Entretien avec un Chasseur
Chapitre 5 : Cache-cache at coffee time
4736 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 03/01/2023 14:08
Je me sers encore un verre d'eau que je bois avidement. J'ai la bouche sèche à force de parler. Je fais claquer ma langue contre mon palais soulignant ainsi ma satisfaction, tout ça, sous le regard insistant de mon petit binoclard :
- "Alors ? Elle était comment ? Votre instinct avait raison ou pas ?"
Là, je me marre ouvertement :
- "Tout doux, mon Vieux, tout doux ... Je vous ai déjà dit ... Patience, patience, j'y viens ! Mais avant ça, si je tenais tant à l'aider, j'avais besoin de plus d'informations sur son cas ..."
Il lève un sourcil interrogateur et me demande :
- "Et vous comptiez les trouver comment ces informations ?"
- "Alors, en général, dans une affaire qui implique des fantômes, il est important de connaître les circonstances de la mort du fantôme en question. Pour ça, je commence par consulter les articles de journaux. Là, mon petit doigt me soufflait que je devais commencer par l'assassinat du frère. "
Je fais une pause alors que je le vois griffonner. Apparemment, ces informations lui semblent importantes, même si pour moi cela me semble tout à fait logique. Il en met du temps, le bougre.
- "C'est bon ? Je peux continuer ?" Demandé-je.
Sans lever la tête, il me fait signe de poursuivre en maugréant :
- "Oui, oui ... continuez, je vous écoute, je vous écoute ..."
Je continue donc sans attendre qu'il ait fini :
- "Ensuite, en général, j'aime bien faire un petit tour du voisinage. Je me fais passer pour un journaliste le plus souvent. Sinon, je me procure parfois une fausse carte de policier mais je n'aime pas avoir recours à ce genre de stratagème. Si je suis démasqué, je risque gros."
Le binoclard hoche la tête :
- "Je comprends oui. Et là vous avez fait quoi ?"
- "Ni l'un, ni l'autre ..."
***
Il faisait déjà nuit quand je sortis de la Clinique, bien décidé à trouver les réponses à mes questions mais je dus me résigner à remettre mes investigations à plus tard.
Je regardai ma montre : il était presque deux heures du matin. La médiathèque était fermée et je ne pourrai y avoir accès que demain. Ce n'était pas non plus l'heure pour aller sonner chez les gens, à moins de m'exposer à de sérieux problèmes.
Il me restait une option tout à fait logique : l'appartement. J'avais les clefs de SON appartement et je comptais bien en profiter. J'allais passer la nuit chez mon âme errante et peut-être qu'elle repointerait le bout de son joli petit nez.
Je passai donc rapidement chez Umi et Miki qui m'hébergeaient depuis quelques temps, pénétrai silencieusement dans mon petit repaire sous les toits pour mettre quelques affaires de rechange dans un sac de voyage. Je laissai un mot sur la table de leur cuisine tellement briquée et astiquée qu'elle en était étincelante, même de nuit. Ma Tête de Poulpe était peut-être aveugle mais ça ne l'empêchait pas d'être un brin maniaque concernant le ménage.
***
- "Pffff .... Arrêtez de vous payer ma tête !" S'exclame le binoclard en se levant brusquement.
- "Quoi ? Qu'est-ce qui se passe ?" demandè-je, abasourdi par sa réaction.
C'est qu'il m'a presque effrayé, cet idiot. J'étais tellement accaparé par mes souvenirs que j'en ai oublié un instant de guetter les changements d'aura de mon interlocuteur. Faut dire qu'il a plutôt l'air inoffensif et j'ai un peu baissé la garde. Mais bon. Bien que mon expérience m'ait appris qu'il ne faut pas se fier à ce que les gens ont l'air d'être, mon instinct me dit que je n'ai rien à craindre. Et je suis toujours mon instinct.
Je le regarde qui commence à ranger son matériel :
- "Bah vous faites quoi, là ? J'ai pas fini, moi !"
