Si j'avais

Chapitre 11

3902 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 02/04/2019 21:51

Quartier de Shinjuku,


Le soleil brillait fort en ce nouveau jour, inondant la terre de ses rayons chaleureux pour mieux sécher les larmes versées par les nuages durant cette longue nuit tourmentée.


( Kaori ? )


Le vent avait retrouvé sa sagesse d'antan, abandonnant sa violence et sa froideur pour se muer en une brise légère et veloutée.


( Kaori, pourras-tu jamais me pardonner ? )


La ville de Tokyo s'éveillait progressivement à la douceur du matin. Les rues, abandonnées de toute vie il y a encore quelques heures, retrouvaient sans peine les délices de l'agitation humaine.


( Pourras-tu jamais effacer de ton cœur ces regards aveuglés par mes propres doutes et tous ces mots blessants d'indifférence ? )


Une lange Rover déboucha dans la rue. Rapide et silencieuse, elle donnait cette impression étrange de glisser naturellement sur la route, évitant avec tout autant de légèreté que d'agilité, les flaques d'eau qui s'étaient formées, ici et là, sur la route goudronnée. Dans un ronronnement doucereux, le 4X4 se gara le long du trottoir, à cette même place qu'elle avait occupée la nuit dernière.


( Pourras-tu jamais pardonner ce moment de folie qui m'a conduit à t'abandonner alors que tu avais tant besoin de moi ? )


Les portières avant s'ouvrirent dans un même mouvement, laissant apparaître les silhouettes d'un homme et d'une femme.


( Pourras-tu jamais oublier que j'ai été un lâche ? )


L'homme observa d'un regard distrait les alentours, la main droite fermement posée sur la poignée intérieure de la voiture. Son visage, las et fermé, trahissait un état de fatigue intense. Ses yeux, sur lesquels un épais voile de tristesse s'était posé, se fermèrent à plusieurs reprise, éblouis par l'éclat des rayons du soleil. Ses lèvres bougèrent un instant, murmurant silencieusement un seul et unique mot.


( Kaori.)


Ryô fixait, avec toute la fougue de son amour, les fenêtres de l'appartement qu'ils partageaient depuis toutes ces années avec sa précieuse Kaori. Immobile, il restait là, les poings serrés et le cœur battant, comme si à force de persévérance, son regard arriverait à briser ces grands murs de béton qui la séparaient cruellement d'elle.


( Cette douleur intolérable, l'éprouves-tu aussi ? )


Dans ce flots de pensées, une voix parvint à percer le chemin de son esprit. " Ryô ? ", la voix était douce mais légèrement altérée par l'inquiétude. " Ryô ? Tu es sûre que tu ne veux pas que je t'accompagne ? " demanda tendrement Miki. " Même si Kazue m'a assuré au téléphone que Kaori se portait bien, je ne peux pas m'empêcher de m'inquiéter ", les mots à peine prononcés, Ryô entendit aussitôt une porte claquer, comme si la réponse à cette question était d'une évidence incontournable.


( Et ce mal qui ronge implacablement mon cœur au point que j'ai l'impression de suffoquer, le ressens-tu aussi ? )


Ryô regardait toujours dans la même direction. Miki était tout près de lui. Le regard blessé de l'homme bougea légèrement, glissant lentement vers elle. Il grimaça alors une sorte de sourire, jouant la comédie de l'être fort même si à l'intérieur, son cœur gémissait douloureusement.


( Et cette rancœur perfide que j'éprouve contre ce monstre qui t'a meurtrie à jamais ? Cette haine viscérale qui coule insidieusement dans mon sang comme le plus mortel des venins, comment l'empêcher de me dévorer entièrement ?)


D'un regard lointain, Ryô contempla le souffle du vent qui s'insinuait, avec impudeur conviviale, dans les longs cheveux bruns de Miki, lui ramenant sur le visage quelques mèches légèrement ondulées.

