C.H.C.H. ou Courtes Histoires de City Hunter
Chapitre 13 : Bonnets blancs et blancs bonnets
5067 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour il y a 3 mois
Ce chapitre participe au déf d'écriture du forum de fanfictions.fr : "Le Dilemme" (janvier-février 2025)
Ryo était foutu.
FOU-TU.
Foutu le numéro un, foutu l'étalon de Shinjuku, foutu la terreur des trafiquants, foutu le héros de ses dames... Cette fois, c'en était bel et bien fini de Saeba. Son adversaire, féroce, déterminé, l'avait acculé dans ses derniers retranchements – sa chambre à coucher pour être plus précis.
La cuisine avait été ravagée ; la salle de bain n'était plus que gravats et fuites d'eau qui s'écoulaient en fins ruisseaux dans le couloir ; le salon s'était transformé un cimetière pour sofa éventré au-dessus duquel il neigeait des plumes de coussins, tels de tristes flocons de neige sur un paysage désolé. Au rez-de-chaussée, la chambre à coucher de Kaori avait été dévastée, les vitres fracassées en une myriade de petits éclats étincelant dans la lumière des réverbères.
Ryo prit quelques secondes pour s'appuyer contre la porte de sa chambre. Autour de lui, l'étage de l'appartement paraissait silencieux. Il se sentait presque en sécurité dans l'obscurité rassurante de son antre, son domaine. Il connaissait chaque angle de meuble, chaque fissure sur les murs, chaque recoin hors de vue depuis la porte. Il saurait monter une embuscade mais cela servirait-il ? Il tendit l'oreille pour mesurer l'avancée de son ennemi. Celui-ci savait apparemment se montrer furtif et extrêmement discret. Plusieurs fois, Ryo ne l'avait même pas senti s'approcher tant son adversaire savait ponctuellement dissimuler sa haine et sa volonté de tuer, ce qui en faisait un être des plus dangereux parce que difficile à localiser.
Dans la pénombre de la pièce, Ryo ne percevait que les battements sourds et frénétiques de son cœur. Il inspira profondément, comme le lui avaient appris son père et les autres mercenaires auprès desquels il avait grandi. Calmer sa respiration, calmer son corps, calmer son esprit, analyser, trouver toutes les options possibles pour choisir la bonne... ou, ne serait-ce que la moins mauvaise. Oui, il devait faire ça.
Il regarda son protégé. C'était lui, sa priorité. Il s'était promis de veiller sur lui, rien ne devait lui arriver et un pro de la trempe de Ryo tenait toujours ses promesses. Toujours. Il n'avait pas le droit de renoncer. Pas lui, Saeba Ryo. Il devait le mettre à l'abri, coûte que coûte. Mais comment le dissimuler ? Les cachettes ici étaient nombreuses mais seraient-elles suffisantes pour tromper l'ennemi ?
Le placard ? Non, trop commun. C'est là le premier endroit qui serait inspecté.
Sous le lit ? Non, le déplacement de la poussière attirerait l'attention. Son poursuivant avait un œil de lynx.
La commode à caleçons, dans le tiroir secret ? Non, non, non... il n'y aurait jamais assez de place pour lui et puis tout était déjà occupé par les trésors inavouables de Ryo. Jamais il n'aurait le temps de tout sortir.
Adossé à la porte close, il entendait presque la voix grave et caverneuse d'Umibozu grommeler à son oreille :
— Pas fichu de prévoir un plan B...
— J'ai même pas eu le temps de mettre au point un plan A ! songea Ryo.
— M'étonne pas d'toi, crétin.
— J'aimerais t'y voir, Tête de Poulpe, murmura Ryo comme si son ami le colosse avait été à ses côtés.
