'état de nuire à qui que ce soit, ils doivent pourrir derrière des barreaux, il faut que ... Il faut que tu vives ! Tu as tout un avenir devant toi ! Tu es jeune, jolie, tu as des études à poursuivre, tu arriveras à te construire une vie à toi. Une belle vie à toi !" Je me penchai vers elle et ajoutai, confiant, souriant : "Je vais t'aider !! Je vais te ramener, je te le promets. Et je tiens toujours mes promesses. On va trouver comment faire. Kaïbara et ses sbires ne me font pas peur et ils ne feront pas le poids face à Mick et moi réunis ..."

Je la regardai et tentai de poser ma main sur la sienne mais je passai à travers.

- "Il faut que tu m'aides, Kaori. Il faut que tu me fasses confiance. Pour que tu puisses me raconter ce qu'il s'est passé, pour que Saeko puisse finir son enquête, pour que tu puisses me dire où tu as mis l'enregistrement que ton frère t'a remis."

Je la vis se crisper. Elle eut un petit mouvement de recul et me sonda avec défiance. 

- "Merde." Pensai-je. "Bah voilà, je me suis lourdé ... Mise en confiance ... zéro."

Je m'exclamai quand je la vis se lever brusquement et me tourner le dos :

- "Non attends ! Je suis avec toi. Je suis dans ton camp. Je n'ai pas fait tout ça pour te berner ! Je ne suis pas à la solde de tes ennemis. Tu as bien vu, non ? Mick est un Ange, un vrai de vrai et il est avec moi. On va trouver un moyen de convaincre mon père qu'il te libère pour que tu puisses enfin te réveiller. On va trouver un moyen. Et si je dois l'affronter pour ça, je le ferai !"


Je pense que c'était la première fois que j'étais aussi sincère dans mes propos et je crois bien qu'elle l’avait senti, du moins, j'ai envie de le croire. Elle stoppa son mouvement et resta figée devant moi. Je ne voyais que son dos et sa tête baissée en avant, ses poings serrés et j'attendais nerveusement la moindre de ses réactions pendant d'interminables secondes, jusqu'à ce que ...

Jusqu'à ce qu'un murmure doux comme une caresse, chaud comme un souffle glissé dans mon cou, léger comme un bruissement d'aile vienne me faire sursauter :

- "J'ai peur."

Comme je restai silencieux, elle répéta et je l'entendis plus distinctement : 

- "J'ai peur."

Je me levai, la contournai lentement et allai me planter devant elle :

- "Tu n'as plus à avoir peur."

Répondre à haute et intelligible voix à une autre voix, féminine qui plus est, et qui résonnait dans ma tête me donnait l'impression d'avoir définitivement perdu la raison mais je devais bien reconnaître que j'étais franchement heureux et fier qu'elle m'ait accordé sa confiance.

Elle leva les yeux vers moi :

- "J'ai peur ..." Entendis-je à nouveau dans ma tête, très nettement cette fois.

- "Je suis là. Il ne t'arrivera rien."

Elle secoua la tête :

- "Non. Tu ne comprends pas. Je n'ai pas peur de mourir. J'ai peur de me réveiller, peur de vivre, peur de ma peine et de mon chagrin. J'ai peur de me retrouver seule, sans mon frère, sans famille, sans personne. J'ai peur d'avoir mal, d'être triste ... "

- "Kaori ... Je ..."

J'esquissai un mouvement pour caresser son visage mais elle s'éloigna un peu de moi avant même que ma main passe à travers sa joue, faisant quelques pas en arrière, les yeux emplis de larmes :

- "J'ai peur de faire tout ce que tu as dit que je devais faire et de ne pas y arriver. Parfois, je me dis que je ferais mieux de laisser tomber ..."

Et d'un coup, sans que j'aie pu dire ou faire quoique ce soit pour la retenir, elle s'évapora, comme un nuage évanescent. 


***

- "Comment ça, elle s'est évaporée ?" Me demande le Binoclard.

