C.H.C.H. ou Courtes Histoires de City Hunter
Ce chapitre participe au défi d’écriture du forum de fanfictions . fr, mai-juin 2024 : Mamma Mia ! (Niveau 1 : aborder le thème de la maternité, niveau 2 : ajouter au moins quatre expressions en lien avec la musique)
Je fais référence à une image dans cette histoire, vous la trouverez dans la présentation de ce défi sur le forum : https://forum.fanfictions.fr/t/defi-mamma-mia-mai-juin-2024/6121/43?u=angel-dust
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— Oh, oh ! La Terre tourne !
Je vacille, les jambes en coton et me rattrape en m'appuyant au mur près de moi. Putain, j'en mène pas large. J'aurais pas dû commander la troisième bouteille. Non, j'aurais pas dû. Vraiment pas. Mais c'est fait. Je l'ai commandée... et je l'ai bue, héhéhé !
Oups... v'là que j'ai failli m'étaler par terre. Il est beau, le Numéro Un, tiens.
Allez Saeba, un peu de dignité, on se redresse et on avance ! me dis-je en bombant le torse et je poursuis mon avancée dans la ruelle sombre.
Il serait peut-être temps que j'arrête de me mettre des mines comme ça. Pis ça fait un petit moment que ça dure, non ? J'dirai même que c'est pire ces derniers jours…
Avoue, ça fait un bail que tu t'es pas senti aussi de travers !
C'est pas faux, il faut bien l'avouer... Et, comme je suis bourré, je suis capable de m'avouer beaucoup de trucs ! Ça me permet de relâcher la pression... La pression ? Je ricane en pensant que j'en prendrais bien une, tiens. Mais mon estomac se cabre brusquement, me signifiant que, non, pas de pression, au risque d'une évacuation intempestive.
Je déteste ça, je déteste vraiment ressentir ça mais ça ne m'empêche pas de rechercher encore et encore ce moment d'oubli que procure l'alcool. Qu'est-ce qui déconne chez moi en ce moment ?
Je m'arrête pour prendre le temps de sortir une cigarette et l'allumer. Il me faut quand même deux ou trois tentatives pour mettre la flamme bien en face du petit tube de papier. J'inspire profondément. Ça donne un coup de fouet à mes neurones amorphes et apathiques mais calme mon estomac rabat-joie. Je reprends ensuite mon chemin d'un pas lourd et chaloupé... Ca tangue mais je tiens bon la barre ! Mais pourquoi je me bourre la gueule comme ça, moi ?
Ah, parce que tu te poses encore la question, crétin ?
Tiens, ma petite voix en mode conscience-ultra-futée me rend visite pour se taper la discut'. Ça lui arrive de temps en temps mais il faut que je sois vraiment bourré. Donc je suis vraiment bourré. Je hausse les épaules. Soit. J'suis bourré.
Bon c'était quoi la question au fait ? Ah oui, pourquoi je picole ? Je souris dans le noir. Evidemment que je connais la réponse. Enfin, je sais pas vraiment pourquoi mais, par contre, je sais depuis quand ça a commencé. Ah oui, ça je le sais...
C'est cette affaire avec Mashiba Yugari et sa fille Shiori. Certaines choses me trottent dans la tête et je n'arrive pas à oublier cette adorable gamine... Enfin "adorable", c'est vite dit ! J'ai quand même été obligé de jouer le sushi tournant pour la faire arrêter de pleurer. Non mais la honte de devoir s'enrouler dans un futon et de sautiller sur place, j'vous jure... Mais qu'est-ce qu'on ferait pas pour l'entendre rigoler, Shiori !
Bon, elle hurlait quand même dès que Kaori la prenait dans ses bras. J'étais le seul, avec Miki et Falcon, à pouvoir la tenir parce que nous sentions la poudre et la graisse de revolver, comme sa mère, armurière de renom. Kaori en a été toute chamboulée. Ah ça... cette histoire lui a bien retourné la tête à elle aussi. Et pourtant, c'est grâce à ma partenaire que tout s'est bien terminé. Shiori a retrouvé sa maman et a compris que les gens qui sentent la poudre à canon ou la graisse de revolver ne sont pas toujours des bonnes personnes. C'est donc auprès de Kaori qu'elle a trouvé réconfort et sécurité à la fin de cette affaire. Comme tant d'autres avant elle...
