Changer de point de vue
Borel frappe à la porte. Il a déjà fait plus d’une dizaine de maisons depuis le matin pour vérifier les alibis de toutes les personnes ayant envoyés des mails avec menace. Une vieille femme lui ouvre et l’invite à entrer avant même qu’il lui ait montré son badge.
- Vous venez pour le courriel c’est ça ?
- Oui madame. Pourquoi est-ce que vous avez envoyé cette menace ?
- Je l’ai fait sur le coup de la colère. Je suis sûre que c’est ce Toussaint qui a tué mes chats.
- Vos chats ?
- Mon voisin les déteste, c’est lui qui le lui a demandé.
- Madame vous savez que Toussaint a été tué ?
- Comment ?
- Alors à cause de votre e-mail je dois vous poser la question que faisiez vous lundi entre 6h et 6h30.
- Je dormais, seule.
Tous ses interrogatoires se déroulent de la même façon. Les suspects commencent par accuser Toussaint et quand il leur demande leur alibi, tous dormaient. Borel peut donc faire une croix dans sa liste et aller jusqu’à la prochaine maison. Le point positif c’est, qu’au moins, la plupart des clients de la boutique habite les quartiers aux alentours. À la fin de la journée il a l’impression de connaître par cœur cette partie de la ville. Pourtant même après avoir sillonné les rues pendant des heures il n’a pu rayer que deux noms de sa liste.
Quand il rentre enfin au SRPJ, l’ambiance est glaciale. Il ne reste plus beaucoup de policiers mais c’est le même trio que d’habitude qui plombe l’ambiance. Legrand est prétendument plongé dans ses dossiers mais Borel le voit fulminer. Dans le bureau, Fred et Lucie se disputent. Au fil des années Borel a pu assister à beaucoup de leur affrontement. Celui-ci a quelque chose de très différent.
Lucie dans le corps de Fred sermonne ce dernier mais lui reste léger et souriant. Legrand leur jette de temps à autre des regards noirs. Il toise même Borel quand celui-ci s’approche du bureau pour entrer.
- Si c’est quand même un peu drôle, dit le capitaine. Tiens Nassim ! Quoi de neuf ?
- Ma liste de suspects m’a pas beaucoup diminué en revanche j’ai relevé certains éléments intéressants. Presque toutes les personnes que j’ai interrogé ont accusé Toussaint de leur avoir causé du tort, j’ai notamment beaucoup de cas d’animaux de compagnie qu’il aurait tué.
- Est-ce que quelqu’un l’aurait tué pour un chat ? Ou bien il est passé à la vitesse supérieur et on l’a assassiné par vengeance.
- Je veux bien Fred mais dans ce cas que fait-on de Malecco ?
- Allons l’interroger encore une fois, je m’en suis fait un passe-temps. Et toi Nassim …
- J’ai une idée que je voudrais explorer.
- Très bien. Allez tu viens « Fred » ?, dit Caïn.
- On est obligé d’y aller maintenant ? J’en ai plein le dos.
Lucie paraît effectivement exténuée depuis que Fred a exposer l’idée de crapahuter encore dans Marseille. Malgré cela, son devoir de policier comme le dynamisme du capitaine ont raison d’elle et elle finit par suivre Fred hors de la pièce. En sortant cependant sa roue tape dans le chambranle de la porte.
- Putain de chaise roulante !
Tout le SRPJ devient soudainement aussi silencieux qu’une pierre tombale. Fred s’approche pour apaiser Lucie et il décide de la pousser jusqu’au dehors. En voyant cela Legrand Bondit de son siège et n’est retenu que par Borel qui lui demande de convoquer au plus vite la famille Fizza.
- Peut-être que je devrais tout simplement casser la gueule du capitaine.
- T’es sérieux Aimé ? Je ne suis pas sûr que ça s’améliore ta relation avec Lucie.
- À moi ça fera drôlement du bien toujours. Tu crois que je les vois pas depuis ce matin.
- C’est vrai qu’en ce moment ils sont un peu sans dessus dessous.
- J’aurais pas dit ça comme ça moi, parce que tu ne sais pas la dernière. Lucie m’a dit qu’elle allait chez sa mère ce soir.
- Elle a peut-être besoin d’une pause.
- Pourquoi tu prends leur défense comme ça ?
- Parce que je les connais depuis longtemps et qu’aujourd’hui ils sont plutôt calmes et joyeux dans l’ensemble alors je ne vais pas te laisser les mettre de travers.
- Je pourrais t’en coller une Borel.
- Tant que tu laisses Fred et Lucie tranquilles ça me va.
Legrand met une droite à Borel.
.o0O0o.