Je hoche la tête pour toute réponse et il reprend en claquant dans ses doigts :

- "Comme ça, paf, elle vous laisse en plan, alors que vous aviez enfin réussi à vous parler pour de vrai ?"

- "Ouais…. C'est exactement ce qu'elle a fait ..."

Je ris un peu devant l'air abasourdi de Monsieur Binocle : 

- "Ce n'était pas la première fois qu'elle faisait ce genre de passe-passe, elle apparaissait et disparaissait quand elle le voulait." Fais-je en haussant les épaules. "Rappelez-vous notre première rencontre, c'était pareil. Paf, elle était apparue devant moi, puis l'instant d'après, poufff, plus personne…" 

J'hésite un peu avant de continuer, puis je me lance. Après tout, j'avais promis de tout dévoiler : 

- "Cela dit, j'avais eu peur moi aussi ce jour-là, quand elle avait disparu comme ça. Je me suis dit qu'elle était partie pour de vrai, qu'elle était passée de l'autre côté et qu'elle avait finalement laissé tomber, comme elle l'avait évoqué juste avant." 

Binocle se redresse et s'accoude sur la table :

- "Mais elle est revenue, hein ?? Dites… Elle est revenue ???"

Ce n'était pas vraiment une question… Une supplique plutôt je dirais. Je souris avant de le soulager : 

- "Oui, elle est revenue." 


***

Elle était restée sourde à mes appels pendant plusieurs minutes alors j'avais fini par me faire un café tout en me disant qu'il serait temps de mettre un peu d'ordre en attendant son retour : mes affaires pêle-mêle, le canapé, les débris du porte-manteau qui n'avait pas résisté au crâne angélique de Mick ... 

Et puis, j'avais trouvé sa bague qui était restée dans sa boîte sur le sol, juste à côté du dessin d'invocation de Mick et je l'avais ramassée en soupirant. Depuis, j'étais resté assis sur le canapé avec mon café en train de refroidir et je tournais et retournais encore ce petit écrin rouge que son frère m'avait remis pour elle. 

Au bout d'un moment, je l'ouvris pour découvrir un anneau doré tout simple serti d'un humble rubis. Une chose minuscule mais qui représentait beaucoup. Une chose minuscule qui la reliait à sa famille biologique.

Et son frère me l'avait confiée pour que je lui en fasse cadeau, tout ça parce qu'il m'avait fait confiance. Il pensait que j'étais intègre. Il m'avait cru quand je lui avais dit que je pouvais aider sa sœur ... Je ne pus retenir un rire cynique :

- "Quel con ..." Sans trop savoir si ce qualificatif s'adressait à Hideyuki ou à moi. Ou à nous deux ...


Je pris la bague pour aller la déposer sur sa table de nuit, comme je lui avais promis quelques heures auparavant. En entrant dans la pièce, je fus attristé par le désordre qui y régnait et décidai de ranger un peu. Question de respect, manière de me faire pardonner, tentative pour la faire revenir ? Définissez ça comme vous voulez mais j'avais juste besoin de faire quelque chose pour elle et pour me rapprocher un peu d'elle. 

J'avançais vers la table de nuit pour y déposer la bague quand je butai contre un nounours laissé sur le sol et qui fut projeté sous l'armoire. Je me baissais et en passant le bras pour récupérer la peluche, je sentis quelque chose me piquer la main. En l'examinant de plus près, je réalisai que je m'étais entaillé le bout du doigt. Tout en ronchonnant, je saisis une chaussure pour extraire l'objet auteur du délit et découvris un petit cadre en verre cassé. Je n'eus pas à chercher longtemps pour trouver la photo qui logeait auparavant dans ce cadre et je reconnus immédiatement le rabat-joie en imperméable défraîchi et la chevelure de feu de mon âme errante. Elle tenait son frère par le cou, riant aux éclats, faisant le signe de la victoire de sa main libre. 

Je regardai attentivement les détails et, tout en portant mon doigt à la bouche pour stopper le saignement, je ne pus retenir un :

- "Et merde ... Tu ris tellement que tu en fermes presque les yeux ! Je suis maudit !"

