Yes or No ?
- "Comment ça ?" J'étais abasourdie.
Je me sentis devenir blême, mes mains se mirent à trembler imperceptiblement et je les dissimulai dans les poches de ma blouse.
Elle se tourna vers moi :
- "Tu sais ... Quand il est parti d’ici en février, avant l’explosion de son avion, avant … avant tout ça … Ryo m'a dit qu'il n'avait pas honoré son contrat. Et quand on n'honore pas un contrat dans ce milieu ... Bref, je pense qu'il est retourné aux Etats-Unis en sachant pertinemment que son commanditaire ne le laisserait pas en paix. Ryo ne m'a donné plus de détails et on n'en a pas reparlé mais je sais qu'il pense comme moi. Ensuite ... Ensuite, sur le bateau, quand Mick a plongé ses mains dans ce tableau électrique, je me demande s'il était encore vraiment sous l'emprise de l'Angel-Dust, tu vois ? Et ... Et ... Et ..."
Je vis des larmes monter des ses yeux et je passai mon bras autour de ses épaules pour l'attirer à moi :
- "Chut, Kaori ... Dis-moi de quoi tu te rappelles exactement."
- "Certaines choses sont encore floues ... Mais ... Enfin, je m’inquiète pour lui, c’est tout ..." Elle essuya ses larmes d'un revers de la manche. "Tu ouvriras l'œil, Kazue ? Tu me le promets ? C'est pas parce que cet imbécile ne veut pas me voir que je souhaite qu'il lui arrive quelque chose ..."
Comment était-ce possible ? Comment avais-je pu ne pas voir ? Ne pas comprendre ? Et puis soudain, un doute insidieux monta dans mon cœur, un doute qui se transforma petit à petit en quasi-certitude ... Mick voulait-il reprendre ses activités pour indirectement en finir ? Est-ce que j'allais le perdre ? Allais-je à nouveau ressentir cette douleur ? Allais-je à nouveau devoir affronter ce deuil ?
Je sentis des larmes monter dans mes yeux alors que ma gorge se serrait quand la voix de Kaori me sortit de mes pensées :
- "Kazue ? Ça va aller ? Ce n'est peut-être rien, je me trompe peut-être mais je me sentirai rassurée si tu gardes un œil sur lui."
- "Je ... Je comprends ... Oui, je te promets de rester vigilante." Parvins-je à prononcer.
Elle resta encore un petit moment pour me poser des questions sur le fonctionnement des tests ADN. Apparemment, elle avait besoin de prouver une filiation dans une affaire d'enlèvement qu'elle voulait gérer seule. J'avais du mal à me concentrer sur ses questions et je répondais souvent du bout des lèvres.
Je finis quand même par réussir à conclure, qu'en cas de besoin, je pourrais me charger des tests mais que mes résultats ne pourraient pas être recevables en tant que preuves puisque je n'étais pas assermentée.
Elle hocha la tête et me remercia chaleureusement avant de me poser une question qui me mit mal à l'aise :
- "Au fait ? Et ton rendez-vous ?"
- "Haaa, heuu, bien, bien. Très bien ..."
Elle me sourit et je vis presque des étoiles dans ses yeux quand elle ajouta avec une joie presque enfantine :
- "Alors, tu l'as mis à tes pieds ?"
Je me sentis rougir :
- "Je crois bien que oui ..."
- "Oh !" S'exclama-t-elle, surprise. "Tu n'as pas l'air ravie ... Ne me dis pas que cet idiot s'est défilé ou qu'il t'a laissée tomber depuis ? Pfffff ! Les hommes sont tellement nuls, des fois !"
- "Disons que je ne sais pas très bien où on en est ... ni où j'en suis ..."
- "Je comprends. C'est difficile d'être sûre de ce que ressent celui qu'on aime, n'est-ce pas ?" Ajouta-t-elle, d'un air triste et j'en déduisis que Ryo n'avait toujours pas bougé d'un pouce.
Puis, elle releva la tête, me sourit de son sourire solaire et chaleureux et puis elle partit en disant :
- "J'espère que ça va s'arranger ..."
