Une Saison En Enfer

Chapitre 1 : I Saison - Jadis, si je me souviens bien…

6304 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/11/2022 10:40

I Saison - Jadis, si je me souviens bien…



«Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. — Et je l’ai trouvée amère. — Et je l’ai injuriée.» Une Saison en Enfer – Jadis, si je me souviens bien



L’Europe avait un charme intrinsèque qu’elle ne pouvait définir que d’une manière, rassurante. Le vieux continent avait toujours été prévisible et c’était une caractéristique qui l’avait tout le temps en quelque sorte réconforté. Bien qu’ils eussent conscience que l’équilibre atteint à la fin de la Grande Guerre n’était pas destiné à perdurer, les nations se complaisaient dans le désir de vouloir maintenir le plus longtemps possible cette façade d’éphémère illusion. Les fastes de l’époque passée n’étaient plus qu’un souvenir, une réminiscence d’un temps qui ne reviendrait jamais. L’ombre du passé récent était encore présente dans les esprits des gouvernants qui avaient, en vain, cherché à ramener ce monde à une grandeur désormais épuisée.


Parmi les plus grandes organisations européennes, certaines étaient sorties victorieuses de ce conflit sanglant, d’autres moins. Sur un point cependant, les différents pays étaient unanimement d’accord: ne pas vouloir répéter les mêmes erreurs du passé. Ils se seraient engagés pour que le fléau de la guerre ne reste qu’un lointain souvenir, destiné à disparaître au fil des ans.


Avec ces prémisses poétiques de paix et de prospérité, ce n’était qu’une question de temps avant qu’une nouvelle tempête ne leur retombe dessus. Paul Verlaine avait décidé qu’il allait s’asseoir et attendre ce moment, avec la seule compagnie des échos d’un passé qui s’amusait à le tourmenter et à le consommer. Au fond de sa vie, il ne lui restait plus qu’une mer de souvenirs de saisons révolues.



***



France


- Quelques années avant -


«Tu n’es vraiment jamais allé à Paris?» Le brun regarda l’autre enfant pendant quelques secondes, en méditant sur les mots à utiliser pour donner une réponse exhaustive à ce qui, plus d’une question, semblait être une affirmation et même assez provocante.


Le petit baissa les yeux, se mettant à fixer les pointes de ses chaussures avec un intérêt renouvelé, alors qu’il cherchait encore un moyen de répondre.

Son ami avait raison, il n’avait jamais été dans la capitale, il avait toujours vécu dans les Ardennes mais allait bientôt déménager. Paris était son rêve, la vie à la campagne n’était pas pour lui. Il savait qu’il était destiné à autre chose, même si dans l’immédiat il devait seulement donner une réponse à son compagnon de jeu qui le fixait encore de haut en bas, complice de ces quelques centimètres de hauteur qui les séparaient.


«J’irai l’année prochaine, Charlie» répondit-il en essayant de faire tout ce qu’il pouvait pour être convaincant, mais ce qui sortit de ses lèvres sur un seul murmure. Semblable au miaulement d’un chaton effrayé.


«Paul, nous savons tous les deux que ce ne sera pas le cas, tu iras dans ma propre école, comme l’ont fait nos parents avant nous et comme le feront nos frères» après avoir entendu celle qui, au fond, n’était que l’amère vérité, l’enfant de moins de sept ans enfla les joues en colère avant de reprendre son souffle et d’annoncer solennellement;


«Un jour, je partirai pour Paris et je deviendrai quelqu’un»


C’est à ce moment-là que sa Capacité s’activa pour la première fois et qu’un faisceau de lumière rouge les enveloppa tous les deux, s’étendant jusqu’au bout du pâté de maisons. Ce ne fut qu’une question de temps, mais c’en fut assez pour les terroriser, ainsi que d’autres pauvres passants.


Charles courut à la maison en pleurs, tandis que Paul resta quelques minutes à regarder ses mains incrédules, incapable de faire quoi que ce soit.


Un an plus tard, le petit Paul Verlaine aurait disparu. Pendant ce temps, dans une école privée réputée à la périphérie de la capitale française, le monde se préparait à faire la connaissance du jeune Arthur Rimbaud.


***


Chaque nation européenne pouvait se vanter en son sein de diverses Organisations dans lesquelles se regroupaient des individus possédant des Capacités Spéciales. Parmi les plus célèbres, citons la Tour de l’Horloge anglaise et les Poètes Maudits français, pour ne pas mentionner la Guilde qui, de l’étranger, cherchait depuis toujours à étendre son influence sur les affaires du vieux continent.


