Vice-versa

- Alors Fred, je ne te vois plus dans le canapé le matin.

- Donc tu me refourgues une lieutenante complètement maso mais tu t'inquiètes de voir que je ne squatte plus mon bureau ?

- Ah ! C'est une lieutenante maintenant ? Plus une handicapée ?

- J'ai trouvé un endroit où crécher. Chez un ami.

- J'espère qu'il ne fait pas partie de ces « amis » qu'en tant que flic, tu devrais éviter à tout prix.

Caïn posa simplement une main sur l'épaule de son ami, pour lui dire de ne pas s'inquiéter. Il ne dormait chez personne de douteux mais en revanche doutait que Jacques approuve son refuge. Depuis presque une semaine, il dormait chez Delambre. La lieutenante ne devait presque jamais monter, il lui suffisait donc de se glisser par la fenêtre après qu'elle ait été se coucher et se s'éclipser au matin sans un bruit.

Durant la période de Noël, Delambre prit des vacances et partit rejoindre sa mère. De son côté, Caïn ne parvint à négocier que le réveillon et jour-même avec sa femme et son fils. Et même si elle le laissa dormir chez eux, il dut se contenter du canapé.

Dans ces conditions, la chambre chez la lieutenante était devenue un domicile secondaire. Il avait pris soin d'épousseter les draps et de faire ami-ami avec le voisin qui, bien que le voyant souvent, ne savait pas bien d'où il sortait.

oOo

- Qu'est-ce que c'est lieutenant ?

- Ouvrez.

Caïn déchira le papier rose bonbon pour découvrir un petit panier de basket à accrocher au mur et son ballon. Il lança un regard étonné à Delambre.

- C'est un cadeau de Noël, une idée de ma mère.

- Et bien … merci Delambre.

Sans trop savoir quoi ajouter, il passa devant elle pour se poster à l'entrée du bureau, là où il avait le plus de recul pour l'envisager le placement de ce nouvel élément.

- Vous portez du parfum capitaine ?

- Non. Pourquoi ?

- Pour rien …

Le soir venu Caïn resta jusqu'à être le dernier avant de prendre la direction de chez Delambre. En arrivant il vit que les lumières étaient déjà toute éteinte. Il grimpa au mur sans bruit. Il avait ajouté quelques appuis discrets qui lui permettaient de ne laisser aucune trace visible, malgré ses passages répétés. Il accueillit volontiers le lit et s'endormit rapidement.

Il fut réveillé dans la nuit par un cliquetis métallique. Sans se poser de questions il attrapa son arme et la pointa en direction du son. Il se retrouva alors face à un autre canon dirigé vers lui et se rendit compte qu'un de ses poignets était entravé.

- Je ne vous imaginais pas de ce genre-là, lieutenant, dit-il en tirant sur les menottes qui l'attachaient au lit.

- Depuis quand est-ce que vous rentrez par effraction chez moi ?

- Comment vous avez deviné ? … L'odeur, c'est ça ? Je pensais que vous ne montiez jamais ici.

- Presque jamais. Deux fois l'année je viens faire le ménage. Dès que je suis rentrée, j'ai su que quelqu'un squattait ici. Alors, depuis combien de temps ?

- Ça doit bien faire un mois maintenant.

- Pourquoi est-ce que je ne vous ai jamais entendu ?

- Je rentre par la fenêtre.

Delambre commençait à baisser son arme. Caïn l'imitait espérant l'encourager à un dialogue plus pacifique. En certaines circonstances il adorait parler avec un pistolet sur la tempe mais elles n'étaient pas réunies aujourd'hui. Il avait beau réfléchir à quoi répondre ensuite, il n'avait aucune idée de la question qu'elle allait poser.

- Pourquoi ? Pourquoi vous venez dormir chez moi ?

- Moretti ne vous a pas dit ? Je me suis fait jeter de chez ma femme.

- Pourquoi chez moi ?

- Concours de circonstance. Je suis venu ici durant notre enquête sur Azo. J'ai trouvé l'endroit sympa et je me suis dit que vous n'en sauriez jamais rien.

- Je vais vous faire payer plein pot, lui dit-elle simplement avant de se retourner et de sortir.

Caïn se retrouva seul, attaché au lit. Heureusement pour lui, comme il avait commencé à faire comme chez lui ici, il avait quelques affaires dont son petit kit doigt de fée. Il eut d'ailleurs besoin de plus de temps pour l'attraper que pour se détacher.