Mais c'était ça la solution : Umibozu ! Si le géant ne mettait pas trop de temps à arriver, Ryo avait peut-être une chance de s'en sortir. Même s'il en entendrait parler pendant des années. Aucun doute que son ancien rival ne manquerait pas de lui rappeler chaque jour que Dieu fait qu'il était venu sauver les miches du Grand Numéro Un du Japon. Le géant irait même jusqu'à prétendre qu'il était meilleur que lui, que cela scellait leur compétition définitivement, lui accordant la victoire au détriment de Ryo.
Le nettoyeur soupira. Non, appeler Umibozu... ce n'était pas un plan B mais un plan Z. Il devait trouver un moyen de se débrouiller seul.
Il entendit alors une marche grincer. C'était presque imperceptible mais Ryo en était sûr, son adversaire qui l'avait sans aucun doute localisé avec précision, se rapprochait. Inexorablement. Réduisant la distance entre eux et le temps nécessaire à trouver une solution de repli. Il lui en fallait une, et vite !
Tant pis, Ryo n'avait plus d'alternative : recours au plan Z. Il se déplaça sans bruit vers sa table de chevet où se trouvait son téléphone. Il décrocha et porta le combiné à son oreille. Rien. Pas de tonalité. Le vide intersidéral...
Et merde ! Son perfide assaillant avait donc veillé à ce qu'il ne puisse pas appeler de renfort.
Ryo se rassura, se disant que finalement, ce n'était peut-être pas plus mal. Son honneur resterait sauf et Umibozu ignorerait tout de cet ultime désastre. Cependant, sa vie ainsi que celle de son protégé demeuraient en sursis. Qu'allait-il bien pouvoir faire maintenant ? Il ne restait plus à son adversaire qu’une quinzaine de marches seulement à gravir en silence. Il mettrait environ quarante-cinq secondes, cinquante, tout au plus. Ensuite, avec un peu de chance, son poursuivant perdrait un peu de temps à inspecter les autres pièces de l'étage. Ryo ne disposait donc d'à peine une minute pour s'échapper ou mettre au point un plan digne de ce nom.
En reposant le combiné, le regard du nettoyeur se porta sur la fenêtre. Et si... ? Ryo ouvrit le battant en silence et soudain, le vent nocturne lui percuta rudement le visage. Il faisait froid. Très froid. Trop froid pour laisser son protégé dehors attaché tant bien que mal à une anfractuosité murale, mais serré contre Ryo, il serait peut-être possible de s’enfuir par le toit. Une bourrasque de vent chargée de givre lui cingla à nouveau le visage, faisant entrer des tourbillons de flocons dans la pièce. Ryo renonça. A moins d'avoir envie de mourir d'hypothermie, ce n'était pas la solution. Mais il pourrait toujours faire croire à son ennemi que c'était cette option qu'il avait choisie... et l'envoyer ainsi sur une fausse piste.
Il laissa donc la fenêtre entrouverte, comme si elle avait été refermée de l'extérieur et chercha une cachette. Malheureusement, sa grande silhouette n'était pas facile à dissimuler.
Plus que trente secondes. Vite !
Cette fois, ce fut au tour de Mick de s'inviter inopinément dans sa tête :
— Dire que j'ai renoncé à te descendre pour que tu finisses comme ça, dans ton appart ! Te faire avoir de cette façon... Tsss, tsss, tsss, vraiment pas glorieux. Mais, je t'avais prévenu, à force de jouer avec le feu, on se brûle. Ce n'était qu'une question de temps avant que cela n'arrive. Ce jour sera à marquer d'une pierre blanche comme étant celui de ta défaite.
— Facile de faire des reproches après coup, l'Amerloque. Tu n'aurais pas fait mieux, j'parie.
Il regarda alors sa main et ce qu'elle contenait. Est-ce que ça valait le coup de mourir pour lui ? La question méritait d'être posée car bientôt, Ryo le savait, il devrait faire un choix. En effet, son oreille entraînée perçut très nettement un bruit de pas devant le seuil de sa chambre. Par réflexe, il se tapit dans le coin de la pièce, derrière sa commode. Il serait évidemment repéré assez vite mais c'était l'endroit le plus éloigné possible de l'entrée. Il gagnait ainsi quelques secondes.
