Shanshu - La suite des aventures d'Angel et Buffy
Chapitre 19 : Episode 19 - Dernière danse
13818 mots, Catégorie: M
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EPISODE 19 – DERNIÈRE DANSE
Tout le monde s'était organisé pour orchestrer une soirée mémorable. Le hall d'entrée, vaste et imposant, avait été transformé en un lieu digne des plus belles réceptions. Des ballons multicolores ornaient les murs, tandis que de longues tables, recouvertes de nappes rouges, longeaient les façades. A intervalles réguliers, des chandeliers à trois branches ajoutaient une touche d’élégance à l’ensemble. Chaque détail avait été minutieusement pensé pour créer une ambiance festive et raffinée.
Robin, fidèle à sa promesse, avait installé de lourdes enceintes sur l’estrade spécialement construite pour l’occasion, complétées par de plus petits haut-parleurs placés aux quatre coins de la salle pour assurer une sonorité optimale. Les essais avaient été concluants : où que l’on se trouve la musique résonnait parfaitement. Pour libérer un espace suffisant dédié à la piste de danse, il avait été nécessaire de déplacer les quelques meubles épars dans le manoir. Le résultat se voulait être un bon compromis entre le raffinement des salles de bal victorienne, et le zeste de folie convenant parfaitement à un bal de fin d'année habituel, avec son lot de buffet à volonté et surtout d'alcool plus ou moins fort.
Il n'était certes pas très conseillé de boire à l’avant-veille d'une bataille sur fond d’apocalypse, mais une fête sans alcool perdrait de sa saveur, et Buffy comptait sur la responsabilité de chacun pour se contenir et éviter tout débordement de nature à gâcher la soirée. La tueuse ne se voyait pas leur infliger une diète quelconque à quelques jours de risquer leur vie. Pour certaines, ce serait leur dernière occasion de se lâcher un peu et de profiter d'un pure moment d'insouciance.
La soirée était sur le point de commencer, et chacun rivalisait d’élégance dans son plus bel accoutrement. C'était enfin l'occasion rêvée de se vêtir avec raffinement, et les filles ne laissèrent rien au hasard. Elles passèrent des heures devant le miroir, à se maquiller et à choisir la bonne couleur de vêtements ou la coupe de cheveux adéquate.
*
Calfeutrée dans sa petite chambre en compagnie de ses amies, Seyia peinait à se mouvoir dans ce modeste espace de neuf mètres carrés, aménagé avec le strict minimum : un petit lit, un coin toilette, et un long bureau sur lequel trônait un petit écran télé et une chaîne hi-fi. Les chambres de l'aile Ouest ne payaient pas de mine, mais c'était le prix à payer pour loger autant de monde dans un espace limité. Le manoir, bien que spacieux, se retrouvait vite saturé par le nombre croissant de résidents, surtout depuis l’arrivée de Kennedy et de ses troupes.
L'escouade de Seyia avait su faire parler d'elle et s'était forgée une solide réputation, devenant ainsi le modèle à suivre pour les autres. Leur précocité et leur détermination avaient su attirer l'attention et la fierté de leurs instructeurs. Leurs récentes escapades avaient raffermi leurs liens, si bien que Seyia, Joy, Léa et Héléna, en étaient devenu inséparables, et partageaient infiniment plus qu'une simple relation de travail. Tandis que ses comparses squattaient son lit, Seyia en profita pour s’accoutrer de sa plus belle robe.
─ Et bien, s’exclama Héléna, visiblement surprise en découvrant sa partenaire sous un nouveau jour. Tu caches bien ton jeu ! Ça te change de la tenue militaire, c’est le moins que l’on puisse dire.
Seyia ne semblait pourtant pas à son aise dans sa belle robe noire de dentelle et dans ses escarpins l’empêchant de marcher d'un pas assuré. Ses trois amies, elles aussi parées pour l’occasion, n’étaient pas en reste. Léa avait opté pour une longue robe fluide, dissimulant habilement sa récente blessure à la cuisse. Joy et Héléna, fidèles à leur style respectif, affichaient des looks diamétralement opposés. L’une, dans son tailleur noir impeccablement coupé, complété par une chemise ornée d’un ruban qui soulignait sa taille, évoquait l’allure d’un garçon manqué, et l’autre, vêtue d’une tenue audacieusement sexy, composée d’une mini-jupe et d’un bustier, paraissait tout droit sortie d’une soirée endiablée.
─ Montre-moi ce que tu portes et je te dirai qui tu es, lança Joy avec un sourire taquin en direction d’Héléna. Tu n'as pas oublié qu'il n'y aura aucun garçon pour te reluquer ? A moins que tu ne désires secrètement taper dans l’œil d'Alex ou de Robin. Mais je te rappelle qu'ils sont pris.
─ Détrompe-toi, répliqua Héléna avec un pointe d’ironie. En ce qui me concerne, mes goûts se rapprocheraient plus du vampire blond ou du ténébreux. Ils sont plutôt mignons tous les deux.
─ Je ne veux pas dire, mais il y a peu de chance qu'ils s'intéressent à toi. Ce sont des vampires qui ont plus d'une centaine d'années. Ils sont attirés par les femmes de prestance comme cette Djézabelle. Je n'ai jamais vu une femme aussi belle et élégante.
─ Tiens donc, intéressant, se moqua Héléna. Je ne savais pas que tu avais un attrait particulier pour les femmes. Tu aurais dû nous prévenir plus tôt, je ne me serais pas changée devant toi. Je n'aurais pas voulu t'aguicher par inadvertance.
Joy l'affligea d'un regard mauvais.
─ Rassure-toi, j'aime les hommes, mais quand bien même j'aimerais les femmes, je peux t'assurer que tu ne serais pas mon style : tu es trop vulgaire à mon goût.
Les deux tueuses, toujours en désaccord mais paradoxalement liées par une forme d’estime mutuelle, prenaient un malin plaisir à se lancer des vannes à chaque occasion. Bien que leur rivalité soit évidente, une complicité sous-jacente se cachait derrière leurs échanges acérés. Léa, la plus sage du groupe, avait depuis longtemps renoncé à l'idée de les raisonner. Lorsqu'elles se chamaillaient, elle laissait couler et attendait patiemment que l'orage passe. Seyia, loin de posséder cette sagesse, ne supportait plus leurs piques incessantes et ne se gênait pas pour le faire savoir.
─ Heu, les filles, insista-t-elle. Vous ne croyez pas qu'on pourrait passer ne serait-ce qu'une soirée sans s'envoyer des vannes à tout bout de champ ?
Héléna et Joy, dans un geste complice, agrippèrent chacune un bras de Seyia, de sorte qu'elle ne puisse se dérober.
─ Oh non non non, réprima Héléna. Aujourd'hui, on n'est pas en service. Ce qui veut dire que tu n'es pas notre cheffe et donc que tu n'as aucun ordre à nous donner.
Seyia tenta d'en placer une mais Joy ne lui en laissa pas l'occasion.
─ Héléna a tout à fait raison, enchaîna-t-elle avec un sourire malicieux. Et j'irai même plus loin. Aujourd'hui, c'est le jour de l'année où on a le droit de se venger de tout ce que tu nous fais subir en mission. As-tu déjà entendu parler de bizutage ?
Seyia, contrainte et forcée, se laissa entraîner dans le couloir par les deux pestes bien décidées à se jouer de leur responsable hiérarchique.
─ Pourquoi faut-il que la seule fois où vous vous mettiez d'accord, ce soit pour agir contre moi, se désespéra joyeusement la tueuse en cheffe qui, au fond, appréciait plus que tout, la compagnie de ses trois amies.
Léa leur emboîta le pas en direction du hall d'où provenaient les échos des basses.
**
De leur côté, Alex, Dawn et Leïna s'étaient retrouvés, fidèles à leur habitude, dans la pièce de commandement, déserte à cette heure-ci. Alex avait fait montre d'un effort monumental en s'accoutrant d'un costume élégant, agrémenté d’un nœud papillon au style résolument britannique. Dawn avait opté pour une robe courte, noire et subtilement échancrée au niveau des omoplates, tandis que Leïna avait craqué pour une tenue exotique, un tailleur richement ornée de couture traditionnelles africaines.
Installés confortablement sur le canapé, les deux filles attendaient patiemment qu’Alex, fidèle à son rôle de gentleman, leur apporte un verre de punch qu’il venait de préparer avec soin. Pour s'harmoniser à l'ambiance, Leina avait lancé une compilation personnelle en fond sonore, alternant entre les mélodies envoutantes de Radio Head et les classiques intemporels des chanteurs afro-américains de légende, comme Aretha Franklin, Sam Cook, Otis Redding, et bien d’autres. La miss appréciait avant tout les chansons à thème, celles à même de porter un message politique sur des faits sociétaux. Alex aimait à dire que c'était son côté trop sérieux et intello, et elle considérait cela comme un compliment.
Le gentlemen en profita pour s’asseoir en face de ses deux dulcinées et leur servit deux cocktails qui, d'apparence, semblaient délectables à souhait dans leur dégradé d'orange nuancé.