Réconfort et sécurité... C'est marrant, on dirait pas ça de Kaori de prime abord, surtout quand on la voit me taper dessus à tout bout de champ ! Seulement, quand on la connaît, on réalise que ça lui va bien, à la Miss Massue. C'est ce qu'elle donne aux gens sans même en avoir conscience.
Je souris à nouveau en repensant à ce moment, quand la gamine a refusé de quitter les bras de Kaori qui était tellement heureuse avec Shiori pelotonnée contre elle. C'est cette image qui persiste dans mes pensées depuis près de deux semaines : Kaori qui serre contre elle ce petit bout de chou pour la consoler, Kaori qui sourit tendrement, Kaori qui semble si sereine, son regard si...
Hey, ho ! s'écrit ma conscience. On se reprend mon gars ! Tu penses à Kaori, là !
Et A-LORS ? Je pense à Kaori, ça fait quoi ?
... Bah ça fait des dégâts en général. C'est pour ça que je devrais éviter, je le sais. C'est ma partenaire, pas une femme à laquelle je devrais penser...
... mais ! Ouais, y'a un mais !
Mais, ce soir, j'suis complètement bourré, alors je peux bien penser à qui je veux ! En plus, elle habite, vit et bosse avec moi, c'est normal que je pense à elle de temps à autre, non ?
C'est pas comme s'il y avait de la lingerie affriolante dans ma rêverie alcoolisée, alors, on se calme, me dis-je à moi-même.
Je visualise alors soudain ma conscience comme un petit bonhomme, une sorte de gnome me ressemblant beaucoup, debout sur mon épaule droite, arborant un air buté et croisant les bras, pas convaincu du tout par mes arguments. Je ricane, moqueur. Il est marrant le gnome boudeur ! Malgré sa désapprobation évidente, je persiste. Je suis vraiment bourré donc j'ai le droit de penser ce que je veux.
Libéré de ma réticence à explorer mon souvenir de Kaori et Shiori, je poursuis ma flânerie onirique. Je rêvasse au bonheur qui se lisait sur le visage de ma partenaire de travail. Ouais, c'est con, je sais bien, mais cette image me revient sans cesse en tête depuis la fin de cette affaire à des moments totalement inopportuns. A tel point que j'en ai presque perdu le goût de la drague, faut le faire ! Manque d'envie, de motivation, je suis tout le temps perturbé par le l'image de ma partenaire qui tient dans ses bras un petit bébé de un an. Ça aide pas, faut bien s'l'avouer ! C'est comme si... comme si...
Soudain, je sursaute et me dis à haute voix cette fois :
— Oh, non, non ! Arrête ça tout d'suite ! Tout d'suite, tout d'suite !
— Ah j'ai rien fait, réplique immédiatement mon petit bonhomme de conscience toujours sur mon épaule.
— Tsss, tsss, tsss, j’te vois v’nir ! le grondé-je en le pointant du doigt.
Le gnome lève les bras en signe d'innocence :
— De quoi tu parles ? Comme si quoi ?
— Comme si elle... Enfin comme si moi... Heu... comme si nous...
— Comme si vous ? rit-il en dansant d'un pied sur l'autre : je, tu, il, nous vous, ils, elles ! Tu révises tes pronoms personnels ?
Malgré mon ivresse, je suis abasourdi par tant de désinvolture et d'imbécilité. Je lui fais les gros yeux :
— Mais heu... Comme si elle et moi... Enfin tu vois quoi !
— Ahhhh, çaaaa ! s'exclame le mini-moi, comprenant enfin de quoi je parle. Ca, ça fait un bail que t'as pigé ce qui se joue entre vous, non ?
Je suis encore plus abasourdi : ma conscience a compris plus vite que moi, c'est complètement fou, ça. Je m'appuie contre le mur le plus proche. Ce que je viens de réaliser et de plus ou moins verbaliser, me donne le vertige. J'ai à nouveau la tête qui tourne et le cœur qui palpite.
— Ça va aller ? s'enquiert le gnome.