Dans la pénombre, il vit la clanche s'abaisser et le cliquetis de la serrure lui indiqua que la porte allait bientôt s'ouvrir, ce qu'elle fit dans un léger grincement. Une silhouette noire se dessina alors dans la lumière filtrée des réverbères de la rue en contrebas de l'immeuble. Une sorte de grognement, presque un feulement s'éleva dans la chambre silencieuse et sombre.
— Donne leuuu mouaaa... grinça la silhouette.
Attiré par la lumière, l'ennemi tourna la tête vers la fenêtre et ne manqua pas de remarquer qu'elle n'était pas fermée. L'adversaire se dirigea vers l’ouverture mais la ruse de Ryo ne prit pas car, au bout de quelques pas, il se retourna, prêt à poursuivre sa traque :
— Je sais que tu es là, Saeba.
Ryo garda le silence et retint son souffle. Le cœur battant à tout rompre, il observa la silhouette bien connue avancer vers lui. La colère lui avait voûté les épaules et arrondi le dos. Les poings serrés, les coudes légèrement fléchis indiquaient qu'un corps à corps serait inévitable. Ses cheveux, hirsutes, donnaient à sa physionomie un air d'épouvantail effroyable et ses yeux brillaient d’une haine froide et déterminée. Ryo déglutit. Ce fut presque douloureux tant sa gorge était serrée. Il sentit une goutte de sueur naître dans sa nuque pour tracer ensuite lentement un sillon glacé entre ses omoplates. Il allait y passer, il en était sûr.
— Donne-le moi.
Le donner ? Son protégé ? Non, hors de question. Il était à lui. Il était si beau, si délicat ! Blanc immaculé, il paraissait innocent à première vue, créant ainsi un contraste encore plus saisissant avec tout ce qu'il suggérait. En effet, ses dentelles chatoyantes entre les petits morceaux de soie, formaient des ondulations délicates et oniriques. Le laçage qui composait les bretelles et leurs attaches s'entremêlaient astucieusement pour ne couvrir que le strict nécessaire, jouant avec le contre-jour. Ce soutien-gorge était une véritable œuvre d'art ; Ryo n'arriverait pas à s'en défaire. Il ne pouvait se résoudre à le perdre pour toujours. Il devait vivre avec lui à ses côtés, le voir porté par la diabolique poitrine de sa propriétaire... Quel moment de grâce divine cela serait ! Alors, le rendre ? A l'autre, là ? Hors de question ! Clair comme de l'eau de roche.
— Non ! clama-t-il, soudain galvanisé par le fantasme enchanteur de cette lingerie portée par l'affolante Saeko en personne.
Il sortit brusquement de sa cachette, la lingerie dans une main, l'autre serrée à s'en faire blanchir les phalanges. Il fléchit légèrement les genoux, montrant ainsi qu'il était prêt à encaisser. Ce n'était pas le moment de lâcher quoi que ce soit. En face de lui, Kaori le fusillait du regard. Même dans la pénombre de la pièce, Ryo sentit le feu de ses yeux :
— Pervers, gronda-t-elle d'une voix blanche. Obsédé. Lâche. Traître. J'en peux plus de tes conneries. Tu es allé trop loin cette fois !
Elle s'avança lentement dans la pièce, menaçant Ryo de son index tendu et vibrant de colère :
— Tu ne veux pas me le rendre ? Soit. Mais arrête de fuir et viens te battre à la loyale, sale voleur !