Le jeune Rimbaud avait du talent et possédait une Capacité unique en son genre, à tel point qu’il a rejoint le groupe d’élite des Transcendantaux. C’était l’un des hommes les plus influents des Maudits, comme le prétendaient les possesseurs de Capacités d’au-delà des Alpes ; c’est pourquoi, à seulement dix-huit ans, il reçut une importante mission top secrète.


Il était devenu un agent de la brigade antiterroriste, ou du moins, c’était le nom officiel sous lequel les Maudits avaient décidé de se montrer aux yeux du monde. Rimbaud ne pouvait pas encore le savoir, mais cette opération allait changer sa vie pour toujours.


Le Faune avait été vaincu, ainsi que le mouvement antigouvernemental qu’il avait créé. Il avait été assassiné par son propre orgueil, tué par la créature qu’il avait façonnée. Un être artificiel appelé Black N. 12; un monstre qui contrôlait la gravité à sa guise et grâce à cela pouvait annuler toutes les attaques physiques. Rimbaud dans sa brève existence n’avait jamais rien vu de tel. Lorsque Black N.12 a été libéré de l’influence de son créateur, il n’a pas hésité à se venger et à le tuer avant de perdre conscience. Un simple mouvement élégant de la paume de sa main avait suffi pour que la moitié de la structure disparaisse avec le haut du corps de cet homme si fou qu’il l’avait créé.


Ce n’est qu’à ce moment-là qu’Arthur prit quelques instants pour observer cet être; quand il dut le porter sur ses épaules pour le sortir de la structure, ou de ce qu’il en restait.

C’était un monstre si humain, peut-être trop. Il avait un visage parfait, encadré par de fins cheveux blonds longs. Rimbaud n’avait jamais vu une peau aussi blanche ou de si longs cils. C’était un ange qui cachait un démon sous sa propre peau.


Certains de ses compagnons Maudits se moquèrent de lui, qualifiant le prisonnier de "beau prince endormi". Rimbaud ne lui avait pas donné suite; au début, il s’était contenté d’observer ce visage, incapable de donner un ordre ou une définition à ses propres pensées ou sentiments. Black N.12 était une bombe à retardement prête à exploser. Il était parfaitement conscient du degré de dangerosité de cet individu, mais à ce moment-là, alors qu’il était dans ses bras inconscients, une partie de lui voulait le protéger de ce monde qui réfléchissait déjà à la façon de l’exploiter. L’esprit de Black contenait des codes et des informations que leurs ennemis paieraient de l’or pour posséder, de sorte que le gouvernement avait fini par l’étiqueter comme une ressource précieuse.


Il avait laissé le blond se reposer dans la chambre d’un hôtel bon marché qu’ils avaient mis à leur disposition. Il était sous sédatif, donc son absence ne serait pas un problème, surtout si c’était quelques heures. La structure était cependant constamment surveillée par des agents à proximité, de sorte que la population locale ne pouvait courir aucun type de danger.


Rimbaud avait décidé de faire une petite pause en commandant un verre dans le seul bar du pays, espérant ainsi se déconnecter un peu de l’individu qu’il avait laissé inconscient dans sa chambre. Il a fini par rencontrer un collègue. Ils n’avaient échangé que quelques mots, mais c’était suffisant pour qu’il comprenne comment Black était traité dans ce centre de recherche. Arthur ne voulait pas et ne pouvait pas croire, mais au fond, il savait que la cruauté était inhérente au cœur des êtres humains. Black ne l’était pas. C’était un être artificiel. Un monstre qu’il allait livrer au plus vite aux mains du gouvernement français. Il ne devait pas se laisser entraîner. Un espion ne pouvait pas avoir de liens. Il n’avait pas de sentiments.


«Quel est ton nom?» fut l’une des premières choses que la bête lui demanda, en le regardant pour la première fois dans les yeux.


Arthur venait de rentrer à l’hôtel et, à sa grande surprise, il avait trouvé Black N. 12 complètement éveillé alors qu’il errait avec curiosité dans la chambre. Il ressemblait à un enfant observant l’environnement autour de lui avec un regard plein d’attention et de surprise.


«Où sommes-nous donc?»


«A quoi cela sert-il?»


«Pourquoi sommes-nous ici?» avait-il commencé à lui poser des questions et pendant un moment, Arthur a trouvé cela tellement hors de propos qu’il était presque amusant.