— Ouais... T'inquiète pas, dis-je en me laissant glisser au sol pour m'asseoir.
C'est un coin tranquille ici et, en général, on ne croise personne. Je ne risque pas de gêner les passants. Le petit bonhomme pose ses fesses sur mon épaule, croise les jambes et laisse son pied minuscule battre la mesure dans le vide, désinvolte.
— Bon, une fois qu'on a passé cette info comme quoi elle et toi, vous formez un vous, on en fait quoi de ce souvenir avec la gamine ?
— Si j'savais !
— Bah, à mon avis, tu sais.
— C'est toi, ma conscience, non ? M’sieur Je Sais Tout, t'as pas la réponse ?
— Non mais moi, j'suis là que pour la déco, t'sais. Je pose juste les questions pour te faire avancer.
— OK. T'es une sorte de psy en fait.
— On peut dire ça. Sauf que je coûte beaucoup moins cher, héhéhé...
— Pas si j'ai b’soin de trois bouteilles de Visky pour t’réveiller.
— Ca... j'y peux rien. Une, deux ou trois, je fixe pas le tarif. C'est toi l'boss.
Dépité, je m'allume une nouvelle clope. Ca aussi, il faudrait que je ralentisse, ou que j'arrête carrément, ça serait mieux.
— Voilà, j'ai trouvé ! s'écrie le gnome assis sur mon épaule.
Je le regarde se mettre debout, avancer le bassin et mimer un gros ventre tout en ajoutant, l'oeil malicieux et légèrement grivois :
— Kaori et toi, le vous devient un nous puis un il ou un elle en miniature... tu vois ?
Je sursaute, horrifié.
— Hein ? Non mais ça va pas, non ? D'où te viens l'idée que j'ai envie de me ropreud... reprod... roprod... Oh, merde, je vais y arriver, oui ! ...de me re-pro-duire ? Ah, c'est dit.
— Ca me parait assez évident, mon vieux.
— Non. Ça, j'suis sûr, j'veux pas. Pas envie. Mais alors pas du tout, du tout. Trop de... de... responsabilités, trop dangereux, trop sérieux, trop.. trop tout quoi. C'est pas ça qui me... qui m’turlupine, t’vois.
— Pourquoi tu penses tout le temps à Kaori en mode maman-géniale alors ?
J'ignore son ton piquant parce que sa question est au centre de mon problème. Je dois trouver la réponse. Grâce à sa présence et aux trois bouteilles ingurgitées, je la tiens enfin mais j'hésite avant de la révéler. J'ai un peu honte mais je me rappelle que je suis bourré et que je peux penser et donc dire ce que je veux :
— C'est son regard.
— Ah oui, c'est vrai qu'elle a des jolis yeux quand elle sourit, Kaori. Malgré tout ce que tu peux inventer comme excuses bidons pour le nier.
Je ricane bêtement puis secoue la tête :
— Non, il a pas qu'ça. C'est pas aussi simple.
Le petit gnome se rassied sur mon épaule, croise à nouveau les jambes, met les mains sur ses petits genoux et se penche en avant :
— Dis-moi tout, Ryo. Je suis tout ouïe.
Pour être parfaitement sûr que personne d'autre que mon petit gnome ne l'entende, je murmure :
— Je n'ai pas besoin de te rappeler mon passé.
Il grimace avant de répliquer, amer :
— Non, c'est bon, sans façon. Moins j'y pense, mieux je me porte.
Je le comprends. Moi aussi, j'ai aussi un mauvais goût dans la bouche quand les souvenirs refont surface. Je sens une vague de froid m'envahir alors que mon cœur se serre et qu'une fine couche de sueur glacée se colle dans mon dos. Je rejette la tête en arrière, tentant de regarder les étoiles. Je ne vois cependant que le ciel sombre teinté de pollution lumineuse de ma ville, celle qui ne dort jamais et ne se retrouve jamais dans le noir.
J'explique alors :
— Mais avant ça, il y a quoi ? Avant Kaïbara et la jungle, que m'est-il arrivé ? Je veux dire...
