Yes or No ?
Après une bonne douche, j'arrivai pile à l'heure chez Madame Sakamoto avec une boîte de son thé préféré. J'en avais heureusement trouvé une dans le placard de ma cuisine, m'évitant ainsi de sortir pour faire des courses. Avant de partir, j'avais encore essayé d'appeler Mick à plusieurs reprises mais, à chaque fois, le téléphone sonnait dans le vide.
Tant pis, je pourrais toujours tenter d'aller le voir ce soir, après le dîner chez Madame Sakamoto. Pendant quelques instants, j'avais même songé décliner son invitation et me rendre directement chez Mick pour l'attendre mais, pour une fois qu'elle me conviait pour dîner chez elle, je m'étais mal imaginée refuser ... Surtout que, pendant toute l'après-midi, mon nez avait senti de merveilleuses effluves et que j'en avais déjà eu l'eau à la bouche.
Quand Madame Sakamoto ouvrit sa porte, la fabuleuse odeur de bouillon qui mijote me chatouilla les narines de plein fouet et mon estomac exprima bruyamment son impatience avant même que j'aie pu dire quoique ce soit, ce qui fit sourire ma logeuse :
- "Bien, vous avez faim, c'est une bonne nouvelle, il y a tout ce qu'il faut !" Elle m'inspecta de la tête aux pieds : "Bon, vous avez un peu meilleure mine. Le coup de l'enveloppe a marché ?"
Ce fut à mon tour de la dévisager, elle me sourit et me lança :
- "J'ai bien vu que Monsieur Angel avait quelque chose à se faire pardonner, et même s'il m'a dit que tout allait bien, il avait l'air tristounet. Et puis, il portait cette horrible tenue de sport, là. "
Je ris en imaginant la tête de Madame Sakamoto en découvrant Mick sans son costume trois pièces :
- "Il est venu avec son pantalon trop grand et son sweat à capuche ?"
- "Non, non." dit-elle en s'effaçant pour me laisser entrer. "Une tenue d'instructeur sportif. Il m'a dit qu'il avait trouvé du travail de ce fameux club de sport hyper huppé, vous savez, celui qui a ouvert récemment au centre ville ?"
- "Oh, vous savez, moi, les clubs de sport ..." Répliquai-je tout en me demandant s' il ne s'agissait pas d'une affaire pour City Hunter en réalité. La petite pointe d'inquiétude grandit un peu plus dans mon cœur.
Madame Sakamoto continua alors qu'elle me suivait :
- "Bon, sa combinaison mettait sa carrure en valeur mais je le préfère quand même en costume, y'a pas à dire, ça change un homme, le costume."
C'était la première fois que j'entrais chez elle et je constatai que tout y était un peu comme chez mes parents, très traditionnel, depuis la table où nous mangions à genoux en passant par la décoration très sobre et le petit autel dédié aux ancêtres. Comme je regardai la photographie qui y était posée, elle me dit :
- "Rinjiro est mort six ans après notre mariage ..."
- "Oh ..."
- "Il avait une malformation cardiaque mais il l'ignorait ... Vous savez, à l'époque, on n'était pas suivi comme aujourd'hui. Un jour, il a fait un malaise et il est mort dans mes bras."
- "Mon Dieu, je suis navrée, Madame Sakamoto."
Elle me sourit :
- "Au moins, il est mort dans mes bras. J'aurais pû ne pas être là. Je rentrai tout juste du marché et je l'ai trouvé allongé dans la cour, près des rosiers qu'il venait de planter. J'ai parfois eu l'impression qu'il m'attendait car, j'ai à peine eu le temps de le tenir dans mes bras qu'il m'a dit une dernière fois je t'aime et ses yeux se sont fermés définitivement."
Après les émotions de ces derniers jours, je ne parvins pas à retenir mes larmes et je pleurai de nouveau. Madame Sakamoto s'exclama :
- "Oh pardon, Docteur Natori, je suis maladroite ... Ce n'est pas le moment de parler de choses déprimantes qui se sont passées il y a des lustres !"
- "Non, non, non, ça va, Madame Sakamoto, ça va ..." Dis-je en essuyant mes larmes de la main. "Ce que vous m'avez apporté a ... comment dire ... réglé certaines choses."
- "Tant mieux ! Un homme capable de passer par la fenêtre pour venir vous rendre visite en cachette et avec un si joli postérieur, faut pas le laisser filer, ma grande !"
