Yes or No ?
Je marchai d'un pas vif jusqu'au bout de la rue. A peine avais-je tourné au coin que je m'arrêtai pour m'adosser contre un mur, le souffle court, les jambes tremblantes et des larmes plein les joues. Je laissai aller mes sanglots quelques minutes, puis, quand je me sentis mieux, je cherchai nerveusement un mouchoir dans mon sac.
Je trouvai alors le trousseau de Mick. Trois clefs autour d'un anneau tout simple.
- "Merde. Va falloir que j'y retourne ... Et puis non. Pas maintenant."
Je trouvai un mouchoir, me mouchai, essuyai mes joues et mes yeux, repris mon souffle :
- "Et puis s'il les veut, il n'aura qu'à venir les chercher ..." Dis-je à haute voix en remettant les clefs dans mon sac. "Ça lui fera les pieds."
Et je me décidai à rentrer chez moi. Mais, au bout de quelques instants, l'idée de me retrouver seule dans mon studio me parut insupportable. Je repris donc la direction de mon autre chez-moi, ma véritable maison en quelque sorte.
Je franchis à nouveau la grille de la Clinique à peine une demi-heure plus tard. Je croisai Naoko dans le couloir qui m'apostropha, en riant :
- "Tu as oublié un truc ?"
- "Non, je reviens bosser."
- "Bah, tu ne vas pas voir Mick ?"
- "Qui ça ?" demandai-je en la dépassant.
Elle répéta, interloquée :
- "Bah tu sais, Mick ..."
- "Je connais personne qui porte ce nom." Répliquai-je d'un ton sec et sans appel.
Et du coup, personne ne vient me poser de question, même le Doc lorsque je le croisai et qu'il me sonda par-dessus ses lunettes rondes. Himika non plus quand elle arriva pour prendre avec moi la garde de nuit.
Pendant cette garde, j'avais bien essayé de m'allonger un peu sur mon sofa et de fermer les yeux mais j'avais finalement passé une bonne heure, à ressasser encore et encore tout ce que j'avais dit à Mick. Derrière mes paupières closes, je revoyais son immobilité, son regard fuyant, ses épaules basses et surtout le peu d'effort qu'il avait fait pour me retenir. Mais j'étais tellement épuisée que je finis par sombrer dans le sommeil.
Je cours dans la rue. Il fait nuit, il y a du brouillard. Tout est noir. Je cherche Mick mais il n'est nulle part. Et puis j'arrive en bas de son immeuble ... Il y a un attroupement. Je reconnais Ryo sans vraiment le reconnaître, il est débout et me regarde d'une manière étrange. Et quand je m'approche, je vois Mick allongé par terre, près de lui. Là, j'en suis sûre, c'est bien Mick. Mais que fait-il par terre ? Et plus je m'avance, plus je comprends. Il est pâle, si pâle ... Il a un trou sombre entre les deux yeux. Je sens le sol trembler et soudain je tombe à genoux. Un néant glacé et ténébreux m'entoure. Tout à coup, Mick ouvre les yeux et se redresse. J'essaie de le prendre dans mes bras mais il m'échappe. Il se lève et va enlacer une femme. Je n'arrive pas à la voir quand il l'embrasse mais je reconnais ses cheveux ... Des cheveux roux et courts ...
Je me réveillai en criant, essoufflée, le dos et le front couverts d'une fine sueur froide, le cœur battant. Un cauchemar. Ce n'était qu'un cauchemar ... Ce même cauchemar qui venait me hanter depuis bientôt dix jours. Sauf que cette fois-ci, Mick s'était relevé ... Et la douleur était bien pire ...
Je n'avais plus aucune envie de me coucher ou de chercher le sommeil. Je n'avais pas envie d'avoir le temps de réfléchir. Je n'avais pas envie de penser à lui. Je n'avais pas envie de souffrir en pensant à lui. Je n'avais pas envie d'admettre qu'il me manquait déjà, que je me sentais trahie, humiliée, perdue, seule. Non, je ne voulais pas ...
Je me relevai car je savais pertinemment que je n'arriverai plus à me rendormir à présent. Je fis la seule chose que je savais efficace pour ne pas penser à tout ça et pour chasser ces images obsédantes : j'allai me plonger dans mon travail.
Je m'occupai donc de nos patients, je construisis un peu plus mon projet de consultations gynécologiques, je m'enfermai dans le laboratoire pour lancer la dernière série de tests pour Hiro et, comme le Doc avait commencé des consultations pour assurer le suivi de certaines maladies chroniques, je révisai un de mes manuels d'endocrinologie.