L'affronter ? Elle, Kaori ? En combat loyal ? C'était perdu d'avance. Jamais il ne pourrait gagner. Elle était trop forte, trop violente. Trop... Trop elle. En effet, Kaori était bien la seule à pouvoir le battre, voire même le tuer dans un excès de rage. Il avait de nombreuses fois essuyé ses indignations furieuses. Mais, s'il avait effectivement de l'expérience dans ce domaine, cette nuit, c'était bien au-delà de tout ce qu'il avait vécu. Maintenant, alors qu'elle s'avançait vers lui, il pouvait presque distinguer des ondes rageuses, meurtrières et destructrices émaner d'elle, faisant vibrer son aura de haine contenue. La sanction pour cette dernière frasque serait pire que tout. Ryo allait en mourir cette fois, il en était certain. Et il ne reverrait plus jamais le précieux soutien-gorge de dentelle et soie blanche, miroitante et lisse, fraîche et légère...
— Allez, viens là, insista Kaori.
Non, non, il ne pouvait pas abandonner. Il se l'était promis !
— Je ne me battrai pas avec une femme, répliqua Ryo.
— Ah parce que je suis une femme à tes yeux maintenant ? rugit-elle entre ses dents.
— Évidemment !
Il sourit dans le noir : il venait de trouver, sans vraiment y avoir réfléchi, une parade imbattable. Après tout, une fois ou l'autre, le coup du charme avait marché avec elle. Il avait déjà réussi à faire retomber sa colère en lui laissant entendre que les choses pourraient être différentes entre eux. C'était cependant un jeu dangereux, à double tranchant, car il n'avait jamais été malhonnête quand il lui avait avoué tenir énormément à elle. A chaque fois, il s'en était fallu de peu pour que ça dérape mais il avait toujours réussi à s'en sortir de justesse, se rappelant la promesse faite à Hideyuki de toujours veiller sur sa petite sœur, se répétant la grande règle des pros : pas de sentiments dans le boulot.
Oui, il était parvenu à maintenir le statu quo entre lui et Kaori jusqu'à présent, donc, il n'y avait de raison qu'il n'y arrive pas une fois encore. En plus, elle était tellement furax contre lui qu'il ne parviendrait pas à faire diminuer sa colère au point qu'elle ne cède complètement. Oui, le garde-fou était là. Au pire, il se prendrait une massue classique. Ça valait le coup de tenter. Une grosse bosse ou mourir, entre les deux, le choix était vite fait. Il ajouta alors, confiant :
— Et tu es une très jolie jeune femme.
Cette fois, il n'avait même pas bafouillé. Il était fier de lui. C'était dans la poche ! Mais, il constata bien vite qu'il venait de faire chou blanc : les yeux de Kaori se rétrecirent pour ne former qu'une étroite fente à travers laquelle Ryo distinguait les flammes ravivées de la colère :
— Oh, je vois. Quand ça t'arrange, je ne suis plus un travelo ?
— Heuuu bah... C'est que...
— Tu me prends vraiment pour une idiote ?
— Ah non, ça, non. Une idiote certainement pas, démentit Ryo. C'est que...
— Alors, donne-le moi, le coupa Kaori en tendant la main vers lui.
Le donner ? Quitter ce trésor de féminité et de grâce absolues alors qu'il n'avait jamais rien vu d'aussi beau, d'aussi sexy, d'aussi...
— Allez ! insista Kaori.
Ryo regarda les deux renflements opalescents qui occupaient ses mains. Comment renoncer à ça ? Non, mais comment ? Elle ne pouvait pas comprendre. En plus, elle semblait plus que déterminée à en découdre :
— Tu te bats ou tu me le donnes ?
Le désespoir s'abattit alors violemment sur les épaules du nettoyeur. S'ils s'affrontaient, Ryo serait vaincu. Il allait se faire laminer... et il perdrait son joyau et ça, il ne le voulait pas. Pourtant, il ne voyait pas d'autre solution. Il devrait donc... se battre contre Kaori ? Non. Impossible. Il refusait de lever ne serait-ce que le petit doigt sur elle, aussi énervante et insupportable et rabat-joie et incontrôlable et casse-pieds et... soit-elle. Parce qu'elle était aussi plein d’autres choses.