Je faillis m'étrangler en entendant ces mots et je la regardai, pantoise. Elle me demanda, comme si ce qu'elle venait de dire était parfaitement normal :
- "Et vous vous êtes donc réconciliés ?"
Je baissai la tête :
- "Non, pas vraiment. J'aurais bien aimé lui parler mais je n'arrive pas à le joindre. Son téléphone sonne dans le vide ..."
Madame Sakamoto partit en cuisine et rapporta les plats qu'elle posa sur la table :
- "Vous devriez essayer à son travail, le fameux club de sport ... Demandez le numéro aux renseignements ... Attendez, comment ça s'appelait encore ? Ohhhh, qu'est-ce que ça m'embête, ça, quand je ne retrouve pas un nom ! C'était écrit sur sa combinaison, devant là, sur son torse ... Oh là là ! Que c'est nul de vieillir !"
Elle avait l'air terriblement embêtée et je la rassurai :
- "Ne vous inquiétez pas. Vous avez certainement raison, il doit encore être au travail. Je réessayerai plus tard."
Elle me servit une grande assiette et je mangeai goulûment. Tout était absolument délicieux et ça faisait longtemps que je n'avais pas fait un vrai repas.
- "Madame Sakamoto, c'est ... c'est tellement bon ! Je peux me resservir ?" demandai-je la bouche encore pleine de ma dernière bouchée.
Elle rit de bon cœur et me resservit tout en disant :
- "Appelez-moi Ayo ... ça me ferait plaisir !"
- "Et moi, appelez-moi Kazue."
Et la soirée se poursuivit de manière très agréable, Ayo me racontant ses souvenirs de jeunesse, sa rencontre avec son mari, comment il avait bataillé pour la conquérir, comment elle l'avait laissé croire qu'il n'y arriverait jamais puis comment elle avait fait des mains et des pieds auprès de ses parents pour qu'ils acceptent leur union ...
Après l'avoir aidée à débarrasser, elle me proposa un verre de saké.
- "Pour vous donner bonne mine et de l'énergie pour la suite." dit-elle avec un clin d'œil. "Mais, dites-moi, j'espère que vous n'êtes obligée de passer par la fenêtre pour entrer chez lui, vous au moins ?"
- "Quoi ?" Demandai-je en m'étranglant avec ma première gorgée d'alcool.
- "Je veux dire ... Que lui, il passe par votre fenêtre, c'est une chose, vous ... J'espère que vous passez par la porte ?"
- "Oh, que oui ! Ayo, comptez sur moi pour ça ... Et par la grande porte cette fois !" Dis-je en éclatant de rire.
Elle se leva et alluma le poste de radio :
- "Vous permettez ? C'est mon petit rituel du soir. Un verre de saké et la radio ..."
Une douce musique s'éleva et je me laissai bercer un instant par des sonorités très jazz quand soudain :
- "Nous interrompons notre programme pour un flash spécial ..."
Nous nous regardâmes, Ayo et moi pendant que le générique annonçant les informations emplissait la pièce.
- "Nous avons de nouvelles informations concernant l'explosion qui a eu lieu aujourd'hui vers dix-sept heures dans le centre-ville. Les autorités nationales sont formelles : il s'agit bien d'un acte terroriste."
Ayo soupira :
- "Le monde ne tourne plus rond ..."
- "Le chef de la Latoanie, le président Morton était la cible de ces deux attaques à la bombe à son club de sport, le célèbre Queen's Athletic Club ..."
Je vis les yeux de Madame Sakamoto s'agrandir alors qu'elle murmurait :
- "C'est ça ... Quenn's Athletic ... C'est ça qui était inscrit sur sa combinaison ..."
Le journaliste poursuivait :
- "Les autorités en charge de l'affaire viennent de tenir une conférence de presse pour annoncer officiellement que le Président se porte bien. De plus, tous les terroristes ont été appréhendés et ce, grâce à l'intervention d'une inspectrice de la Police de Tokyo sous couverture et de trois employés du Queen's Athletic."
Mon esprit fit rapidement le rapprochement : trois employés, Ryo, Kaori et Mick ... Il s'agissait bien de ça. On y était, Mick avait certainement eu son affaire ... Mon cœur se serra davantage quand j'entendis la suite :
- "Fort heureusement, aucune victime n'est à déplorer et on compte seulement quelques blessés légers et un seul blessé grave, un homme de nationalité américaine qui a contribué à neutraliser les assaillants."