Le petit bonhomme écarquille les yeux mais je poursuis :
— A qui est-ce que je ressemble ? Est-ce que j'ai encore de la famille quelque part ? Je me suis déjà imaginé croiser un oncle ou une cousine dans la rue sans le savoir. C'est triste. Est-ce que je serais un homme différent si j'avais encore un grand-père ou une grand-mère ? Bien sûr, je me suis déjà posé ces questions un paquet de fois avant mais je me disais que c'était sans importance en fait, que je devais passer par-dessus et faire avec parce que... parce que je suis qui je suis. Un tueur ne fait pas dans le trauma d'abandon, tu vois ?
— Je vois, oui.
Je garde ensuite le silence. Mais, peu à peu, après cette première salve de questions, une seconde grandit en moi, plus puissante et totalement incontrôlable, inédite, incongrue. Je balance alors ce qui me passe par la tête, les mots coulent crescendo, tels des flots libérés par la rupture progressive d'un barrage :
— Est-ce que j'ai été voulu, désiré, choyé ? Ou un accident qu'on aurait voulu oublier ? Ma mère aimait-elle mon père ? Se sont-ils mariés par choix ou par... comment on dit déjà ?
Je claque des doigts pour faire revenir le mot que j'ai au bout de la langue.
_ Ah voilà, obligation, c'est ça ! Est-ce qu'ils se sont mariés par amour ou par obligation ? Et mon père ? Il m'attendait ou bien il en avait rien à secouer ? Où suis-je né ? Est-ce que ma mère s'est levée la nuit pour me bercer, me donner le biberon ? Quel nom m'a-t-elle donné ? Hein, c'est quoi mon vrai nom ? Bah, j'en sais foutre rien ! Et puis, est-ce qu'elle m'a affublé d'un surnom ? Un truc ridicule genre mon lapinou ou comme j'ai entendu l'autre jour, mon canard ?
Je ne peux m'empêcher de rire en ajoutant :
— Coin coin, tu me vois, moi, en petit canard ?
Le gnome lève les yeux au ciel, désespéré par ma remarque et me fait signe de poursuivre :
— Et après, je ne sais rien de moi. Quand ai-je fait mes premiers pas, mes premières dents ? Est-ce que j'avais un doudou, un nounours préféré ou une couverture ? Que me chantait-elle le soir ? Ai-je des frères et sœurs ? T'imagines si j'ai une frangine ! Est-ce que je l'ai déjà draguée ? Ça serait horrible ! Et autre chose, tiens ! Si j'ai un frangin : est-ce que je suis l'aîné ou le cadet ? Tu crois qu'on s'entendrait comme Hideyuki et moi, on s'entendait ? Pourquoi j'ai personne ? Pourquoi je suis seul ? Hein, pourquoi ? C'est pas juste ! Pas juste !
Je reprends mon souffle pour avoir le temps de peser mes mots, conscient de leur portée :
— Moi aussi, je veux être regardé comme ça. Moi aussi, je veux qu'on me regarde comme Kaori et Yukari regardaient la petite Shiori.
Voilà. Je me sens déjà un peu plus léger. C'est comme si je venais de retirer un poids de ma poitrine. Mon cœur bat à nouveau calmement, j'ai l'impression de pouvoir enfin respirer à pleins poumons. Ce n'était pas juste un abus de cigarettes, cette sensation de ne pas avoir assez d'air. Sur mon épaule, ma petite conscience me sourit, encourageante. Apparemment, je devrais continuer ; ce que je fais :
— Je n'ai absolument aucun souvenir de ma mère et ça me rend triste. Je ne peux pas me raccrocher à une odeur comme Shiori. Je ne me rappelle pas de son visage, ou de son regard, sa voix, ses battements de cœur, la mélodie d'une berceuse, des paroles rassurantes, une ligne de conduite. Il n'y a rien. Je ne trouve que du vide quand je pense à elle. Je cherche. En vain. Tout le monde a une mère, mais pas moi. Ça me fait me sentir seul, vraiment seul. En plus, je n'ai aucune piste pour entamer des recherches. J'ai l'impression d'être invisible, de ne pas exister pour de vrai. A qui je peux en parler ? Personne. Qui comprend ce que je ressens ? Personne. Et ne me sors surtout pas Kaori ! Même si elle a vraisemblablement compris qu'elle a été adoptée ce n'est pas du tout la même chose. Elle a eu une famille, une mère et un père adoptifs, un frère qui l'aimait, des souvenirs heureux.
