Partenaire
La scène avait quelque chose de surréaliste que Caïn ne parvenait pas à assimiler. On était en plein milieu de la nuit mais il faisait presque jour sauf que les lumières étaient bleus et rouges. La police aussi était là. Caïn avait beau chercher Lucie du regard il ne la trouvait nulle part dans cette foule en uniforme. À aucun moment il ne vit Alice non plus.
À très peu de temps d'intervalle deux ambulances fermèrent leur porte et s'éloignèrent. Borel s'occupa d'interroger les membres du corps médical resté sur place pendant que Caïn allait voir les policiers pour avoir une idée de ce qui avait bien pu se passer.
- Le lieutenant Alberti venait de faire sortir le commandant Delambre de son abri quand Évelyne Poisson est arrivée. Elle a ouvert le feu sur les deux agents. Alberti a riposté. Le commandant est blessé mais rien de grave, la balle a pénétré l'épaule. L'état de la tireuse est plus critique, le lieutenant Alberti l'a touché au thorax et même si son tir était légèrement désaxé, elle lui a frôlé ou perforé un poumon.
- Où est Lucie ?
- Les blessées ont été emmenées à l'hôpital. Le lieutenant Alberti est partie avec le commandant.
Borel vit du coin de l’œil quand le capitaine retourna vers sa voiture. Il mit donc fin à l'interrogatoire pour aller le rejoindre. Il avait obtenu à peu près les mêmes informations que le capitaine. C'était Évelyne Poisson qui avait tiré. Lucie était amochée mais hors de danger. Ils ne parlèrent que de l'enquête jusqu'à l'entrée du CHU. Ils n'eurent même pas à aller à la réception car Alice les attendait dans le hall.
- Je suis désolée Fred. J'ai merdé. Je n'ai vu l'autre qu'au dernier moment et puis j'aurais dû te rappeler juste après mais je n'y ai même pas penser. Je suis tellement désolée.
- Alice, les médecins m'ont dit qu'elle était simplement blessée.
- Oui mais je t'avais promis qu'il ne lui arriverait rien.
- Où est-elle ?
- Suivez-moi.
Fred et Nassim sur les talons, elle se dirigea vers l'ascenseur sans un mot. Elle était si tendue qu'avant d'avoir atteint leur étage le capitaine lui avait pris la main pour la rassurer. Sa présence l'aidait à rester calme car elle n'hésitait pas à exprimer ses inquiétudes et ne cachait pas sa peur. Il aurait peut-être aimé pouvoir faire la même chose. Borel lui s'était mis proche d'Alice sans la toucher, simplement pour lui montrer qu'il était là, lui-aussi.
La porte de l'ascenseur s'ouvrit. Pendant quelques secondes Alice fixa le couloir sans bouger puis après l'avoir légèrement serré, elle lâcha la main de Caïn et se mit en marche. Les hommes la suivirent de près. Tous deux sentaient monter en eux comme un sentiment qui aurait trouvé son juste milieu entre le stresse d'avant un examen et l’excitation qui précède un anniversaire. Ils ne tenaient plus en place.
Chacun aurait voulu dire à Alice d'avancer plus vite ou de leur dire où était Lucie pour qu'ils s'y rendent mais aucun ne le fit. Caïn pensait que Borel était le plus légitime à s'impatienter comme un enfant et le lieutenant, lui, estimait que c'était à Caïn de taper des roues tout simplement parce qu'il s'agissait de Lucie. Alice tremblait légèrement lorsque enfin elle s'arrêta pour ouvrir une porte.
Lucie était là, assise dans son lit, tout de blanc vêtue, l'épaule enrubannée dans des bandages et des compresses. Elle avait peut-être le teint un peu pâle mais son sourire illuminait la pièce. Borel fut sur elle en quelques pas et la fit disparaître sous lui, dans une étreinte où transpirait le soulagement. Alice prit sa place au pied du lit comme un chien de garde s’assoit au pied de son maître, la posture droite et l’œil alerte. Elle restait assez proche de la commandante pour la toucher mais pas assez pour imposer sa présence à ses côtés.
Quand Borel la laissa enfin partir il avait les yeux rouges de larmes qui n'avaient pas coulé. Toute l'attention de la commandante fut alors sur Caïn. Il était resté à l'entrée de la chambre. Il respirait profondément et souriait avec une sincérité rare. Ses yeux, outre leur légère humidité, faisaient passer mille émotions qu'il cachait habituellement. Le téléphone, le cri, les coups de feu avaient presque fait dérailler sa vie. Une simple vision de Lucie avait suffit à tout remettre en place.
Caïn s'approcha d'elle lentement. Instinctivement Borel s'était reculé d'un pas. La chambre était soudain devenue silencieuse et les deux lieutenants se sentaient comme rejetés hors de la bulle qui s'était formée autour de Caïn et Lucie. En étant dans la même pièce, ils leur semblaient pourtant qu'ils étaient si loin de leurs supérieurs. D'ailleurs ni Caïn, ni Lucie ne l'auraient remarqué si l'un d'entre eux avait quitté la pièce.
Il accouda son fauteuil au lit et prit la main de Lucie. Ils se regardèrent les yeux dans les yeux tout un moment avant que Caïn baisse le regard sur leurs mains jointes qu'il leva pour frôler les doigts de Lucie de ses lèvres.
- Plus jamais tu ne me fais peur comme ça. Plus jamais. J'ai déjà perdu mes jambes. C'est assez.
- Je suis désolée, c'est ma faute.
Lucie se tourna vers Alice alors que Caïn ne bougea pas d'un oreille.
- Alice si tu n'avais pas été là, je ne serais plus là.
Puis elle regarda Caïn de nouveau.
- Mais maintenant tout ira bien.
Cela sonnait comme une promesse, comme une déclaration. Caïn et Lucie se fixaient avec une telle intensité que Borel se sentit forcé de quitter la pièce. Seule, Alice ne tint pas 10 secondes avant de céder à ce sentiment de voyeurisme. Elle se leva pour partir mais avant cela elle se pencha sur Lucie et lui embrassa la joue. En partant elle lança nonchalamment :
- Je t'aime. À plus.
- À plus tard, répondit Lucie.
Avant que Caïn n'ait eu le temps de procéder ce qui venait d'arriver, Lucie se pencha vers lui avec un grognement de douleur. Elle passa son bras valide autour de lui et l'étreignit. Caïn resta figé.
- Tu ne devrais pas faire ça. C'est douloureux pour toi avec ton ép …
- Tais-toi Fred.