Au fond, Black était vraiment comme un enfant. Il ne connaissait rien du monde, et c’était à lui de lui apprendre. Au début, cela l’avait troublé, ne se sentant pas apte à cette lourde tâche, mais maintenant soudainement, cette perspective le titillait. Éducation et supervision, tels étaient les mots exacts écrits noir sur blanc dans le rapport qui lui avait été remis quelques minutes auparavant. Il sentit un frisson d’excitation grandir en lui.


Il fit quelques pas en avant en se refermant la porte derrière lui, en enlevant aussi ses protège-oreilles et son lourd manteau. Il fut secoué par un léger tremblement de froid qui cessa cependant une fois que ses iris croisèrent à nouveau ceux du blond à quelques mètres de lui. Ce fut la première fois qu’il remarqua clairement de quelle couleur ils étaient. Lors de l’assaut du laboratoire du Faune, les yeux de Black étaient complètement blancs, comme ceux d’une bête dépourvue de raison ou de contrôle. Maintenant, le monstre avait pris une apparence humaine, choisissant les traits d’un bel ange déchu créé dans le seul but d’apporter le chaos et la destruction dans le monde.


«Alors?» reprit-il à le harceler en voyant comment l’espion était encore en silence, près du bord de la porte.


«Quoi?» Arthur s’était enchanté sans le vouloir et il était sûr d’avoir manqué quelques mots.


«Je t’ai posé plusieurs questions mais tu n’as encore répondu à aucune. Commençons donc par quelque chose de simple, comment tu t’appelles ?»


Paul


Oui, c’était son nom. Un nom qui ne lui revenait pas à l’esprit depuis des années. Le nom que ses parents lui avaient donné, qui lui rappelait son passé, ce morceau de sa vie qu’il voulait oublier et enterrer dans un coin isolé de son esprit. Un nom qui lui semblait presque étranger à ce moment-là, comme s’il ne lui appartenait plus, comme s’il avait depuis des années, perdu tout droit de l’utiliser. Il revint poser son regard sur la figure devant lui.


Paul


Black N.12 devait avoir un nom, celui-là aussi faisait partie de sa mission. Il devait en attribuer un à cet être artificiel. C’était la première tâche que ses supérieurs lui avaient confiée, c’était indiqué dans le rapport, page 1, deuxième ligne.


«Je m’appelle Arthur» fut tout ce qu’il répondit après quelques minutes de silence. Le blond ne fit pas un pli et ne lui arracha jamais les yeux.


«Je m’appelle Arthur Rimbaud», répéta-t-il calmement, avant d’ajouter «alors que tu es Paul», ce fut à ce moment-là que finalement quelque chose sembla ébranler la cuirasse de l’être artificiel, qu’il prit comme une expression de pure surprise.


«Paul?» demanda confus en inclinant légèrement son visage;


«À partir d’aujourd’hui, tu t’appelleras Paul Verlaine. Tu aimes ça ?»


«Pourquoi me donnes-tu un nom?» Cette réaction l’a pris au dépourvu. Paul semblait presque offensé. Il a commencé à comprendre pourquoi peu de temps après;


«Je ne mérite pas de posséder un nom. Je ne suis pas un être humain, je ne suis qu’un amas de données, une série de codes...»


Il lui a donné une gifle.


Le blond prit une main pour couvrir la joue blessée. Ses yeux convoitaient des réponses. Arthur ne savait pas comment procéder. Il l’attrapa par le bras et le porta devant le miroir mural situé à côté du lit double qui occupait à lui seul pratiquement la moitié de cette pièce.


«Maintenant regarde et dis-moi, que vois-tu?» Paul se retourna avec un sprint que le maure n’avait pas prévue. Il sentit ses cheveux chatouiller son visage mais l’arrêta et obligea à se concentrer sur son propre reflet;


«Nous» fut la réponse ennuyée qu’il obtint.


«Regarde mieux. Nous sommes égaux, vois-tu ? Tu es un être humain comme moi»


Verlaine lui a donné une expression de diva offensée, qu’Arthur aurait plus tard étiqueté comme sa marque de fabrique. C’était le même regard qu’il allait retrouver des années plus tard sur le visage d’un garçon roux.


«Nous ne sommes pas égaux», a-t-il souligné;


«Ne sois pas difficile. Tu vois ce que je veux dire. Tu as été créé par un fou dans un laboratoire et tu as vécu comme une marionnette dans ses mains, mais maintenant, tu as la chance de vivre ta vie. De décider quel chemin parcourir. Tu es le seul artisan de ton destin» n’était pas tout à fait vrai. Arthur savait ce que son gouvernement prévoyait pour Paul, mais ce n’était pas encore le moment pour l’intéressé de les connaître. Il n’avait qu’à gagner la confiance de cette bête, qui lui semblait de minute en minute, tout moins que cela.


