Yes or No ?
Les paroles de la chanson “Walk the Line” appartiennent à Johnny Cash. (et pour ceux qui souhaitent écouté ce grand classique : I Walk the LI Walk the Line - YouTubeine - YouTube
Chapitre 33 Chassez le naturel ...
C'était l'heure de prendre mon tour de garde et de relayer le Doc mais la demande de Mick restait encore dans un coin de mon esprit.
A peine deux heures auparavant, il s'était mis à genoux, tenant ma main gauche entre ses mains gantées. Complètement ivre après avoir arrosé le mariage de Miki et Falcon, il avait vacillé un peu mais avait finalement tenu bon.
- "Do you want to marry me ? (Veux-tu m'épouser ?)"
Prise au dépourvu, j'étais restée muette et il avait insisté, avec un clin d'œil :
- "So, Yes or No ? (Alors, oui ou non ?)"
- "Tu as trop bu, Monsieur Angel. Va te coucher ... On reparlera de ça quand tu seras sobre .." Avais-je répondu avant de l'aider à s'étendre sur le sofa de mon bureau.
J'avais ensuite passé la fin de la nuit à réfléchir et à boire du café, me demandant ce que j'allai lui répondre s'il me reposait la question. En remontant le fil des évènements, de notre rencontre, de mes hésitations, des défis que nous avions relevés ensemble, des choses que j'avais apprises sur lui et son passé mais aussi des évènements de ces dernières heures, un doute s'insinua peu à peu dans mon cœur.
Avant de sortir, je regardai encore un moment Mick dormir et je refermai doucement la porte derrière moi.
Je retrouvai le Doc dans le couloir et il me fit un rapide résumé de la nuit et tout était calme.
Quand j'entrai dans la chambre numéro trois, Miki était réveillée, contrairement à son mari qui dormait, assis sur une chaise, les pieds étendus sur le bord de son lit, les bras croisés sur son impressionnante poitrine. Pour la première fois, je le vis sans ses lunettes noires qui étaient posées sur la table de chevet. Il paraissait paisible et, finalement, je me dis qu'il ressemblait à un homme comme les autres, lui que je percevais souvent comme un être à part.
Miki me regarda, amusée en mettant un doigt sur la bouche. Falcon ronflait légèrement et cela me fit sourire.
- "Comment te sens-tu ?" Demandai-je à voix basse.
- "Ça va." Elle désigna son mari du regard en souriant. "Il est là, alors ça va."
- "Est-ce que tu as mal ? Je rajoute un anti-douleur ?"
- "C'est supportable pour l'instant." Me chuchota-t-elle.
- "Bien, essaie de te reposer. Le petit déj, c'est pas encore pour tout de suite."
J'allai sortir quand elle me demanda :
- "Kazue ? Je peux te demander un service ?"
Je revins sur mes pas.
- "Oui. Dis-moi."
- "Je veux rentrer chez moi ..."
- "Miki ... Tu as pris une balle dans l'épaule, nous t'avons anesthésiée, il faut changer ton pansement ..."
Elle leva la main pour m'interrompre :
- "Je sais tout ça. Mais je sais aussi ce qu'il faut faire pour soigner une plaie par balle ..." Dit-elle en désignant Falcon. "Et lui aussi sait comment changer un pansement, ou reconnaître des signes d'infection."
- "Miki ..."
- "Je te promets d'être raisonnable. Mais je veux rentrer chez moi avec mon mari, j'ai envie de retrouver ma chambre et aussi, je veux retourner travailler ..." Ajouta-t-elle avec un grand sourire. "S'il-te-plait, Kazue ! Déjà que je n'ai pas eu de nuit de noces ..."
Je soupirai. Son regard de chaton éploré me fit fondre comme neige au soleil.
- "Bon. Mais je passe demain soir pour changer ton pansement et pour les antibiotiques en IV, OK ?"
- "Ouiiiiii ! Promis, je ferai très attention !"
- "Par contre, je sais que le Doc ne sera pas d'accord."
- "Tu ne peux pas le convaincre ?"
- "Moi ? Convaincre le Doc ?" J'éclatai de rire.
Je réfléchis et puis je murmurai :
- "J'ai peut-être une idée ... "
- "Pas un truc bizarre, hein ?"