─ Les filles, j'aimerais porter un toast, dit-il en levant son verre avant d'être rejoint dans le geste par les deux femmes. J'aimerais vous dire à quel point vous êtes fantastique toutes les deux, et à quel point je suis le plus chanceux des hommes de vous avoir dans ma vie. A notre amitié, puisse-t-elle être éternelle.
Ils trinquèrent, non sans émotion. Alex, indubitablement doué pour faire le pitre, l'était plus encore lorsqu'il s'agissait d’ouvrir son cœur.
─ Tu avais répété, allez, avoue ! plaisanta Dawn.
─ Toute la journée pour ne rien te cacher, concéda-t-il en souriant.
─ Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point ça me manquait ce genre de moment, déclara Leïna. Ces derniers temps, c'était tellement l'enfer qu'on n'a pas eu une seconde à nous.
─ Halte, désapprouva Alex. Tu sais ce qu'on a dit : aujourd'hui on ne parle pas boulot. On profite du moment présent. D'ailleurs, je me demande à laquelle de vous deux je vais faire l'honneur de ma première danse. C'est que j'ai encore de beau reste de l'époque de Sunnydale. Ah, Leïna, tu n'as pas connu les soirées endiablées du Bronze. Ça c'était la belle époque. Je peux te dire que j'avais du style en ce temps-là.
─ A bon ? Il faudra nous montrer ça, parce que tu m'avais caché cette partie de toi. Et puis ne t'en fais pas pour moi, j'aurai quelques petites choses à t'apprendre sur la danse. J'ai été dans la meilleure école qui soit. Et oui, les joies de la vie Londonienne.
─ La dernière fois que j'ai dansé publiquement, se remémora Dawn... c'était quand toute la ville de Sunnydale s'était mise à chanter. J'avais 15 ans, je m'en souviens comme si c'était hier. J'avais dansé avec le démon Sweet. Il voulait me prendre comme épouse, avant d’apprendre qu'il aurait en fait dû épouser... Alex... C'était très bizarre.
─ Ouais je m'en souviens, ajouta le principal intéressé. Quelle classe il avait ce démon !
Leïna, peu à même de partager les mêmes souvenirs, avait bien du mal à imaginer la scène.
─ Euh, d'accord, finit-elle par admettre. Disons qu'il y a des choses à Sunnydale qu'on ne retrouve pas vraiment à Londres. Finalement, vous allez peut-être pouvoir m’apprendre quelques trucs.
─ Avec plaisir, acquiesça Alex. Et puis quand tout sera fini, toi et moi, on ira en Angleterre, comme ça, tu pourras me faire découvrir une partie de ta vie que je ne connais pas encore. Londres m'a toujours attiré.
Leïna lui sourit en retour. Elle se surprenait déjà à imaginer ces promenades le long des rives de la Tamise, où elle lui ferait découvrir les coins branchés et les trésors cachés de la ville, des lieux qu’elle adorait. Perdue dans ses pensées, elle prit une nouvelle gorgée de punch, laissant la douceur de l’alcool l’emporter vers un avenir rêvé.
─ Et toi, Dawn, continua Alex. Qu'est-ce que tu comptes faire quand tout sera fini ?
La sœur de la tueuse leva les yeux au plafond, songeuse, le verre maintenu avec raffinement du bout de ses doigts.
─ Je me verrais bien retourner en Italie, ou visiter la France, boire du vin et passer mes journées au soleil. Mais ce qui me plairait le plus serait de voir Buffy heureuse. Qu'elle puisse vivre sa vie comme n'importe qui.
Son timbre de voix changea à l'évocation de sa sœur, et son regard se voila d'une mélancolie palpable. Leïna se serra contre elle et l'enlaça avec tendresse.
─ Ce jour viendra, assura la blonde. Tu peux me croire quand je te dis que vous méritez le bonheur toutes les deux et que vous allez le trouver.
─ Bien sûr que ça arrivera, approuva Alex. Tu sais, je connais assez bien Buffy pour t'assurer que la seule chose qui la rendrait heureuse, ce serait de te savoir heureuse, toi. Et chacun d’entre nous fera en sorte d'ajouter sa pierre à l’édifice pour que cet avenir qu'on mérite tous, devienne une réalité.
A cet instant, le trio était loin de se douter qu'une silhouette dissimulée derrière la porte avait écouté toute la conversation. Buffy, les yeux embués de larmes, les essuya rapidement pour ne pas trahir son émotion. Tout ce qu'elle avait entrepris jusqu’à présent visait à assurer un avenir à Dawn, et s'apercevoir que c'était réciproque la bouleversait profondément. En tant que grande sœur, elle s’était toujours sentie investie du devoir de la protéger, sans jamais vraiment réaliser que, durant toutes ces années, les rôles s’étaient inversés.
Mais l'heure n'était pas aux larmes, alors elle se donna un coup de booste, chassa la mélancolie de son visage, puis fit son entrée.
─ Mais qui vois-je ? reprit Alex. Décidément les sœurs Summers sont toutes les deux magnifiques ce soir. Ça doit faire partie d'un héritage familial. Après tout, Joyce était magnifique elle aussi.
Buffy esquissa un sourire. Elle apprécia tout particulièrement le rapprochement avec sa défunte mère qui lui manquait toujours autant, malgré le temps censé adoucir les mœurs.
Ce soir, l’ainée des Summers apparaissait somptueuse, coiffée d'un chignon tressé et parée de sa robe de satin bleutée, somptueusement coupée et fendue sur l'entrejambe. Quelques bijoux, dont de splendides boucles d'oreille d'or en croissant de lune, venaient parfaire sa tenue.
─ Et alors, on ne me sert pas un verre ?
Alex s'empressa de lui proposer une collation qu'elle humecta de ses douces lèvres.
─ Humm, apprécia-t-elle. C'est vachement mieux que celui que j'avais préparé au lycée. Le sucre et l'alcool font plutôt bon ménage. Et donc, à quoi on trinque ?
Ils se regroupèrent tous et levèrent leurs verres en l’air, à la manière des quatre mousquetaires brandissant leurs épées.
─ Pourquoi pas à l'avenir ? proposa Dawn.
─ Alors à l'avenir.
D'un geste parfaitement coordonné, ils firent sonner leur verre avant de descendre le tout d'une unique gorgée.
─ Bon, c'est pas le tout, mais la soirée a commencé, les motiva Buffy. Il ne faudrait pas manquer ça.
─ Allez, c'est parti, fit Alex en leur tenant la porte. Si ces Mesdames veulent bien se donner la peine.
─ Euh Dawn, l'interpella Buffy avant de lui caresser le visage et de lui susurrer à l'oreille ces quelques mots : “Je t'aime plus que tout au monde.”
Les deux sœurs, submergées par l’émotion, se permirent de savourer cet instant précieux, se laissant aller à un rare moment d'intimité. Leïna et Alex, sensibles à cette tendresse fraternelle, échangèrent un regard complice. Sans un mot, ils quittèrent la pièce, bras dessus, bras dessous, prêts à se laisser emporter par l’ambiance festive qui les attendait.
***
Dans le hall, la fête battait son plein et l'on y dansait sur tous styles de musiques, que ce soit moderne, classique, ou ancien. Tout le monde se prêtait au jeu et les hanches bougeaient au rythme de la sono endiablée. Les cheveux ondulaient sous les lumières des projecteurs qui illuminaient la scène par à coup, offrant des trajectoires imprécises et toujours inattendues.
Les danseurs, traversés par un kaléidoscope de couleurs vibrantes, semblaient refléter les ondes lumineuses, si bien qu'il était impossible de discerner les teintes d'origine de leurs vêtements. La folie s'était concentrée au centre de la scène, dans un va-et-vient incessant de personnes qui, entre deux danses endiablées, prenaient plaisir à se sustenter pour repartir de plus belle. Les moins téméraires préféraient rester proches des tables abondamment garnies de mets variés : petits canapés, fruits de mer, toasts en forme de mini-hamburgers, salades de fruits, ainsi qu’une multitude de desserts appétissants.
Parmi les convives, Giles dénotait fortement avec l'ambiance générale. Installé près du buffet, il profitait de la nourriture avec un enthousiasme qui tranchait avec son habituel sérieux. Loin de se sentir à l’aise dans ce tumulte musical qu’il considérait sans grande prétention artistique, il n’aurait cependant manqué cette soirée pour rien au monde. Sa présence était le symbole de son soutien indéfectible à ses filles, une manière pour lui de partager ces instants de joie et de détente, de les soutenir malgré les sonorités modernes qu’il percevait comme une torture.
A quelques pas de lui, sur la piste de danse, une silhouette se distinguait parmi la foule. Faith, véritable incarnation de la sensualité brute, captait tous les regards par ses mouvements enfiévrés. Totalement en transe, elle balançait sa tête d'un côté puis de l'autre, faisant frénétiquement onduler ses cheveux au rythme de son bassin.