Il maugrée pour lui-même en regroupant nerveusement ses feuilles, puis se lève brusquement :
- "Non mais comment j'ai pu croire des histoires pareilles ? N'importe quoi !"
- "Vous voulez bien me dire ce qui va pas ?"
Il se tourne alors vers moi et me lance, énumérant sur ses doigts :
- "Alors, les voyages chez les esprits, envisager un monde parallèle après la mort, des anges avec de vraies ailes qui draguent et qui fichent des coups de plumes de cent tonnes sur le crâne, les fantômes, les âmes errantes et tout le tintouin, je veux bien encore l'avaler mais là ...."
- "Là quoi ?"
Il me dévisage, les yeux comme des soucoupes :
- "Un aveugle maniaque avec le ménage ?"
- "Bah oui ..."
- "Et comment il fait pour savoir où il faut frotter ?" demande-t-il, tellement dédaigneux que s'il avait ajouté un truc comme "Espèce de gros imbécile", ça ne m'aurait pas choqué.
- "Je comprends ... Je vous avoue que moi non plus je pige pas comment il fait, Tête de Poulpe. Je pense qu'il a développé ses autres sens à un point assez inégalé." Je ne peux m'empêcher de rire ouvertement en ajoutant : "Alors, si je vous dis qu'il conduit toujours, vous vous barrez définitivement ?"
Interloqué, il me regarde, me dévisage, me sonde par-dessus ses grosses lunettes rondes. Pendant ce temps, je reste immobile et le laisse faire. Je comprends. Tellement de choses paraissent improbables dans mon histoire.
Il se rassoit, ses convictions ébranlées par mon assurance. Je le regarde sans ciller malgré mon envie d'éclater de rire. Il est bizarre, ce petit bonhomme. Les fantômes, les médiums et tout le reste, il y croit sans problème, mais ce qui le fait vriller, c'est un aveugle faisant le ménage…
Alors qu'il prend place en face de moi, je souris légèrement devant le regard méfiant qu'il me jette encore une fois. Voilà qu'il m'octroie un léger sursis. J'en profite donc pour continuer à raconter mes souvenirs.
***
Arrivé devant l'immeuble, je trouvai miraculeusement une place juste devant l'entrée, comme lors de ma première visite. A croire qu'on attendait une nouvelle fois ma venue ... Je souris. A force de travailler avec des forces surnaturelles, nous les Chasseurs de Nuit, nous avions tendance à chercher des sens cachés à tout et n'importe quoi. On finissait par ne plus croire au hasard.
Chargé de mes deux sacs contenant mes affaires pour la nuit et l'autre mes armes et mon matériel de chasseur, je passais en silence devant la porte du logement du rez-de-chaussée et montai directement au quatrième. A chaque étage, se trouvait un seul appartement et chacun d'entre eux était effectivement vide. Je ne m'étais pas trompé la première fois. C'était pas net de trouver un immeuble presque vide dans ce quartier très prisé de Shinjuku.
Je notais dans ma tête de leur demander plus d'explications à mes petits vieux. Ils m'avaient fait une drôle d'impression maintenant que j'y repensais et bientôt, j'étais convaincu qu'ils m'avaient dissimulé quelque chose. Je soupirai. Décidément, cette affaire me prenait au dépourvu. Tellement au dépourvu que j'en perdais mes réflexes et mon assurance habituels.
J'ouvris la porte de l'appartement. La pénombre régnait partout. En actionnant les interrupteurs, je constatai sans surprise que le courant avait été coupé. Armé de ma lampe torche, je me rendis à l'étage et entrai dans une des chambres. J'avais bien évidemment choisi sa chambre à elle.
Je soupirai en réalisant à nouveau combien la fouille des soi-disant flics avait été négligée et agressive. Je laissai tomber mes sacs de voyage et remis correctement le futon pour m'y laisser tomber, épuisé par cette journée de dingue alors qu'une légère migraine commençait à me vriller les tempes. Merci Mick.