Ce n'est toujours pas maintenant que j'arriverais à en connaître la couleur… Je soupirai de frustration.

Je m'étais assis sur son futon, prenant le temps de les regarder un peu mieux tous les deux. Ils semblaient tellement heureux ... Même l'air ennuyé et blasé d'Hideyuki semblait forcé et on sentait une belle complicité entre eux. 

Je soupirai. J'avais envie d'une cigarette mais mon paquet était resté en bas et je n'avais pas envie de partir de là. Je posai délicatement la photo à côté de l'écrin sur la table de nuit et regardai autour de moi.


La dernière fois que j'étais venu dans cette pièce, j'étais absolument sûr et certain que je serais à même de l'aider, ma petite âme errante, que j'étais même le seul à pouvoir le faire ... 

Je ris tristement. Présomptueux… voilà ce que j'étais ...

Tout ce que j'avais réussi à faire jusqu'à présent avait été de lui foutre la trouille de sa vie devant l'ampleur de la tâche à accomplir, oubliant qu'elle n'était qu'une jeune fille d'à peine vingt ans, une jeune fille comme les autres, insouciante et ignorante de toutes ces choses horribles que je côtoyais depuis si longtemps. 

Elle n'était pas un guérillero, elle n'était pas un mercenaire, elle n'était pas un Chasseur de Nuit ou un tueur à gages. Elle ne connaissait ni la guerre, ni la violence, ni les armes, ni les Anges, ni les Démons. Elle venait de découvrir la mort brutalement, assistant à celle de son frère aux premières loges et en envisageant la sienne tout de suite après... Et maintenant, je venais de lui annoncer qu'on allait devoir affronter le Diable en personne. Normal qu'elle flippe.

Je murmurai alors à son intention, espérant qu'elle m'entendrait :

- "Désolée, p'tite tête. J'ai manqué de tact. Ça m'arrive souvent, tu verras ... Et comme le gros idiot que je suis, je n'ai pas pris en compte que tu es certainement bouleversée par tout ce que tu viens de vivre ... Tu sais, dans mon monde, lutter et continuer de vivre par tous les moyens est une nécessité. Quel qu'en soit le prix, quelle que soit la douleur ressentie, il faut continuer à avancer, et avancer, ça signifie se battre. J'ai oublié que ce n'est pas forcément la façon de faire de tout un chacun, ou plutôt ... la façon de faire des personnes normales. J'ai oublié que je ne suis pas une personne normale, que je ne pense pas comme une personne normale, que je ne vis pas comme une personne normale et que je ne mourrai certainement pas comme une personne normale."


Je sentis sa présence avant de la voir, assise à mes pieds à même le sol. Puis j'entendis à nouveau sa douce voix dans ma tête et je souris, soulagé de la sentir à nouveau près de moi. Elle me parla doucement et tristement. 

- "Ryo… Est-ce que tu hais Kaïbara ?"

Il me fallut du temps avant de lui répondre. J'avais besoin d'analyser un peu mes sentiments avant d'être sûr de ce que je pourrais bien lui dire. Et ça, ce n'était pas chose simple. 

Je sentis mes yeux se perdre dans le vague alors qu'elle attendait patiemment ma réponse, toujours assise par terre, les yeux aussi pensifs que les miens. Le silence n'était même pas pesant, non, je me sentais bien et j'osai croire qu'elle aussi. Je finis enfin par rompre le silence : 

- "C'est vrai qu'une partie de moi le hait. J'ai même déjà essayé de le tuer tellement je l'ai haï après sa trahison. Mais au final, c'est moi qui me suis fait massacrer. J'étais tellement envahi par la haine que j'en avais oublié tout ce que j'avais appris du combat…"

Dans le calme de cette chambre, je revis Kaïbara, mon père, me dominer de toute sa hauteur ce jour-là. De toute sa hauteur et de tout son mépris. 

Je me rappelai parfaitement la puissance de la haine qui m'avait envahi ce jour-là, et aussi la honte et la colère, la frustration et la rage, la douleur... Pas étonnant que le résultat fut celui-là.