La tueuse en grande forme ne manqua pas l'occasion de se dépenser comme elle l'avait toujours fait lorsque les événements s'y prêtaient. De son côté, Robin, quelque peu intimidé par l’assurance de sa compagne, avait habilement trouvé une excuse pour échapper à la piste de danse. Prétextant vouloir tenir compagnie à Giles, afin de ne pas le laisser seul, il réussit à préserver son image de mec cool et attentionné, tout en évitant de se ridiculiser sur scène. Danser, il savait le faire comme la plupart des gens, mais il se sentait bien incapable de suivre la cadence de la brune. Il préférait donc attendre patiemment qu’une mélodie moins rythmée se fasse entendre pour sauver les apparences.
Dans la foule en transe, des visages familiers se démarquèrent.
Seyia, entraînée malgré elle sur la piste par ses coéquipières, essayait de faire bonne figure. Bien que la danse ne fût pas vraiment son domaine de prédilection, elle se laissa emporter par l’ambiance festive. Avec un sourire complice, elle passait d’une amie à l’autre, s’amusant tour à tour avec Helena, Joy, puis Léa. Ensemble, elles tournoyaient sur elles-mêmes, en alternant le rôle de la meneuse puis de la suiveuse, dans un fou rire communicatif, heureuses de partager ces moments dont elles savouraient la moindre seconde.
A côté d'elles, Andrew, vêtu de noir et coiffé d'une frange à la Travolta des année 70, jouait son rôle avec conviction. Dans son esprit, il se voyait tel un danseur de talent, captivant les regards de toutes les filles éblouies, presque prête à s’évanouir sous l’effet de son charisme irrésistible et de sa performance époustouflante. Et puis il y avait la réalité : celle d'un homme évoluant à contre-temps, et tentant de maîtriser un corps qui se déplaçait sans trop savoir comment, attirant les regards alentours des jeunes femmes qui s'amusaient de sa prestation avec tendresse.
Willow venait de rejoindre Giles et Robin, enroulée au bras de Kennedy. Depuis leur retrouvaille, ces deux-là ne se lâchaient plus d'une semelle.
─ Alors Giles, vous n'allez pas danser ? demanda la sorcière toute souriante.
─ Danser sur quoi ? répondit l'observateur désespéré. Pour danser, il faudrait un minimum de mélodie et de rythme, et je crains que cette « chose » en soit totalement dépourvue.
Un fossé existait entre les générations que rien ne semblait pouvoir combler. Giles restait ancré dans une époque lointaine en matière de goûts musicaux, et s'il s'était adapté assez facilement à la nouvelle génération et à son mode de vie, il demeurait inflexible lorsqu'il était question de sa sacro-sainte culture musicale. Willow qui s'attendait à ce genre de réponse, esquissa un sourire au coin.
─ Et vous, cher Monsieur le Proviseur, quelle est votre excuse ? s'enquit Kennedy en prenant un petit canapé fourré.
─ Ce n'est pas trop mon style, fit robin d'un air un peu condescendant. Je suis né à New-York, je suis plus hip-hop, le genre de zik que vous ne connaissez pas.
─ Ah bon ? s'étonna Willow. J'ai toujours pensé que vous aviez grandi à Beverly Hills.
Robin, pris dans la tourmente d'une réalité altérée, trouva comme seul échappatoire l'improvisation. Autant dire qu'il n'eut pas la répartie des grands rappeurs New-Yorkais.
─ Oh, désolé, je viens de voir... Faith !
Le nom s’échappa de ses lèvres comme une délivrance. La brune venait tout juste de quitter la piste de danse et les rejoignit, saisissant un verre pour se désaltérer après sa forte débauche d’énergie.
─ Alors, le coin des frigides, plaisanta-t-elle en sirotant son cocktail. Faudrait vous lâcher un peu. Je n’sais pas moi, laissez vos mines moroses pour un autre jour, profitez de la vie. Personne ne vous jugera.
Elle désigna alors Andrew qui s'adonnait à une danse particulièrement clownesque.
… Regardez-le. Vous avez de la marge avant de paraître ridicule.
L'ambiance musicale venait de s'adoucir avec « Baby can I hold you » de Tracy Chapman, une mélodie qui ne manqua pas d'interpeller Kennedy.
─ J'adore cette chanson, allez Willow on y va !
Kennedy prit la sorcière par la main et la traîna sur la piste de danse sans que cette dernière n’ait son mot à dire. La brune guida les bras de sa compagne autour de sa taille. Elles plongèrent leurs regard l'une dans l'autre et se laissèrent entraîner par le rythme de la chanson. Leïna et Alex firent également leur apparition et y allèrent de leur tendre enlacement.
****
La grande porte donnant sur l'extérieur de la cour avait été laissée ouverte pour aérer la salle. La proximité des personnes et la fièvre de la piste créaient fatalement une hausse de température à laquelle il fallait remédier. Dans cet espace, Faith aperçut une silhouette familière accoudée à la rambarde extérieure. Intriguée, elle plissa les yeux pour mieux distinguer la personne et, désireuse d'en avoir le cœur net, prit congé de Giles et Robin, sans leur fournir la moindre explication. Ce n'était pas dans son habitude de se justifier, et Robin, habitué à ses manières, n'y prêta pas attention.
Le ténébreux, solitaire, se tenait à l’écart du groupe, perdu dans la contemplation de la nuit. La blancheur de la neige illuminait le paysage, tandis que la lune ajoutait une lueur mystique à cette soirée déjà singulière.
─ J'aurais dû parier que je te trouverai là, fit Faith de son approche délicate.
Le vampire se retourna, surpris par cette arrivée inopinée.
─ Faith, réagit-il affectueusement.
Elle s’approcha et prit place à ses côté, son verre toujours en main.
─ Je vois que tu t'es mis sur ton trente et un. J'ai pas le souvenir de t'avoir déjà vu aussi élégant.
Le vampire esquissa un sourire, légèrement embarrassé.
─ T'es pas mal non plus, lui rétorqua-t-il du haut de son smoking impeccablement taillé, réhaussé par un jolie nœud papillon.
─ Oui, tu peux le dire !
Faith marqua un temps d’arrêt en écartant les bras pour mettre en évidence sa robe de soie verte qu'elle portait avec élégance.
… Je suis super sexy .
─ Tu l'es, confirma-t-il d'un sourire empreint de tendresse.
Angel et Faith partageaient un lourd passé, marqué par des épreuves et des émotions complexes. Leur relation, d’abord tumultueuse, avait évoluer au fil du temps. A l'époque, alors qu'elle traversait une mauvaise passe, le vampire avait tout fait pour la ramener dans le droit chemin. Fort de sa propre expérience avec les ténèbres, il l'avait mis en garde bien des fois contre la tentation de céder au mal. Se positionnant à la fois comme guide et protecteur, il s'était personnellement impliqué pour la préserver d'une issue néfaste et irréversible.
Bien que la route vers la rédemption ait été sinueuse et parsemée d’embûches, leurs efforts avaient fini par porter leurs fruits. Dès lors, leur relation s'en était trouvée renforcée. Désormais, suite à de multiples péripéties, ils se vouaient l'un à l'autre, un profond respect mutuel.
─ Tu ne vas pas te joindre à la fête, constata-t-elle comme une évidence.
─ Tu sais, j'ai jamais aimé les mondanité, et pour tout te dire, je suis un bien piètre danseur. Quoique sur du Barry Manilow.
Faith laissa échapper un sourire.
─ Je payerais pour voir ça. Quoique la fois ou j'ai voyagé dans ta tête, j'ai déjà pu entrevoir quelques petit pas sur « Mandy »
─ Je t'ai aperçu sur la piste tout à l'heure, alors peut-être que tu devrais me donner quelques cours.
Faith s’esclaffa en fantasmant la scène irréaliste. Elle visualisa le vampire se déhancher comme un damné sur la piste de danse, en lançant ses bras dans toutes les directions et en tapotant dans ses mains comme le ferait un danseur de flamenco raté. Non, cette image était décidément trop difficile à assumer pour elle. Une grimace imprégna son visage alors qu’elle tentait de chasser cette vision déconcertante de son esprit.
… Je dois avouer que je ne m'attendais pas à te trouver ici ! remarqua-t-il. Il faut croire que le destin nous a tous réunis.
─ Oui, soupira-t-elle. Après la bataille contre la Force, j'aurais pu tout arrêter, mais il faut croire que j’étais pas prête à me passer de cette vie.
─ Je vois, toujours à chercher ta rédemption.
─ Ouais, peut être bien, j'en sais rien en fait. Je ne me suis jamais posée la question, j'ai suivi le mouvement. Je voulais me lancer dans une voie qui me paraissait juste. En fait, être ici, à combattre le mal, c'est un peu une thérapie pour moi. Mais et toi, toujours à te battre pour les causes désespérées ?
─ Qu'est-ce qu'on peut faire d'autre ?
─ C'est étrange, constata Faith. J'ai toujours cette impression que tu es le seul à véritablement me comprendre.