Je restai allongé un instant, tentant d'identifier les bruits qui provenaient de la rue et en faisant faire le tour de la pièce au faisceau de ma lampe, quelque chose de ... merveilleux ... attira mon attention : un tiroir avait été renversé, mettant à jour des trésors féminins, qui étaient là, juste là, à portée de main.
Je plongeai immédiatement les doigts dans les dentelles et les petits nœuds pour les porter à mon visage, me réjouissant de ce contact délicieux sur ma joue, admirant les délicats entrelacs de dentelle de toutes les couleurs, imaginant les courbes délicieuses qui avaient occupé les corbeilles des soutien-gorge, caressant les petits bouts de tissus des slips, culottes et tangas qui avaient plus ou moins couvert les parties douces et charnues de leur propriétaire ...
Mon instinct ne m'avait pas trompé : un joli 85C en haut et un élégant 38 en bas ... Adorable, parfait, idéal ... Alors que mon sourire se transformait en un rictus extatique, je laissai échapper :
- "Que c'est boooooo !"
Je retournai vers mon futon, nageant littéralement de bonheur entre les pièces de dentelle et de coton mais je devais vraiment être mort de fatigue et le contact de ces merveilles sur ma joue a dû apaiser mon esprit car je m'endormis dès que je fermai les yeux.
Je me réveillai, le visage encore enfoui dans les pièces de lingerie et ma migraine avait encore empiré. En passant la main dans mes cheveux, je trouvai une énorme bosse, probablement due au choc de ma tête contre le sol. Ou alors c'était un effet secondaire du coup d'aile de Mick ... Je t'en foutrais d'un ange gardien, sérieux !
Un café.
Il me fallait un café.
Noir.
Très noir.
Serré.
Sans sucre.
Je me levai difficilement, ankylosé et de mauvaise humeur, pour descendre à la cuisine. En ouvrant quelques placards, je trouvai facilement le café. Il était conservé dans une boîte hermétique, annotée "Perfect Coffee", à côté d'une boîte "Sugar is for Sugar Boys" et de deux énormes tasses à café, une estampillée : "meilleur grand frère de l'univers" et l'autre "petite sœur la plus douce sur terre". Je souris. Apparemment, la maîtresse de maison était ordonnée, méticuleuse ... et aimait mettre des étiquettes sur tout. Bon à savoir.
Histoire de mieux connaître mon âme errante, je pris sa tasse et, sans le vouloir, ma main se porta à ma tête et je grimaçai à nouveau sous la douleur encore lancinante de ma bosse quand mes doigts la frôlèrent.
Je singeai alors un dialogue avec Mick, imitant toute son arrogance et sa splendeur :
- " Comment tu t'es fait ta bosse ?
“Oh, en m'écrasant de sommeil sur le sol... Mais non, espèce de bourreau insensible ! C'est de ta faute !
“Pfff, ah bah bravo, le Chasseur de Nuit, t'es un costaud, toi !
“Ouais, bah si tu ne m'avais pas assommé avec tes ailes à la mords-moi-le ..."
Je m'interrompis brusquement et laissai échapper un :
- "Et meeeeerdeuuu !" quand, en ouvrant le robinet, je constatai que l'eau avait été coupée.
Je descendis sonner à l'appartement du rez-de-chaussée mais personne ne vint m'ouvrir et je ne perçus aucun bruit. Tant pis. J'allais devoir me débrouiller seul, ce que je fis sans problème, croisant cependant les doigts pour que la coupure ne soit pas effective à tout l'étage. Dans le placard du quatrième étage, je trouvai le compteur électrique et son disjoncteur, la vanne d'eau courante et même celle du chauffe-eau.
- "Magnifique !" Dis-je en en passant la porte d'entrée de l'appartement. "Un café et une douche chaude dans une petite heure, que demander de plus ?"