En plus, il avait promis à Hideyuki de veiller sur elle. Il ne pouvait tout simplement pas. Ça allait à l'encontre de ses principes. Alors, oui, il prenait un malin plaisir à la taquiner et à la railler mais, non. Il était incapable de se battre avec elle même si elle, elle ne manquait pas de lui taper dessus à longueur de journée. Il n'avait donc aucune chance de l'emporter s'il l'affrontait et devrait donc inévitablement lui donner son précieux trophée.
Il en conclut donc que ça revenait au même que s'il le donnait sans combattre. Sauf qu'il sauvait peut-être son honneur en lui faisant face ? Mais qu'est-ce que ça pouvait bien faire à ce stade, franchement ? Et puis quel honneur à tomber face à sa partenaire ? De toute manière, avec ou sans honneur, il perdait son précieux trophée, certainement la plus belle pièce de lingerie qu'il ait jamais vue, tenue, touchée. Garder son honneur ne rendrait pas la séparation plus facile ou plus douce, alors... Il était acculé. Il perdait à tous les coups.
Se rendre ou combattre... Bonnet blanc et blanc bonnet.
C'était le cas de le dire, d'ailleurs. Il y en avait même deux, des bonnets, et des jolis, tout ronds, tout doux, tout délicats et qui emplissaient somptueusement sa paume virile... Ohhh, non... Quel déchirement ! Quelle tristesse ! Il aurait tout donné pour pouvoir le garder encore un peu, juste comme ça, au creux de ses mains... Encore un peu, un tout petit peu !
— Donne-le moi ! ordonna une nouvelle fois Kaori faisant sursauter Ryo perdu dans la contemplation du soutien-gorge en dentelle.
— Noooon ! explosa-t-il, des sanglots dans la voix. C'est pas juste ! Tu vas le détruire ! Je veux pas que tu fasses çaaa !
Un ange passa. Kaori immobile, observait Ryo d'un air circonspect alors qu'il portait le doux tissu contre sa joue, comme un enfant qui refuserait de se séparer de son doudou. Puis soudain, elle demanda :
— Le détruire ? Mais pourquoi je ferais une connerie pareille, dis-moi ?
— Parce que tu refuses que je m'amuse ! Parce que tu me vois toujours comme un pervers ! Mais aussi parce que tu n'es qu'une jalouse !
Kaori écarquilla les yeux car il avait presque hurlé le dernier mot mais répondit avec sur un ton curieusement calme :
— Alors, oui, je refuse que tu t'amuses avec ça. Oui, je te prends pour un pervers parce que... bah, c’est ce que tu es, non ? Et ensuite, jalouse ? Jalouse de quoi, dis-moi ? Que tu fantasmes sur un soutif ?
— Parce que je fantasme sur un soutif de Saeko.
— Quoi ?
— Tu es jalouse parce que je fantasme sur un soutif de Saeko, parce qu'elle a un corps magnifique et pas toi.
Oui, cette dernière remarque ferait mal pendant longtemps, il le savait bien mais il n'en avait cure à cet instant. Comme la charmer n'avait pas fonctionné, Ryo tentait l'attaque sur l'apparence physique. Presque toutes les jeunes femmes y étaient sensibles, surtout Kaori qui manquait de confiance en elle et qui était profondément jalouse de la policière. De plus, objectivement, peu nombreuses étaient celles qui tenaient la comparaison face à Saeko. Mais Ryo, lui, allait perdre son précieux et il n'avait presque jamais autant souffert de toute sa vie. La colère, la tristesse, le désespoir le forçaient à vouloir rendre Kaori aussi malheureuse que lui. Pour se venger. Bassement. Salement.
Mais vaille que vaille, il n'avait plus rien à perdre maintenant qu'il allait devoir se séparer de son trésor. Elle allait mettre son précieux en bouillie, l'aplatir avec son horrible maillet, le piétiner même, qui sait ? Horreur ! Malheur ! Comment pouvait-on ne serait-ce qu'envisager faire subir pareille torture à une chose aussi merveilleuse ? Il ne pouvait pas le laisser entre ses mains destructrices et sans pitié ! Il allait se battre à sa manière.