Angel continuait de scruter l'horizon tout en étant attentif aux paroles de la tueuse.
… Tu es d'ailleurs la seule personne à être venue me rendre visite en prison. Forcément, ça crée des liens.
─ On a tous notre croix à porter, et je n'allais pas te laisser affronter ça toute seule. Et puis tu n'avais pas besoin de moi. Tu t'en es très bien sortie, et ça, tu le dois à la seule force de ta volonté.
Faith se retourna pour s'adosser à la rambarde. Elle appréciait tout particulièrement la compagnie du ténébreux, la seule personne dont elle se sentait véritablement proche. Peut-être se ressemblaient-ils au fond, tous deux marqués par le poids de leur passé, mais résolument tournés vers l’avenir. Pour Faith, Angel représentait bien plus qu’un simple allié ; elle le considérait comme une sorte de mentor. Il avait été le seul à croire en elle, et cette loyauté indéfectible, elle ne l’oublierait jamais.
Bien qu’elle ne lui ait jamais exprimé toute l'étendue de sa reconnaissance, ses actes parlaient d’eux-mêmes. La tueuse avait fait ses preuves en voyageant dans la tête d'Angelus pour revivre des bribes de son passé torturé. Cette expérience avait failli lui couter la vie, et le vampire n'était pas près de l'oublier non plus.
─ Est-ce que tu penses qu'un jour on finira par l'avoir, notre rédemption ? demanda-t-elle, son regard se perdant dans l’obscurité de la nuit.
─ Est-ce que ça a vraiment une importance ? répondit le vampire, l'air songeur. Une personne m'a dit un jour que la vie se résumait à prendre ce qu'on pouvait et à faire de notre mieux avec. C'est ce qu'on s’efforce de faire tous les jours, le reste, ce ne sont que des mots.
Les traits tirés, Angel se remémora le jour où Cordélia était venue lui rendre visite pour la dernière fois. Elle lui manquait terriblement, et il trouvait un certain apaisement à s'imaginer qu'elle était là, quelque part, à veiller sur lui.
─ C'est une bonne façon de voir les choses. En tout cas, ça fait du bien de te revoir et d'être à nouveau dans le même camp. J'ai cru entendre que tu n'avais pas ménagé notre petit groupe.
─ J’aurais préféré ne pas en arriver là mais on ne choisit pas toujours.
─ Ouais, on fait de notre mieux avec, fit Faith en lui lançant un clin d’œil.
Angel lui sourit.
─ Tu apprends vite.
─ Je vais pas me plaindre, j'ai eu un bon professeur, un peu dans le style Yoda mais en plus sexy, et en moins vert.
─ C'est bien la première fois qu'on me compare à Yoda, remarqua Angel.
─ Désolée, il faut croire que côtoyer Andrew n'a pas que des bonnes répercussions. Tu sais quoi, quand tout sera terminé, on ira boire un verre tous les deux et ce sera toi qui paieras.
─ Promis, fit le vampire impatient de réaliser ce souhait commun.
─ Bon, je vais aller rejoindre le groupe à l’intérieur. Ils doivent être en train de m'attendre, dit-elle en se dirigeant vers l'entrée.
─ Faith ! l'interpella le vampire avant qu'elle ne franchisse le seuil.
Elle se retourna, mais l'éloquence de son silence la fit réagir.
─ Les embrassades c'est pas trop notre truc, répondit-elle en se tâtant. Oh et puis c'est la fin du monde, on pourrait bien faire une exception.
Elle se jeta dans les bras du vampire qui l'étreignit avec tendresse.
… Tu auras fini par l'avoir ton câlin, mais évites de le crier sur tous les toits, j'ai une réputation à tenir, plaisanta-t-elle alors qu'une autre tueuse assistait, désœuvrée, à leur enlacement.
─ Hhm hm, fit Buffy d'un air confus.
Faith, toujours blottie contre Angel, tourna la tête vers la blonde, un sourire espiègle et sincère aux lèvres.
─ Décidément, Buff, tu arrives toujours à point nommé, lança Faith avec une pointe de moquerie. C'est à se demander si tu n'es pas doté d'un radar à câlins.
Buffy, peu à son aise, se désespérait de toujours survenir aux moments les moins opportuns. Ne souhaitant pas corrompre cette belle ambiance, elle se résigna à faire demi-tour.
─ Désolée, je... Je repasserai plus tard, balbutia-t-elle, embarrassée.
Faith l’arrêta net en lui posant une main ferme mais bienveillante sur l'épaule.
─ Attends, j'allais justement partir. Et puis je pense que vous avez pas mal de choses à vous dire alors ça tombe bien, il est tout à toi.
Faith adressa un dernier regard au vampire avant de s'en aller rejoindre Robin et les autres, laissant Angel et Buffy à leur intimité. Pourtant, le malaise restait palpable, plus présent que jamais. Aucun des deux ne semblait prêt à rompre le silence où à entamer une quelconque discussion. Leur récent désaccord planait toujours au-dessus de leurs têtes, rendant difficile toute tentative de conversation légère, et la rancœur, bien qu’atténuée, n’avait pas entièrement disparu.
A cet instant, un groupement de tueuses légèrement éméchées fit irruption, perturbant la sérénité des lieux.
─ Ça te dirait de marcher un peu ? proposa Buffy d’un ton amical.
Le vampire acquiesça, puis ils déambulèrent côte à côte, imprimant l'empreinte de leur pas dans la fine couche de neige que les flocons venaient délicatement recouvrir. A mesure qu'ils s'éloignaient des festivités, la musique s'amenuisait progressivement, jusqu'à en devenir pratiquement inaudible. Seul le tempo des basses lourdes et sourdes résonnait en écho de leur retranchement et de leur besoin d'intimité.
Toujours enveloppés dans ce mutisme de circonstance, ils atteignirent le centre de la cour. Buffy s’arrêta brusquement et se tourna vers lui. Leurs regards se croisèrent, emplis d’une tension silencieuse, comme si chacun attendait désespérément que l’autre fasse le premier pas. Angel avait beau le cacher, l'expression de son visage ne mentait pas. Le vampire était subjugué par sa beauté, peut-être encore plus que jamais, alors quelle se tenait là, sublime dans sa robe élégante, avec les flocons de neige cristallins qui se déposaient délicatement dans sa chevelure dorée.
Buffy, de son côté, luttait pour soutenir ce regard, partagée entre le désir de s’ouvrir et son incapacité à trouver les mots. Le vampire prit alors l'initiative.
─ Je suis heureux que tu sois là, malgré les circonstances.
Angel, de sa stature imposante, incita la tueuse, légèrement intimidée, à lever la tête pour lui faire face.
─ Peux-tu me dire pourquoi c'est toujours si compliqué entre nous ?
─ Je ne sais pas Buffy, je n'ai pas la réponse. Peut-être que c'est notre destin.
Buffy croisa les bras.
─ C'est vrai ça. A chaque fois qu'on se retrouve, c'est pour se disputer. La dernière fois, on a même failli s’entre-tuer. Il y a plus chaleureux comme retrouvailles.
─ Je ne voudrais pas faire l'enfant, mais j'ai tout fait pour qu'on trouve un terrain d'entente. On ne peut pas dire que tu m'aies laissé le choix, lui reprocha-t-il avec une certaine frustration.
─ Ton amie n'a pas vraiment aidé non plus, se défendit-elle. Et puis, je sais pas moi, tu aurais pu téléphoner, nous expliquer ton plan.
La tension commençait à s'envenimer et chacun y allait de ses reproches et de son ton graduellement imprégné d'agressivité.
─ Et comment aurais-je pu ? rétorqua le vampire. Je ne savais même pas où tu étais ni ce que tu faisais. Ces derniers temps, j'ai été pas mal occupé. J'ai dû gérer les événements au fur et à mesure. Et puis on a chacun pris des chemins différents. Toi et moi, on a eu nos propres combats à mener. Depuis qu'on s'est séparés, il s’est passé beaucoup de choses de mon côté.
─ Oui, figures-toi qu'il s'en est passé aussi beaucoup du mien, continua Buffy. Mais j'aimerais qu'on finisse par avoir enfin une discussion toi et moi, qu'on puisse enfin se dire ce qu'on a sur le cœur et comprendre comment on en est arrivé là.
Le vampire inspira profondément, puis un léger sourire se dessina sur ses lèvres alors qu’il levait les yeux vers la lune, baignée de lumière argentée.
… Quoi ? demanda-elle intriguée. J'ai dit quelque chose de drôle ?
─ Ce n'est pas toi, c'est la situation. En fait, je viens de me rendre compte qu'on n’a jamais vraiment pris le temps de se poser pour parler tous les deux, comme si on voulait se fuir l'un l'autre. Je crois qu'on en a à nouveau la preuve
La tension sur le visage de la tueuse disparût progressivement, au profit d'une expression plus détendue et sereine.