Je baisse la tête :
— Et surtout, il faudrait qu'on reparle de mon passé, de tout ce qui m'est arrivé après l'accident d'avion et je n'en ai pas envie. Mary lui a déjà raconté les grandes lignes, je le sais bien. Kaori n'ignore pas qui je suis mais... En discuter directement avec elle...
Je n'arrive pas à achever ma phrase et le silence retombe dans la ruelle. Pesant, lugubre. Je n'avais encore jamais osé penser jusque-là ; trop douloureux, je pense, ou trop dramatique à mon goût. C'est même carrément pathétique, non ? Je soupire.
Heureusement que je suis bourré mais je crois que j'aurais mieux fait de ne rien dire. C'est presque pire maintenant que je sais pourquoi je n'arrive pas à oublier cet instant où Kaori semblait si heureuse. J'ai très certainement plus de trente-cinq ans, je suis un tueur réputé, un hors-la-loi craint des mafieux et je pleurniche dans une ruelle parce que je veux une maman et que je n'en ai pas. Pitoyable. Vraiment pitoyable.
Je m'allume une troisième clope mais j'ai la gorge tellement serrée que sa fumée âcre me fait mal. Je grimace mais continue d'inhaler mon poison tranquillement jusqu'à ce que le gnome se mette debout sur mon épaule et me murmure :
— Tu voudrais qu'elle soit comment, ta maman ?
Je me tourne vers lui, me sentant un peu stupide :
— J'en sais rien. C'est bizarre comme question !
— Pas tant que ça, me répond-il enthousiaste. Kaori t'a bien attribué une date d'anniversaire, je peux bien te dessiner l'image de ta mère ? On peut toujours essayer de l'imaginer avec les éléments dont on dispose. A te voir, elle n'était certainement pas une petite blonde aux yeux bleus.
Je hausse les épaules :
— Oh, tu sais, avec les mystères de la génétique, on peut s'attendre à tout !
— Ne complique pas les choses, Saeba, j'essaie de t'aider, là ! Donc... Moi, je l'imagine... Attends.
Et le voilà qui se met à se transformer. Apparaît alors une minuscule femme sur mon épaule : jolie, mince et élancée, les yeux en amande, les cheveux courts et un peu ondulés, comme les miens. Le bonhomme transformé en petite madame continue d'une voix douce et fluette :
— J'aimerais être douce mais avec un caractère bien trempé, du genre qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Généreuse, altruiste, volontaire et joyeuse, avec un sourire qui illum...
Je l'interromps brutalement :
— Tu pourrais éviter de faire ressembler ma mère à Kaori, s'teu plait ?
Brusquement, le petit bonhomme reprend sa forme initiale. Il se bidonne, l'air faussement innocent :
— Ah bon ? J'ai fait ça ?
— Mouais... La coupe de cheveux là et le truc sur le caractère bien trempé mais généreuse, tout ça...
— Et ?
— Et bah, c'est Kaori ça.
Il rit, espiègle :
— Ça pose un problème ?
— Oui. Un sérieux, grondé-je en fronçant les sourcils pour rendre mon regard le plus féroce et redoutable possible.
— Ok, ok ! Pas la peine de se fâcher comme ça. C'est toi qui as dit que tu voudrais être regardé comme Kaori regardait la petite. Je pensais bien faire, moi...
Je baisse les épaules et écrase ma clope d'un geste rageur. Même bourré, je trouve le moyen de m'embrouiller avec mon alter ego ! Il n'a vraiment rien compris, le lutin : non, je ne veux pas que Kaori me regarde comme un gamin, encore moins le sien, bien sûr que non ! Je ne l'identifie absolument pas à ma mère ! Beurk ! De toute façon, c'est n'importe quoi cette discussion avec cette espèce de Jiminy Cricket là. Je ferais mieux de rentrer.
Je me lève mais je manque de perdre l'équilibre. La Terre tourne bel et bien. Le petit bonhomme éclate de rire et je lui tire la langue, vexé :
— Tu es tellement immature d'un certain côté, réplique-t-il. Ça ne serait pas totalement déconnant que Kaori prenne la place de ta mère.