«Pourquoi je ferais ça? Je ne le comprends pas»


Arthur prit une longue respiration. Une autre de cette journée. Au fond, Paul n’avait pas tort, il n’avait pas demandé à venir au monde, à être créé, mais cela ne pouvait pas l’empêcher de vivre.


«A partir d’aujourd’hui, je t’enseignerai tout. Ils t’ont confié à moi. Tu deviendras un espion français et nous serons compagnons» le blond observait encore son reflet sur le miroir, comme s’il ne se souciait pas du tout de ces mots, en se limitant à les laisser glisser sur lui.


Arthur fit quelques pas en arrière, lui offrant du temps pour tout traiter. Quand, de façon inattendue, Verlaine reprit la parole;


«Pourquoi Paul?», avait-il de nouveau pris le dessus;


«Il me semblait un nom qui te convenait», se trouva-t-il à répondre sans hésitation.


«Appartenait-il à quelqu’un d’important, n’est-ce pas? Peut-être, quelqu’un à qui tu tenais?» Arthur se retourna et lui tourna le dos.


Il ne pouvait pas répondre à cette question, il y aurait des conséquences fâcheuses s’il l’avait fait. L’espion Rimbaud ne pouvait pas se permettre le luxe de ressentir des émotions. Il y avait renoncé à l’âge de sept ans, quand les hommes du gouvernement avaient frappé à sa porte et l’avaient arraché à ses affections. Il repensa au visage de Charles et à la dernière fois qu’il l’avait vu, à travers les barreaux d’une cellule froide dans une prison. Il avait tout accepté, choisi un nouveau nom de code, de mener une vie dans l’ombre, juste pour poursuivre son rêve d’enfant. En se répétant l’avoir fait aussi pour les intérêts de son pays.


«Peu importe» fut tout ce qu’il dit, cherchant à mettre fin au plus vite à cette conversation. Cette fois, cependant, c’est Verlaine qui l’a arrêté en le saisissant avec force par un pan de sa chemise.


«Tu ne peux pas m’ignorer de cette façon» murmure offensé


«Premier enseignement, ça vas-toi paraître étrange mais sachez que le monde ne tourne pas autour de toi» le blond lâcha la prise comme s’il s’était brûlé.


«Pourquoi as-tu accepté cette charge?» C’est la seule chose qu’il demanda en allant s’asseoir sur le lit, en prenant soin d’éviter tout contact visuel.


«Pourquoi n’es-tu pas encore parti? Avec ta Capacité, ce serait un jeu d’enfant» Paul lui a donné un sourire fatigué, encore immature, preuve qu’il n’avait pas l’habitude de s’ouvrir de cette façon avec quelqu’un. En fait, c’était la première fois qu’il avait une telle conversation, il ne se souvenait pas d’avoir autant parlé.


«Et où est-ce que je vais ? Je suis une expérience»


«Quand cesseras-tu de te voir ainsi?»

«Comment me vois-tu?»


Comme un magnifique démon tentant auquel je dois prêter attention mais en même temps apprendre à vivre.


«Tu es mon partenaire»


Voyant comment le blond souleva un sourcil confus, il essaya de s’expliquer mieux;


«Nous travaillerons ensemble»


Les yeux de Verlaine revinrent glacés à ce moment-là, il pouvait sentir le froid contenu dans ces iris sur sa peau. Rimbaud se jura qu’il ferait tout ce qui est en son pouvoir pour l’aider à vivre, ou du moins pour comprendre comment son existence pourrait avoir de la valeur.


***



- Quatre ans après -


Paris était magnifique, avec ses lumières, ses couleurs et ses atmosphères de rêve que seule la capitale française savait offrir. La Ville Lumière était un bijou unique, capable de garder son charme en toutes saisons. Pendant des années, Rimbaud vivait dans la capitale, il avait éprouvé sur sa peau, le gel des matins d’hiver, quand à l’aube un léger brouillard se levait le long des canaux de la Seine, lui conférant une aura magique et mystérieuse. Il détestait la chaleur des journées d’été, le long des Champs-Élysées toujours bondées, tandis qu’au contraire, il aimait le calme automnal, avec ses tapis de feuillage multicolores. Sa saison préférée reste le printemps. Quand la nature se réveillait de son sommeil, les fleurs revenaient avec leurs couleurs pour inspirer les peintres de Montmartre. La ville était pleine de vie et de chaleur, tout comme elle aimait la peindre dans ses rêves d'enfance.