─ Peut-être qu'on n’a jamais vraiment voulu tourner la page ou qu'on ne l'assumait pas, se livra Buffy. C'était comme si, secrètement, on espérait reprendre là où on s'était arrêté, mais on se mentait, n'est-ce pas ?
Angel, en pleine introspection, baissa les yeux, avant de plonger son regard perçant dans celui de la tueuse.
─ Tu as sans doute raison, admit-il. Toi et moi, on a vécu une magnifique histoire, et malgré son côté dramatique et sa finalité, on s'est quitté pour de mauvaises raisons. Quand je suis parti, c'est parce que je voulais t'offrir une vie meilleure, une vie normale. Je savais qu'en restant avec moi, tu n'aurais jamais pu être pleinement heureuse. Alors j'ai fait ce que je devais. Ensuite, on a pris des chemins différents. On a aimé différentes personnes, on a évolué différemment, chacun de son côté, mais malgré ça, j'ai toujours éprouvé ce goût d'inachevé.
La tueuse, totalement réceptive aux paroles du vampire, parvenait exactement aux mêmes conclusions. Pour la première fois depuis bien longtemps, ils semblaient à nouveau sur la même longueur d'onde.
─ Et maintenant ? fit-elle en le contemplant d'un air tendre et triste à la fois. Toi et moi, nous ne sommes plus ce que nous étions à l'époque. Lorsque tu es parti, j'ai cru que mon monde s'écroulait. Je t'ai tellement aimé, et je t'aimerai toujours, mais j'ai dû apprendre à vivre sans nous, à me reconstruire et je ne le regrette pas. J'ai réussi à passer le cap. Mais au fond, à chaque fois que je te revois, j'ai l'envie de redevenir celle que j'étais, ceux que nous étions. Je me raccrochais à des souvenirs et à une personne que je ne suis plus. J'ai changé. La vie m'a rendue plus sombre.
─ La vie nous a tous changés. Quand je pense à nous, c'est toujours magique, c'est indescriptible. Mais je ne veux plus rester prisonnier du passé. Ce passé, c'est ce qui nous a permis de devenir ce que nous sommes aujourd'hui. Il est temps de l'accepter et d'aller de l'avant. Tu feras toujours partie de ma vie, Buffy, et je serai toujours là pour toi, quoiqu'il arrive. Je t'aime et cet amour ne disparaîtra jamais.
Un vent frais vint souffler sur le vampire et la tueuse sans qu'ils n'en soient perturbés. Esseulés au cœur de cette nuée blanche, avec pour témoin la voûte céleste éclatante de mille étoiles, leurs regards restaient ancrés l’un à l’autre, comme si le monde autour d’eux s’était effacé.
─ Angel, parfois j'ai envie de redevenir celle que j'étais.
─ Je sais de quoi tu parles, je ressens la même chose.
─ Tu penses qu'un jour on trouvera le bonheur toi et moi ?
Le vampire marqua une pause, puis répondit avec douceur.
─ Tu sais, Buffy, je me suis posé la question bien souvent, et avec le temps, j’ai fini par comprendre que le bonheur se cache dans les détails, dans tous ces moments où nous avons aimé, où nous avons vécu en savourant ce que la vie nous offrait. Le bonheur absolu n’est qu’une illusion. Il n’existe que des fragments de bonheur qui vont et viennent. Ce qui compte, c’est de les reconnaître quand ils sont là. Quelquefois, on ne le comprend que lorsqu’il est trop tard.
Le vampire observa le ciel, se laissant captiver un instant par l’obscurité parsemée de milles lueurs scintillantes. Puis, il ramena doucement son attention sur la tueuse.
… Qu'est-ce que le bonheur, si ce n'est les bons moments auxquels on se raccroche quand on sombre.
─ Woaw, fit Buffy, surprise. Tu m'avais caché ce côté poète.
─ Ne te moque pas de moi, répondit Angel avec un sourire gêné.
─ Non, je suis sérieuse. Je n'ai jamais été aussi sérieuse.
Buffy se rapprocha d'Angel, effleurant délicatement le bout de ses doigts. Réceptif, le vampire lui saisit tendrement la main. Au contact de leur peau, un frisson parcourut simultanément leurs corps. Ils avaient conscience que cet instant unique ne pouvait être que fugace, mais peu leur importait désormais. Ils demeurèrent dans cette position quelques secondes d'éternité, à profiter l'un de l'autre, comme si le temps avait suspendu son cours pour préserver ce moment de complicité et de tendresse.
─ Rentrons, tu vas attraper froid. Et puis, il y a quelqu'un qui t'attend, finit-il par annoncer, brisant ainsi la magie de leur échange.
─ Merci, fit-elle en lisant entre les lignes.
Ils rebroussèrent chemin, avançant côte à côte, main dans la main, redoutant le moment où ils devraient briser ce contact physique, cet instant fatidique où ils franchiraient le seuil du manoir. Leurs pas les conduisaient inexorablement vers un chemin différent, mais leurs empreintes, bien qu'effacées par les stigmates du temps, resteraient à jamais ancrées dans cette cour et dans leur mémoire, comme un authentique instant de bonheur.
******
La musique. Toujours cette même vague d’émotion qui la submergeait à l'écoute de ces mélodies éveillant chez elle, un sentiment qu'elle apprivoisait. Illyria observait la foule autour d’elle : des corps qui se mouvaient avec grâce, des étreintes, des sourires éclatants, une joie palpable qui imprégnait l’atmosphère. Pourtant, tout cela lui restait en partie étranger. Depuis qu’elle avait franchi les portes de ce manoir, elle errait, telle une âme égarée, avec une seule certitude en tête : elle ne se trouvait pas à sa place ici. Malgré ses efforts pour s’intégrer, pour se fondre dans un rôle qui ne lui appartenait pas, la solitude la poursuivait. Elle se sentait invisible, comme si tous ces gens se pavanaient autour d'elle sans remarquer sa présence. Elle se considérait comme une ombre, un fantôme, un paradoxe, peut-être même une anomalie, à évoluer parmi le commun sans pouvoir interférer, échanger.
Pourtant, son époque ne lui manquait plus vraiment. Elle avait entrevu un autre monde, un univers troublant de beauté et d’émotions, ces mêmes émotions qui la traversaient sans trop savoir si elles émanaient de cette coquille ou de sa propre essence. La déesse démone s'attendrissait au contact des humains et s'attardait sur des aspects qu'elle aurait considérés hors de propos et futiles il y a peu.
Étouffant dans la masse, elle traversa la salle d'un pas mesuré, se fondant dans la frénésie de ces êtres qui semblaient vivre comme s'ils avaient oublié que la fin approchait. Au loin, elle distingua Spike, à l'écart de la foule, une cigarette et une bière à la main. D'ordinaire si prompt à se réjouir des festivités, le vampire affichait une contrariété évidente. Elle suivit la direction de son regard et comprit aisément la cause de son trouble : ses yeux étaient fixés sur la tueuse et le ténébreux. Le désespoir qu’elle percevait chez Spike semblait même surpasser le sien. Illyria avait appris à le connaître. Elle l’avait observé, écouté, et, d’une certaine manière, avait appris à le comprendre. En un sens, ils partageaient une connexion étrange, une sorte de lien tacite forgé par leurs expériences communes. Pourtant, malgré cette compréhension, elle se sentait impuissante à apaiser sa douleur. Ce n'était pas dans sa nature.
Son regard glissa alors vers l'observateur, entouré de ses compagnons. Giles lui rappelait l'homme qui l'avait aidé à mettre un pied dans ce nouveau monde, à la différence près que ce n'était pas lui. Personne ne pouvait le remplacer. Elle s'était imaginée un temps aller le voir, lui et sa bande, mais elle se résigna en observant leurs rires. Sa présence et ses sourires forcées feraient assurément tâche dans le paysage. Et puis, que pourrait-elle dire où faire qui ne déstabiliserait pas ses interlocuteurs ? Elle était une novice dans l’art des relations humaines, ignorant les règles qui les régissaient. Les interactions sociales, lui apparaissaient comme un terrain miné, chaque mots, chaque geste potentiellement mal interprété.
Peut-être pourrait-elle simplement se réfugier dans l’alcool, comme la dernière fois avec Spike, buvant jusqu'à ce que l’aube pointe. Pour les autres, cela leur faisait oublier leur soucis, les rendait joyeux ou moroses, mais sur elle, cela ne lui procurait jamais l'effet escompté. Immunisée contre l'alcool, c'était peut-être là son plus grand fardeau.
Son regard s’attarda sur le ténébreux. Angel semblait aussi perdu qu'elle dans cette ambiance. Au moins, ils partageaient ce point commun. Pourquoi ne pas aller à sa rencontre ? Après tout, elle le connaissait peut-être mieux que les autres. Combattre côte à côte dans une apocalypse forge des liens que peu d’expériences peuvent égaler. Pourtant elle l'avait trahi en le laissant seul dans cet hôtel, et ce choix, elle se devait de l'assumer. Revenir vers lui maintenant serait opportuniste et mal venu.