- "Moi aussi." Murmurai-je tout en lui disant au revoir puis je pensais : "Et pour toi aussi."
Après le départ de Kaori, je n'avais rien pu faire de tout l'après-midi. Ou en tous cas, rien de constructif, car j'avais ressassé encore et encore les mêmes idées.
Je restais longtemps enfermée dans mon bureau, me cachant du reste du monde. J'étais tellement dans mes pensées que j'avais perdu la notion du temps et le Doc n'était pas venu me chercher pour me donner le relai.
Pourquoi les choses arrivaient toujours en même temps ? Souvent, il ne se passe rien pendant des semaines, voire des mois et puis d'un coup ... Mick qui voulait faire son retour dans le milieu pour se prouver à lui-même qu'il était encore quelqu'un, la remarque du Doc qui venait étouffer ma colère, Kaori qui me confiait ses inquiétudes ... je ne savais plus quoi penser.
Je sursautai brusquement en entendant toquer à la porte. Je remarquai alors que j'avais laissé la pièce dans la pénombre et que la nuit commençait à tomber. J'allumai la petite lampe de mon bureau et allai ouvrir. Je ne fus pas surprise de trouver Mick.
Il se tenait devant moi, un plateau repas sur un bras et une bouteille de vin dans l'autre main.
- "On peut se parler, Kazue ? Je pense que tu es restée seule assez longtemps, non ?"
Je hochai la tête. Il avait raison. Ça ne servait à rien que je continue à ruminer sans cesse les mêmes pensées. J'ouvris complètement la porte pour le laisser entrer. Il posa la bouteille et son plateau sur mon bureau, puis s'installa sur mon sofa, les coudes sur les genoux :
- "Tu comptes rester debout, tu ne viens pas t'asseoir ?"
- "Je préfère rester là ..." Répondis-je, sans trop savoir pourquoi, peut-être juste le besoin de le contredire et de ne pas faire ce qu'il me demandait de faire.
Il me sourit :
- "Toujours aussi tête de mule, Docteur Natori ?"
Je croisai les bras et il soupira :
- "Tu as raison. J'aurais dû t'en parler plus tôt. Dès le début en fait. Quand j'ai pu de nouveau bouger mes mains ... Quand j'ai retrouvé peu à peu mes capacités ... Quand tu m'as donné un nouvel avenir ... Quand le manque s'est estompé et que je voyais le bout du tunnel ... Mais aussi quand je suis intervenu ici, quand j'ai repoussé ces yakuzas ... Je me suis rendu compte que je voulais redevenir celui que j'étais. Pas forcément un tueur mais un homme ... Me prouver à moi-même que je peux le faire, que je ne suis pas une mauviette."
Tout en parlant, il regardait ses mains, les ouvrant et les refermant plusieurs fois. Je lâchai d'un ton dur :
- "Il existe d'autres moyens de prouver que tu es un homme, tu sais. Pas besoin d'aller jouer des poings ou de risquer sa vie pour ça."
Il leva les yeux vers moi, surpris :
- "Je n'ai pas l'intention de mettre ma vie en jeu, si c'est ça qui t'inquiète. Je sais me montrer prudent et je prends des risques calculés, c'est comme ça qu'on reste vivant aussi longtemps dans ce milieu."
- "Pourtant, ce n'est pas ce que Kaori pense ..."
Il me regarda, un sourcil levé, le regard interrogateur. Je répondis à sa question muette :
- "Elle pense que tu as voulu mettre fin à tes jours."
- "Ah ... alors c'est de ça dont vous avez parlé aussi longtemps ? De mes éventuelles tendances suicidaires ?"
- "Oui, même si elle ne comprend pas pourquoi tu ne veux pas la voir, elle se fait du souci pour toi."
- "Bah, y'a pas de raison." Dit-il en écartant les bras et se calant en arrière dans mon sofa. "Je vais très bien."
Je restai un moment silencieuse et il me demanda d'une voix douce :
- "Alors, pourquoi Kaori et toi vous pensez que je veux en finir avec la vie ?"