- "Je n'étais rien d'autre qu'un animal, incapable de faire autre chose que foncer dans le tas… Et certainement pas un adversaire à sa hauteur. "

Je reportai mon attention sur Kaori et je sentis à nouveau la douceur et la sérénité de son aura m'apaiser peu à peu. Elle cherchait à me comprendre, j'espérais l'y avoir aidée. La vengeance et la haine ne sont pas les réponses à la colère et à la douleur. Quelles qu'en soient les raisons d'ailleurs. Ce n'est pas la bonne réponse : 

- "La haine ne fait que nous pousser à oublier notre âme… À vivre et combattre seulement pour ça, on finit forcément par s'autodétruire." 

Je sentais son regard posé sur moi. Je la sentais me sonder. Puis sa voix résonna à nouveau dans mes oreilles : 

- "Et le savoir ainsi, en … Diable… Ça te fait quoi ? De la peine ? Parce que j'ai l'impression... malgré tout ce que tu en dis.... J'ai l'impression que tu l'aimes encore comme un père."

Je ne répondis pas, surpris par sa capacité à me comprendre, le regard toujours fixé loin devant moi. Apparemment, mon silence lui servit de réponse et elle formula la question que je n'avais cessé de me poser depuis que Mick m'avait avoué qui mon père était devenu : 

- "Ce Kaïbara là… Ce Diable … Pourras-tu le tuer ? Parce que, c'est la seule issue, n'est-ce pas ? Serais-tu prêt à le tuer pour me sauver ? Est-ce que j'en vaux vraiment la peine ?"

- "Je pense que oui. Ça en vaut la peine. Parce qu'il faut que tu te réveilles pour aider Saeko à démanteler ce réseau de trafiquants, pour que Hideyuki ne soit pas mort en vain, pour que les habitants de cette ville puissent être plus en sécurité, pour ne pas mettre le pays à feu et à sang dans un affrontement en règle entre les clans."

Je la regardai dans les yeux et pris le temps de peser mes mots :

- "Imagine le carnage qui se produirait si l'Angel Dust tombait aux mains de terroristes ? Donc, pour tout ça, oui, ça en vaut la peine. Et aussi parce que TU en vaux la peine. Et aussi parce que notre affrontement, entre mon père et moi, est inévitable." J'ajoutai en pensées : "Et parce que je veux voir la couleur de tes yeux !!!" Mais je me retins, préférant poursuivre en lui lançant : "Et tu sais quoi ?" 

Elle leva son regard en noir et blanc vers moi et je prononçai :

- "Je suis prêt aujourd'hui."


Elle hocha la tête et me sourit avant de se lever. Elle avait reporté son attention sur la petite boîte rouge que j'avais posée sur la table de chevet. Son regard fut attiré par le cadre brisé et ses yeux se remplirent de larmes quand elle essaya d'effleurer la photo des doigts. 

- "Il faudra que je le répare, ça lui fera plaisir." Pensai-je.

Puis sa main bougea vers l'écrin et passa au travers. Je dis spontanément :

- "Tu pourras la porter quand on reviendra. OK, Kaori ?"

Elle écarquilla les yeux - bon sang, je devenais obsédé par l'envie d'en connaître la couleur - puis elle sourit. Je l'avoue : à ce moment-là, j'aurais voulu la serrer contre moi.

Et soudain, je vis ses yeux s'agrandir de plus en plus. Elle ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit ... Jusqu'à ce qu'un tsunami entre dans mon crâne, faisant cogner mon cerveau contre mes tympans, me renversant littéralement sur le lit. Elle venait de me hurler dans la tête :

- "HANNNN !!! MAIS JE SAIIIIIS ! JE ME RAPPELLE ! RYOOOO ! JE ME RAPPELLE, JE ME RAPELLE ! JE ME RAPEEEEEEELLE !!!!!" 





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Note des auteurs : Pour celles et ceux qui souhaiteraient découvrir de quelle photo nous parlons, rendez-vous par ici : https://forum.fanfictions.fr/t/city-hunter-fanfiction-entretien-avec-un-chasseur/4687/12?u=angelane


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