Une fois de plus, elle se surprenait à penser comme une humaine. Peut-être le devenait-elle peu à peu. Cette perspective l'effrayait. Toute cette palette d'émotions s'intensifiait et chamboulait sa psyché sans qu'elle n'ait le mode d'emploi pour y faire face. C'était tellement plus facile autrefois, quand elle ne ressentait rien d'autre que cette volonté viscérale de conquérir et de détruire ses ennemis. L’absence de sentiments lui conférait une clarté d’esprit implacable. Ses pulsions meurtrières refirent surface instantanément, si bien que pour s'apaiser, elle se focalisa sur la mélodie. Cette sonorité apportant joie, peine, et souffrance, incarnait tout ce qui la tourmentait.
Suffocant, la déesse démone rejoignit la sortie. La fraîcheur nocturne lui apporta un soulagement immédiat. La neige, délicate et silencieuse, avait un pouvoir apaisant sur sa personne. Elle observa ces minuscules grains scintillants, semblables à des diamants, se déposer avec douceur dans la paume de sa main avant de fondre, éphémères et insaisissables. Le vent soulevait ses cheveux, les faisant flotter autour de son visage, comme une caresse légère. Enfin, elle se sentait à sa place, éloigné du tumulte du monde, seule avec sa solitude.
Son regard se posa sur la lune, un lieu qu'elle s’imaginait fait pour elle, et duquel elle pourrait y contempler cette belle planète bleu comme une observatrice lointaine. Un souffle d'air vint soudain lui effleurer la joue, et la perception d'un étrange mouvement derrière son épaule attira son attention. En se retournant, elle le vit, debout devant elle. Après une brève réflexion, elle pensa à un mirage, après tout, que pouvait-il être d'autre ? Son cœur battait à tout rompre, tandis qu’une sensation étrange parcourait son corps. Cela n’était pas une douleur au sens strict, mais quelque chose de tout aussi intense. Illyria n'avait jamais éprouvée une telle émotion auparavant, du moins, pas avec autant d'ardeur. La neige tombait autour d’eux, et les flocons traversaient le corps de Wesley comme s'il n'était qu’une ombre, une présence éthérée dans ce monde. En fin de compte, lui aussi était comme elle, perdu dans un espace qui semblait ignorer son existence.
─ Que fais-tu-là ? l'interrogea-t-elle, déstabilisée par sa présence. Tu n'es plus à ta place ici, tu nous a quitté pour un autre monde.
─ Je sais, reconnut Wesley avec une douceur teintée de tristesse... mais me voici malgré tout. Je suis venu rendre visite à une amie.
Ces mots laissèrent Illyria encore plus désorientée.
─ Une amie! s’exclama-t-elle avec une amertume contenue. Tu n'es pas venu pour moi, mais pour celle que tu as perdue. Celle qui n’est plus qu’une coquille vide.
Wesley la toisa d'un regard pénétrant, sans chercher à contredire ses paroles.
… Je vois, reprit-elle tristement. Tu es venu pour que je te mente encore. Si c'est cela, alors je ne peux rien faire pour toi.
lllyria lui tourna le dos et rebroussa chemin. Mais le fantôme réapparut aussitôt devant elle, comme s'il pouvait se jouer de l’espace et du temps.
─ Peut-être devrais-tu commencer par cesser de te mentir à toi-même.
─ Que veux-tu dire par là, fantôme ?
─ Je t'observe depuis un moment. Et ce que j'y ai vu m'a plutôt surpris. Tu es devenue bien plus humaine que la plupart des gens. Tu ressens toutes les émotions et elles t'effraient plus que tu ne veuille bien l'admettre.
Illyria fut piquée à vif. Comment pouvait-il lire en elle comme dans un livre ouvert. Il prétendait l'avoir observé, alors est ce que cela signifiait qu'elle était digne d'intérêt ? Encore une fois, elle ne savait pas comment réagir. Les propos du spectre n'avaient engendré, chez elle, que plus d'incertitude et de questionnements. Elle pensait trop et ça la rendait folle.
… Regarde-moi, continua-t-il. Ne laisse pas tes émotions te submerger, maîtrise-les. Tout ce que tu ressens n'est pas une anomalie ou un fardeau, c'est un cadeau.
─ Un cadeau ? s'étonna-t-elle en se prenant la tête entre ses mains. Comment la souffrance pourrait-elle être un cadeau. Ça me ronge de l’intérieur. Ça m’empêche de respirer, j'ai l'impression de devenir folle... d'être déconnectée de ce monde. Je n'y ai pas ma place. Je ne sais plus si je suis moi.
─ Nous ne sommes jamais que ce que nous sommes. Tous les gens que tu as côtoyé, tous ceux que tu vois danser, s'amuser, pleurer, tout ce joli petit monde est exactement comme toi. Ils recherchent leur place dans ce monde où tous se sentent étrangers. Les humains ont chacun leurs façons de l'exprimer, mais vivre dans ce monde est à la fois beau et cruel pour chacun d'entre nous. Ça demande des efforts considérables, parce que chaque individu se sent perdu et seul lorsqu'il se retrouve face à lui-même. Tout ce que tu ressens Illyria, nous sommes des milliards à le ressentir, c'est ce qui nous rend humain. Rire, pleurer, tomber amoureux, aimer, haïr, avoir peur, souffrir, c'est ce que nous sommes. Si tu ressens tout ça, c'est que tu es en vie. Ce n'est pas un fardeau, c'est un cadeau, il ne faut pas le fuir, il faut l'accepter.
Une gouttelette humide glissa le long de sa joue. Elle posa sa main sur sa pommette et la caressa délicatement. Le matière liquide se déposa sur le bout de ses doigts qu'elle examina avec une intensité presque obsessionnelle. Cette larme de neige fondue reflétait l'écho d'une émotion qu'elle était incapable d’exprimer physiquement, pourtant son authenticité n'en demeurait pas moins viscérale.
Wesley l'observait avec un intérêt croissant en arborant un air satisfait. Il la découvrait sous un jour nouveau, non plus comme un démon, mais comme une personne à part entière, sensible à certains égards, et éprouvant des difficultés à vivre dans ce monde implacable, comme tout à chacun.
… Je suis venu voir une amie, insista-t-il.
Elle leva les yeux vers cet homme, et un sentiment à la fois indéfinissable et intense, l’envahit. Le simple fait de sa présence, même sous sa forme spectrale, lui redonnait espoir. Comme lors de son intronisation dans ce nouveau monde, Wesley demeurait sa lumière dans l'obscurité. Illyria venait de prendre conscience de cette deuxième renaissance et se sentait désormais prête à l'assumer. Bien que le chemin demeure encore long avant qu'elle ne s'y sente pleinement à son aise, la volonté était présente et le temps fera le reste.
Le vent emporta dans son sillage les quelques notes de la chanson « A Thousand Years » qui résonnèrent jusqu'à elle. Welsey lui tendit la main en guise d'invitation. Elle y répondit en y joignant la sienne. Le contact était certes impossible, et ce malgré toute leur bonne volonté, mais cela n'avait guère d'importance. Le corps de la démone se trouvait irrésistiblement attiré par cette chaleur étrange émanant de son enveloppe spectrale. Si dans la forme, tout n'était qu'illusion, un artifice, un simple point de vue de l'esprit, dans le fond, leurs deux êtres résonnaient à l'unisson.
Illyria qui n'avait jamais esquissé le moindre pas de danse auparavant, découvrit avec une joie contenue, le dur labeur de l'apprentissage. Au début, ses mouvements furent saccadés, si délicieusement maladroits et empreint d'une pudeur qui l'aurait presque fait se confondre en excuses. Mais ce n'était pas le propos. Wesley la rassura et l'entraîna dans son sillage, si bien que la démone se laissa aller au rythme de la cadence imposée.
Elle trouva, en cette magnifique soirée, sûrement la plus mémorable de son existence, une raison de se battre pour protéger ce qui venait de se révéler comme la chose la plus chère à son cœur. Un amour profond pour l'humanité se reflétait dans ses yeux par le biais de cet être ayant un pied entre deux mondes. Tous deux tournoyaient dans cette neige d'une étrange pureté, dansant sous le regard indiscret de la lune bienveillante. Elle aurait souhaité, à cet instant, ne jamais s’arrêter de tourner.
*******
Les éclats de rire et les accolades allaient bon train. Puis le silence s'imposa brusquement. La foule en était d'autant plus surprise. Certains imaginaient un problème technique ou alors les prémisses d'un incident gravissime sous fond de monstruosités débarquant des ténèbres. Il n'en fut heureusement rien.
Leïna monta sur l'estrade et s'empara du micro posé sur son socle. Tous les regards se fixèrent sur elle, suspendus à l’attente du discours qu’elle s’apprêtait à prononcer. Parmi les membres du Scooby Gang, seuls Alex et Dawn étaient au courant de la manigance pour en avoir été les principaux investigateurs. Tout était parti d'une discussion, lors d'une soirée bien arrosée, alors que le thème portait sur les artistes musicaux. Et il s’avérait qu'ils en connaissaient un en particulier, un artiste dont le talent était éclipsé par son choix de rester dans l’ombre.