Et c’était au printemps que l’anniversaire de Paul arrivait. En réalité, ce n'était pas un réel anniversaire, mais le jour où, quatre ans auparavant, le compagnon avait tué le Faune en se débarrassant de son influence. Quand ils se sont rencontrés.

Ils ne l'avaient jamais fêté avant, et il y a longtemps, Arthur voulait faire quelque chose de spécial pour son partenaire. Bientôt, ils auraient dû partir pour une mission aussi importante que dangereuse, dont ils n’avaient pas la certitude qu’ils reviendraient.

Leur cible était un sujet doté de Capacité qui, bien qu’ayant l’apparence d’un enfant, possédait toutes les caractéristiques pour devenir une menace à l’échelle mondiale. C’était un être qui cachait en lui le pouvoir de détruire le monde, au fond, il se trouva involontairement à penser Rimbaud, il n’était pas si différent de Paul.

Il abandonna cette idée, décida de ne pas lui donner trop d’importance. Avec le recul, ce fut sa première erreur.

Rimbaud s’était engagé à rendre cette journée inoubliable. Les anniversaires étaient importants et la façon dont ils devaient être célébrés.

Une partie de son esprit le ramena au dernier qu’il avait passé avec sa famille, dans ce petit village des Ardennes, qui avait été sa maison pendant sept ans. Il se souvenait que Charles lui avait fait une farce ce jour-là en lui faisant croire que tout le monde l’avait oublié. Une partie de Rimbaud ressentait encore une sorte de nostalgie de son passé. Bien qu’il ait essayé d’enterrer dans les profondeurs de son âme certains sentiments, ceux-ci revenaient à la lumière avec arrogance quand il s’y attendait le moins, mettant en cause toutes ses convictions.


Ce jour-là, il avait simplement décidé de se présenter à leur cachette avec du vin au bras et un pudding, acheté dans l’une des meilleures pâtisseries de la capitale. Ils seraient partis le lendemain, il n’avait pas su trouver mieux vu le peu de temps dont il disposait. Verlaine lui avait ouvert la porte et s’était contenté de le regarder, plus suspicieux que surpris.


Il ne comprenait pas pourquoi les êtres humains voulaient tant célébrer le jour où ils étaient venus au monde.

«Pourquoi?» fut tout ce qu’il demanda;


«Cela vaut la peine de fêter ta naissance» Arthur avait toujours essayé de lui expliquer. Une partie de Paul le détestait pour ça, pour le monde où il cherchait désespérément de le faire se sentir humain.

Rimbaud avait continué à sourire, tout en lui offrant le chapeau qu’il avait fait créer spécialement pour lui. C’était son cadeau, quelque chose qui pourrait aider le blond à enfin contrôler cette bête cachée en lui.

«En portant ce chapeau, tu ne pourras obéir qu’à ta volonté», avait-il conclu en lui versant un verre de vin. Verlaine ne pensait pas à cela, mais au fait qu’Arthur ne serait plus indispensable. Le gouvernement aurait pu lui confier un autre partenaire. Il n’a pas su bien expliquer pourquoi mais cette possibilité ne lui a pas plu.



***



Ce jour-là, c’était la première fois que Paul voyait son compagnon sous un jour différent. Il avait remarqué la légère rougeur qui avait coloré les joues pâles d’Arthur quand leurs mains s’étaient effleurées, à la livraison des cadeaux. Il avait toujours été attentif à ces détails. Dans le monde secret du renseignement pour accomplir une mission, un bon espion devait apprendre à mettre de côté ses émotions. Verlaine n’avait pas prêté attention à cette leçon. Le blond continuait à souffrir du fait d’être un être artificiel, il ne pouvait pas se définir humain et, pour cela aussi, il croyait être totalement immunisé contre les sentiments.

Il aurait compris plus tard que ce jour n’était que le début de tout.

En ce matin pâle de mars, Paul avait tendu la main, non pour saisir la bouteille de vin, mais celle de son partenaire. Arthur ne s’est pas soustrait à cette touche douce. Il s’était contenté de fixer le compagnon en essayant de voir dans ces yeux habituellement glacés et indifférents une sorte de réponse. Ils restèrent ainsi pendant plusieurs secondes, se reflétant l’un dans l’iris de l’autre.