Je ris doucement pour ne pas réveiller Falcon :
- "Non, non, rien de bizarre. Mais ... Deviens insupportable et je pense qu'il te renverra chez toi avec plaisir."
- "Insupportable ?"
- "Oui. Exigeante, impolie, mécontente de tout ... Tu vois le genre ?"
Elle hocha la tête et je poursuivis :
- "Rien ne le vexe plus que quand on critique sa cuisine, son café et le confort de sa clinique ... Tu penses pouvoir y arriver ?"
Elle me sourit :
- "Sans problème !"
- "Bien ... Bonne chance alors et à demain soir."
- "A demain ! Et merci, Kazue."
J'allai ensuite me réfugier dans mon laboratoire. Ma présence n'était pas requise auprès des patients et je préférai éviter de croiser Mick. Je ne savais même pas si j'avais envie que nous reparlions de sa demande, en admettant que sa demande en soit bien une.
En réalité, je pensais, au fond de moi, que j'aurais préféré qu'il ne se soit rien passé, qu'il ne dise rien, qu'il ne se soit jamais mis à genoux et que tout cela ne se soit pas réellement arrivé ... Parce que finalement, nous étions bien comme ça. Pourquoi vouloir changer les choses ? J'avais déjà du mal à m'habituer à ne plus vivre seule, moi qui, même pas quatre mois auparavant, pensais rester tranquillement célibataire. Jusqu'à ce qu'il entre dans ma vie, dans mon cœur, renversant mes certitudes, mes convictions, ma façon d'envisager l'avenir.
Mais une demande en mariage ... C'était sérieux, une demande en mariage. Ca ne s'envisageait pas dans un bureau, après une nuit bien arrosée. Et je ne pouvais m'empêcher de songer que le charmeur qu'il était n'avait absolument pas mesuré tout ce que sa question : "Do you want to marry me ?" impliquait réellement.
Si jamais il en reparlait un jour, peut-être arriverais-je à lui faire croire qu'il avait rêvé cette scène et qu'il avait eu des hallucinations dues à l'alcool ...
Vers onze heure, le Doc toqua à ma porte et entra :
- "Vous avez pu dormir un peu ?" Demandai-je en découvrant sa mine défaite.
- "Oui, oui ... Jusqu'à ce que les revendications d'une furie ne me réveillent en sursaut."
- "Une furie ?"
- "Oui ... Il semblerait que notre jeune mariée soit une vraie peste jamais contente ..." Soupira-t-il en se passant les mains sur le visage.
Je souris intérieurement alors qu'il poursuivait :
- "Si elle continue comme ça, je vais la renvoyer chez elle manu militari ..."
Soudain un bip retentit depuis un de mes ordinateurs indiquant qu'un résultat était prêt. Le Doc s'en approcha et regarda l'écran :
- "Tu travailles sur de l'ADN ?"
- "Oui. Kaori m'a demandé de faire une recherche de filiation. Elle m'a apporté les échantillons la semaine dernière."
- "Oh, bah alors ... tu as décroché le jackpot !" Dit-il en se penchant un peu plus vers mon écran.
Je m'approchai et regardai par dessus son épaule :
- "Waouw. Grand-père et petit-fils, sans aucun doute possible ! Génial ! Kaori sera contente !" M'exclamai-je en me dirigeant vers le téléphone.
Le Doc m'interrompit :
- "Non, laisse. Kaori vient certainement de se coucher. De toute façon, je parie qu'elle viendra rendre visite à notre jeune mariée tout à l'heure, tu pourras lui donner les résultats à ce moment-là. Je lui dirai de passer te voir si tu veux ... Si tu restes ici ..." Ajouta-t-il en me regardant par-dessus ses lunettes rondes.
- "Heu ... Oui, oui. Je dois encore produire du sérum pour Hiro et il faut encore une dizaine de doses pour les injections de Mick."
- "Hum, hum ..." Il me scrutait, visiblement dubitatif quant à l'urgence de mon travail. "Au fait, en parlant d'Angel ? Tu en as fait quoi ?"
Je répliquai, un peu tendue mais en souriant quand même :
- "Il s'est endormi dans mon bureau. Il en a pour un moment, je pense, vu son état."
- "Certes. Il a un peu abusé cette nuit, je crois, mais bon ... Il faut bien que jeunesse se fasse." Conclut-il, amusé tout en se levant. "Je te laisse. Je vois que tu as beaucoup à faire ..."