Je préparai la machine à café en sifflotant et la mis en route, si bien que l'arôme puissant de la boisson tant attendue nargua bientôt mes narines et quand je bus enfin les premières gorgées de ma drogue préférée (et seule autorisée par le Prof avec les cigarettes et le whisky ... Ce qui fait pas mal au final ...), je sentis petit à petit ma migraine refluer. J'allais pouvoir me mettre au travail avant d'aller prendre une douche.
J'ignorais si les âmes errantes avaient le pouvoir de se rendre invisibles, si la mienne était toujours présente dans la maison ou si elle retournait parfois près de son corps. J'ignorais tout des âmes errantes et j'ignorais tout d'elle. Sauf que ça, ça allait changer. C'était ma mission de la journée. Je devais me coucher ce soir en la connaissant par cœur.
- "Je connais déjà tes sous-vêtements, c'est un bon début." Ricanai-je à voix haute, l'air absent et rêveur, en avançant vers le salon, ma tasse toujours à la main.
Quand soudain, je trébuchai et je m'étalai de tout mon long. La tasse de la petite sœur se brisa net au niveau du mot "douce" et répandit la liqueur noire sur le sol. Je pestai.
Quand je me retournai pour regarder mes pieds, je vis le câble du téléphone enroulé autour de mes jambes. J'aurais pourtant juré que ce téléphone se trouvait sur le guéridon à l'entrée du salon quand j'étais descendu tout à l'heure. Je devais être mal réveillé.
Je me dépêtrai de ce piège, me levai et me sentis obligé de ramasser les débris et de nettoyer le sol. J'allais même jusqu'à aller débusquer une serpillère sous l'évier.
A genoux sur le parquet, je nettoyai consciencieusement quand soudain, de petits picotements firent frissonner ma nuque m'informant que je n'étais plus seul. Plusieurs fois, je regardai autour de moi, mettant tous mes sens aux aguets, mais comme la veille, je ne perçus rien de plus.
Puis je repartis dans la cuisine pour rincer ma serpillère et remplacer mon café que je versai dans la tasse du frère cette fois. Je revins dans le salon en buvant avidement une gorgée de ce précieux liquide.
- "Pas mauvais, ce café ... bon choix. En plus, il se garde bien. Depuis le temps qu'il est dans sa boîte ..." Dis-je, espérant ainsi inciter mon âme errante à venir me rendre visite.
Je guettai un quelconque mouvement mais il ne se passai toujours rien. Je murmurai en posant ma tasse sur le guéridon de l'entrée :
- "Tête de Poulpe dit souvent : Tout vient à point qui sait attendre. Je saurais t'attendre le temps qu'il faut, ma belle... Tant que j'ai du café, moi ..."
Je saisis alors une des enveloppes ouvertes qui y étaient posées : une facture de téléphone. Je souris en me laissant choir sur le canapé. La ligne était établie à son nom à elle. J'appris ainsi qu'elle bénéficiait d'un tarif étudiant et utilisait peu le téléphone.
- "Comme ça, tu t'appelles Kaori ? C'est un joli prénom, ça." Je soupirai en reposant la facture. "Un joli prénom pour de jolis dessous ! Et quelque chose me dit que tu es jolie toi aussi..."
A cet instant, je crus voir une ombre grise passer sur la mezzanine mais, comme ma demoiselle avait décidé de jouer à cache-cache et qu'elle était de toute évidence bien plus douée que moi à ce jeu-là, je la laissai tranquille pour le moment.
- "Cache-toi, ma jolie, cache-toi bien. Je finirai malgré tout par trouver comment faire pour t'aider. Mais j'avoue que ce serait pas mal si tu me filais un coup de pouce… Ca nous ferait gagner du temps à tous les deux." Je soupirai et j'ajoutai tristement : "D'après ce que j'ai compris, il ne t'en reste peut-être pas tant que ça… "
J'attendis un peu pour voir si j'obtenais une réaction de la part de ma charmante âme errante, mais rien ne vint. Je haussai les épaules et espérai que mes paroles ne soient pas tombées dans l'oreille d'une sourde. L'idée ferait son chemin, petit à petit, mais j'avais pleinement conscience que j'allais devoir gagner sa confiance.