Le capitaine décida même de reprendre sa nuit là où il l'avait laissé. L'un des avantages non négligeables que lui conférait sa position étant de connaître assez précisément le rythme de vie de sa lieutenante. Ainsi il se réveilla avant elle et eut juste le temps d'aller à la boulangerie pour déposer quelques viennoiseries sur sa table à manger alors qu'elle était dans la salle, ayant pris soin, avant de partir, de laisser quelques affaires à lui en évidence dans la chambre. Leur sort déterminerait le sien.

- Je te trouve bien souriant ce matin Fred.

- Tiens Jacques, une tartelette.

- Si tu crois m'acheter avec ça, répondit-il en saisissant le paquet.

Caïn savait qu'il s'était débarrassé de son ami pour le moment, comme une façon de le remercier. Cependant à la prochaine occasion, il ne se détournerait pas si facilement.

Delambre arriva une bonne demi-heure après lui. Caïn la remarqua quand elle entra dans son bureau et ferma la porte derrière elle. Sans s'arrêter, elle jeta un sachet de papier kraft que Caïn reconnut comme celui de la boulangerie.

- Je n'aime pas les pains aux raisins. Tâchez de vous en souvenir.

- Bien cheffe.

Mais elle était déjà sortie. Durant la journée, elle ne fit aucune autre allusion à sa présence chez elle et le soir venu, Caïn rentra par la fenêtre une fois toutes les lumières éteintes, comme à son habitude. Elle n'avait pas colmaté l'ouverture et ses affaires étaient toujours là. Ainsi donc elle acceptait cette drôle de cohabitation.

oOo

Dans les jours qui suivirent, ils ne se croisèrent même plus. Il déposait toujours sur la table le petit-déjeuner frais acheté à la boulangerie. Elle ne lui rendait plus ses commentaires au commissariat mais laissait simplement ce qu'elle n'aimait pas et il en faisait son repas du lendemain matin en s'adaptant. Il sut bientôt par cœur ce que Delambre aimait et n'aimait pas.

Le vendredi matin cependant il trouva un post-it sur la table. « Ok pour ce soir mais ce week-end, vous vous trouvez un autre endroit ». Samedi matin, Caïn dévalisa la boulangerie. Il repassa chez Delambre pour lui déposer sa part et fila chez lui, enfin l'endroit qui était censé l'être.

Il prit son plus beau sourire quand Gaëlle lui ouvrit la porte, essayant de mettre en avant autant sa bonne foi que les croissants. C'est finalement Ben qui le sauva en arrivant derrière sa mère et en montrant tant d'enthousiasme qu'elle n'eut pas le cœur à refermer la porte.

Après le petit-déjeuner, Ben se proposa d'accompagner Caïn pour son jogging. Ce dernier accepta de bon cœur. Ces derniers temps il avait molli dans sa discipline à courir régulièrement. À midi, Gaëlle avait fait assez à manger pour eux trois alors il resta.

Il appliqua tout son après-midi à se rendre utile pour ne pas se faire chasser et aida même à la cuisine du soir malgré ses talents pitoyables. Ben monta se coucher tôt, leur laissant la voie libre.

- Il y a quelque chose de changé, Fred.

- J'ai complètement arrêté de piquer dans les saisies et en dehors de ça, je ne touche presque plus à la daube. Gaëlle s'il te plaît, laisse-moi revenir.

- J'ai besoin de temps. Si je t'ai à la maison je ne peux pas réfléchir posément.

- Mais j'ai fait ce que tu m'as demandé. La vie avec toi, avec Ben, me manque. Jacques se sent obligé de m'apporter le petit-déj' chaque matin parce que je dors sur mon canapé au SRPJ.

- Avec toi tout est simple. Mais ce n'est pas toujours le cas.

- Je pourrais au moins rester le week-end ?

oOo

En s'étirant le lendemain matin, Caïn passa un bras autour de Gaëlle. Il aimait avoir sa chaleur près de lui, pouvoir la couvrir toute entière comme pour la cacher du monde où l'en protéger.

- Dis-moi, c'était juste un coup comme ça où …

- Je reste sur ce que j'ai dit Fred. Mais … il est envisageable que je t'accorde les week-ends.

- Je t'aime.

- Tu sais, parfois même tout l'amour du monde ce n'est pas assez.