Le lendemain matin, Naoko ouvrit la porte de mon bureau, le téléphone sans fil à la main :
- "Un appel pour toi ..."
Je me levai tout en lui demandant :
- "De la part de qui ?"
Elle me regarda en me tendant le combiné :
- "C'est Mick Angel."
Je stoppai net, pétrifiée. Puis, passées les premières secondes de surprise, je me penchai légèrement vers le combiné, le laissant entre les mains de Naoko et j'articulai distinctement, afin d'être parfaitement comprise :
- "Je ne connais pas de Mick Angel. Ça doit être un patient du Doc, passe-lui l'appel."
J'entendis vaguement le combiné grésiller pendant que je retournai m'asseoir à mon bureau, le cœur battant mais le sourire aux lèvres.
- "Et paf, dans tes dents, Angel. Va falloir faire un peu mieux qu'un appel téléphonique si tu veux récupérer tes clefs !" Pensai-je, fière de moi.
Ensuite, les heures défilèrent très vite et, au bout du troisième jour de veille, le Doc vint dans mon bureau avec une tasse de tisane pour moi et une de café pour lui. Il s'assit sur mon sofa et me regarda par dessus ses lunettes :
- "Tu veux en parler ?"
- "Non."
- "OK. Alors, termine ta tasse et rentre chez toi. Tu as une tête à faire peur, tu n'as pas dormi depuis près de trois jours, j'ai besoin de te savoir efficace."
- "Je ..."
Il m'interrompit :
- "Non. Si tu ne veux pas en parler, tu rentres et tu dors."
- "Je n'arriverai pas à dormir." Je soupirai. "J'ai essayé mais, à peine endormie, je fais des cauchemars ..."
Il resta silencieux une minute puis prononça d'une voix douce :
- "Alors, prends un sédatif léger et dors. Ton corps a besoin de repos, quoique tu en penses et quoique tu en dises ... Tu connais les symptômes induits par un manque de sommeil, non ?"
Je soupirai.
- "Oui, bien sûr." Et j'énumérai sur mes doigts : "Difficultés de concentration, incapacité à mobiliser sa mémoire à long et à court terme, bradycardie, risque de malaise ..."
- "Et les signes psychologiques ?"
- "Hypersensibilité, irritabilité, le tout pouvant conduire jusqu'à des syndromes dépressifs et paranoïaques ..."
- "Hum, hum ... Conclusion ? Quelque soit la décision que tu prendras en manquant de sommeil, il y a des chances que ce ne soit pas la bonne ..."
Je ne répondis pas. Il se leva et en ouvrant la porte, il se tourna vers moi :
- "Rentre, dors et reviens quand tu auras la tête libre et reposée. Prends le temps qu'il faut pour ça."
Je me savais vaincue.
Vers dix heures du soir, j'ouvrais la porte de chez moi. J'avais la gorge serrée et je sentais à nouveau des larmes couler sur mes joues. La dernière fois que j'étais venue ici, Mick m'accompagnait et m'avait attendue en bas des marches, discutant avec Madame Sakamoto de la beauté de ses roses trémières et de ses azalées pendant que je prenais quelques vêtements de rechange. Je pris une grande inspiration et refermai la porte derrière moi.
Un mauvais moment à passer. Tout ça n'était rien qu'un mauvais moment à passer. Un jour ou l'autre, la douleur finirait par s'estomper puis elle disparaîtrait ... Un jour ou l'autre ...
Je me lavai rapidement, passai un pyjama propre et plongeai dans mon lit. Je remarquai tout de suite que l'oreiller à côté du mien sentait encore un peu le cèdre et le citron vert. De rage, je le lançai le plus loin possible de moi ...
Une bonne heure plus tard, je ne dormais toujours pas, bien entendu. Je me relevai et cherchai dans la poche de ma veste la boîte avec les deux comprimés que le Doc m'avait donnés, juste avant mon départ. En passant, je regardai l'oreiller qui trainait par terre. Je fus tentée un moment de le reprendre pour enfouir mon visage dedans, pour respirer son odeur, encore une fois, avant qu'elle ne disparaisse définitivement. Mais, non, je ne cédai pas. Je balançai un coup de pied violent qui envoya l'oreiller contre le mur de ma cuisine, faisant trembler un tableau au passage.
J'avalai mes cachets puis je retournai m'allonger dans mon lit et, au bout de quelques minutes, enfin, les brumes de l'inconscience vinrent m'entourer. J'eus l'impression de flotter puis je sombrais dans le sommeil, un sommeil noir et sans rêve.