Je me plongeai dans mon travail et sursautai quand j'entendis toquer à la porte. Je jetai un œil sur ma montre, il était quatorze heures passées.
- "Il faudra que j'aille manger quelque chose ..." Songeai-je tout en priant que ce ne soit pas Mick qui venait essayer me tirer hors de mon refuge et ce fut avec soulagement que j'entendis :
- "Kazue ? C'est Kaori !"
- "Entre, Kaori, c'est ouvert !" Je terminai des calculs de posologie pendant qu'elle entrait, tout en ajoutant "J'ai le résultat de la recherche ADN que tu m'as demandée ..."
- "Oh ... Déjà ?" murmura Kaori, surprise.
Elle dut s'asseoir quand je lui annonçais qu'elle avait trouvé le grand-père paternel de son client et je l'observais un moment. Elle était visiblement très troublée et ne détachait pas son regard de la feuille que j'avais imprimée ...
- "Bah, ça n'a pas l'air de te faire plaisir !" Demandai-je, surprise de sa réaction.
- "Si, si, si ! T'inquiète pas ! C'est juste que ... C'est mon affaire solo, tu sais ! Alors, je suis contente de l'avoir ... comment dire ? ... résolue."
Elle n'avait absolument pas réussi à me convaincre mais je ne voulus pas la mettre mal à l'aise. Après tout, elle n'était pas du tout tenue de me dire quoi que ce soit sur cette affaire. Même si celle-ci devait lui permettre de montrer à Ryo qui elle était vraiment et que je me demandai où tout ça allait la mener ...
Je choisis cependant de rester discrète, retenant ma curiosité et je me levai pour aller poser une main sur son épaule :
- "Je comprends. En tous cas, bravo ! Tu peux être fière de toi !"
Puis, elle sursauta et fouilla dans sa poche :
- "Oh, j'ai failli oublier ..." Elle me tendit ma clef.
- "Merci." Dis-je. "Je vais pouvoir la rendre à Madame Sakamoto."
- "Quand fais-tu ton état des lieux ?"
- "Demain. Je sens que ça va être dur. Souvent, cette vieille chouette me tapait sur les nerfs mais d'autres fois ... Je crois qu'elle va me manquer finalement !" Ajoutai-je en riant, émue par avance en imaginant faire mes adieux à ma logeuse.
Kaori se leva et m'adressa un sourire dont elle seule avait le secret :
- "C'est pour la bonne cause ! Et moi, je suis contente de t'avoir comme nouvelle voisine ! Bon, je dois y aller, je vais dire bonjour à Miki et j'ai un truc important à faire ensuite." Dit-elle en ouvrant la porte : "Bonne journée, Kazue. Et ... Merci infiniment pour ton travail. Je te revaudrai ça !"
- "Pas de problème, Kaori. J'adore faire ce genre de tests ! Ça permet de m'occuper un peu !" Répliquai-je tout en me demandant encore pour qui elle travaillait exactement et quel pouvait bien être ce truc si important à faire ...
Un peu plus tard, j'allai me chercher quelque chose à grignoter en salle de pause et je croisai Himika :
- "Dis-moi, ta copine, là, Miki, elle est vraiment pas commode ... Pourtant elle m'avait l'air sympathique quand on a soigné Falcon cet hiver."
- "Ah bon ? C'est si terrible que ça ?" Demandai-je innocemment en sirotant mon café.
- "Oui. Figure-toi que le Doc a fini par la renvoyer chez elle tellement elle était ... chiante, pardonne-moi le terme."
Je souris :
- "T'inquiète pas. Elle n'est pas comme ça tout le temps. Elle était simplement contrariée d'être là ..."
- "Mouais, enfin ... tu aurais dû entendre comment elle a secoué Falcon parce qu'il était en retard ! Même Kaori s'est sauvée ..."
Je ris en tout en pensant :
- "Bien joué Miki ..."
Tout en se servant une tasse de café, Himika ajouta :
- "Au fait, si tu cherches ton prince au bois dormant, il est en grande discussion avec Hiro dans le jardin ..."
- "Non, non, c'est bon." Dis-je, presque soulagée que Mick ne soit pas venu directement me trouver. "Je vais le laisser papoter ... J'ai du boulot."