Je me levai brusquement, la main sur la poitrine, les larmes aux yeux. J'avais l'impression d'être dans une autre réalité. C'était comme si mon esprit s'était coupé en deux : d'un côté, il restait suspendu aux paroles du journaliste et de l'autre, il faisait ressurgir les images de mon cauchemar, l'attroupement, le corps de Mick allongé par terre, inerte et pâle, le trou noir dans sa tête ...
- "Les détails concernant son état de santé ainsi que l'hôpital où cet homme est actuellement soigné restent confidentiels même si, pour l'instant, l'ambassadeur américain réfute toute ingérence des services secrets de son pays sur le sol nippon. Nous vous tiendrons informés dès que ..."
Je demandai à Ayo tout en regardant autour de moi :
- "Téléphone ?"
Elle secoua la tête :
- "Je n'en ai pas. Je n'en ai plus ..."
Les mêmes mots tournaient dans ma tête : blessé grave, hôpital, blessé grave, pas d'informations sur son état de santé, blessé grave, confidentiels, blessé grave, blessé grave, blessé grave ...
J'étais déjà sur le pas de la porte d'Ayo quand elle ajoutait derrière moi :
- " ... je suis trop pipelette, ça me revenait trop cher ... je passe chez des voisines quand je dois téléphoner ..."
Mon esprit hurlai dans ma tête :
- "Non, non, non, non, non ! Pas ça ! Pas ça ! Non ... Pas alors qu'on ne s'est pas réconciliés, pas après tout ce que je lui ai dit ... Qu'est-ce que je lui ai dit en dernier ? Ah oui : Profitez bien de votre nouvelle vie, Monsieur Angel. Veuillez prendre note qu'à partir de ce jour, je ne serai plus votre médecin." Non, non, non ... Non, ça ne peut pas se terminer comme ça !"
A peine dehors, je reconnus la sonnerie de mon téléphone. Puis le silence et ma voix en bruit de fond. Le répondeur ... Mon répondeur se mettait en marche ...
- "Non, non, ça ne peut pas se terminer comme ça ... Il faut que j'arrive à temps, il faut que j'arrive à temps ..." Pensai-je tellement fort que je ne sus pas si je prononçai ces mots à haute voix ou non.
Devant la porte d'entrée, mes mains tremblaient tellement que je n'arrivai pas à saisir la bonne clef :
- "Putain, mais je vais y arriver ! Calme-toi, Kazue, respire ..."
Puis, alors que j'entendis le déclic du répondeur se mettre en marche suivi de la voix de Ryo, Ayo me prit brusquement les clefs des mains et ouvrit ma porte.
- "Kazue ? Décroche, s'il-te-plait, c'est Ryo ..." Il soupira. "Ecoute, j'ai essayé à la Clinique, le Doc m'a dit que tu étais rentrée ..."
Mon cœur s'arrêta de battre et mon sang se glaça et je ne sais pas comment j'avais réussi à parcourir les derniers mètres qui me séparaient du téléphone qui ne m'avait jamais paru aussi loin de la porte. Enfin, je saisis le combiné.
La seule chose que je parvins à prononcer d'une petite voix faible et étranglée fut :
- "Comment va-t-il ?"
- "Ce n'est pas si grave que ça, ne t'inquiète pas ..."
- "Pronostic vital engagé ?"
- "Maiiiis nooooon ! Kazue, c'est pas si grave. Il a reçu un choc à la tête, c'est tout. Ils le gardent simplement en observation pour cette nuit en cas de traumatisme crânien. Il a une côte cassée et quelques bleus mais c'est tout. C'est un coriace, tu le sais bien ..."
Je soupirai de soulagement en fermant les yeux. Je sentis alors Ayo saisir ma main libre. J'ouvris les yeux et hochai la tête en réponse à sa question muette. Je répondis à Ryo :
- "Pourtant, ils viennent de dire à la radio qu'il était grièvement blessé ..."
- "Pffffff ... mais non ! Tu connais les journalistes ... Et les Américains ! Faut toujours qu'ils en fassent des caisses pour trois fois rien ..."