J'émergeai plus de trente-six heures plus tard. Je percevais encore quelques effets du sédatif dans mon corps mais globalement, je me sentais mieux. Il était près de quatorze heures quand j'ouvrais enfin mes volets, faisant entrer le soleil dans mon appartement.
Je regardai autour de moi : j'avais du rangement à faire, des lessives à faire tourner, et de la poussière à retirer de mes meubles. Il fallait que je m'occupe et rendre mon chez-moi douillet était un objectif tout à fait atteignable et bien plus constructif que de rester dans mon fauteuil, à m'abrutir d'idioties télévisuelles. Oui, c'était un bon objectif. Et j'avais faim. Très faim ...
J'allai me faire couler un café tout en fouillant dans mes placards à la recherche d'une boîte de biscuits encore consommables quand on toqua à ma porte. Tous mes muscles se raidirent.
- "Non, pas lui, pas maintenant. Je ne suis pas prête !" pensai-je immédiatement.
Sans bruit, je me dirigeai vers la porte et je sursautai quand j'entendis à nouveau frapper.
- "Docteur Natori ? C'est moi, c'est Madame Sakamoto ... "
Je poussai un profond soupir de soulagement et j'ouvris la porte :
- "Bonjour Madame Sakamoto ..."
Elle posa prestement une main sur son cœur tout en soufflant :
- "Oh Mon Dieu, tout va bien ! Vous m'avez fichu une de ces trouilles, vous !"
- "Hein ? Comment ça ? Peur de quoi ?"
Elle se reprit et toussota pour se redonner contenance.
- "C'est que ... Vous n'avez pas ouvert hier, quand j'ai toqué à la porte. J'ai bien cru que je ne verrai jamais vos volets s'ouvrir ! Je commençais à m'inquiéter ..."
- "Oh ... je vous demande pardon, Madame Sakamoto, j'avais besoin de me reposer. J'ai dû prendre un somnifère et ..."
- "Je comprends mieux ..."
Elle me tendit une grande enveloppe brune.
- "Oh, un courrier pour moi ?
- "Oui, je serais bien venue plus tôt mais vous n'étiez pas là et je ne vous ai pas vue rentrer l'autre nuit ... et depuis, ... Mon Dieu, ces volets fermés toute une journée et toute une nuit ... J'ai cru que ... enfin bon, vous allez bien, c'est l'essentiel !"
Je posai une main amicale sur son bras :
- "Je vais bien Madame Sakamoto, j'étais juste un peu fatiguée."
- "C'est que ... je me suis dit ... Comme Monsieur Angel avait un drôle d'air, j'en ai déduit que vous étiez disputés et j'avais peur que ..."
- "Mick ? Mick est venu ?"
Elle hocha la tête :
- "Oui. Monsieur Angel m'a demandé de vous remettre ceci il y a quatre jours."
- "Quoi ?"
Je dus m'appuyer contre le chambranle de ma porte d'entrée car je sentais mes jambes flancher peu à peu.
- "Vous vous êtes disputés, n'est-ce pas ?"
- "Je ..."
- "Pardon, ça ne me regarde pas après tout ... Vous avez certainement vos raisons."
Je regardai l'enveloppe qu'elle m'avait donnée sur laquelle était écrit au marqueur noir "Kazue". Je la serrai contre moi, contre mon cœur qui battait la chamade.
Je ne fis même pas vraiment attention quand Madame Sakamoto tourna les talons et j'allais refermer la porte sans la remercier quand elle remonta les quatre marches de mon perron :
- "Docteur Natori, j'ai fait du bouillon et des ramens et quand j'en fais, c'est toujours pour un régiment. Venez manger avec moi ce soir. Vous avez mauvaise mine, il faut reprendre du poil de la bête ..."
Je souris. Je m'étais attendue à tout sauf à ça. Je pensais qu'elle allait me faire la leçon, me dire que les hommes étaient tous les mêmes, c'est pour ça qu'il valait mieux vivre seule ou, pire, qu'elle allait me gronder en disant que je devrais pardonner à Monsieur Angel tout en me faisant l'éloge de sa nouvelle idole masculine.
Mais pas du tout. Elle m'invitait à dîner. J'en fus infiniment touchée et je murmurai en m'inclinant :
- "Avec grand plaisir, Madame Sakamoto."
- "Soyez-là pour dix-neuf heure, alors."
Je refermai la porte et allai m'asseoir sur mon lit, les yeux rivés sur l'enveloppe que je tenais entre mes mains tremblantes. J'essayai de l'ouvrir délicatement mais mes doigts fébriles en avaient décidé autrement et j'en fis de la charpie. Quelques feuilles pliées en deux tombèrent ainsi qu'un grand cahier noir à spirales.