- "En résumé, elle a dit que tu savais que repartir aux Etats-Unis signifiait signer ton arrêt de mort. Et comme elle retrouve peu à peu la mémoire, elle pense que tu t'es volontairement électrisé. D'après elle, tu n'étais plus sous l'emprise de la drogue ..."
Je vis Mick se raidir et serrer les mâchoires. Je le regardai, éperdue :
- "Elle a raison ? Oh Mon Dieu ! Elle a raison ?"
Pour toute réponse, il secoua la tête.
- "Oui et non." Avoua-t-il en se levant.
Il se dirigea vers le bureau et commença à ouvrir la bouteille de vin :
-"Tu permets que je me serve un verre pour parler de ça ? Tu en veux aussi ?"
Je hochai la tête. Je n'étais pas sûre que boire en cet instant soit une bonne idée mais la perspective de sentir la chaleur de l'alcool dans ma gorge me faisait envie.
- "Tu viens à côté de moi ?" Me demanda-t-il en me tendant mon verre.
Je le saisis et j'allai m'asseoir. Il me rejoignit, bu une grande gorgée, pas très orthodoxe en terme de dégustation, soupira et :
- "Bon, on va commencer par le début ... C'est toujours plus simple dans l'ordre chronologique, tu ne crois pas ?"
Je ne répondis pas. J'avais la gorge nouée.
- "Tout à commencé l'année dernière. Un type est venu me trouver, il avait une mission pour moi, un gros contrat avec beaucoup d'argent. Il s'agissait de tuer quelqu'un ... J'ai d'abord refusé. Il a insisté, j'ai renouvelé mon refus. Quelques jours plus tard, je recevais dans une de mes boîtes postales une grosse enveloppe. Elle contenait un dossier."
Il prit une nouvelle gorgée de vin et joua ensuite avec son verre.
- "Ce dossier avait été monté contre Bob Sullivan."
- "Bob Sullivan ? C'est le flic qui était amoureux de ta tante, c'est ça ?"
- "Oui. Il y avait de quoi le faire tomber pour corruption, falsification de preuves et tout le tremblement. Tout tendait à prouver qu'il était un vrai ripou. Je ne sais pas si ce dossier était vrai ou non mais c'est l'une des seules personnes encore en vie qui compte pour moi. Il serait allé en prison pour des années aux côtés de malfrats qu'il avait lui-même fait arrêter, autant dire qu'il n'aurait pas fait de vieux os en taule ... Et il avait fondé une petite famille entre-temps. Il a deux filles. Des jumelles : Sara et Jenny. Elles vont bientôt aller à la fac, toutes les deux. Je ne pouvais pas lui faire ça ... Mais, le message était clair, soit j'acceptais le contrat, soit Sulli allait en faire les frais. Alors ..."
- "Alors ? Tu as accepté le contrat ?"
- "Oui. Mon commanditaire, c'était Kaïbara et ma cible, c'était Ryo."
- "Quoi ?"
Je me levai vivement, renversant du vin sur le sol et je m'éloignai de lui :
- "Mais ... Je ne comprends pas ... Ryo est ton ami, non ?"
Il détourna les yeux, baissant la tête. Je répétai ma question :
- "Ryo est ton ami ?"
- "Oui. Il est certainement ce qui se rapproche le plus d'un ami et je ne mens pas quand je l'appelle 'Bro'."
Je restai un moment silencieuse et je demandai à voix basse :
- "Alors c'est vrai ? Je n'étais pas sûre d'avoir compris quand tu avais parlé d'un affrontement entre vous. Mais, pourquoi as-tu accepté ? C'est affreux ! Accepter de tuer son ami ! De sang froid ? C'est même plus qu'affreux ! C'est abject !"
Je n'en croyais pas mes oreilles. J'étais révoltée, désemparée et affreusement triste. Il resta immobile, gardant la tête baissée, alors que j'aurais tellement voulu croiser son regard à cet instant. Cependant, il me répondit :
- "Je t'avais bien dit que je n'étais pas un type bien."