Et je retournai me cacher dans mon laboratoire. Je savais bien qu'à un moment où à un autre je devrais bien retrouver Mick et que nous devrions parler de ce qui c'était passé dans mon bureau mais je repoussai cet instant le plus possible. Je savais parfaitement que je ne parviendrai pas à l'éviter : j'avais déjà fui plusieurs fois et il était à chaque fois revenu à la charge. J'avais juste besoin de temps.
Un peu avant dix-huit heures, je sortis de ma cachette. J'étais fatiguée et j'avais envie de rentrer à la maison. Chez moi, chez nous. Perdue dans mes pensées, je sursautai quand j'entendis derrière moi :
- "Bah il était temps !"
Mick était dans un recoin, derrière la porte du laboratoire, assis le long du mur, une jambe tendue, un bras sur un de ses genoux replié et il jouait avec une cigarette éteinte qu'il faisait tourner entre ses doigts. "Travail de motricité comme un autre" m'avait-il répliqué un jour quand je lui avais fait remarqué que ce jeu m'agaçait prodigieusement.
- "Oh ! Mon Dieu!" M'écriai-je en portant une main à ma poitrine. "Tu m'as fait une de ces peurs !"
Il se releva et me sourit de son petit air enjôleur :
- "C'est pour m'assurer que je fais encore un peu battre ton cœur, ça ..."
- "Espèce d'idiot ..." Murmurai-je avant qu'il ne m'embrasse.
- "On rentre ? J'ai très envie de prendre une douche ... Tu m'accompagneras ?"
Les images qui naquirent dans mes pensées chassèrent un moment mes appréhensions concernant une éventuelle discussion. Puis quand nous furent arrivés dans mon bureau pour que je prenne mes affaires, il me dit en se massant la nuque :
- "Je ne sais comment tu fais pour dormir sur ce truc ... C'est vraiment pas confortable. Heureusement que j'étais ivre mort pour réussir à pioncer là-dessus ... D'ailleurs, je ne me rappelle même pas comment je suis arrivé là ... J'espère que je ne t'ai pas vomi dessus ... Quoique ... Tu as l'habitude de me voir au fond du trou."
Je vis son regard se voiler quelques secondes et je vins me coller contre lui, finalement soulagée que sa mémoire lui joue des tours. Je murmurai à la fois pour lui et pour moi :
- "C'est du passé tout ça, Mick. C'est fini ..."
- "Je sais ... Mais j'y pense encore. Tu sais que, quand je suis fatigué, je ressens les effets du manque. J'ai de nouveau l'impression d'avoir froid jusque dans mes os, que mes tripes se nouent, que mon corps va disparaître en lambeaux ... Enfin, tu vois l'idée ?"
- "Je crois, oui."
Je passai une main sur sa joue et il ferma les yeux un instant pendant que je murmurai, la gorge serrée en repensant à ces moments difficiles :
- "On rentre ?"
Un peu plus tard, sur le chemin du retour, il me demanda :
- "Tu veux qu'on en parle ?"
Je me crispai légèrement tout en demandant d'un air que je voulais détaché :
- "De quoi ?"
- "Du mariage. De ce qui est arrivé ... "
Mon cœur s'arrêta de battre, puis Mick ajouta :
- "... à Miki."
Je me sentis soulagée :
- "Non. Je ... Pourquoi ?"
- "Parce que Miki a payé pour quelque chose qu'elle n'avait pas fait, elle a servi simplement de diversion à ceux qui voulaient enlever Kaori pour atteindre Ryo, tout ça le jour de son mariage ... Et que cette diversion aurait pu lui coûter la vie, tout simplement. Pour quelqu'un qui n'est pas du milieu, comme toi, ça peut être dur à comprendre et à encaisser ..."
Je restai silencieuse et il poursuivit en me prenant la main :
- "Et puis aussi parce que tu t'es cachée toute la journée. Et généralement, quand tu fais ça, c'est que quelque chose ne va pas ..."
Je serrai un peu plus sa main dans la mienne, émue qu'il ait remarqué mon trouble, même s'il se trompait sur son origine. Je murmurai en posant ma joue contre son bras pendant que nous marchions :
- "Hummmm ... Je ne sais pas. Pour le moment, j'ai juste envie de rentrer. Et dormir ... J'ai très envie de dormir ..."