- "Comme tu veux. Je suis patient et endurant, tu verras…"
Je me levai du canapé et m'étirai puis plissai le nez, incommodé par ma propre odeur.
- "En attendant, j'emprunte ta douche. Et ne viens pas jouer les voyeuses, hein !!!" Ajoutai-je, taquin, alors que je montais à l'étage.
J'entrai dans la salle de bain et ouvris l'eau de la douche pour vérifier que la mise en marche du chauffe-eau était bien effective. En voyant la vapeur qui émanait de l'eau, je souris, satisfait et commençai à me déshabiller.
J'allais entrer dans la douche quand mes yeux captèrent mon reflet dans le miroir. Je m'approchai et me détaillai. J'avais toujours été à l'aise avec la nudité. Quand vous êtes élevé dans un camp de guérilleros, vous ne vous embêtez pas avec des considérations comme la pudeur. Et il faut dire aussi que j'étais plutôt fier de mon corps. Il était bien taillé, résultat des heures de sport et de musculation que je m'infligeais depuis mon plus jeune âge, presque tous les jours. C'est aussi ce qui m'avait permis de me remettre assez facilement des différentes blessures que j'avais pu subir au cours de ma carrière.
Mon corps était couvert de nombreuses cicatrices. Il y en avait tellement que j'avais oublié l'origine de certaines mais, il y en a une que je n'oublierai jamais : celle qui me barrait le cœur, une ligne un peu plus blanche que les autres et qui me rappelait encore et encore ce qui m'avait amené à ma nouvelle vie. Le Prof l'appelait "La marque de l'Ange", Mick s'en défendait en prétendant que c'était juste ma peau qui était trop sensible là où il avait posé sa main pour me renvoyer à la case départ. J'en dessinais les contours, perdu dans mes pensées alors que la buée recouvrait à nouveau mon reflet dans le miroir.
Je passai sous la douche et laissai la pluie revigorante me tirer de mes pensées. J'avais une affaire à éclaircir. Je me lavai rapidement, je n'avais jamais vraiment aimé trainer sous l'eau.
En sortant de la cabine, un peu trop petite pour moi, je restai pétrifié. Je me retrouvai nez-à-nez avec un jolie silhouette en noir et blanc qui m'était presque devenue familière tant j'en avais essayé de dessiner les contours dans mes pensées.
Juste en face de moi.
Elle était là.
Elle me regardait de pied en cape.
Je notai avec un certain plaisir que ses joues s'assombrirent légèrement. Je ris en songeant qu'elle était vraiment jolie quand elle rougissait tout en disant :
- "Alors tu n'as pas pu t'empêcher de venir jouer les voyeuses ! Je te comprends avec un corps comme le mien, difficile de résis ..."
Elle me dévisagea, visiblement fâchée mais son visage revint rapidement sérieux, en m'intimant de me taire avec un doigt barrant ses lèvres. Elle pointa ensuite son oreille et me désigna la porte. Elle s'évapora ensuite, se mêlant à la buée qui avait envahi la petite salle de bain. Sa présence n'avait duré que quelques secondes.
Je fis ce qu'elle avait demandé et je tendis l'oreille. Effectivement, quelqu'un tentait de s'introduire dans l'appartement. Je saisis mon revolver, un magnifique et lourd Python 357 Magnum, j’ouvris promptement la porte de la salle de bain sans un bruit et m'élançai vers l'entrée.
Je ressentis alors un choc violent, tellement violent que ma poitrine se serra. Mon cœur s'arrêta. J'avais l'impression d'être englué, retenu en arrière. Mes jambes étaient lourdes et mon corps ankylosé. J'avais mal partout, des courbatures, des crampes, la migraine. J'entendis des bruits lointains, comme des paroles chuchotées et des bips étouffés.