Il soupira encore avant de poursuivre :
- "Donc, quand tu veux savoir si je voulais mourir, ma réponse est oui. Affronter Ryo était pour moi la meilleure façon de tirer ma révérence. D'arrêter tout ça. J'étais seul, j'avais perdu tous les membres de ma famille, j'étais fatigué de cette vie de merde. Et en plus, si Ryo m'avait tué, il aurait amélioré sa réputation car j'étais encore le numéro un de mon pays. Ça lui aurait rendu service en quelque sorte. Mais nous ne nous sommes pas affrontés ..."
- "Pourquoi ?"
Il resta silencieux et je lançai, amère tout en posant brusquement mon verre sur mon bureau :
- "Ah pardon, la bonne question n'est pas : pourquoi ? Mais : pour qui ?"
- "Si tu penses à Kaori, alors la réponse est : oui."
Il leva son regard vers moi. Il me regarda dans les yeux et je sentis ma colère décupler. Je serrai les poings et les mâchoires à m'en faire mal pendant qu'il continuait :
- "D'abord parce que j'ai vu tout de suite que Ryo avait changé et qu'il est amoureux d'elle. Ensuite, parce qu'elle aussi l'aime profondément et que je ne voulais pas lui faire de peine. Parce que, j'étais moi aussi tombé amoureux d'elle entre-temps. Et finalement, j'ai décidé de retourner aux Etats-Unis pour affronter Kaïbara et ses sbires moi-même. Quitte à y laisser ma peau mais je comptais simplement les protéger tous les deux de la haine de Kaïbara ... Malheureusement, les choses ne se sont pas vraiment passées comme je l'avais prévu.
Il marqua une pause, prit une grande inspiration avant de reprendre :
- "Alors oui, quand j'ai émergé des brumes de l'Angel-Dust, j'ai entendu la voix de Kaori mais j'ai aussi senti la douleur. Partout, dans tout mon corps. J'ai su que j'étais foutu. Enfin, j'ai cru que j'étais foutu ... J'ai aussi compris quelques mots de Kaïbara et de Ryo et la solution m'a paru évidente. Oui, je voulais mourir. Oui, j'attendais la fin comme une libération et oui, j'allais en même temps sauver les personnes qui comptaient pour moi : Kaori, Ryo, Falcon mais aussi Sulli ... car je savais que, cette fois, Ryo allait réussir à vaincre Kaïbara. La décision était facile à prendre. J'ai plongé tête baissée, la bombe n'a pas explosé ... et la suite, tu la connais."
Je croisai son regard et j'en fus bouleversée.
- "Oui, Kazue. J'ai effectivement voulu mourir, bien avant que je le crie, ici, dans ma chambre et que je supplie Ryo de me mettre une balle dans le crâne. Bien avant."
- "C'est pour ça que tu veux reprendre ton travail de nettoyeur, alors ? Pour affronter enfin quelqu'un de plus fort que toi tout en espérant qu'il te tue ? Parce que tu ne veux pas le faire tout seul ?" Demandai-je d'une voix tremblante alors que des larmes commençaient à troubler ma vue.
- "Non. Rien à voir." Il se leva lentement, posa son verre au sol, s'avança vers moi et prit mes mains entre les siennes. "Je veux juste être celui que je suis et me prouver que je ne suis pas foutu, ni un lâche, ni un faible ... Quant à mon envie de mourir et à mes tentatives de suicide ratées, c'est du passé. Et tu sais pourquoi ?"
Il passa ses bras autour de ma taille et posa son front sur le mien, plongeant son regard dans mes yeux :
- "Parce que, maintenant, je t'ai toi."
- "Ah, bon ? Et ça change quoi, que tu m'aies moi ?"
- "Tout, ça change tout."
- "Ce n'est pas vraiment une réponse, ça ..."
- "Je manque d'expérience en vie de couple pour te donner une définition précise, ma douce."