À ce moment-là, Verlaine se sentait complètement tranquille. Elle ne ressentait aucune émotion particulière. Il ne comprenait toujours pas toute l’histoire de l’anniversaire ou de la réception de cadeaux, il savait juste à quel point la visite et la compagnie d’Arthur lui faisait plaisir. Une étrange chaleur l’avait atteint. C’était une sensation nouvelle mais pas pour cela désagréable, presque rassurante. C’était la même qui lui donnait le maure par sa seule présence.

«Que faut-il dire dans ces cas-là?» demanda-t-il avec une pointe d’incertitude, alors qu’il finissait de savourer un autre verre. Au fond, c’était son premier anniversaire. Arthur avait souri avant de lâcher prise mais seulement pour pouvoir se servir du vin.


«Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. On remercie généralement pour les cadeaux reçus. Ça t’a plu, au moins ?» Une patine de silence était retombée et ils étaient revenus se fixer. Arthur se prépara à recevoir une réponse négative. Par expérience, il savait bien que malgré le temps passé ensemble, il y avait encore trop de barrières qui le séparaient de Paul. De comprendre ses pensées.

Verlaine avait juste besoin de temps pour répondre à cette simple question. Le pudding que l’autre lui avait offert était bon et le chapeau semblait lui aussi avoir une utilité.

Arthur a interprété ce silence autrement.

«Peu importe maintenant ce sera mieux que je parte, j’ai encore des détails à définir avant la mission»


Le blond le fixa encore plus confus qu’avant, essayant de comprendre ce qu’il avait fait de mal.

«Reste» ces mots sortirent de sa bouche avec une facilité désarmante.

«Nous n’avons pas encore fini le vin», ajouta-t-il comme s’il se sentait obligé de fournir une justification supplémentaire.


Arthur le regarda, mais se remit à s’asseoir, versant deux verres de plus.


«Je vois que ça te plaît» ajouta-t-il après un certain temps, en indiquant la bouteille désormais vide. Verlaine répondit en haussant les épaules;


«Je suis française», tous deux rirent.


Ils restèrent ainsi quelques minutes, continuant à boire en silence. C’est le blond qui mit fin à cette impasse;


«Cet anniversaire était intéressant»

«Intéressant?»


«Oui. Je pense que cela peut être considéré comme un autre pas vers ma quête d’humanité»

«Tu es un être humain Paul» Arthur en était certain, il devait seulement réussir à convaincre son compagnon têtu.


Verlaine était le premier à douter de sa nature. Il était parfaitement conscient du monstre qu’il cachait sous sa propre peau, comme de la mort et de la destruction qu’il pouvait provoquer. Une partie de lui ne pouvait s’empêcher de détester ce côté du caractère d’Arthur. L’espion n’avait jamais vraiment essayé de le comprendre.


«Pourquoi fais-tu tout cela pour moi?» fut-ce tout ce qu’il réussit à dire. Il y avait des fois où les gestes du compagnon échappaient à sa compréhension.


«Je ne sais pas, peut-être parce que je désire seulement que tu sois libre»

«Un être artificiel n’a pas ce droit» Arthur lui avait seulement donné un sourire fatigué, accompagné d’un énième soupir. Il n’aurait pas abandonné, un jour, il lui aurait fait changer d’avis.

«Essaie de te reposer, demain nous partirons pour la mission. Je viendrai à l’heure habituelle» fut tout ce qu’il ajouta, avant de mettre son manteau et d’atteindre la porte.

Si ce jour-là, Paul avait su ce qu’ils trouveraient au Japon, il aurait écouté cette voix dans sa tête qui lui suggérait de retenir Arthur, de ne pas le laisser partir comme ça. Cette prise de conscience allait l’atteindre bien des années plus tard, alors que tout avait fini par perdre de son importance.


***



Angleterre


- Huit ans après -



Ce jour-là, Londres s’était réveillée complètement blanchie. La neige était tombée épaisse toute la nuit, donnant à la ville une atmosphère de conte de fées. Pour Paul Verlaine, la capitale anglaise n’avait jamais aimé, comme d’ailleurs ses habitants. Peut-être parce que son esprit le conduisait toujours à faire des comparaisons avec son bien-aimé Paris. Plusieurs années s’étaient écoulées depuis qu’il avait choisi d’abandonner la France. Plus précisément après la mission au Japon.

Chaque détail de ces jours était gravé dans son esprit.


Il a tiré sur Arthur, puis l’a tué.