- "Où est-il ?" Demandai-je sans sourire même si la remarque de Ryo m'avait un peu détendue.
Ayo avait gardé ma main dans la sienne.
- "A l'hôpital, bien au chaud, entre de bonnes mains. Même si je sais que tu aurais préféré que ce soient les tiennes, mais j'ai dû aller libérer Kaori et pendant ce temps, les secours ont été appelés et ... Voilà, tout s'est enchaîné ... Quand on est revenus, ils l'avaient déjà emmené et ..."
- "Je veux le voir ..."
- "Les visites ne sont autorisées que l'après-midi donc je passerai te chercher demain, promis. À quatorze heures, je serai chez toi."
Je soupirai.
- "Très bien. Je serai prête."
- "Parfait. A demain. Bonne nuit, ma petite mariée !!!"
- "Attends ! Ryo ..."
- "Oui ?"
- "Tu me jure qu'il va bien ?"
- "Mais oui, si je te le dis ..."
- "Jure-le moi !"
- "Je te le jure !"
- "Sur ce que tu as de plus cher ?"
- "Oui ..."
- "Sur la tête de Kaori ?"
- "Je te jure qu'il va bien ..." Il soupira. "Sur la tête de Kaori et sur la tombe de Hideyuki. Ça ira comme ça ?"
- "Merci Ryo ..."
- "Je t'en prie. Mais, je n'y suis pas pour grand-chose. Il s'est débrouillé comme un grand ..."
- "Alors merci d'avoir appelé ..."
- "Pas de soucis ... Oh mais si tu veux me remercier, tu peux venir, hein, je suis làààààà, Doctoresse de mon coeuuuuuuur !"
Je ne pus me retenir de sourire :
- "C'est bon, je vais gérer ..." et je raccrochai.
Ryo et sa capacité à toujours tout tourner en dérision ... Je soupirai de soulagement et, me tournant vers Ayo, je confirmai ce que je lisais dans son regard :
- "Oui, c'est bon, il va bien. Il reste en observation cette nuit et j'irai lui rendre visite demain après-midi."
- "Oh là là ! Quelle frayeur !" Dit-elle en se laissant tomber sur une chaise.
Je fis la même chose sur la chaise en face.
- "Dites ?" Me demanda-t-elle au bout de quelques instants, avec des étoiles dans les yeux. "Il est des services secrets ?"
Je faillis éclater de rire mais je me retins devant le sérieux de sa question :
- "Non, Ayo. Il n'est pas des services secrets." Et puis je lui souris en lui prenant la main par-dessus la table. "De James Bond, il n'en a que le costume !"
Elle se leva et lança d'un air décidé :
- "Bien ! Venez, Kazue, nous avons une bouteille entamée et quelque chose à fêter ..."
J'hésitai quelques secondes et me laissai finalement convaincre.
Le lendemain, attendre quatorze heures me parut interminable et j'avais passé toute la matinée accrochée aux chaînes d'informations qui tournaient en boucle, cherchant, en vain, des nouvelles de Mick. J'étais en avance d'une bonne dizaine de minutes quand je sortis pour me poster devant la grille, attendant avec impatience d'apercevoir la voiture rouge de Ryo. Et puis, enfin je la vis. A ce moment, j'entendis derrière moi :
- "Kazue ! Attendez !"
Ayo se dirigeai vers moi, s'appuyant sur sa canne d'une main et tenant un énorme bouquet de fleurs de l'autre. Elle me le tendit :
- "Pour Monsieur Angel ... ça ne se fait pas d'aller à l'hôpital sans fleurs."
J'étais gênée mais je ne pus refuser son cadeau. Ryo sortit de la voiture, salua rapidement ma logeuse et me désigna la place à l'arrière. En effet, une jeune femme que je ne connaissais pas était assise à l'avant. Elle se présenta :
- "Lieutenant Hazuki Tachibabna."
- "Docteur Kazue Natori. Enchantée." Dis-je en lui tendant la main. "Oh, je vous reconnais ! C'est vous qui avez accompagné le Président de Latoanie ce matin. On vous a vue sur toutes les chaînes d'info !"
Elle rit :
- "Heu, oui, c'était moi ! Et vous, vous êtes donc le médecin de Mick, c'est ça ?"
J'hésitai un moment et Ryo répondit avant moi :
- "Oui ... Mick a la chance d'avoir un médecin traitant très investi ..."
