La remarque de trop
Dès que la minute de surprise fut passée, tous se tournèrent vers Caïn mais il avait déjà filé. Il avait eu besoin de quelques secondes pour dégeler son cerveau qui s'était arrêté lorsqu'il l'avait vu. Il n'en avait d'abord pas cru ses yeux. Son cœur avait fait un douloureux arrêt dans sa poitrine. Elle était là.
Maintenant il lui fonçait dessus. Sa réaction était si étrange que Lucie ne sut quoi faire. Fred passa si près qu'il la fit tomber à la renverse mais il devait l'avoir prévu car il passa immédiatement derrière elle et la rattrapa. Sans une once de compassion il la coinça dans une position plutôt inconfortable et la maintint en lui serrant le cou à l'aide de son bras.
Fred n'avait pas eu le temps de réfléchir. De toute façon cela ne lui avait jamais réussi. Il laissait l'élan de son instinct le guider, souffla un peu pour se calmer et la tenir moins fort. Il se colla pour parler directement dans le creux de l'oreille de Lucie.
- Cette fois je ne te laisse pas partir. J'ai des choses à te dire et tu vas les écouter, de gré ou de force. Je me fous pas mal de ce que tu en penses, je ne peux pas tomber plus bas, j'ai promis à Nassim et à Jacques. Tu m'as abandonné. Tu m'as fait souffrir à un point que je n'imaginais même pas possible. Tu es partie si loin que j'ai mis une putain d'année à te retrouver et puis tu es partie encore. Tu n'imagines même pas comme ça fait mal. Tu m'aurais regardé droit dans les yeux avant de me tirer dessus que ça aurait été moins douloureux. Et tu sais pourquoi ? Je suis dingue de toi. Ça t'en bouche un coin, hein ? Le pervers, l'obsédé qui même qu'il ait obtenu ce qu'il « voulait » continue à te trouver un intérêt. Tu crois qu'on tombe amoureux pour une nuit de sexe ? Si ce n'était que ça, cela ferait longtemps que je me serais trouvé une autre petite lieutenante. Sauf que c'est toi, uniquement toi. Tellement toi que dès que tu t'approches je casse tout. Sans toi je suis comme sans mon fauteuil et puis quand t'es là je joue les paraplégiques dans un magasin de chaussures, j'ai peur, je me cache, je fais des bêtises. Mais même les paraplégiques ont besoin de chaussures. Je suis désolé Lucie, même si t'es partis loin pour être débarrassée, je peux pas. Je t'aime, j'y peux rien.
Cette déclaration semblait avoir drainé toute son énergie car après cela il ne bougea plus. Lucie, elle aussi, était immobile. Nassim avait fini par s'approcher et aida Lucie à se redresser. Il lui trouva un regard étrange ce qui n'avait rien d'étonnant vu comme Frédéric l'avait traité. D'ailleurs ce dernier commençait déjà à s'éloigner sans un regard en arrière.
Nassim allait partir pour lui dire sa façon de penser quand Lucie le retint et l'étreignit. Le lieutenant la sentait si fragile entre ses bras qu'il lui rendit son affection au centuple. Sam observait la scène plus que perplexe. Il commençait à comprendre la complexité de l'histoire de Fred et Lucie. Il ne comprenait pas en revanche comment Nassim faisait pour ne pas être désespéré face à ces deux cas.
Il s'approcha doucement de Nassim et lui effleura l'épaule juste pour lui dire qu'il allait faire quelque chose de son côté. De toute façon il n'était sûrement pas le meilleur pour aider Lucie. Sam regarda les autres. Tous les agents du SRPJ avaient établi un périmètre de sécurité autour du lieutenant. Eux aussi savaient que leur place n'était pas auprès de Lucie pour l'instant alors ils détournaient le regard comme s'il eut été voyeur de remarquer qu'elle pleurait.
Comme sa voiture était garée à l'autre bout du parking, Sam prit celle de Nassim. Il avait eut soin avant de partir d'échanger ses clés avec celles du lieutenant. Sur les jetées de Marseille la décapotable jaune ne fut pas difficile à repérer. Au loin sur les quais, au dessus de la mer, se dessinait la silhouette de Fred.
Celui-ci avait fermé les yeux face à l'océan pour essayer de ne plus sentir que l'iode et la brise marine. Il n'entendit pas Samuel approcher.
- Qu'est-ce qui t'a pris ?
- Je suis amoureux Sam. J'aurais jamais cru que le dire à voix haute ferait tant de bien.
- Tu ne m'apprends rien là.
- Je lui ai tout dit et même plus puisque j'ai ajouté que je me foutais de son avis ou de ce qu'elle en pensait.
- Tu vas faire quoi tout seul avec ton amour ? Allez viens on rentre. Tu me ramènes ?
Fred se tourna vers lui. Il avait toujours la même gravité dans les traits mais quelque chose dans son regard était plus léger. Il leva un sourcil lorsqu'il vit la voiture du lieutenant garée à côté de la sienne, pourtant Sam monta sur la place passager de la décapotable. Fred démonta son fauteuil en essayant d'imaginer la tête que ferait Nassim lorsqu'il l'apprendrait.
Ils discutèrent dans le vent avec passion tout le long du trajet. Plus ils cherchaient à éviter le vrai sujet, plus des choses inutiles leur venaient à l'esprit. Ils s'occupaient tant et si bien que Fred les avait conduit devant chez Lucie sans même s'en rendre compte.
- Alors la légiste avait raison. Tu squattes chez Lucie ?
Fred ne répondit rien. Il avait le visage fermé qu'il arborait quand il était en proie une réflexion intense. Il était déjà en train de passer ses roues au dessus de sa tête. Sam décida de le suivre et sortit de la voiture juste à temps pour marcher aux côtés de son ami jusqu'à la porte. À sa grande surprise Fred sonna. Le capitaine s'expliqua.
- C'est la voiture d'Elizabeth qui est garée devant.
Sam hocha la tête, pas tout à fait sûr de ce à quoi il acquiesçait. À ce moment la porte s'ouvrit. Évidement ce fut Elizabeth qui parut dans l'embrasure. Elle souriait. Mais fait plus marquant, elle portait Julie dans ses bras. Cette dernière explosa en cris dès qu'elle aperçut Fred.
- Baba !
- Ma chérie !