Il ronchonna d'un air faussement fâché :
- "Dormir, dormir ... Pas envie de dormir, moi ..."
- "Bah voyons ! Normal, tu as cuvé toute la journée, toi !"
- "Mmmm, oui. D'ailleurs, ça faisait un moment que je n'avais pas été aussi éméché. Et ça faisait longtemps que je n'avais pas bu autant, je n'ai plus l'habitude. Je suis devenu trop sage, on dirait ..." Ajouta-t-il en me jetant un petit regard espiègle.
- "Tu aurais dû faire comme Ryo et vider une partie de tes verres dans le pot de fleur ..."
- "Quoi ! Il a balancé mon whisky dans les plantes vertes !" S'exclama-t-il, outré, puis, brusquement, il éclata de rire : "Oh !!! il avait quelque chose en tête, l'Étalon ! A mon avis, Kaori n'a pas beaucoup dormi cette nuit !"
Je lui tapai brutalement l'épaule :
- "Miiiiiiiick ! Mais tu ne penses qu'à ça, c'est pas possible !"
- "Quoi ?" Répliqua-t-il en riant.
- "Non, sérieusement, je ne pense pas qu'il se soit passé quoique se soit. Quand elle est passée tout à l'heure pour voir Miki, elle avait l'air tout à fait normale et je pense que s'il s'était ... Enfin s'ils avaient ... si Ryo avait ... Bref ... Je pense qu'elle aurait été un peu ... Différente."
Mick resta pensif un instant.
- "Mmmm ... pourquoi ? Ça rend différent de faire l'amour ?"
- "En tous cas, ça se serait vu ... Elle aurait été plus ... je ne sais pas moi, heureuse ... ou comme dire ? Plus épanouie ..."
Il me regarda, inclinant légèrement la tête mais comme il restait toujours silencieux, je demandai :
- "Y'a un truc qui va pas ?"
- "Non, non, tout va bien."
Il me regardait toujours sans un mot et je ne parvenais pas à décrypter son regard. N'y tenant plus, je m'arrêtai sur le trottoir, les mains sur les hanches :
- "Tu vas me dire ce qui ne va pas, Monsieur Angel, sinon, je te jure que ..."
Il se pencha vers moi et m'interrompit :
- "Je mémorise. Histoire de pouvoir comparer et te dire si tu es épanouie tout à l'heure quand je t'aurais fait l'amour sous la douche ..."
- "Miiiiiiiiiiiick !"
J'avais éclaté de rire avec lui tout en rougissant et j'avais repoussé les idées sombres qui ne m'avaient pas quittée de la journée. Mick Angel avait cette capacité là. Il avait ce pouvoir là sur moi. Il suffisait que je l'entende rire, qu'il me lance un sous-entendu ou qu'il me fasse une proposition indécente et, d'un coup, j'oubliai.
Nous poursuivîmes notre chemin, main dans la main, dissertant sur tout et rien et surtout sur les possibles avancées de l'Étalon de Shinjuku et si oui ou non il était arrivé à ses fins.
Une dizaine de jours plus tard, je passais voir Miki comme tous les soirs et pendant que je changeai son pansement dans le salon de leur appartement attenant, je lui demandai :
- "Des nouvelles de Kaori et de son nouveau job ?"
En effet, depuis un peu plus d'une semaine, Kaori avait décroché le poste très officiel d'assistante personnelle du PDG de la Sugimoto International Company, un grand groupe pharmaceutique. Quand Miki m'avait appris la nouvelle, je m'étais immédiatement demandée si ce nouveau poste était lié à cette affaire si mystérieuse et si spéciale qui occupait Kaori en secret. Depuis, je la voyais de temps en temps partir le matin dans une limousine avec chauffeur privé, habillée de jolis tailleurs très féminins qui la mettaient magnifiquement en valeur. Elle rentrait ensuite tard le soir. Ryo, lui, de son côté avait l'air de plus en plus dépité.
Miki me répondit :
- "Des nouvelles de Kaori ? Non, pas vraiment. À part le peu de ce que me raconte Ryo quand il passe prendre son café ..."
- "Ah oui ? Et qu'est-ce qu'il te raconte ?"
Elle se leva et m'amena une tasse de thé :
- "Qu'elle rentre de plus en plus tard et qu'il avait besoin du mode d'emploi pour la machine à laver ... Rien de spécial, pourquoi ?"