Puis il détourna la conversation en faisant des avances à Hazuki qui le menaça de parler de son comportement à Kaori, il fit semblant de pleurer et recommença son petit numéro et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il se gare devant l'hôpital international Saint Luc, dans le quartier Tsukiji de Chuo. Je le connaissais de réputation et c'était déjà plutôt une bonne nouvelle pour Mick.
- "Alors Mick est ici ?" Dis-je en soupirant tout en essayant de me trouver une contenance et de dissimuler ma nervosité grandissante.
- "Oui mais, comme je te l'ai dit hier soir, ses blessures ne sont vraiment pas si graves ..." Me répondit Ryo. "Et ils ont juste tenu à le garder en observation alors il devrait pouvoir sortir aujourd'hui."
- "Hummm, j'irai voir son médecin. Je tiens à examiner son dossier moi-même. Si nécessaire, je le ferai transférer à la Clinique ..." Dis-je en lui emboîtant le pas.
Au fur et à mesure que nous nous approchions de sa chambre, je sentis ma détermination fondre comme neige au soleil et les doutes m'assaillirent. Soudain, je me trouvai complètement ridicule avec mon bouquet de fleurs, mes cheveux bien peignés et mon long manteau apprêté. J'aurais mieux fait de venir en jeans et de dire à Madame Sakamoto qu'elle n'aurait qu'à donner son bouquet elle-même ...
Arrivés devant la porte de sa chambre, je tirai Ryo par le bras :
- "Je vais d'abord aller trouver son médecin ... Je vous rejoins ensuite."
Il me regarda, stupéfait :
- "Tu es sûre ?"
Je hochai la tête et il me lança, goguenard :
- "Ahhh, je comprends ! Tu hésites depuis que tu as revu ton étalon ! Mais, ne t'inquiète pas ... Je suis tout à fait prêt à te pardonner ta petite incartade si tu acceptes de ..."
Je lui assénai une tape derrière le crâne et tournai les talons sans un mot de plus. Je l'entendis ouvrir la porte puis je perçus la voix de Mick, sa voix grave, douce et son accent mélodieux et mon cœur fit un bond dans ma poitrine :
- "Tiens, tiens, vous êtes venus tous les deux pour vous moquer du perdant ?"
- "Hummm ... Visiblement, t'es pas encore mort, Mick, et tu as même l'air en forme !" Répliqua Ryo en refermant la porte.
Je restai immobile dans le couloir quelques instants puis je revins vers la chambre. Après tout, peu importait mon apparence, ce n'était pas ce qui comptait. Ce qui comptait c'est que cela faisait plus de sept jours que je ne l'avais pas vu, cela faisait sept jours que nous nous étions disputés, cela faisait sept jours que je l'avais planté dans son appartement après avoir déballé toute la jalousie et l'amertume qui envahissaient mon cœur.
Je levai la main pour toquer mais je retins mon geste quand j'entendis un BAOUM significatif, immédiatement suivi par la voix de Kaori qui s'écriait :
- "Ça suffit ! Mais c'est pas possible, tu ne penses qu'à ça !!"
Je sentis mon cœur se serrer, comme par réflexe.
Kaori.
Kaori était là.
Celle que Mick allait embrasser dans mes cauchemars était là.
Je faillis faire demi-tour et puis me ravisai à nouveau. Entrer dans cette chambre signifiait assumer pleinement notre relation. Cela signifiait aussi l'annoncer à elle, Kaori ...
Ou bien ?
Et si Mick me repoussait ?
S'il faisait comme si de rien n'était ?
S'il avait changé d'avis ?
Qui sait ce qu'il peut se passer en sept jours ? Sept jours ... C'est peu à l'échelle d'une vie ! Mais ça peut paraître très long aussi et énormément de choses peuvent changer en sept jours.
Allais-je avoir, oui ou non, le courage d'ouvrir cette porte ?
Oui ou non ?
Je soupirai en abaissant ma main, renonçant à toquer et j'allai définitivement tourner les talons quand j'entendis la voix de Ryo :
- "Je t'ai amené une autre visiteuse ... Allez, tu peux venir !"
Je songeai immédiatement :
- "Foutue oreille de pro à la gomme ! Pour un peu, j'arrivais à filer en douce ..."