Il croisa les bras et soutint le regard de Kaori. A sa grande surprise, il vit les prunelles noisettes si familières se départirent peu à peu de leur colère, de leur mépris, de leur envie de tuer. La bouche de la jeune femme se détendit puis s'agrandit avant de s'ouvrir complètement. Soudain, un son totalement inattendu emplit la chambre, se répercuta sur les murs, envahit l'espace. Ryo mit quelques secondes à comprendre ce qui était en train de se passer. Kaori riait... Oui, elle riait. Un bon gros fou rire qui la pliait en deux et qui faisait briller des larmes au coin de ses yeux. Elle se tenait même le ventre... Pliée de rire, quoi !
Ryo eut l'impression que le plafond lui tombait sur le crâne. Il faillit en lâcher son trésor. Les yeux écarquillés, la mâchoire molle et les épaules voûtées, il contemplait sans y croire celle qui l'avait poursuivi de sa haine dans l'appartement et détruisant tout ou presque sur son passage, se bidonner comme jamais. Elle s'assit même sur le lit pour reprendre son souffle.
— Je peux savoir ce qui te fait rire ? s'enquit Ryo abasourdi.
Elle essuya ses yeux et parvint à articuler :
— Ahlàlà... mais quel idiot ! Moi ? Jalouse ? Hahaha... De la poitrine de Saeko ? Hihihi... Tu penses que c'est le soutif de Saeko, c'est ça ?
Ryo se contenta de hocher la tête. Kaori reprit son souffle et s'exclama, moqueuse comme jamais :
— Et bah naaaan ! C'est le mien, andouille !
— Quoi ?
Ryo battit des cils alors qu'elle se tordait encore de rire. Non, ce n'était pas possible ! Il inspecta à nouveau son joyau. C'était une grande taille, au moins un bonnet C, peut-être même un D. Ca ne pouvait être qu'à Saeko. Kaori, elle, elle était plate, version planche à pain... A cet instant, il entendit clairement dans sa tête Mick se moquer de lui :
— Alors comme ça, tu n'arrives plus à mesurer les poitrines en un coup d'œil ? Et, tu as ses lolos sous le nez depuis des années ! C'est la honte, là, mon vieux !
Puis il entendit pour de vrai :
— Tu n'avais pas reconnu ma lingerie ?
Ryo releva la tête et là, il resta bouche bée, complétement pétrifié en découvrant son ingénue partenaire métamorphosée, dépouillée de sa chemise, de son pull bleu, et parée du magnifique soutien-gorge blanc en soie et dentelles ajourées. Il cligna des yeux maintes fois mais l’image sublime, prodigieuse et fascinante persistait sur ses rétines. Kaori était bien devant lui, juste vêtue de son jean et de dentelle. Ce soutif ? Serait-ce lui, son précieux ? Il regarda ses mains, là où aurait normalement dû se trouver son trophée. Elles étaient vides ! Entièrement vides ! Pas de doute, c’était bien son précieux qui couvrait maintenant les seins de Kaori ! Mais comment avait-elle réussi ce tour de force ? C'était inouï !
Ryo était perdu, et pas qu’un peu. Il inspecta la pièce de là où il se trouvait, à la recherche d’un indice quelconque pouvant expliquer ce retournement de situation parfaitement imprévisible et invraisemblable. Que lui était-il arrivé bordel ? Parce que, non seulement, Kaori se fendait la poire même pas deux minutes après avoir saccagé l’immeuble dans lequel ils vivaient tous les deux, cherchant à zigouiller son partenaire par tous les moyens mais en plus, elle se déshabillait vitesse grand V, concurrençant Ryo lui-même ! Mais pourquoi d’ailleurs ? Pourquoi diable s’était-elle emparé du soutien-gorge ? Qu’avait-elle en tête ? Allait-elle encore essayer de le tuer ?