( Kaori, sais-tu à quel point je m'en veux de ne pas avoir compris ta détresse, de ne pas avoir su te protéger contre la perversité humaine ? )


Comme dans un rêve, il sentit la main de Miki se poser sur son bras. Le contact était timide et chaleureux, tout autant que le sourire qu'elle essayait de garder malgré la gravité de la situation. " Elle a besoin de toi, Ryô... Elle a besoin de toi au delà de tout ce que tu peux imaginer ", souffla-t-elle d'une voix douce et sereine. " Tu es sa force. Sa raison de vivre. Avec toi, elle continuera à lutter. Près de toi, elle s'en sortira... Alors promets-moi, Ryô... Promets-moi de ne plus jamais la laisser ", finit-elle la voix légèrement tremblante.


( Pardonne-moi, Kaori... Pardonne moi, ma douce. Je n'avais rien compris.)


Un léger sourire éclaira le visage tourmenté de Ryô. Ces mots, ces phrases qui lui faisaient si peur avant, surgirent alors de sa bouche dans un souffle empreint de promesses éternelles. " Il ne faut plus que tu t'inquiètes, Miki " , tout en parlant Ryô glissa les frisottis capricieux de son amie derrière son oreille. " Dorénavant, je vais prendre soin d'elle. Crois moi, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour lui redonner le sourire et le goût de vivre. Je te le promets, ma belle ", affirma-t-il d'une voix poignante de sincérité.


( Kaori ?... Mon dieu, Kaori... je crois que, pour la première fois de ma vie, j'ai vraiment eu peur.)


Dans un geste de tendresse, Ryô caressa la joue de Miki. Il lui était tellement reconnaissant de ce qu'elle avait fait pour lui et Kaori. Il ne la remercierait jamais assez pour lui avoir ouvert les yeux. Il ne la remercierait jamais assez de l'avoir sauvé, cette même nuit, alors qu'il s'enfonçait pitoyablement dans les ténèbres, s'acharnant à trouver un coupable alors que Kaori avait simplement besoin de lui. Alors Miki avait attendu qu'il se calme, qu'il oublie sa propre colère et sa propre rage pour tout lui révéler, sans le moindre détour. Et il avait enduré la cruauté de chaque mot, de chaque parole avec cette même force et cette même fierté qui lui permettaient d'encaisser les coups sans broncher. Même si cette vérité fut pénible à entendre et qu'elle restera toujours aussi pénible à accepter. L'important maintenant, c'est qu'il savait tout.


( Mais je sais que je serais toujours plus fort que cette peur et qu'un jour, tu seras de nouveau heureuse. )


Ryô ne pouvait pas le voir mais la tristesse de son regard laissa peu à peu la place à la confiance et l'espoir lumineux. Pour la première fois de sa vie, ses yeux reflétaient une telle force et un tel amour que Miki se sentit incroyablement émue et au bord des larmes.


( Tout est tellement limpide maintenant. Aussi clair que la couleur de tes yeux, ma douce. )


Gêné de sentir Miki sur le point de pleurer, Ryô leva les yeux vers ce ciel aussi bleu que la mer, et la prit tendrement dans ses bras pour la soulager de son chagrin. Blottie contre lui, elle pleura silencieusement, laissant libre court à tout cette émotion qu'elle cachait pudiquement derrière ses faux sourires, depuis plusieurs mois maintenant.


( Ton sourire, Kaori... Ce sourire si tendre et si généreux... je veux le voir encore éclairer ton si beau visage. )


D'une tendresse étonnante, Ryô repoussa gentiment la jeune femme lorsqu'il vit qu'elle s'était suffisamment calmée. " Allez Miki ! Maintenant, tu devrais rentrer... sinon Falcon va croire que tu t'es enfin décidée à le quitter pour moi ", lança-t-il d'un ton qu'il voulut malicieux. " Je ne voudrai pas que tu deviennes célibataire au moment même où je retrouve enfin ma précieuse Kaori ", ajouta-t-il dans un clignement d'œil.