Je pris une grande inspiration. Je n'avais plus le choix. J'avais le cœur qui battait très fort et je ne sentais pas vraiment mes jambes quand je pénétrai dans la chambre. Je me tins debout quelques secondes, indécise.
Je vis le regard stupéfait de Kaori puis celui de Mick, allongé dans son lit, le dossier relevé. Il portait une minerve, ce qui était cohérent avec un coup reçu à l'arrière de la tête et, réflexe professionnel, je vérifiai si je ne décelais pas un quelconque signe de manque.
Et puis mes yeux croisèrent les siens. Ses yeux. Mon Dieu que ses yeux m'avaient manqué ! Je le sondai, tendue, inquiète, prête à faire volte-face. Mais, je le vis se redresser un peu dans son lit et tendre légèrement les mains vers moi.
Mon bouquet ridicule m'échappa des mains et je m'élançai en avant pour me jeter dans ses bras. Je sentis des larmes de soulagement couler le long de mes joues quand il referma ses bras autour de moi et qu'il me murmura d'une voix douce :
- "Kazue ... Mais qu'est-ce que tu fais là ?"
Il resserra encore son étreinte et j'appuyai ma joue contre son épaule. Enfin. Il était contre moi, tout contre moi, j'étais contre lui, tout contre lui, j'entendais son cœur battre, je sentais son souffle dans mes cheveux et à cet instant, plus rien d'autre ne comptait pour moi. J'entendis Kaori demander, inquiète :
- "Ryo ... pourquoi as-tu amené Kazue ici ? Qu'est-ce que ça veut dire ?"
Ryo répondit :
- "Ça se devine, non ? Quand Mick était en sevrage de l'Angel-Dust et en rééducation chez le Doc, c'est Kazue qui s'est constamment occupée de lui. Pendant tout ce temps, ils se sont battus ensemble contre la mort et la douleur. Cela n'a rien d'étonnant que des sentiments particuliers soient nés entre eux."
Je le laissai poursuivre. Finalement, Ryo était assez doué pour résumer la situation. Il se tut quelques secondes et reprit :
- "En fait, en même temps que la mission de Hazuki, j'avais également accepté une demande de Kazue."
- "Hein ?" s'exclama Kaori.
- "Elle m'avait demandé de veiller sur Mick." Expliqua Ryo.
Je sentis Mick se raidir et je restai tendue, attentive au moindre changement de sa part. Je savais qu'il n'allait pas apprécier mon initiative et j'allai peut-être devoir en assumer les conséquences ... Mais il me murmura d'une voix douce, tout en passant sa main gantée dans mes cheveux :
- "Je vois ... C'était donc ça ..."
Je soupirai de soulagement et je l'écoutai poursuivre :
- "En fait, je crois que, avec ma fierté de pro, j'étais tellement amer, que j'ai pris de mauvaises décisions. A cause de l'Angel Dust et de la décharge électrique, mon corps restera bousillé. Le Doc m'a dit que je ne pouvais pas espérer récupérer plus que ce que j'ai pus faire jusqu'à présent. Et encore, ça aurait pu être pire ..."
Mon cœur se serra un peu plus quand j'entendis la suite et mes larmes ne cessaient pas de couler mais, depuis quelques jours, j'avais l'impression d'avoir complètement perdu ma capacité à les retenir.
- "Le Doc m'a dit que je ne pourrai plus jamais travailler en tant que nettoyeur..."
Je sentis Mick se tourner légèrement vers Ryo :
- "Et pourtant, Ryo, toi, quand tu t'es retrouvé dans la même situation, tu as réussi à surmonter tout ça ! Je ne supportais tout simplement pas l'idée d'échouer là où tu avais réussi. Ca me rendait fou de t'être devenu inférieur en tant que pro. Kazue et le Doc ont bien essayé de m'en empêcher mais je voulais à tout prix reprendre du service ! Je me suis dit que si je t'affrontais et que je l'emportais sur toi, je pourrais faire comprendre à Kazue que je pouvais faire encore mon métier, qu'elle n'avait pas à se faire du mouron pour moi."
Je sentis que c'était le moment d'avouer :
- "J'étais tellement inquiète... c'est pour ça que j'ai demandé à Ryo de te protéger ..."
Ryo répliqua d'un ton enjoué :
- "Et je me suis retrouvé sous une pile de missions embarrassantes ! Et comme tu n'es pas le genre de gars qu'on peut convaincre d'arrêter ..."