Je restai muette, perdue dans le bleu de ses yeux alors qu'il continuait de sa voix douce et chaude et que son accent devenait un peu plus fort :
- "Je ne sais pas exactement où on va tous les deux, je sais seulement que je n'ai pas envie que ça s'arrête et que je ne veux pas te perdre."
Pour toute réponse, je passai mes bras autour de sa nuque et l'embrassai tendrement. Quand nos lèvres se séparèrent, je lui dis, jouant avec ses cheveux entre mes doigts nerveux :
- "Moi non plus, tu sais, je ne suis pas une championne en vie de couple ... Moi non plus, je ne veux pas te perdre ..."
Je sentis à nouveau les larmes perler au coin de mes yeux, ma gorge se serra et ce fut avec difficulté que je prononçai :
- "Alors, promets-moi de faire attention à toi."
- "Promis, Docteur Natori. Tu ne m'as pas rafistolé pour que je gâche ton œuvre !"
Il m'embrassa à nouveau avant de m'enlacer en me serrant contre lui. Je pouvais entendre les battements de son cœur et je fus étrangement satisfaite de l'entendre battre si vite.
Je prononçai :
- "Et aussi ... J'aimerais qu'on refasse un deal ..."
- "Je t'écoute." Dit-il en m'embrassant sur le front, sans me lâcher.
- "Quand tu te seras prouvé ton truc-là, que tu es un mec, un vrai et pas une lopette, quand tu auras résolu une affaire, je veux que tu me promettes de penser à une éventuelle reconversion ..."
- "Kazue ..." Il s'écarta de moi et me regarda dans les yeux.
- "Attends, laisse-moi finir. Je te demande juste de réfléchir à ce que tu pourrais faire d'autre. Quitte à reprendre des études, je ne sais pas moi ... Mais juste ... d'envisager un métier moins ... "
- "Moins répréhensible ?" Me demanda-t-il, un peu sèchement, sur la défensive.
Je posai ma main sur sa joue avant de prononcer :
- "Non. Un métier moins dangereux me conviendrait mieux ..."
- "Ok." Concéda-t-il au bout de quelques secondes. "Dès que j'aurais résolu une affaire ... mais une vraie, hein ? Pas chercher le toutou disparu à sa mémère, on est d'accord ?"
Je ne pus m'empêcher de sourire en lui tapant sur l'épaule :
- "Pffffffff ! Les hommes et leur fierté, franchement !"
Il me regarda dans les yeux, mimant une moue suppliante comme un gamin réclamerait un bonbon et je finis par acquiescer :
- "Bon, OK, si c'est important pour toi que ce soit une vraie affaire, alors, ça sera une vraie affaire ..."
- "Bien. Alors, c'est entendu." Il déposa un léger baiser sur ma joue avant d'ajouter en se frottant les mains : "Maintenant, passons aux choses sérieuses !"
Je le dévisageai, abasourdie :
- "Miiiiick ! On a promis au Doc qu'il ne passerait rien ici !"
Il se tourna vers moi et me lança son petit regard espiègle qui faisait toujours papillonner mon estomac :
- "Docteur Natori ! Voyons ! Tu ne penses qu'à ça, c'est pas possible !"
- "Quoi !"
- "Tssss, tssss, tssss, tu as vraiment l'esprit mal tourné !" Continua-t-il en riant alors que je me sentais rougir de honte. "Je parlais de ce bon repas que le Doc a préparé ... Tout ce que tu aimes ... ramens et curry de poulet aux légumes ... ça sentait divinement bon quand il a cuisiné tout ça ! J'espère que c'est encore chaud ..."
Il souleva les cloches du plateau et un petit nuage de vapeur s'en échappa ainsi que de délicieuses odeurs d'épices et de petits légumes grillés. J'en eu immédiatement l'eau à la bouche et je réalisai alors que je mourrais de faim et que je n'avais rien mangé depuis le déjeuner. Je m'assis à mon bureau. Mick fit le service et remplit son verre de vin pendant que je sirotai le mien.