( Et cette lumière... cette petite lueur qui étincelait au fond de ton regard... je veux la voir briller de nouveau dans tes yeux, plus fascinante et plus ardente encore que la flamme que tu as allumé au fond de mon cœur. )


D'un geste rapide, Ryô ouvrit la portière de la voiture, poussant délicatement la jeune femme à l'intérieur. En un tour de main, il attacha sa ceinture, mettant entre temps le moteur en route. " Et encore merci ma belle..." lâcha-t-il dans un souffle, tout près de son oreille. " Sans toi, je crois que je n'aurais jamais pu faire face à mes sentiments ", avoua-t-il en refermant lentement la porte.


( Je veux encore entendre ton rire cristallin résonner dans notre appartement.)


Ryô tapa machinalement sur la portière," Je te la confie Ryô ", annonça-elle d'une voix déterminée. " Et surtout n'oublie jamais à quel point vous avez besoin l'un de l'autre ", ajouta-elle précieusement.


( Je ne veux plus te voir pleurer.)


La vitre baissée, leurs regards s'accrochèrent longuement , témoignant de l'amitié qui les unissait et de cette reconnaissance éternelle qu'ils éprouveraient toujours l'un pour l'autre. Rassurée mais le cœur étrangement lourd, la jeune femme tourna finalement la tête, se mordant la lèvre inférieure pour ne pas recommencer à pleurer. Et dans un dernier signe d'adieu, elle s'engagea rapidement dans le circulation pour disparaître dans la lumière du jour.


( Je veux partager avec cette toi cette souffrance que tu voulais tant me cacher.)


Prenant un grande respiration, Ryô se retourna prestement, contemplant une dernière fois l'immense bâtisse qui se dressait devant lui. Son cœur s'affola, ses doutes revenant au galop. Secouant la tête pour chasser ses idées noires, il offrit son visage au soleil, puissant la force et le courage qui lui manquait soudainement dans ses rayons bienfaiteurs.


( Apprends-moi Kaori... Montre-moi comment faire... je ne sais pas aimer... je ne sais pas pleurer... Je n'ai appris qu'à tuer.)


Ses pas rapides et assurés l'amenèrent en quelques secondes devant la porte de l'immeuble. Il ferma instinctivement les yeux, happé une nouvelle fois par ses doutes et ses propres peurs qui remontaient péniblement à la surface. Quelques secondes passèrent avant qu'il ne pose délicatement sa main sur la poignée, contrôlant aussi bien que possible les légers tremblements de ses doigts.


( Et si jamais tu manques de courage et de force, ma belle, je serai là toujours pour te porter... encore et encore jusqu'à ce que ton corps et ton âme te mènent à cette paix intérieure que tu penses avoir perdue pour l'éternité.)


Se passant une main fébrile dans ses cheveux emmêlés par la pluie, Ryô scruta rapidement l'intérieur de l'immeuble, étonné de voir la cage d'escalier baignant dans une luminosité presque céleste. Il foula le sol de l'entrée de ses pas nerveux et rapides, savourant intérieurement le calme de l'endroit.


( Rappelle-toi Kaori... N'oublie jamais que City Hunter c'est toi et moi !)


L'estomac noué, il monta les escaliers avec le même empressement qu'il les avait descendus, voilà quelques heures. Son souffle résonnait bruyamment à ces oreilles et son cœur qui cognait frénétiquement dans sa poitrine, menaçait étrangement d'en sortir.


( Aie confiance, mon Sugar Boy... Aussi longtemps que ce monde me le permettra, je ne quitterai plus jamais.)


Arrivé sur le palier de l'appartement, il ouvrit prestement la porte, un bruit sec attirant l'attention de Kazue qui prenait un café dans le salon. Mais sans perdre la peine de la saluer, Ryô se dirigea directement vers cette chambre où il savait qu'elle l'attendait. Vers cette chambre où il savait qu'il la trouverait.


( Je suis là Kaori... Je reviens pour ne plus jamais partir.)


Alors son cœur fit en bond. Un soubresaut tellement violent qu'il crut qu'il allait cesser de battre. Elle était là. Face à la fenêtre. Sa silhouette baignant dans un magnifique halo de lumière.