Je dépliai les feuilles et découvris l'écriture de Mick, une écriture fine et légèrement penchée vers la droite, les traits droits et nets. Je l'avais déjà vu écrire lors de ses séances de rééducation et j'avais été ébahie par sa dextérité avec un crayon. Il avait alors répliqué avec un sourire narquois qu'il y avait des choses que le corps et les mains n'oubliaient jamais et que, maintenant, c'était même encore plus facile car il ne sentait pas la fatigue et encore moins le poids du crayon.
"Chère Kazue,
Je voulais commencer par "ma douce" mais je ne sais pas si c'est très approprié ... tout comme "Docteur Natori" d'ailleurs ...
Je sais que tu ne me laisseras jamais t'approcher d'assez près pour te parler alors j'ai choisis de t'écrire. Pardonne-moi si je le fais en anglais : c'était trop compliqué pour moi d'écrire en japonais et je sais que tu lis parfaitement ma langue maternelle.
Je comprends ta jalousie envers Kaori et je t'assure que son emménagement n'était vraiment pas prévu. Quand je lui ai proposé de s'associer, je ne pensais pas qu'elle viendrait vivre avec moi.
Je ne vais pas te mentir. J'ai repoussé le moment fatidique où j'allais la revoir, c'est certain. Je craignais ma réaction envers elle, mes sentiments pour elle, je me demandai si j'étais encore amoureux d'elle. J'avais peur d'avoir envie d'elle, de céder à cette envie et ainsi de te faire mal, de te perdre ...
J'ai été bien con d'avoir peur de ça.
J'ai réalisé que Kaori compte pour moi. Elle a été, elle est, et elle restera, je l'espère, une personne importante dans ma vie. C'est une belle âme qui mérite d'être heureuse. Mais pas avec moi. Elle est importante, certes, mais ...
Ce n'est pas son sourire que je vois juste avant d'ouvrir les yeux le matin.
Ce n'est pas sa peau que je veux sentir sous mes doigts.
Ce n'est pas elle que j'imagine nue quand je ferme les yeux.
Ce ne sont pas ses soupirs que je veux entendre quand je murmure des caresses à l'oreille.
Ce n'est pas son rire que je veux entendre quand je sors une blague idiote.
Ce ne sont pas ses pieds qui écrasent les miens quand on danse ensemble.
Ce n'est pas sa main que je veux dans la mienne.
Ce n'est pas son corps contre le mien que je veux sentir quand je m'endors.
Ce n'est pas avec elle que je veux continuer à vivre.
Ce n'est pas elle qui m'a donné ENVIE de vivre et de me battre pour ça.
Ce n'est pas elle que j'appelai pendant ma crise de manque. Non, ce n'était pas elle. C'était toi, toi que j'essayais de retenir alors que tu tournais les talons et que tu me laissais seul dans mon lit, dans le noir et néant. Seul, face à ma peur de mourir. Alors qu'il n'y avait que toi qui me donnais envie de vivre.
Non, ce n'est pas Kaori. Si elle l'a été un jour, elle ne l'est définitivement plus. Si j'ai douté, j'espère que tu me pardonneras mais aujourd'hui, je suis sûr et certain :
C'est toi.
Le choix te revient d'utiliser ou non, les clefs de mon appartement que tu as gardées. Dès que cette histoire sera terminée, j'aimerais vraiment que tu viennes vivre ici.
S'il-te-plait, Docteur Natori, ma si belle tête de mule, ne laisse pas la sale tête de con que je suis hors de ta vie ...
Je t'aime.
Mick Angel
PS : en pièce jointe, des petites choses à regarder. Tu te rappelles quand je t'ai dit qu'il faut avoir l'esprit libre pour dessiner ? Et surtout qu'il faut aussi être heureux et aimer ce qu'on dessine ?
J'espère que ça te plaira ..."
J'essuyai du revers de la manche de mon pyjama les larmes qui n'avaient cessé de couler pendant ma lecture. Je riais et je pleurais en même temps, serrant les deux feuilles de papier contre mon cœur. Puis mon regard se porta sur le carnet et je le pris entre mes mains fébriles.
La page de garde indiquait :
"Started on : The 28th of May 1992
Finished on : ....
By Angel"
Je tournai la page.
Le premier dessin représentait l'étang de la clinique. Je reconnus tout de suite les nénuphars, le grand saule et les joncs. Le trait était un peu hésitant à certains endroits et il y avait quelques zones noircies mais on reconnaissait parfaitement l'endroit.
Les quatre autres pages représentaient la même vue mais à des moments différents de la journée puisque le jeu des ombres variait. Les traits de crayon devenaient plus fins et plus légers, les détails étaient plus précis.