Il était revenu en France avec cette conscience, avec un étrange sentiment qui l’accablait la poitrine et ne lui donnait pas de répit. Un monstre comme lui n’aurait jamais dû naître. Il aurait dû mourir ce jour-là, dans ce laboratoire, avec son créateur. S’il l’avait fait, Arthur serait encore en vie.

Paul était le premier à le trahir.


Le poids de ce souvenir l’écrasait. Il voyait Arthur courir devant lui dans la base ennemie ; s’il fermait les yeux, il pouvait encore sentir le poids d’un corps mince sur ses épaules. C’était la mission qu’ils devaient accomplir. Arahabaki.

Verlaine se rappelait s’être arrêté au milieu du couloir, incapable de continuer.

«Nous devons nous dépêcher, les gardes seront bientôt là» Arthur l’avait regardé confus, ne comprenant pas quel était le problème. Il l’avait détesté, il l’avait détesté parce que malgré tout, il ne pouvait pas le comprendre. Il n’essayait même pas.

«Je ne peux pas laisser cet enfant à la France. Je ne veux le remettre à personne, je peux l’élever à la campagne, sans qu’il arrive jamais à connaître la vérité sur ses origines.»


C’était la première et la seule fois où il vit une ombre de déception apparaître sur le visage d’Arthur.

«Ce garçon est comme toi. C’est pourquoi il doit venir avec nous, seulement de cette façon nous pouvons le protéger»

Il était inutile. Rimbaud ne le comprenait pas. Peu importe les efforts qu’il pouvait faire, son partenaire ne pourrait jamais comprendre les blessures de son âme. C’est pour ça qu’il le détestait.


«Ne pouvez-vous imaginer comment le savoir de non-humain pourrait affecter votre vie? Vos choix? Savoir que sa propre existence n’est pas l’œuvre de Dieu, mais seulement le résultat de calculs et de formules mathématiques. Que notre âme comme notre corps est froide, artificielle. C’est la même sensation que l’on peut éprouver à être au fond d’un ravin, si obscur que même la lumière de la lune ne parvient pas à l’éclairer.»


«Tu es humain...» Arthur avait essayé de le convaincre mais Paul était fatigué, fatigué d’entendre cette phrase, il n’en pouvait plus.

Tu vas tirer, Paul ?

Verlaine se souvenait d’avoir tenu le pistolet, ainsi que le bruit d’un coup de feu, l’odeur de la poudre. Puis les images devenaient de plus en plus confuses et déformées. C’était comme si un trou noir avait fini par l’envelopper, le noyant dans un océan de ténèbres.


Une fois repris, la première chose qu’il vit fut l’éclat de la lune qui se reflétait sur la mer de la baie de Yokohama. Tout autour de lui, il n’y avait que des décombres. Une destruction provoquée par une bête qui n’aurait jamais dû venir au monde.


Il n’y avait aucune trace d’Arthur. Pendant longtemps, il l’avait cru mort dans cette explosion. Ce n’est que grâce à son réseau de contacts un mois plus tard qu’il découvrit comment, dans une organisation mafieuse locale, entrait un doté de Capacités qui correspondait en tout et pour tout à la description de son partenaire.


Une faible lueur d’espoir s’enflamma en lui. Si Rimbaud était vivant, peut-être que le petit garçon qui possédait Arahabaki l’était aussi.

Verlaine s’était donc contenté d’observer la nouvelle vie d’Arthur dans l’ombre. Une partie de lui ne pouvait pas comprendre pourquoi son partenaire avait décidé de s’installer au Japon au lieu de retourner en France - chez lui.

Il n’a trouvé sa réponse que quelques années plus tard, lorsqu’un de ses contacts l’a informé qu’Arthur avait complètement perdu la mémoire.

Randou, comme on l’appelle maintenant, travaillait pour une organisation appelée Mafia Portuaire. C’était une occupation en dessous de ses capacités. Plus d’une fois, Verlaine avait résisté à la tentation de le rejoindre. Il aurait voulu s’excuser pour son comportement, mais cela aurait été inutile, Arthur avait perdu tous les souvenirs du temps passé ensemble.


Huit ans après l’accident de Suribachi, Verlaine est informé de la mort d’Arthur Rimbaud.

Le Roi des Assassins ne pouvait ni ne voulait y croire.

Arthur avait été vaincu par deux enfants ; Osamu Dazai, le Démon prodige de la Port Mafia, dont la capacité particulière d’annulation était connue et redoutée même sur le vieux continent ; et Nakahara Chuuya, manipulateur de la Gravité.

