La remarque de trop
Tout devint flou ensuite pour Caïn. Il avait l'impression d'être resté immobile et béat mais plus tard des témoins racontèrent qu'il hurlait à la mort. Toujours est-il qu'il resta à la fenêtre assez longtemps pour voir arriver l'ambulance. Il les regarda charger Lucie sur un brancard et l'emmena loin de lui. Encore.
Ce qui se passa ensuite fut très confus dans son esprit. Les bribes d'ascenseur se mélangeaient à celles du bus qu'il avait sûrement pris pour se rendre à l'hôpital. Le monde semblait tourner en accéléré et Caïn avait l'impression d'être bloqué sur le ralenti. Il se trompa trois fois d'arrêt avant d'arriver enfin au CHU.
- Où est Lucie ?
- Bonjour monsieur vous cherchez quelqu'un ?
- Oui. Bonjour. Lucie Delambre.
- Nous n'avons personne de ce nom là, monsieur.
- Et … pour Julie Delarme ? Elle vient d'avoir un accident.
- Service de réanimation. Ce sera au bout du couloir …
Mais Caïn filait déjà vaguement dans la direction que l'hôtesse lui avait désigné du bras. Une fois qu'il eut trouvé la bonne porte il serait rentré si un interne n'avait pas percé son jeu et ne le surveillait pas du coin de l’œil.
Tout le temps qu'il attendit le capitaine ne parvenait à penser à rien d'autre qu'à l'image de Lucie gisant à terre. D'autres flashs lui venaient parfois aussi. Un coup de feu. Lucie qui s'effondrait dans ses bras … Caïn n'y tenait plus. Pourquoi l'avait-il retrouvé si c'était pour l'envoyer encore plus loin de lui ?
Le capitaine ne sut combien de temps il patienta avant que quelqu'un ne sorte de cette pièce. Son destin se jouait si près de lui et pourtant il n'y avait pas accès.
- Comment va Lucie … Julie ?
- Son état était trop faible. Nous avons dû la placer sous coma artificiel pour essayer de la stabiliser. C'est déjà un miracle qu'elle soit encore en vie mais elle est loin d'être sauvé pour l'instant.
- Je peux la voir ?
- Pas dans cette zone mais madame Delarme va être transférée rapidement en chambre. Là vous pourrez la voir.
Lucie entre la vie et la mort que pouvait-il arriver de pire ? Caïn fut soudain pris d'un mal de crâne écrasant. Les informations contradictoires étaient trop pour lui. Il ne souhaitait qu'une chose : s'endormir. S'endormir et ne jamais se réveiller pour quitter ce cauchemar. Mais il ne pouvait pas. Pas si un seul des mots qu'il pourrait prononcer avait une chance d'aider Lucie. Alors Caïn se débattait avec une tête au bord de l'implosion.
- Monsieur venez. Julie Delarme a été installé en chambre.
C'était l'interne qui l'avait observé à son arrivée. Finalement il n'était pas si inutile que cela. Le capitaine se laissa pousser vers l'ascenseur et ils montèrent au 2ème étage. Loin de lui donner uniquement le numéro de la chambre, l'interne l'emmena lui-même jusqu'à la porte 283, l'ouvrit et resta sans rien dire dans un coin de la pièce.
Caïn s'approcha. Lucie était pâle, branchée de tous les bouts. Il aurait voulu sourire de la voir et pleurer de la voir ainsi. Son mal de tête reprit. Il sentait des relents de culpabilité noyé dans cette question qui le hantait : Pourquoi avait-elle fui ? Il avait été évident qu'elle n'était pas ravie de le voir mais il lui aurait suffi de fermer la porte alors pourquoi ? Pourtant lorsqu'il lui prit la main ce ne fut pas pour lui dire cela.
- Salut commandant. Ça fait du bien de te voir. Même si j'aurais préférer que ça se fasse dans d'autres circonstances. J'ai eu un mal de chien à te retrouver. Nassim ne me le disait pas mais j'ai bien senti que tu ne voulais pas me voir, alors d'avance, pardon. Mais j'avais besoin de l'entendre, de l'entendre de ta bouche en te regardant dans les yeux. Et finalement je suis là et toi tu fermes les yeux, tu ne parles pas. J'en suis réduit à parler seul sans savoir si tu es bel et bien de l'autre côté de la porte. Encore.
« J'aurais tant de choses à te dire, à t'avouer, depuis si longtemps. Mais je suis suis qu'un lâche qui ne rassemble le courage d'affronter les choses que lorsqu'il est sûr que son vis-à-vis ne pourra pas riposter. J'ai peur. Peur parce qu'il suffit d'un mot de toi pour que ma vie s'arrête. Si l'inverse s'était produit serais-tu là pour m'appeler dans mon coma ? »
« J'ai le cul collé dan ma chaise de toute façon alors je ne partirais pas d'ici tant que tu ne seras pas réveillée. Si j'avais encore mes jambes je ne t'aurais pas laissé partir. Je t'aurais retenu, je t'aurais fait danser, je t'aurais porter dans mes ras jusqu'à Marseille. Tu n'aurais jamais eu à baisser les yeux pour me regarder ou à me pousser dans les montées. Mais ça n'a aucune importance si tu n'es pas là. Lucie … »
Caïn fut interrompu, l’œil humide, par la sonnerie de son téléphone. Il ne connaissait pas le numéro et n'attendait l'appel de personne. Il regarda l'écriteau interdisant l'utilisation du portable, s'excusa auprès de Lucie et décrocha.
- Allo ?
- Fred ? C'est moi. C'est Sam, Samy, Samuel, le voisin, on vient juste de …
- Oui Sam qu'est-ce que tu veux ? Comment tu as eu mon numéro ?
- J'ai vu ce qui était arrivé à Delarme par la fenêtre. C'est terrible. Elle … elle va bien ?
- Elle est dans le coma pour l'instant et toi tu n'as pas répondu à mes questions.
- Oui pardon. C'est que la porte était restée ouverte … et … d'habitude je rentre pas chez les gens comme ça mais avec le bruit … Ce que je veux dire c'est que je ne serais jamais entré sans …
- Accouche bon Dieu ! Je suis pas d'humeur.
- Ton numéro je l'ai trouvé sur un post-it collé au frigo. Je suis heureux d'être tombé sur toi et pas un autre Fred parce que …
- Bordel Sam tu m'appelles pourquoi ?
- Le bébé pleure si fort qu'il va ameuter tout le voisinage alors je voulais te proposer de m'en occuper jusqu'à ton retour.
- Le bébé ?