- "Non, comme ça."
Miki me sonda et mit une main sur sa hanche, l'autre restant immobilisée en écharpe :
- "Kazue ?"
- "Oui ?"
- "Tout va bien ?"
Je rangeai mon matériel pour me donner une contenance :
- "Ah, heu ... Oui, oui ... Tout va bien, je ... Je suis un peu fatiguée ..."
- "Mouaiiiis ... C'est ça ! Qu'est-ce qui te chagrine ? Et pourquoi tu veux savoir ce que fait Ryo ?"
- "Rien, rien ... Et c'est juste par curiosité ..." Balbutiai-je, gênée.
- "C'est Mick, c'est ça ?"
- "Hein ?"
Miki me sonda :
- "Qu'est-ce qu'il a fait cet imbécile ?"
- "Je ... rien de spécial ..."
Elle s'assit en face de moi :
- "Allez, Kazue ... crache le morceau ..."
Je soupirai profondément :
- "Je me demande s'il n'a pas repris ses activités de nettoyeur, contrairement à ce qu'il m'a promis ..."
- "Qu'est-ce qui te fait dire ça ?" Me demanda Miki, redevenue soudain très sérieuse.
- "Depuis quelques temps, il se comporte étrangement. Dès que je rentre, il ferme la porte du bureau, comme s'il y cachait quelque chose mais quand je suis allée inspecter la pièce, l'autre jour, je n'ai rien vu de particulier. Et c'est ce rien qui est bizarre. Y'a vraiment RIEN qui dépasse, tu vois ce que je veux dire ?"
- "Il est peut-être juste méticuleux et il ne laisse pas traîner ses affaires ... "
Je me pus me retenir de rire :
- "Il est un peu maniaque, je te le concède, surtout en ce qui concerne ses papiers et ses costumes ... Mais, non, j'ai vraiment la sensation qu'il s'agit d'autre chose ..."
Miki resta silencieuse un moment, puis claqua des doigts de sa main libre :
- "Je sais ! Il te prépare une surprise !"
- "Bah ... Quel genre de surprise ? Mon anniversaire c'est en janvier prochain, donc ..."
- "Je ne parle pas de ça ... mais de ça !" M'interrompit-elle brutalement en me montrant son annulaire gauche.
Je faillis en tomber à la renverse et je bredouillai :
- "Non, non, tu crois ? Non, c'est pas ... Comment veux-tu ? Noooooon !"
J'avais abandonné cette idée après avoir passé un moment sous la douche avec Mick :
- "Le meilleur remède contre la gueule de bois, c'est une petite douche à deux ... Docteur Natori, tu es la seule à pouvoir me soigner ..." M'avait-il murmuré à l'oreille tout en m'entraînant sous le jet d'eau chaude.
- "Et où avez-vous mal, Monsieur Angel ? Là ?" Avais-je demandé en passant la main sur son front.
- "Moui ... C'est terrible, je n'arrive vraiment pas à me rappeler comment je suis arrivé dans ton bureau, ni sur ton canapé. C'est grave Docteur ?" m'avait-il demandé tout en me plaquant contre le mur de la douche.
J'avais frémis en sentant la fraîcheur du carrelage dans mon dos et j'avais souris d'une joie teintée de soulagement :
- "Très, très grave ... Je dirais même que c'est incurable !"
Il m'avait embrassée dans le cou tout en faisant remonter ma jambe contre la sienne pendant que l'eau chaude coulait doucement entre nous deux.
- "Oh, alors ... Je suis foutu c'est ça ?"
- "Ça dépend ..." Avais-je soufflé tout en passant mes mains dans ses cheveux mouillés, contemplant ses joues rougies par la chaleur de l'eau et ses lèvres humides qui appelaient les miennes.
- "Oh ... ça dépend de quoi ?"
- "De ça ..." et j'avais accroché mes bras autour de sa nuque et passé mes jambes de part et d'autre de sa taille, persuadée que cette histoire de demande en mariage n'avait été qu'un égarement d'ivrogne.
Et voilà que Miki venait semer à nouveau le doute dans mon esprit. Me serais-je trompée ?
Elle resta songeuse un moment :
- "C'est vrai que j'ai du mal à imaginer Mick Angel, le plus redoutable des tueurs à gages des U.S.A., ce dragueur invétéré ... se ... marier."