Ce fut fugace. Puis, d'un coup, mon cœur repartit brutalement après une pause bien trop longue et incroyablement intense. J'avais des fourmis noires devant les yeux. Et brusquement, le temps reprit son cours et je fus projeté en avant, contre la balustrade de la mezzanine.
Que venait-il de se passer ? Je me retournai vivement, paniqué, et découvris Kaori, la main sur le cœur, pliée en deux, comme si elle reprenait son souffle et me regardant les yeux écarquillés d'incompréhension.
Je l'observai quelques secondes, essayant de comprendre mes sensations mais le bruit de crochetage dans la serrure me ramena à la réalité. J'essayai de parler, j'ouvris la bouche, puis finalement, ne trouvant pas les mots, je me retournai pour dévaler les escaliers aussi silencieusement qu'un chat.
Quand j'arrivai en bas des marches, je jetai à nouveau un coup d'œil derrière moi pour la trouver droite comme un I, les joues noir charbon, accusant une émotion plus intense encore que lorsqu'elle m'avait toisé à la sortie de ma douche …
***
- "Comment ça intense ?" Me demande brusquement mon petit binoclard me faisant sursauter.
Je me suis à nouveau laissé emporter par ces souvenirs agréables et je dois avouer que ce moment avait été particulièrement troublant, même pour un homme comme moi.
Je lui réponds par une question :
- "Avez-vous déjà été traversé par un esprit, mon cher ?"
Devant son air circonspect et quelque peu horrifié, je me doute que la réponse est non. Je continue alors :
- "Quand on traverse un fantôme, et dans le cas présent, une âme errante, on peut partager énormément de choses : ses émotions, ses pensées en même temps qu'il passe dans votre corps."
- "Attendez, attendez… si un fantôme me traverse ... Je veux dire ... est-ce que … un fantôme peut me traverser comme ça, sans que je m'en rende compte et savoir tout ce que je pense ? Juste comme ça ? Paf ? " me demande-t-il avec une certaine angoisse dans la voix.
Je souris devant sa crainte de voir certaines de ses pensées mises à nu. Même si la chance que cela arrive était très faible.
- "Vous avez des choses à cacher ? Humm ?" Fais-je avec une pointe de malice dans la voix.
- "Non… Enfin… C'est que…"
J'éclate de rire et hésite un peu avant de finalement le soulager :
- "Pour la plupart des gens, en particulier ceux qui ne croient pas aux fantômes, la sensation se résume à un courant d'air froid qui vous traverse de part en part et vous vous dites que vous allez attraper froid, vous resserrez votre écharpe ou vous refermez votre veste, vous frissonnez, ce genre de petites choses ... Pour les autres, ceux qui y croient et pour moi, c'est différent. Je perçois leurs émotions, leurs pensées et parfois, leurs souvenirs. En ce qui concerne les âmes errantes, je ne sais pas ce que les gens comme vous ressentiraient. Mais, là j'avais pu lire en elle autant qu'elle avait pu lire en moi, avec un petit truc en plus que je n'avais jamais ressenti avant. Le Prof m'a expliqué plus tard que c'était comme un battement de cœur partagé, en quelque sorte. Dans le cas présent, j'avais échangé pas mal de choses avec elle et c'est ce qui a totalement paralysée ma petite ingénue."
Il me regarde avec de grands yeux interrogateurs. Je soupire profondément : il faut vraiment tout lui expliquer à celui-là.
- "Elle était jeune, naïve et pudique…"
Je laisse ma phrase en suspens, guettant un éclair de lucidité chez mon interlocuteur. Pas de changement d'état. J'explicite donc ma pensée :
- "Elle a lu dans mon cerveau, elle a découvert mes pensées. Elle avait ressenti la plupart de mes envies, de mes secrets, de mes sensations, ... de mes désirs ... Et je suis un homme, voyez-vous… Un vrai, dans tous les sens du terme et, par-dessus le marché, j'étais complètement nu… Elle m'avait vu ... et bien vu ! Ça devait être la première fois qu'elle voyait un homme nu. Enfin, la première fois qu'elle voyait un homme COMME MOI, nu, cela va sans dire ..."