─ Désolée de casser l'ambiance, s'excusa Leïna. La musique ne va pas tarder à reprendre. Mais avant, j'aimerais passer un message.
Elle inspira profondément pour y puiser le courage nécessaire à son intervention. Parler dans un micro, devant une foule de personnes, n'était pas à proprement parler sa tasse de thé. Le sacrifice en valait toutefois la peine, pour peu qu'il soit concluant, et dans ce cas, il existait toujours une part d'incertitude.
… Voilà, je vais en venir au fait...
La jeune femme apparut toute intimidée, ce qui ne manqua pas de faire sourire son cher et tendre, peu coutumier de la découvrir dans cet état de vulnérabilité.
─ Aujourd'hui, est un jour spécial pour chacun et chacune d'entre nous. C'est notre soirée. Et parmi nous, il y a une personne qui n'a jamais cessé de nous accompagner durant toutes ces années. Il a toujours veillé sur nous comme sur ses propres enfants.
Des cris s’élevèrent soudain de la foule, et le nom de Giles fut martelé à plusieurs reprises, ici et là. L'observateur, en pleine dégustation d'un bon millésime, écarquilla les yeux lorsqu'il prit conscience qu'on parlait de lui. Pris de court, il posa machinalement le verre sur la table et retira ses lunettes de stupéfaction.
… Vous l'avez deviné, confirma la jeune femme. Je sais qu'il déteste se mettre en avant et qu'il est sans nul doute en train de subir certaines pistes musicales un peu trop contemporaines à son goût, mais ce que certains ignorent, c'est que c'est un grand musicien. Et j'aimerais qu'on l'écoute nous jouer quelques titres de son répertoire.
Leïna posa son regard sur Giles.
… Tu vois, je crois qu’on a tous envie de t'écouter jouer et il se trouve que, par hasard, Alex a déjà apporté une guitare.
L'observateur resta immobile, bouche bée, ne sachant plus à quel saint se vouer. Leïna venait de le prendre au dépourvu, et la foule, d’abord murmurante, commença à scander son nom d'une seule voix, l’encourageant à monter sur l'estrade où l'attendaient une guitare, un micro, et surtout celle qu'il considérait comme sa propre fille. Poussé par l'euphorie ambiante, le récalcitrant n'eut d'autre choix que de céder à la pression. L'assemblée se scinda pour lui offrir un passage qu'il arpenta fébrilement, sous les regards amusés de Buffy, Faith, et Willow.
Une fois sur scène, il fit face au sourire malicieux de Leïna qui avait joué son rôle à la perfection. Il empoigna alors la guitare acoustique et la sangla autour de son abdomen. Une fois le médiator coincé entre les cordes saisi, il s'avança au-devant de l'estrade sous les encouragement de l'audience. Ses doigts pincèrent quelques notes et lorsqu'il se sentit à l'aise, il commença à gratter les cordes de façon magistrale en interprétant « Freebird », une chanson qu'il chérissait particulièrement.
Mais c’est lorsqu'il se mit à chanter que l’assistance fut véritablement submergée. Son timbre de voix, riche et puissant, subjugua la foule ébahie d'admiration. Giles qui avait si bien dissimulé ce talent jusqu’alors, révélait soudain une facette insoupçonnée de sa personnalité. Il maîtrisait son instrument comme un virtuose, en faisant danser ses doigts avec une aisance telle, que les accords s’enchaînaient sans la moindre interruption, tout en y insufflant son timbre de voix si exceptionnel.
L'observateur jouissait d'une capacité certaine à enthousiasmer une foule totalement conquise par les interprétations successives, qu'il enchaînait avec une énergie insoupçonnée. Pleinement investi et faisant corps avec son instrument, il offrit à un public attentif des partitions entraînantes, fascinantes et émouvantes, dignes des plus grands professionnels. Il avait ça dans le sang, si bien que beaucoup se demandaient s'il n'avait pas loupé sa vocation.
Giles était un acharné du travail, et son peu de temps de libre, il le consacrait à son instrument. Souvent, il jouait le soir, à l'abri des regards, dans ses appartements. Cela lui permettait de s'évader, de se détendre et d'évacuer toutes les tensions accumulées de la journée. La musique avait toujours engendré un effet rédempteur et thérapeutique sur sa personne, et il s'y réfugiait avec le même entrain depuis des années.
Alors qu'il venait de conduire son dernier accord, une ovation digne d'une rock star lui fut réservée. Les applaudissements nourris, mêlés aux sifflets d’admiration, finirent de le convaincre que cette expérience en valait la peine. Après tout, se tenir sous les feux des projecteurs, surtout lorsqu’il s'agissait de jouer pour les personnes qu'il aimait, relevait d’un véritable plaisir.
En descendant de l'estrade, la sono reprit de plus belle, et l'ensemble du Scooby Gang s'empressa de le féliciter avec un enthousiasme débordant. Parmi eux, Giles remarqua Leïna, qui l’observait avec un sourire espiègle sur le visage.
─ Tu as été sensationnel ! s’exclama la jeune femme, rayonnante et enjouée.
─ Je te remercie, c'était pour le moins inattendu et je suppose, pas du tout prévu. Heureusement qu'Alex avait justement ma guitare à portée de main. Le hasard, il faut le reconnaitre, a un talent certain pour orchestrer les événements d’une manière surprenante.
Alex tourna la tête, l'air non concerné.
─ Disons que je te voyais dévaliser toute la nourriture, alors j'ai pensé qu’il valait mieux t’occuper un peu, histoire de te préserver d’une éventuelle indigestion.
L'observateur esquissa un sourire sincère à sa filleule, puis lui tendit la main.
─ A mon tour de te surprendre, l'interpella Giles. Alex, tu permets que je t'emprunte ta dulcinée ?
Evidemment, le gaillard acquiesça sans rechigner. Il savait tout l'amour que portait Giles à celle qu'il considérait comme sa fille, et rares étaient les occasions de le montrer. Aussi un sourire sincère imprégna son visage en voyant sa tendre moitié submergée par l'émotion. Giles prit leïna par la taille, tandis qu’Alex en profita pour saisir la main de Dawn.
Tout le monde se retrouva sur la piste, à l'exception d'Angel, seul dans son coin, de Spike qui avait déserté les lieux, et de Buffy occupée à le chercher. Robin, quant à lui, pu enfin montrer ses talents de danseur sur un slow qu'il partagea tendrement avec Faith. Willow tournoyait gracieusement dans les bras de Kennedy, pendant que Dawn se blottissait dans les bras de son meilleur ami.
Giles, pendant ce temps, appréciait pleinement ce moment d’intimité partagé avec Leïna. Alors qu’il dansait, une douce mélancolie l’envahit en pensant à son vieil ami britannique, dont l’absence se faisait cruellement ressentir en cette soirée spéciale.
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Angel ne se sentait pas à sa place, parmi tous ces gens qui déambulaient de toute part en exacerbant leur joie de vivre. Dans sa prime jeunesse, bien avant de devenir une créature de la nuit, il adorait cette ambiance festive où l'alcool coulait à flot. Peut-être en avait-il trop abusé, mais aujourd'hui, avec plus de deux siècles de vie derrière lui, il s'était lassé de ce genre d’événement. L'immortalité avait ceci de contraignant qu'elle rendait fade l'existence, et l'attrait des premiers moments laissaient fatalement place à la morosité de l'habitude. Le temps emportait tout sur son passage et avec lui, les émotions s'en trouvaient fortement atténuées, un peu comme le visionnage d'un film passant en boucle chaque jour. Passé l'attrait de la découverte, il n'en restait guère plus qu'un ennui mortel. Pourtant, et malgré toute sa froideur et la rigidité affichée sur son visage, une vision de rêve allait le faire sortir de sa catharsis.
Était-ce un ange ou un démon ? Il n'aurait pas su le dire. Quoi qu'elle fût, elle semblait provenir d'un autre monde. Sa démarche assurée et hautaine, ainsi que sa posture droite et empreinte d'une grâce presque divine, captivaient tous les regards sur son passage.
Cette femme subjuguait, par sa prestance, toute l'attention. En termes de charisme et de sensualité, personne, dans cette soirée, ne lui arrivait à la cheville. Pour sûr, elle était d'ailleurs, d'une autre époque, d'un autre temps, et sa tenue de dentelle brodée de rouge et de noire en témoignait. Dans le pure style gothique, sa robe semblait taillée sur mesure, tant elle épousait parfaitement ses formes si délicates. Elle avait dompté ses cheveux indisciplinés en un chignon serré, accentuant les traits fins de son visage, à la fois angélique et sévère. La lumière claire qui se reflétait sur sa peau d’une blancheur éclatante, lui conférait un apparence presque irréelle.