Ryo allait l'interroger à ce sujet mais, en relevant à nouveau les yeux vers elle, il resta coi. Il cessa même de chercher une réponse à ces insolubles questions tant il était ébloui par ce qu'il découvrait. En effet, il n'avait jamais rien vu d'aussi admirable que ce qui se présentait devant lui. Kaori avançait vers lui, le défiant du regard, les joues rosies, divine, sensuelle, inhabituellement impudique, conquérante. Belle tout simplement. Putain, qu'elle était belle ! Et sa poitrine était encore plus belle ainsi ornée de cette pièce parfaite. Ryo sentit son sang se liquéfier et sa gorge se serrer. Il arrivait à peine à respirer.
Quand elle ne fut plus qu'à un pas de lui, elle sourit, passa la main vers son ventre et ouvrit le bouton de son jean comme si elle allait se dévêtir encore.
— Je vais exploser, songea Ryo maintenant en apnée.
— Tu veux voir la culotte assortie ? C'est un...
RYYYO !
D'où venait ce cri ? On venait de l'appeler, non ? Mais englué dans le regard de Kaori, hypnotisé par sa peau laiteuse et satinée, il ne parvenait plus à bouger. Il se contentait de la dévisager bêtement alors qu'elle faisait mine de se défaire de son pantalon alors que lui commençait à se sentir de plus en plus à l'étroit dans le sien.
— Alors, demanda-t-elle. Dis-moi, qu'est-ce que tu préfères ? Les slips brésiliens ou les tangas ?
— Hein ?
Depuis quand Kaori savait faire la différence entre un brésilien et un tanga ? Est-ce que… Elle porterait donc autre chose que ses culottes en coton épais à motifs kawaï ? Inconcevable ! Ou plutôt fabuleux ? Difficile à dire. L’esprit embourbé, le souffle court et la bouche sèche, Ryo ne parvenait plus à articuler un mot.
Elle leva les yeux au ciel :
— Alors ? Brésiliens ou tangas ? Tu préfères quoi ?
— Je... les… deux...
RYOOO !
C'était étrange. Ça semblait venir de tout près mais personne d'autre qu'eux ne se trouvait dans la pièce.
— Tu n'as rien entendu ?
— Entendu quoi ? s'enquit-elle en approchant ses doigts de la ceinture de Ryo cette fois. Je n'ai rien entendu, moi...
RYYYOOO !
Soudain, il se retrouva allongé dans son lit, à moitié sur le ventre, les membres tout engourdis – sauf un qui lui, semblait très en forme. Ryo se redressa légèrement et sentit que quelque chose restait collé sur sa joue.
— Ah enfin ! C'est pas trop tôt ! brailla la voix agacée de sa partenaire qui se tenait au-dessus de lui, debout à côté de son lit.
Il écarquilla les yeux :
— Kaori ? Qu'est-ce que tu fous là ?
— A ton avis ? répondit-elle, les mains sur les hanches, le pied nerveux, la bouche pincée et les yeux étincelants.
Il connaissait bien ce regard. Elle était à deux doigts d'exploser, c'était certain. Qu'avait-il encore fait pour la mettre de mauvais poil en si peu de temps ? Et pourquoi était-elle vêtue de son pyajama jaune infame et difforme ? A peine quelques secondes auparavant, elle était en lingerie et elle s'app...
Et meeerde ! Ce n'était qu'un rêve ! Encore un putain de rêve comme il en faisait si souvent ces derniers temps.
Encore à moitié déconcerté par ses réminiscences oniriques, il l'observa et tenta de mesurer le tour de poitrine de la jeune femme mais, avec ce haut de pyjama large et moche, qui tenait plus du sac poubelle que du vêtement, impossible de se rendre compte de la taille de ses...
— Donne-le moi, tonna-t-elle.
— Hein ?
— Donne-le moi ! répéta-t-elle en tendant la main vers le visage de Ryo tout en le tirant de ses réflexions profondes et philosophiques.