Je vois le binoclard lever un sourcil, circonspect. Je poursuis :
- "Voir un homme comme moi ... nu ... Normal que ça fasse quelque chose ... Que ça éveille un truc ..."
Il s'apprête à me dire quelque chose, mais je ne le laisse pas finir :
- "Et puis, il faut dire aussi que depuis la veille, elle occupait une bonne partie de mes pensées, pensées pas toujours très sages ... Voyez ?"
J'éclate de rire quand il pique brusquement un fard qui peut concurrencer ceux d'Umibozu quand on fait des allusions au sexe ou à l'amour. De la fumée sort presque de ses oreilles. Trop drôle.
Je savoure encore un moment la drôlerie de son attitude et c'est d'humeur fort joyeuse que je continue mon récit.
***
Je repris mes esprits et me précipitai vers la porte d'entrée afin de surprendre l'intrus. J'avançai à pas de velours, puis avisant ma nudité, je saisis la première chose qui me passa sous la main pour me vêtir un tant soit peu et … ma main tomba sur un châle appartenant sans aucun doute possible à la jeune Kaori. Je le nouai autour de ma taille en gloussant silencieusement, imaginant la tête que ferait ma timide en noir et blanc. Décidément, je ne la connaissais même pas vraiment, malgré le moment intense que nous avions partagé, nous n'avions pratiquement pas communiqué, mais une chose était sûre, j'adorais la taquiner et voir ses joues rougir. Noircir, pardon.
Le bruit significatif d'outils de crochetage qu'on tournait dans la serrure me ramena à la réalité et j'ouvris la porte brusquement, pour me retrouver face à face avec une jolie brune. Enfin ... face à face ... Son visage se trouvait juste à la hauteur de la plus belle partie de mon anatomie alors qu'elle était penchée en avant, tenant encore dans les mains ses outils minuscules. Avais-je affaire à une cambrioleuse ?
Pendant ce temps, sans que je le veuille, mes yeux restaient accrochés à son dos et à sa chute de reins et je distinguai même la couleur de sa culotte à travers le tissu de son pantalon beige.
Je déglutis.
Je devais garder mon self control, mais, Bon Dieu, je n'avais pas encore tout vu d'elle mais qu'est-ce qu'elle était mokko….
Je m'éclaircis la gorge pour me rappeler à l'ordre.
- "Non, pas maintenant, ce n'est clairement pas le moment !" M'admonestai-je mentalement puis je prononçai à haute voix tout en lui collant mon revolver sur le nez : "Besoin d'aide, mademoiselle ?"
Celle-ci se redressa vivement, me révélant un joli minois rouge pivoine mais se reprit avec une facilité déconcertante, me détailla des pieds à la tête et de la tête aux pieds et me sourit avec un petit coup d'œil appréciateur. Aïe, coup bas qu'elle venait de m'infliger ... Je sentis mon entre-jambe se réveiller imperceptiblement mais je raffermis ma prise sur mon arme et glissai le canon le long de ses côtes.
J'ai toujours détesté mettre une femme en joue. Pointer une arme, quelle qu'elle soit, sur un être aussi beau me répugne depuis toujours mais là, je n'avais pas d'autre alternative. Pas question qu'elle se sauve.
J'avais des petites choses à lui demander : que faisait-elle ici et que venait-elle chercher ? Et surtout, que savait-elle de mon âme errante ?
Quand je lui fis signe d'entrer dans l'appartement, la Miss Mokkori, traîtresse et sexy, baissa ostensiblement les yeux sur le châle qui me couvrait à peine et sourit de plus belle.
En passant près de moi, elle me frôla légèrement le bras lorsqu'elle défit un bouton de son chemisier tout en se mordant la lèvre. Ce fut trop : le châle ne tint plus, cédant sous un lever de mokkori sans gêne et sans dissimulation aucune.
Et là ...