( Kaori ? )


Sous le charme de cette image, Ryô resta bouche bée, ses émotions l'inondant encore et encore dans un rayonnement de douceur. Son cœur se manifesta une nouvelle fois, explosant dans son corps en milles sensations enivrantes. Les paupières à moitié closes, il s'immobilisa alors sur le seuil de la porte, son regard glissant longuement sur cette silhouette, si fragile et si forte à la fois, qui observait, dans un silence apaisant, l'animation de la rue.


( Retourne-moi, ma douce. )


Il ouvrit le bouche mais aucun son ne sorti. Terrassé tant par l'émotion que par l'appréhension de la réaction de Kaori, les mots restaient cruellement bloqués dans sa gorge, comme si on voulait lui imposer une dernière épreuve.


( Kaori ? )


Il la vit tressaillir. Il remarqua cette main délicate qui s'accrochait étrangement au fin rideau. Elle frissonna une seconde fois, lâchant le bout de tissu dans un geste gracile. Et comme si elle avait entendu son appel, Kaori se retourna prestement, rencontrant ce regard qu'elle aimant tant. Troublée, elle détourna les yeux.


( Non Kaori.! Pas ça... Ne me fais pas ça... Regarde moi ! Regarde mon amour ! )


Les yeux écarquillés de stupeur, les deux partenaires se rendirent compte que Ryô venait de parler à voix haute. Kaori, rouge de confusion, baissa les yeux dans une attitude tellement familière venant d'elle alors que Ryô, ne sachant comment réagir, bégaya quelque chose d'incompréhensible. " Kaori ? ", n'y tenant plus, Ryô s'approcha doucement d'elle, dans une démarche souple et féline. Il articula tendrement " Kaori regarde-moi, ma douce ! "


Touchée par l'émotion de cette voix, la jeune femme accepta de lever les yeux. Leurs regards s'accrochèrent longuement, avidement, comme s'ils se découvraient pour la première fois. Le cœur de Ryô se serra à la vue des cernes rougies et violacées qui soulignaient les yeux brillants de sa partenaire. Un sentiment de honte déferla dans ses veines, avec une force méprisante, comme pour lui rappeler ce qu'il lui avait fait. " Pardon ", articula-t-il d'une voix tendue en prenant la main de la jeune femme.


Troublée, la jeune femme regarda cette main ferme et robuste.


"Pardon " répéta-t-il avec plus de véhémence alors qu'il l'attirait tendrement à lui, incroyablement impatient de la sentir près de lui. Mais un peu inquiet de la réaction de sa partenaire, il se fit le plus doux et le plus amoureux des hommes, restant attentif aux moindres réactions de ce corps tant aimé.


Mais elle ne se raidit pas.


Elle ne le repoussa pas.


Alors, son corps et son âme vibrant d'un amour pour elle, il entoura Kaori de ses bras puissants et chaleureux, enfouissant sa tête dans la douceur de son cou. " Kaori... Pardonne-moi ", gémit-il, la serra encore et encore, collant son corps contre le sien. Mêlant sa chaleur à la sienne.


Des larmes coulant sur ses joues, elle s'abandonna totalement à cette étreinte, lui murmurant quelque chose à l'oreille " Il n'y a rien à pardonner Ryô... Rien du tout... je comprends, Ryô... je comprends tellement ", elle sentit les mains de Ryô remontaient jusqu'à ses épaules, anéantissant les quelques centimètres qui les séparaient encore.


Rassuré par ces mots qu'il rêvait d'entendre, Ryô posa délicatement ses lèvres sur la peau laiteuse de son cou avant de remonter lentement vers son oreille. Et là, il lui dit une chose extraordinaire " Oh Kaori... ne vois-tu pas simplement que je t'aime ? "


Quartier de Shinjuku,

Rue de Harajuku,


Deux mois plus tard...


La pleine lune s'affichait fièrement dans le ciel étoilé de juin, narguant de tout sa rondeur lumineuse les quelques fins nuages qui désespéraient de trouver leur place dans cette magnifique peinture céleste.