Je sursautai en découvrant la page suivante. D'abord, je n'en crus pas mes yeux mais, j'en étais presque sûre, il s'agissait bien de la vue sur les gratte-ciels que nous avions devant les yeux quand nous prenions notre bain dans la chambre 3051 de l'Aman Tokyo Hotel ...
Et en tournant la page suivante, j'en fus certaine. En arrière plan, les gratte-ciels et je me reconnus, de dos, portant ma robe rouge décolleté dans le dos, les cheveux relevés. Je souris en constatant qu'il m'avait dessinée avec mes talons alors qu'à ce moment j'étais pieds-nus, j'en étais pratiquement sûre.
Je ris ouvertement à la page suivante : Mick avait dessiné une bouteille de sirop d'érable, tout comme sur les trois pages suivantes sur lesquelles la bouteille était de plus en plus vide. Je rougis en pensant aux petits jeux sensuels et délicieux qui avaient accompagné ce liquide sucré et doux.
Le dessin suivant représentait sans aucun doute mon perron et la porte de mon appartement. Les fleurs et les feuilles des azalées de Madame Sakamoto étaient d'une grande finesse et comportaient une multitude de petits détails : un papillon, une abeille, une fleur fanée, les nervures des feuilles ... La porte restait entrouverte, comme une invitation à entrer et un bouquet de roses était posé sur le paillasson.
En tournant la page suivante, je dus étouffer un cri en plaquant ma main sur ma bouche en laissant échapper un :
- "Oh Mon Dieu ..." J'étais à la fois stupéfaite et terriblement émue.
On me voyait couchée sur le ventre, en train de dormir, nue, les cheveux épars sur l'oreiller, une main repliée contre ma poitrine, l'autre dissimulée sous l'oreiller. Le drap était descendu jusqu'en bas de mon dos et je souriais légèrement. Un petit détail me sauta aux yeux : Mick avait aussi dessiné ses gants posés sur la table de nuit.
C'était le dernier dessin. Je n'y tenais plus et je lâchai de gros sanglots pendant que je regardai encore et encore les dessins, tournant les pages frénétiquement comme si je voulais les apprendre par cœur. J'avais du mal à réaliser ce que cela signifiait mais, quand je relisais son post-scriptum, son message était pourtant très clair.
Il m'aimait, moi.
Il était heureux, avec moi.
J'éclatai de rire tout en pleurant en même temps et je me jetai en arrière pour m'allonger sur mon lit, sur le dos, sa lettre à bout de bras, la relisant encore et encore à haute voix et en jubilant comme une adolescente, riant nerveusement et battant des pieds.
Passés les premiers instants d'euphorie, je me levai et cédai à mon envie : je saisis le téléphone après avoir ramassé l'oreiller qui était resté au sol. Je m'assis dans mon fauteuil, le cœur tendu vers la sonnerie, serrant le coussin parfumé de cèdre et de citron contre moi.
Pendant que je comptais les sonneries, je songeai :
- "Mince ... Et si c'est Kaori qui décroche ? Bah, je lui dirais que je cherche Mick pour vérifier qu'il fait bien sa rééducation tous les jours. Consultation téléphonique de routine ? Oui, voilà, c'est bien ça. Consultation téléphonique de routine ... Pffff !"
Je ne pus m'empêcher de rire et je me rendis compte que ça faisait un moment que ça ne m'était pas arrivé. Au bout d'une vingtaine de sonneries, je dus cependant me rendre à l'évidence : Mick n'était pas chez lui.
- "Et Kaori non plus, par la même occasion ..." Pensai-je immédiatement avec un léger pincement au cœur.
Je ne me laissai pas abattre et décidai de téléphoner à Ryo mais, le verdict resta le même. Apparemment tout le monde était sorti. Une pointe d'inquiétude revint s'insinuer dans mon âme et je serrai encore un peu plus l'oreiller de Mick contre moi. Je fis un rapide calcul : six jours, cela faisait six jours que j'étais sortie de son appartement comme une furie. Que s'était-il passé depuis six jours ? Ce pourrait-il que ...
Je chassai ces sombres pensées, en buvant rapidement un café tout en avalant des petits gâteaux secs pour calmer les revendications de mon estomac qui criait famine. Je regardai la petite horloge de ma cuisine : il était déjà plus de seize heures.
Je me décidai à faire quand même un peu de rangement et, pendant que ma lessive tournait, je mis un album de Led Zeppelin à fond et me laissai aller à danser tout en faisant mon ménage ... Enfin danser ...
- "Heureusement que personne ne me voit ..." Songeai-je en riant de moi-même.