Fred est assis au volant de la voiture, Lucie au passager. Elle a le regard dans le vague, c’est comma ça depuis que Fred a pris les choses en main. Elle s’est laissé mener jusqu’à la voiture. Fred a dû l’aider pour y grimper avant de démonter lui-même le fauteuil. Durant tout le trajet, elle n’avait pas dit le moindre mot.
- Lucie tu veux venir ou tu attends ici ?
- Comment est-ce que tu fais ?
- Je n’ai pas trop le choix.
- Mais … ce fauteuil, ces jambes que tu te traînes. C’est pas une vie. On en viendrait presque à vouloir …
- Se foutre en l’air.
- … abandonner.
- Je suis passé par là aussi. Ne t’inquiète pas, une fois qu’on a trouvé une raison de vivre encore un peu, tout roule comme sur des roulettes.
- Ah ouais ? Et c’est quoi ta raison à toi ?
- Tu veux vraiment qu’on ait cette discussion maintenant ?
Sans attendre de réponse, Caïn sort de la voiture et trottine jusqu’à la boutique. Même si ce ne sont pas les siennes, il se sent plus léger depuis qu’il a retrouvé des jambes. Il se sent renaître, plus rien ne lui fait peur. S’il avait gardé sa voix il aurait certainement appelé Gaëlle et Ben pour prendre de leurs nouvelles et leur ouvrir son cœur. Seul voile dans sa parenthèse enchantée, Lucie. Elle expérimente sûrement autant l’enfer que lui le paradis. Il essaye d’être présent pour elle mais si leur … situation rend certaines choses plus simples, pour d’autre en revanche, avoir face à soi son propre reflet est un frein.
La boutique ne porte plus de trace de ce qui c’est passé. Dans le salon de thé, tout est normal même si l’arrière-boutique est encore scellé. Aimé Malecco échange tranquillement avec une femme autour d’un thé. Ils s’arrêtent de parler pour le regarder entrer.
- Bonjour capitaine.
- Bonjour Aimé, je vous dérange ?
- Non pas du tout je discutais avec une amie de longue date. Simone je te présente le capitaine Frédéric Caïn.
- Enchantée madame.
- Bonjour.
Caïn fut surpris d’entendre Lucie derrière lui. Sa voix lui est toujours étrangère ou presque. Elle a l’air un peu à l’ouest mais est venue quand même. Aimé la salue et la présente ainsi qu’il l’a fait pour le capitaine. Son amie s’étonne du prénom de Lucie pour un homme mais le trouve seyant. Lucie la remercie distraitement.
- Nous étions venus pour vous poser d’autres questions sur Toussaint.
- Allez-y.
- Il vaudrait peut-être mieux que votre amie …, commença Fred.
- Vous saviez que votre neveu tuait des chats sur commande ?, attaque Lucie. Vu votre réaction vous le saviez. Est-ce qu’il ne faisait que les chats ? Vous aussi vous zigouillez des animaux de compagnie ?
- Moi ? Non. Je respecte l’éthique de notre profession.
- Mais pas Toussaint. Lui ce qu’il aimait c’était causer la mort. Et c’est pour ça qu’on l’a tué.
- Et bien alors vous aurez fort à faire, déclare Simone. La moitié du quartier lui en voulait pour quelque chose à ce gamin et avec la porte qui ne fermait pas …
- Vous n’aviez pas le droit de communiquer les informations de l’enquête, s’énerve Lucie.
- Je suis désolé. Je n’ai jamais rien pu lui cacher mais elle sera la seule au courant.
- Vous n’avez rien contre Aimé ! Et s’il n’y a pas de traces sur la porte vous ne pourrez jamais savoir qui c’était.
Lucie s’apprête à répondre mais Fred attrape le fauteuil et la pousse vers l’extérieur.
- On en reparlera plus tard.
Une fois dehors Lucie se libére. Elle sa lance dans un équivalent roulant des 100 pas. Caïn la laisse un moment puis se met sur sa trajectoire pour l’arrêter.
- Je sais ce qu’on va faire.
- Pourquoi tu m’as sorti ? Il est pas net ce gars. Il nous cache toujours plus d’informations. À chaque fois qu’on découvre quelque chose il le savait mais ne nous avait rien dit …
- Lucie je suis d’accord avec toi mais sa pote Simone a raison. Tant qu’on n’a pas de preuve on ne peut rien faire.
- Mais on n’aura jamais de preuve ! Il y aura toujours cette histoire de porte de secours.
- Est-ce qu’on allait régler ça en lui criant dessus ? Alors maintenant tu montes dans la voiture toute seule ou c’est moi qui le fait. Je vais t’emmener quelque part.