La voix rauque s'éleva bruyamment parmi le foule qui déambulait dans la grande rue de Harajuku, en cette superbe nuit. " Kaori... Non... je t'assure que je ne bosse pas pour Saeko derrière ton dos ", tenta de s'expliquer Ryô, le téléphone portable collé à l'oreille. " Non... Mais... Kao... Eeeeeh... Arrête un peu de râler et écoute moi..." vociféra-t-il tellement fort que les passants tournèrent la tête en passant à côté de lui.


Au même moment, un homme et une femme sortirent du restaurant d'en face. L'homme, vêtu élégamment d'un complet sombre de couleur bleu, donnait l'image de parfait gentlemen. La femme, une jolie brune au teint un peu halé , était tout aussi charmante mais le sourire crispé qu'elle affichait trahissait cruellement sa timidité.


" Kaori... Je te promets de rentrer le plus rapidement possible... oui... Miki est toujours là ?... Bien... Dis- lui de rester dormir... Je n'aime pas te savoir toute seule... A plus tard, ma belle ", conclut-t-il un doux sourire sur les lèvres.


Le couple s'arrêta quelques instants, bavardant gaiement.


Un coup de coude dans les côtes et Ryô sortit de ses pensées. " Ryô ?", le voix était cassée par l'alcool et la cigarette. "Regarde Ryô... c'est lui... c'est cet homme ". Les sourcils froncés et le regard noir, Ryô rangea rapidement son portable dans sa poche et détailla avec froideur l'homme qu'Eiji désignait du doigt.


La jeune femme se mit à rougir entre deux petits gloussements.


" T'es sûre de toi, Eiji ? ", tout en parlant Ryô s'alluma une cigarette. " A 100% Ryô... Je suis peut-être un alcoolique pathologique mais j'ai une très bonne mémoire des visages ", annonça-t-il, faussement offusqué du manque de confiance de Ryô à son égard. " C'est bien cet homme qui accompagnait Kaori... J'en mettrai ma main à couper ".


L'homme posa sa main sur la taille de la jeune femme et l'invitant à repartir.


" Ok Eiji... je te fais confiance ", rétorqua Ryô ne lâchant pas une seule seconde des yeux l'homme en question tout en s'allumant une cigarette.


Le couple s'arrêta une nouvelle fois, devant une petite ruelle. L'homme se mit alors à faire de grands gestes, montrant sa montre à la fille. Confiante, la jeune femme observa quelques instants le chemin que l'homme souhaiter emprunter avant d'acquiescer d'un signe de tête.


" Bon Eiji... je crois que je vais devoir te laisser", annonça tranquillement Ryô.


Le couple re remit en route, bifurquant la venelle dans l'indifférence la plus totale. La rue était bondée de monde mais aucun de ces citadins en mal de divertissement ne se doutait que la jeune femme qu'ils venaient de croiser quelques secondes plus tôt avait pris le chemin de l'enfer.


Qui aurait pu deviné d'ailleurs ?


Qui aurait pu se douter que derrière les manières façonnées et les airs de parfait gentleman de cet homme se cachait la pire monstruosité humaine ?


Mais Ryô, lui le savait. Et il était peut-être le seul à le savoir.


Alors, exhalant une dernière bouffée de cigarette, Ryô se détacha prestement du mur sur lequel il était appuyé depuis deux bonnes heures déjà. Son regard, aussi noir que la cendre de sa cigarette, glissa naturellement de l'entrée de la ruelle sur son précieux informateur. " Surtout Eiji, tu fais comme on a dit... Et je t'en prie... N'essaie pas de jouer aux héros ", annonça-t-il d'une voix incroyablement posée.

Intrigué par ces paroles inappropriée pour la situation, Eiji leva ses yeux voilés d'alcool vers le visage du nettoyeur, la dureté de ses traits tranchant étrangement avec le ton de sa voix . " Compris ? ", continua brièvement Ryô en lui offrant son paquet de cigarettes.


Blasé, le petit homme alcoolique accepta le présent mais ne prit pas la peine de répondre. Il eut juste une grimace de douleur en haussant légèrement ses épaules fatiguées par la vieillesse et par la maladie.