Nous parlâmes ensuite de son emménagement du lendemain, des achats qu'il lui restait à faire en meubles et autres objets indispensables puis de choses et d'autres. Cela allégea mon cœur mais ne le soulagea pas entièrement. Je savais, au fond de moi, que l'inquiétude me tenaillerait les entrailles jusqu'à ce qu'il ait résolu une affaire ...
Et une autre inquiétude naissait dans mon cœur : allait-il respecter notre marché ?
Soudain, je sursautai :
- "Kazue ? tout va bien ?"
- "Ah ... Heuu .. oui, bien sûr, pourquoi ?"
- "Parce que tu as le regard dans le vague depuis un moment maintenant et j'ai l'impression que tu ne m'écoutes pas ..."
- "Pardon. Je crois que je suis fatiguée." Dis-je, sans mentir.
- "OK. Je te raccompagne chez toi."
- "Non, non, pas la peine ..."
Je me levai, sortis une couverture et un oreiller de mon placard et m'allongeai sur mon sofa. Mick me sourit et commença à ranger les reliefs de notre repas quand il me demanda :
- "Tu penses que Kaori a retrouvé la mémoire ?"
- "Oui mais je n'en suis pas sûre, elle est restée très évasive en disant que certaines choses étaient encore floues. Mais, curieusement, je ne l'ai pas crue."
- "Tu n'as pas cherché à en savoir plus ?"
- "Non. Je n'y ai tout simplement même pas pensé. Ce qu'elle m'a dit m'a tellement retournée ... Et elle est si inquiète pour toi. D'ailleurs, tu devrais peut-être lui parler, non ? Pourquoi tu refuses de la voir à chaque fois qu'elle vient ?"
- "Je refuse pas de la voir ..."
Je me redressai sur mon coude pour le dévisager :
- "Si, tu refuses de la voir. Pourquoi ? Tu ne te trouves toujours pas assez à ton avantage pour te montrer devant elle ?"
Mick me dévisagea :
- "Mais qu'est-ce que tu vas chercher ?"
- "Je ne cherche rien, je me renseigne."
- "Pfffff ... Tu te montes la tête, Kazue."
- "Alors ? Pourquoi ?"
Il vint s'asseoir contre mes jambes repliées :
- "Non, mais, tu n'as pas remarqué qu'elle a le chic aussi, Kaori, pour débarquer pile au pire moment ?" Il énuméra sur ses doigts : "La première fois, elle est venue quand j'étais en train de me liquéfier de l'intérieur, que j'avais mal partout et que je ne savais plus qui j'étais. Je n'avais aucune envie de faire la causette. La deuxième fois, elle est passée pendant que tu étais partie chez tes parents et que je me demandai comment j'allais bien pouvoir rattraper le coup et pour finir, elle vient aujourd'hui ... Aujourd'hui ! Non, mais du genre, mauvais timing, elle pouvait pas mieux faire !"
- "C'est vrai." Je devais bien admettre qu'il n'avait pas tout à fait tort. "Mais tu aurais pu l'appeler, quand même ..."
- "Oui. Je ferai ça à l'occasion ... J'ai d'autres choses en tête pour le moment."
- "Viens."Dis-je en tendant les bras.
Il me sourit, éteignit les lumières et revint s'allonger contre moi. Nous éclatâmes de rire en tentant de trouver la meilleure position puis, quand nous fûmes parfaitement bien imbriqués l'un contre l'autre, alors que ses doigts dessinaient de petits ronds sur mon épaule et descendaient le long de mon bras, j'osai demander dans le noir :
- "Mick ? Ce que tu m'as dit tout à l'heure ... Tu sais, que tu ne veux pas que ça s'arrête, tout ça ..."
- "Oui ..."
- "C'est vrai ? Ou c'est de l'emberlificotage façon Angel, baise-main et roses rouges et hop-je-t'emballe ?"
Il éclata de rire :
- "Je savais pas qu'il existait une technique d'emberlificotage façon Angel ! Faudrait peut-être que je la fasse breveter, ça a l'air diablement efficace !"
Je lui tapai sur le torse du plat de la main :
- "Miiiiick ! S'il-te-plait ?"