— Ah heuu... ça... murmuré-je dépité avant de m'exclamer : Oui mais non ! Non et re-non ! C'est dégueu. J'veux pas.
— Pourquoi ?
— Certaines choses ne se font pas avec... raaaa, je peux même pas l'dire, tellement c'est dégueu !
— Donc, tu voudrais faire ces choses avec Kaori ! ricane-t-il. Ce n'est pas totalement platonique ou uniquement professionnel entre vous deux ?
— Bien sûr que non ! Tu l'as dit toi-même avant ; on sait toi et moi que c'est autre chose depuis longtemps.
— Comporte-toi un peu mieux alors.
— Mouais, je pourrais y songer. Éventuellement. Pour qu'elle me voit autrement que comme un ado attardé ?
— Entre autres, ouais, ça serait bien je pense.
Je ne réponds pas et me contente de fourrer mes mains dans les poches de ma veste qui sent la poudre et la graisse de revolver mais surtout plusieurs parfums de femme, le whisky, la cigarette. Je vais me faire sonner les cloches par Miss Massue en rentrant à la maison. Que dis-je ? Je vais me faire démonter, écrabouiller, écharper ! Je hausse les épaules. Tant pis. Je commence à connaître la musique.
Quand je reprends mon chemin, le sol ondule un peu moins sous mes pieds. C'est déjà ça. Je ne tangue presque plus. Après quelques pas, le mini-moi reprend en me tapotant l'épaule de sa main minuscule :
— Bon, on avance sur le sujet Kaori, c'est déjà pas mal. Mais pour en revenir à tes parents... Comment expliques-tu que tu sois le seul survivant de cet accident d'avion ? Je veux dire... C'est un miracle de s'en sortir lors d'une telle catastrophe, tu ne crois pas ? Alors, moi, j'aime croire que ta mère t'a protégé. Elle et ton père aussi, qui sait ? Ils étaient peut-être tous les deux dans cet avion. Ou juste ton père ? C'est vrai que tu ne peux être sûr de rien, c'est douloureux, c'est clair. Mais moi, je veux croire que tes deux parents étaient avec toi et qu'ils ont tout fait pour prendre soin de toi jusqu'au bout, pour te sauver, pour que tu vives parce que tu étais la chose la plus précieuse à leurs yeux, plus précieuse encore que leurs propres vies.
Il marque une petite pause :
— Et donc, ils t'aimaient. C'est ça le plus important, non ?
— Peut-être, oui. Mais ils ne sont plus là et je suis seul aujourd'hui.
— Ah non. Tu n'es pas seul.
— Oui, Kaori est là. Mais ce n'est pas ma mère, hein, ne recommence pas avec cette idée débile.
— Rooo, ton disque est rayé, mon vieux. C'est bon, j'ai capté !
Il se penche alors vers moi pour ajouter plus sérieusement :
— N'empêche qu'elle aussi, elle t'aime. Tu le sais.
— Mmgrpft...
— C'est elle ta famille maintenant.
— On pourrait dire ça comme ça, oui. Tu as raison, il faudra que je change deux ou trois de mes habitudes. Mais je vais avoir besoin de temps.
— Oui, ça, je m'en doutais, ironise le mini-moi avec un énorme sourire satisfait aux lèvres. Je suis content, je crois que tu as trouvé la conclusion à cette histoire. Tes parents t'aimaient, ta mère aussi mais maintenant tu dois aller de l'avant avec celle qui est là pour toi, qui t'aime et que tu aimes. C'est cool.
J'éclate de rire, encore euphorique grâce au reste de whisky qui coule dans mes veines. Il faut vraiment que je sois totalement bourré pour m'être avoué à moi-même ce genre de conneries. C'est pour ça que je conclue à haute voix, la bouche un peu pâteuse :
— Non, c'qui est vraiment cool, c'est qu'j'aurai tout oublié demain. Comme ça, zéro prise de tête avec ma Miss Massue !
— Mouais, grommelle ma conscience. Si tu le dis... Moi, j'en suis pas si sûr.