«Chuuya» l’avait trouvé. Le petit garçon pour qui il avait tout perdu. L’âme qu’il avait désespérément essayé de sauver d’un destin de malheur.

Il voulait le rencontrer, partager avec lui cette vie qui les unissait. La tragédie de deux âmes artificielles condamnées à vivre une existence qu’elles estimaient ne pas mériter. Chuuya était le seul au monde à le comprendre, et il l’aurait fait. Pas comme Arthur.


C’est à ce moment que Paul Verlaine comprit le véritable poids de l’information qu’il avait obtenue.


Arthur était mort. Le partenaire qui l’avait sauvé du laboratoire du Faune et la personne qu’il avait trahie.


Pour la première fois depuis aussi longtemps qu’il s’en souvienne, Verlaine pleura.


Rimbaud était mort, il n’aurait plus jamais eu l’occasion de lui parler, de s’excuser pour ce qui s’était passé. Il n’aurait plus jamais entendu sa voix. Je croise son regard.

Il se sentait stupide d’avoir gâché toutes ces années loin de lui. En essayant d’échapper à ses erreurs. Il n’aurait jamais admis qu’il s’était trompé. Malgré tout, il était fier de sa décision. Elle aurait juste souhaité qu’Arthur la partage aussi.


Il a tué quelques gardes de la Tour de l’Horloge juste pour se moquer d’eux. Il voulait laisser quelques traces de son passage dans la capitale anglaise. Sa signature. Un cadeau d’adieu à la vieille Europe.

Il avait un plan en tête, si ça marchait, il pourrait réparer son passé.


Cela n’aurait pas été facile, pas plus que d’accepter la mort de son partenaire, mais d’une certaine manière, cela aurait été possible. Le mot échec ne figurait pas dans son vocabulaire.



***



Paul Verlaine avait décidé de rejeter la mort d’Arthur Rimbaud. Il ne s’agissait pas de prétendre que ce n’était pas arrivé mais d’y remédier. Il n’y avait qu’une personne qui pouvait l’aider à mettre en œuvre ce plan insensé, qui occupait désormais la quasi-totalité de ses pensées. Si ça avait marché, il aurait pu sauver non seulement Arthur, mais aussi le jeune porteur d’Arahabaki, Nakahara Chuuya.

Verlaine connaissait l’homme qui pourrait l’aider à récupérer Arthur. Il ne voulait pas compter sur lui, mais il ne savait pas vers qui s’adresser. À des maux extrêmes. Il ne se rendrait pas. Il ne pouvait pas.


S’il avait été un bon élève, il aurait réalisé qu’il était complètement à la merci de ses émotions. Verlaine ne s’était jamais considéré comme un bon espion, il avait essayé, mais il n’avait trouvé sa vocation qu’en tant que Roi des Assassins. Il avait été créé pour apporter la mort et la destruction, c’était sa nature. Il était ainsi.

Ce n’était qu’une des nombreuses erreurs d’Arthur, vouloir le changer. Paul savait qu’il ne pouvait pas le faire. C’était un monstre, et les monstres ne sont pas du bon côté. C’est ce qui a toujours été raconté dans les contes de fées pour enfants, dans les histoires avec lesquelles Arthur avait certainement grandi.

Il réalisa alors qu’il ne savait rien de lui. Il ne savait rien du passé de son compagnon. Il ne se souvenait que d’un nom, Charles. Il l’avait lu en passant entre les notes sur le bureau d’Arthur. Rimbaud gardait un carnet sur lequel il notait tout, probablement même sur lui. Ça n’avait plus d’importance.



***


Il avait encore passé une semaine à Londres, concluant rapidement toutes les affaires en suspens dans la capitale anglaise. Une pensée pour occuper son esprit: Arthur.


Il allait le sauver, trouver un moyen de le récupérer dans sa vie. Tout redeviendrait comme avant l’accident de Suribachi, avant le Japon, Arahabaki et Nakahara Chuuya.

Il a pris dans la poche de son costume un téléphone jetable qu’il avait acheté ce matin-là. Il a rapidement composé un numéro. Il a attendu deux sonneries.

«Je serai à Paris dans quelques jours. Oui, à la place habituelle. Je ferai tout en mon pouvoir pour le récupérer. Non. Je m’en fiche. Adieu»

La mort ne pouvait pas non plus le séparer d’Arthur. Une saison de sa vie venait de se terminer et une nouvelle allait bientôt commencer.


Ce n’était que le début.


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