Mick rit doucement et me prit par les épaules. Il s'écarta un peu de moi pour me regarder dans les yeux :
- "Sorry, Kazue ... Pardonne-moi. A cause de mon amour-propre démesuré, je t'ai fait de la peine ... Je ne recommencerai plus une telle bêtise .. Je te le promets."
- "Mick" Murmurai-je et ma voix se brisa alors qu'il posait sa main sur ma joue, plongeant son regard bleu dans le mien.
Je profitai un moment de cette bulle qui se créa autour de nous et le pris à nouveau dans mes bras, posant mon oreille sur son torse. Il passa les bras autour de mes épaules et reprit :
- "Ryo, Kaori ... Je suis désolé."
- "Mais nooooon ! Faut pas ..." répliqua Ryo.
Je me remis debout et je vis le regard de Mick changer et je découvris avec plaisir la petite pointe d'espièglerie que j'aimais tant voir briller dans ses yeux :
- "Mais je crois que j'aurais au moins fait quelque chose d'utile pour vous deux. Vous avez compris, maintenant, non ? A quel point vous êtes importants l'un pour l'autre ?"
Il se tourna vers Kaori et lui demanda d'une voix légèrement tendue :
- "Alors, tu vas retourner auprès de Ryo, pas vrai Kaori ?"
Et la réaction de Kaori me fit de la peine. Je la vis baisser la tête alors qu'elle bredouillait vaguement :
- "Heu, oui ... mais, je ..." Elle se dirigea vers la porte de la chambre, gênée et triste.
Je regardai Ryo mais il restait de marbre. J'avais envie de le secouer et je crois que je l'aurais certainement fait si Mick ne m'avait pas attrapée par la manche.
- "Docteur Natori, tu permets que j'aille fumer une cigarette avec Ryo ?"
- "Heuuu ... Je ne pense pas que ce soit très raisonnable."
- "C'est bon, Kazue, il en faut un peu plus pour me faire tomber dans les vapes .. Suis pas une femmelette !" Répliqua-t-il avec un regard entendu et un sourire éclatant.
- "Ben voyons ..." dis-je en croisant les bras. "Parce que je ne t'ai jamais ramassé par terre après "une petite bagarre de rien du tout" à la clinique ?"
Il leva le nez en l'air et fit semblant de réfléchir, tapotant son index sur le menton :
- "Ah ça ?" Il se pencha vers ma poitrine, un grand sourire aux lèvres : "Ca, c'était une tactique pour vérifier la couleur de ton soutien-gorge ... J'étais pas sûr d'avoir bien vu : blanc ou rose poudré, j'hésitais ... en même temps, il faisait nuit et ..."
- "Oui, hop, c'est bon, file ! Va fumer ton poison !"
- "Super ! Je crois que le toit sera parfait pour ça ..." ajouta-t-il avec un clin-œil tout en se levant.
A peine eut-il posé le pied au sol que je le vis chanceler et je me précipitai en avant pour le rattraper. Il me regarda de son petit air espiègle qui fit à nouveau danser de petites fourmis dans mon estomac :
- "Bien joué, Docteur Natori, jolis réflexes ..." Il regarda ma poitrine et me murmura : "Alors ? White silk or black lace ? (soie blanche ou dentelle noire ?) Sage ou sexy ?"
Je me penchai à son oreille et lui murmurai :
- "Dentelle rouge, Monsieur Angel ..."
Il me sourit en se mordant la lèvre :
- "Vivement qu'on se retrouve seuls, alors ..."
J'entendis Ryo s'éclaircir la gorge derrière moi et je me redressai, lissant mon manteau :
- "Je vais essayer de trouver ton médecin pour parler avec lui pendant ce temps .."
Ryo se tourna vers moi, un sourire aux coins des lèvres :
- "Ah, c'est pas déjà fait ?"
- "La ferme, toi !" Dis-je en le fusillant du regard et je tournai les talons, laissant à Mick le soin de régler l'affaire.
Le lieutenant Tachibabna sortit avec moi et elle eut le tact d'aller se chercher un café quand je rejoignis Kaori dans le couloir. Elle était adossée contre le mur, la tête basse. Je me mis à côté d'elle, dans la même position et je commençai :
- "Je crois que nous avons beaucoup de choses à nous dire, n'est-ce pas ?"