Il arrêta de rire, resserra son bras autour de mes épaules et m'embrassa sur le front :
- "Non, c'était pas des blagues ou des techniques de drague. D'ailleurs, je crois bien que tu es la seule femme que je n'ai jamais vraiment réussi à draguer. Avec toi, aucune de mes techniques ne fonctionne ..."
- "Pourquoi ?"
- "Pourquoi elles ne fonctionnent pas ? Qu'est-ce que j'en sais !"
- "Non, je veux dire ... pourquoi draguer comme ça, tout le temps ? C'est quoi ? Te prouver que tu es viril en séduisant le plus de femmes possible ?"
Il rit à nouveau :
- "T'es pas croyable, Docteur Natori ! Toujours vouloir comprendre comment ça marche, le pourquoi et le comment des choses ..."
Il resta silencieux un moment et je crus qu'il ne répondrait pas à ma question quand il prononça :
- "Je pense que draguer était avant tout un moyen pour moi de ne pas être seul, tout en n'ayant aucune attache. Et pas d'attache, pas de souffrance quand je me retrouvais à nouveau seul. Ce qui me convenait finalement, tout en me faisant souffrir quand même. Après ... ton analyse est certainement juste aussi. A la longue, ça devient une habitude, presque une drogue, l'adrénaline de la conquête, ce genre de choses ... D'ailleurs, je pense que Ryo a le même problème. Sauf que lui, il n'arrive pas à dire à Kaori ce qu'il ressent."
- "Tu crois pas qu'ils auraient besoin d'un petit coup de pouce ? Elle paraît si triste parfois quand elle parle de Ryo ..."
- "Bonne idée. On va réfléchir à une stratégie ... Allez, dors maintenant, il est tard ... et demain ... Demain, c'est la liberté ! Tu viendras pour inaugurer mon nouveau matelas ?" Dit-il en riant.
- "Miiiiiick ! Et après c'est moi qui ai l'esprit mal tourné ?"
Il rit puis me regarda et même dans la pénombre, son regard me fit chavirer et encore plus les mots qui suivirent :
- "Je t'aime, Kazue."
Je restai, sans voix, tétanisée, stupéfaite. Il me sembla que mon cœur s'arrêta de battre quelques secondes pour repartir encore plus fort. J'avais oublié combien il était doux d'entendre ces mots.
Seulement, je n'étais pas prête à les dire en retour, j'étais encore sous le coup des émotions contradictoires qui m'avaient traversée depuis le début de l'après-midi. Et cela faisait tellement longtemps que je ne les avais pas prononcés. J'ouvris la bouche mais Mick y posa son index, m'invitant à garder le silence :
- "Je n'attends pas de retour maintenant. C'est sorti comme ça. Prends ton temps."
Il m'embrassa tendrement et me demanda sur un ton beaucoup plus léger :
- "Dis ? Tu crois que ton bureau fait vraiment partie de la Clinique ?"
- "Hein ?"
- "Non, c'est juste pour savoir si les règles du Doc s'appliquent dans cette pièce ou si ..."
Je sursautai quand je sentis sa main passer sous ma jupe. Il remonta le long de ma cuisse, me faisant frémir. Je lui attrapai la main et la remis au-dessus de la couverture après avoir embrassé sa paume :
- "Chut, tout doux, Monsieur Angel. Demain. Promis, je viendrai inaugurer ton lit ..."
- "Oh ! Que le lit ? J'ai tout un programme, moi ..." Ajouta-t-il, d'un ton faussement déçu.
J'eus du mal à trouver le sommeil cette nuit-là. Et même si sentir le corps chaud de Mick m'apportait du réconfort, même si entendre les battements de son cœur me berçait, même si sentir son souffle dans mes cheveux me rassurait, malgré tout ça, j'étais toujours inquiète et j'avais un mauvais pressentiment. Je n'arrêtais de me dire que tout ça n'allait pas durer, qu'un jour ou l'autre, le bonheur de le sentir contre moi allait m'être enlevé.