Je soupirai, soulagée :
- "Ah, tu vois ... Et puis, ça serait trop tôt ..."
- "Oui, mais, quand je vois comme il te regarde, je me dis, qu'après tout, tout est possible ..."
Je secouai vivement la tête :
- "Non, non, ce n'est pas ça. Il y a quatre ou cinq jours, il est sorti de l'immeuble en face au moment où je rentrais à la maison. Ryo m'a fait signe par la fenêtre et je peux te garantir que Mick et lui avaient la tête de deux bandits pris en faute."
- "Et ? Tu lui as demandé ce qu'ils étaient en train de faire ?"
- "Bien sûr ! Il m'a sorti un truc bidon, genre qu'il avait aidé Ryo pour qu'il puisse séduire Kaori. Comme si Ryo avait besoin de faire quoique ce soit pour que Kaori lui tombe dans les bras. Franchement, il n'aurait qu'à dire ce qu'il ressent pour elle, y'a vraiment pas besoin de faire compliqué ..."
- "Effectivement, c'est louche ..." Concéda Miki, pensive.
- "Alors, voilà ..."
Miki acquiesça :
- "Je vois ... Comme Ryo est sans partenaire en ce moment, tu te dis que Mick travaille avec lui, c'est ça ?"
- "C'est ça."
Elle soupira :
- "Entre nous, je préférerais une demande en mariage ... mais bon. Je t'assure que de mon côté, je ne suis au courant de rien. Et compte sur moi pour te prévenir immédiatement si j'apprends quelque chose. Je vais peut-être même sonder un peu Nounours, ce soir..." Ajouta-t-elle en souriant. "Tout ce que je peux te conseiller, c'est de poser la question à Mick. Au moins, tu seras fixée."
- "Tu as certainement raison ..."
Mais, je n'eus pas besoin de demander quoique ce soit.
Le soir même, en rentrant à la maison, j'entendis un bruit étrange en provenance de son bureau, une sorte de petit ronflement aigu que je ne parvenais pas à identifier. Ensuite je perçus, en sourdine, le son particulier et reconnaissable entre tous de la basse et de la guitare de Johnny Cash.
En jetant rapidement un œil au meuble du salon, je vis immédiatement que mon tourne-disque avait été déménagé. J'entendis ensuite la voix de violoncelle du parolier américain que Mick aimait tellement. Puis, par dessus sa voix, je reconnus la façon de chantonner de Mick, pas trop fort cette fois mais toujours aussi faux :
You've got a way to keep me on your side
You give me cause for love that I can't hide
For you I know I'd even try to turn the tide
Because you're mine I walk the line.
(Tu as une façon tout particulière de me garder près de toi
Tu me fais ressentir un amour que je ne peux cacher
Pour toi je sais que j'essaierai même d'inverser les marées
Parce que je suis avec toi, je file droit.)
Bien.
Il écoutait du Johnny Cash dans son bureau, la porte entrouverte, avec un instrument qui faisait un bruit étrange ...
- "Voilà, pas la peine de t'inquiéter, Kazue." Me murmura mon esprit. "Tout va bien. Tu n'as qu'à t'approcher de la porte, regarder à l'intérieur et tu sauras ..."
I keep a close watch on this heart of mine
I keep my eyes wide open all the time
I keep the ends out for the ties that bind
Because you're mine, I walk the line.
(Je surveille de près mon coeur
Je garde mes yeux grands ouverts tout le temps
J'empêche que ces liens qui nous lient ne se rompent
Parce que je suis avec toi, je file droit.)
Je m'avançai à pas de loup, quand j'entendis un rire :
- "Dis-moi, Mick, je rêve où t'es complètement accro ?"
Mon cœur se serra. De quoi pouvait-il bien s'agir ? Mon esprit continua de plus belle :
- "Oh mon Dieu ! Pourvu qu'il n'ait pas replongé ! Il me l'avait dit pourtant qu'il ressentait encore les effets du manque ! Il me l'avait dit ! Pourquoi je n'ai rien vu ? Mais pourquoi ?"
Je m'approchai encore un peu, le cœur battant, les jambes tremblantes, persuadée que j'allais trouver Mick en train de se faire un shoot avec une seringue plantée dans le bras, ou de respirer de la poudre blanche sur un miroir ou ...