La remarque de trop
Les enfants acceptèrent très vite le nouveau venu après le ligotage réglementaire au radiateur. Ils lui posèrent tout un tas de questions donc deux retinrent particulièrement son attention.
« Est-ce que tu connais l'amoureuse à Fred ? »
« Tu sais aujourd'hui tonton est en princesse mais d'habitude il fait le dragon. Pour protéger sa princesse à lui. Tu sais c'est qui Julie ? »
Ainsi donc Fred se confiait beaucoup plus à ces enfants qu'il n'en avait l'air. Ils le connaissaient sur le bout des doigts comme lui savait tout de chacun de ces gamins. Sam apprit qu'en plus d'être flic, Fred jouait les nounous et les animateurs de colonie tous les après-midis. Les enfants furent ravis de retrouver Nassim à son retour aussi, même s'il était évident que leur rapport avec le propriétaire des lieux était bien différent d'avec le colocataire.
Ils respectaient Nassim comme on le fait pour un adulte, pour une figure de loi sans pour autant lui obéir au doigt et à l’œil alors qu'ils avaient une réelle affection pour Fred, profonde et réciproquement bienveillante. Pour l'instant Sam les amusait simplement, sans plus.
Fred perdit un peu de vie lorsque le dernier des petits monstres fut parti mais paraissait toujours aller mieux que ce que ses nuits suggéraient, mais peut-être était-ce un effet de la perruque. Le lendemain Nassim et Sam récupérèrent Fred sur le trottoir devant un bar. Il n'avait pas bu tant que cela mais s'était battu avec un boxeuse d'au moins deux fois sa taille.
Il avait perdu sa veste et son marcel était déchiré. Quelqu'un avait attaché son fauteuil à un lampadaire. Son nez ressemblait à une patate et avait maculé de sang son menton. L'un de ses yeux était complètement caché par un hématome et plusieurs ecchymoses fleurissaient sur ses bras et son visage.
Sam l'avait chargé sur son dos et Nassim s'était occupé du fauteuil. Fred baragouinait pitoyablement alors que Nassim lui passait un savon.
- Qu'est-ce qui t'as pris bon sang !
- Je sais bas …
- Tu m'avais dis que tu ne mentirais plus.
- Je me suis beut-être dit que deux ou trois bonnes claques me remettraient les idées en blace. C'est bas la bremière fois que je me bats. Tu debrais boir la tête de l'autre.
- Elle n'a rien, crut bon de rappeler Sam.
- Ah ouais ? Et bien …
- Non. Tais toi, ordonna Nassim. J'en ai marre de toi. Tout ça parce que tu ne peux pas dire « Je t'aime » à Lucie. Si tu es incapable de le faire pour vous deux alors fais le pour sa fille.
Fred avait fermé les yeux mais Nassim le connaissait trop bien pour penser qu'il s'était endormi. Il soupira en le laissant jouer sa petite comédie uniquement parce qu'il avait la certitude que ses mots devaient le faire réfléchir. Sam le laissait faire les choses comme il le voulait. Nassim l'aimait bien.
Une fois rendu à la maison il s'était vraiment endormi. Sam le coucha. Nassim vint le nettoyer de son sang. Pour le reste ils verraient au matin. Ils se séparèrent sans un mot, juste un signe de tête. Leur nuit fut agitée mais le capitaine ne se réveilla pas.
Au petit-déjeuner ni Nassim, ni Sam n'avaient très envie de parler alors que Fred agissait comme si de rien n'était, son état pitoyable renforçant encore le ridicule de sa tentative de normalité. Les deux autres se mirent d'accord en un signe de tête, le lieutenant partit au SRPJ, il justifierait l'absence de son supérieur pendant que Sam le traînait aux urgences. Il s'y fit remettre le nez en place. Le reste était des égratignures plus impressionnantes que méchantes.
L' « agresseuse » de Caïn se rendit au SRPJ pour s'expliquer avec le lieutenant. Elle ramena même la veste du capitaine. Sans surprise Frédéric l'avait provoqué outrageusement. Nassim la rassura en lui promettant qu'aucune mesure ne serait prise contre elle. Fred était entièrement responsable de ce qui lui était arrivé. Il n'y aurait pas de plainte.
À peine le capitaine passa-t-il l'entrée que Nassim l'attrapa et le poussa jusque dans son bureau en prenant soin de fermer la porte derrière lui. Le capitaine s'installa négligemment derrière sa table et repositionna la photo de Jacques pour ne plus voir le reflet du soleil.
- Qu'est-ce que tu fous ? Frédéric tu m'avais promis d'arrêter les conneries.
- Ce n'est pas tout à fait ce que j'ai …
- Tu m'avais dit que tu réparerais tes erreurs. Tu ne peux pas le faire si tu en créé sans cesse de nouvelles.
- Ça n'engageait que moi hier soir.
- Non. C'est nous qui sommes venu te chercher, nous qui t'avons ramené et nettoyé. Je suis désolé mais si on est obligé de passer derrière toi, tu n'es pas tout seul.
- Pourquoi tu fais tout ça Nassim ? Pourquoi tu ne me renvoies pas chez moi avec un cul de pied au cul ?
- Malgré tout ce que tu m'as fait … tu es mon meilleur ami. Je ne te laisserais pas te détruire alors qu'il te suffirait de presque rien pour tout remettre en place. Il n'y a vraiment pas qu'au niveau des jambes que tu es handicapé.
Frédéric leva un sourcil mi-amusé, mi-étonné. Il sentait le regard de Jacques sur lui, insistant, critique et affectueux, comme toujours. Ils étaient là. Ses deux amis les plus chers. Sous le poids de leur regard Fred rendit les armes.
- Je promets de ne plus faire ce genre de choses.
Nassim sourit, regarda le cadre et dit avant de sortir : « Merci commandant Moretti ».