Il retira alors ce qui était resté sur sa joue : il découvrit le catalogue "Eriko's Secrets", la nouvelle marque de lingerie de luxe par correspondance de la copine styliste de Kaori. Il se rappela alors l'avoir découvert dans le salon la veille en rentrant de virée et s'être réfugié dans sa chambre pour en profiter en solitaire. Mais, apparemment, il s'était endormi sur la photo d'un magnifique ensemble soutien-gorge tanga en dentelle et soie blanche. Ses yeux s'agrandirent : Le Précieux ! C’était lui, sans aucun doute.
— Ohhh noooon ! C'est dégueuuuu... s'indigna Kaori, écoeurée en lui reprenant le catalogue des mains. Tu as bavé sur ma page !!!
— Ta page ? Comment ça ta page ? s'étonna Ryo, les yeux ronds, clignant d'incompréhension.
— Ma page, oui. J'ai replié le coin, donc c'est ma page.
— Tu achètes de la lingerie chez Eriko's, toi ? railla-t-il. Ils ne font pas de bonnets taille “A-moins” pourtant.
Elle le toisa. Il allait s'en prendre une, c'était certain. Il l'aurait mérité. Elle l'observa encore quelques secondes, impassible. Soudain, elle tourna brusquement les talons et lança par-dessus son épaule :
— La bave du crapaud n'atteint pas la blanche colombe, Ryo. Et dire que tu prétends deviner la taille d'une poitrine féminine en quelques secondes ! T'es plutôt nul à ce jeu-là, mon pauvre.
Avant de passer la porte, elle ajouta :
— Je fais du 80-C, au fait. Et, comme Eri tient à m'offrir un ensemble, je vais prendre celui-ci, en blanc.
Heureusement que Kaori lui tournait le dos et disparaissait dans le couloir, son catalogue à la main, car il en eut la mâchoire tombante et l'œil vague pendant un petit instant. Du 80-C ! Exactement ce qu'il avait eu entre les mains dans son rêve ! Incroyable ! Le magnifique soutien-gorge existait donc pour de vrai et il serait bientôt dans son appartement !
Alors que Kaori descendait les escaliers, il l'entendit se parler à elle-même, ne parvenant manifestement pas à prendre une décision :
— Ou alors, je le prends en noir ? Je sais pas... Le blanc, c'est quand même moins visible sous les vêtements d'été... oui mais le noir, c'est plus "adulte" comme dit Eri... Mais je le prends pour me faire plaisir à moi de toute façon... Hummm... Et puis, est-ce que je prends le slip brésilien ou le tanga ? Comme c'est trop duuur de choisiiir !!!
Ryo perçut encore son petit monologue indécis jusqu'à ce qu'elle arrive dans la cuisine pour prendre son café matinal.
Il en profita pour danser sur place, parfaitement réveillé maintenant ! Bientôt, ça serait l'enchantement parfait, le délice sensuel, la félicité absolue ! Il pourrait tenir cet article de lingerie entre les mains, en apprécier la rondeur délicate ; il découvrirait la douceur de la soie, le velouté des dentelles et... Ces bonnets si délicats, cette rondeur pleine et tendre qui persistait encore dans le creux de sa main, les seins de Kaori qui épousaient si intimement la dentelle, comme si le morceau de lingerie avait été cousu pour eux. Il le voulait ! Ahhh oui, oui, ouiiii ! En plus, ce soutien-gorge serait accompagné d'une culotte !!! Une culotte, un tanga ou un brésilien ou.... qu'importe ce qu'elle choisirait, ça serait sublime sur son petit c... STOOOP !
Il soupira.
Il était foutu.
Elle porterait cet ensemble un jour ou l'autre.
Il était foutu.
Il allait le lui subtiliser, c'était couru d'avance, il ne pourrait pas s'en empêcher.
Il était foutu.
Elle allait l'étriper.
Il était foutu.
FOU-TU !!!