" Je compte vraiment sur toi, Eiji..." , tout en parlant Ryô surveillait méthodiquement les alentours." Oh oui... J'allais oublié... une dernière chose... ", articula Ryô en écrasant scrupuleusement son mégot sur le trottoir en béton. " Fais en sorte qu'on ne me dérange pas ", lâcha-t-il d'un ton abrupte avant de se diriger tout aussi précipitamment vers la venelle, sans un seul regard pour son ami.


Un sourire amère se dessina sur les lèvres asséchées d'Eiji. Il n'était pas dupe. Cette demande n'était en rien un service. C'était plutôt un avertissement.


" C'est comme tu veux, Ryô ", répondit Eiji d'une voix tellement faible que même les passants ne pouvaient l'entendre. " Je ferais en sorte qu'on ne te dérange pas", répéta-t-il lentement comme pour se persuader que c'était la meilleure chose à faire.


Les gens bavardaient, riaient à gorge déployée, inconscient de ce qui se tramait dans cette petite ruelle.


Le front plissé, Eiji regarda la silhouette fière et puissante de Ryô se fondre dans l'obscurité de l'allée. Le regard brumeux, il songea simplement qu'il n'aimerait pas être à la place de l'autre. De cet homme qui avait déchaîné la colère et le mépris de City Hunter.


Un jeune couple passa tout près de lui, le bousculant brutalement sans prendre la peine de s'excuser. Il se retrouva par terre, bougonnant contre l'impertinence de la jeunesse Japonaise.

Tout soupir, Eiji resta immobile quelques instants, le temps de permettre à son corps de se reposer. Il devenait de plus en plus vieux et ankylosé, l'alcool et la cigarette ne l'aidant pas à se porter mieux. Grimaçant, il se releva difficilement puis traversa lentement la rue et vint se poster à l'entrée de la petit ruelle en question. Arrivé à destination, il souffla douloureusement, s'installa sur une vieille poubelle fermée et apprécia la vue des jolies femmes-lapins du cabaret d'en face, dans un petit rire lubrique.


L'air de rien, il veillait discrètement, ses pensées se tournant une nouvelle fois vers Ryô.


Ce regard sombre et impénétrable. Cette attitude tranchante. Ce visage impassible et gommé de tous sentiments humains.


Ryô Saeba était en chasse. Le cœur broyé par une rancœur quasiment bestiale et l'âme noyée dans la pire des douleurs. Il refusait de lâcher prise tant qu'il n'aurait pas capturer sa proie et assouvit son besoin de justice.


Son instinct de tueur était toujours là, enfoui au plus profond de son cœur, jaillissant au moment où l'on l'attendait le moins comme la pire des sentences. Dans ces moments là, il ressemblait à une sorte de fauve. Un fauve d'une férocité sans nom qui n'hésitait pas à sortir ses griffes acérées lorsque le besoin s'en faisait sentir. Et Eiji connaissait ce Ryô là. Froid et professionnel. Efficace et solitaire. Sans pitié.

Un être avait osé toucher à la partenaire de City Hunter. Sans le savoir, il avait signé son arrêt de mort. Sans en avoir conscience, il venait de se mettre à dos le tueur numéro Un du Japon.

Ryô allait le faire payer. Méthodiquement. Douloureusement.


Eiji lâcha un soupir à fendre l'âme et s'alluma une petite cigarette. Pour dire la vérité, il n'aimait pas la tournure que prenait les événements. Le Ryô Saeba qu'il côtoyait depuis plus de deux mois maintenant lui faisait un peu peur. Obnubilé par son désir de vengeance, Eiji avait peur que son ami en oublie ce qu'il était réellement devenu en vivant au côté d'une jeune femme aussi exceptionnelle que Kaori.


Fatigué par ces réflexions incessantes, Eiji sortit une petite bouteille de whisky de son vieil imperméable troué et, dans un charabia incompréhensible, but à la santé de son camarade, priant pour que tout se passe aussi bien que possible.



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