Alors qu'il la voyait s’avancer dans sa direction, le temps sembla ralentir. Un frison parcourut son épine dorsale, lui procurant une sensation qu'il pensait à jamais perdue dans les méandres du temps. Cette intensité, ce mélange de surprise et de désir, le renvoya quelques années en arrière, lorsqu'il avait aperçu la tueuse pour la première fois, cachée derrière la vitre teintée de son véhicule. Ce souvenir, autrefois si vivace, se superposait à la présente réalité, réanimant en lui des émotions d’un autre âge.
Lui, qui avait vécu tant de vies, côtoyé la mort à maintes reprises, et combattu des légions de démons, ne s'était jamais senti aussi vulnérable que face à cette femme. Il entrevoyait une lumière éclatante dans ce tunnel sombre, et cette lumière c'était Djézabelle, plus magnifique que jamais. La magicienne s'approchait, arborant un sourire charmeur et timide, une expression d’innocence qu’il ne lui connaissait pas.
Il aurait pu lui dire à quel point il la trouvait belle, à quel point sa robe lui allait à ravir, mais à quoi bon, l'expression de son regard parlait pour lui. L'enchanteresse, quelque peu déstabilisée, paraissait fragile et peu sûre d'elle. Alors, sans dire un mot, et sans que cela soit réfléchi, il lui tendit simplement la main. Elle répondit à l'invitation sans sourciller, et ils s'avancèrent tous deux au centre de la piste, sans se quitter des yeux. Naturellement, les gens s'écartèrent à leur passage. Personne ne souhaitait perturber l'échelle cosmique qui enveloppait ces deux êtres régis par le destin, et peut-être plus encore.
Sa main dans la sienne, l'autre posée délicatement sur sa hanche, le vampire mena doucement la danse, tendrement, pour ne pas la brusquer. Leurs deux corps semblaient flotter dans l'espace, tant leurs mouvements, légers et lents, presque au ralenti, prenaient l'ascendant sur la foule autour d'eux. Réfugiés dans leur bulle, rien d'autre n'avait d'importance. Leurs regards se reflétaient l'un dans l'autre. Lui se perdait dans le bleu océan de ses yeux et elle dans ses iris ténébreux.
Angel leva son bras et la fit tournoyer sur elle-même, sa robe volant en spirale telle une fleur en éclosion avant de se refermer. Sans rompre leur étreinte, ils s'éloignèrent pour mieux se rapprocher. Leur pas se calquèrent pour n'en faire qu'un, puis leurs lèvres se frôlèrent, comme une invitation à un impétueux baiser, réprimé jusqu'à la frustration. Il la renversa délicatement vers l'arrière, avant de la faire revenir à lui avec un tact assuré.
Djézabelle, d'ordinaire si fière et confiante jusqu'à la désinvolture, se sentait totalement désarçonnée par cet homme dont la présence révélait, malgré elle, les secrets d'une vulnérabilité enfuie. Si légère dans ses bras si puissants et protecteurs, elle ne touchait déjà plus terre, et s'envola dans l'étreinte d'un ange. Rien ne l'avait préparé à cela. Comment aurait-elle pu deviner que son cœur prendrait le pas sur sa raison ? Elle qui s'était forgée une carapace infranchissable, la vit voler en éclat. Bien des fois, elle avait tenté de refreiner cette attirance qu'elle avait senti grandir en elle, mais elle ne pouvait plus faire semblant. Comment nier l'évidence quand toutes les planètes s'alignaient. Elle cessa de lutter et se laissa entraîner par ce vent de liberté à même de la conduire vers des contrées encore inexplorées.
Les néons devinrent des étoiles scintillantes, le parquet se métamorphosa en un tapis de nuages, et les notes de musique s'accordèrent au rythme des battements de leurs cœurs. Ils s'envolèrent dans un monde fait pour eux seuls, et dansèrent à travers les astres.
*********
Buffy l'avait cherché partout, sans succès. Son regard avait balayé la salle à plusieurs reprises, mais il persistait à briller par son absence. Pourtant elle l'avait entraperçu en début de soirée, en compagnie de quelques bières, seul dans son coin, manifestement peu enclin à se mélanger aux autres convives. Ce comportement ne l’étonnait guère, après tout, les soirées mondaines n’avaient jamais été son fort. Elle aurait souhaité le voir plus tôt, mais elle n'avait pas voulu fausser compagnie à ses amies qui comptaient fortement sur sa présence, sans compter qu’elle avait dû s'entretenir avec Angel pour clarifier leur situation. A bien y penser, peut-être les avait-il aperçus en usant de sa vision de vampire, ou peut-être pas, elle n'en savait rien. L’idée qu’il se soit senti délaissé lui traversa l’esprit, mais elle la balaya rapidement. Non, ce n'était pas son genre. Il souhaitait peut-être simplement être seul. Peu importe, elle avait besoin de sa compagnie et elle ne comptait pas lui demander la permission. Pas cette fois.
Le déclic opéra et un endroit s’imposa à son esprit. Déterminée, elle gravit les escaliers, en levant sa belle robe pour ne pas se prendre les pieds dedans. A cette heure-ci, les couloirs étaient déserts. Il y régnait un silence tel qu'elle entendait, avec clarté, ses talons claquer sur le sol. C'était assez inhabituel pour qu'elle le remarque, bien qu'elle ne déambulât que très rarement en talons hauts en ces lieux. La tueuse était plus accoutumée à porter des baskets ou des rangers, bien plus adaptés à son rôle de tueuse. Gênée dans sa démarche laborieuse, elle se délesta de ses escarpins et pressa le pas jusqu'à parvenir devant la porte numérotée trois cent quatorze. Cette chambre avait autrefois appartenu à Alex, mais depuis l’officialisation de sa relation avec Leïna, il avait cédé la place à Spike, son ancien compagnon de chambré. Après tout, entre faire chambre à part et partager la chambre de sa bien-aimée, le choix fut vite acquis.
La tueuse s’apprêtait à tambouriner sur la porte, mais son geste se figea avant l'impact. Une hésitation soudaine la saisit. Une fraction de seconde plus tôt, elle était complètement décidée, et voilà qu’un cas de conscience l’envahissait. Elle se retrouvait comme une adolescente, lors d'un premier rendez-vous, avec la peur au ventre, et une difficulté toute particulière à déglutir. Cette prudence soudaine lui parut ridicule. Foncer lui correspondait plus, alors elle se raisonna et, sans même frapper, ouvrit la porte.
Elle découvrit le vampire assis sur la rambarde de la fenêtre, une cigarette aux lèvres, les yeux fixés sur l'extérieur. Surpris par cette entrée imprévue, Spike tourna la tête en direction de la tueuse. Elle n'aurait pas su dire s'il était heureux ou mécontent de la voir débarquer. Le vampire arborait un visage sans grande expression, presque impassible. Buffy ne s'attendait pas à être reçue avec un grand sourire, mais tout de même, elle aurait apprécié un zeste d'engouement, ou un signe la rassurant sur ses intentions. Loin de s'attendre à pareille réaction, le doute commença à la ronger. Peut-être lui en voulait-il pour quelque chose qu'elle aurait fait, ou pas fait, et des centaines de questions fusèrent dans son esprit.
Elle s’efforça de les faire disparaître. Une chose, cependant, s’imposait à elle avec clarté : Spike, dans ce t-shirt noir qui épousait chaque ligne de son torse, semblait sculpté dans la pierre brute, une vision aussi troublante qu’attirante. Sans perdre davantage de temps, elle se lança, prête à briser ce silence lourd de non-dits.
─ Salut, prononça-t-elle souriante.
Sur le coup, elle ne trouva rien de plus élaboré à dire qu'un banal « salut ». Cela ne faisait que confirmer ce qu’elle savait déjà : elle était bien plus douée pour improviser des tirades tranchantes au milieu d’un combat que pour naviguer dans la complexité des relations humaines.
Pour toute réponse, elle n'obtint qu'un léger hochement de tête à peine perceptible. L'expression sur le visage du vampire restait sombre et froide, presque indifférente. Cette fois-ci, le doute n'était plus permis. Il lui en voulait.
… Je peux savoir ce qu'il y a ? Parce que là, je ne suis pas certaine de comprendre.
Le vampire détourna son attention en direction de la cour extérieure, sans lui adresser ne serait-ce qu'un regard.
─ Tout va bien pour toi, répondit-il froidement en jetant son mégot par la fenêtre. Tu as retrouvé ton ex. Je vous souhaite tout le bonheur du monde.
Buffy venait de découvrir le fin mot de l'histoire. Sa première intuition était la bonne : il l'avait vu avec Angel et il en avait, comme à son habitude, tiré des conclusions trop hâtives. Finalement, elle préférait cette situation. Cela signifiait qu'il était jaloux, et donc qu'il tenait à elle. Un bon signe en soi.
─ Si tu parles d'Angel, alors oui j'ai passé un moment avec lui. Excuse-moi, je ne savais pas que je t'appartenais.
La tueuse le piqua au vif sans ménagement. Elle aurait très bien pu calmer le jeu, mais elle avait la ferme intention de lui faire cracher ce qu'il avait sur le cœur.
─ Oh, mais on est d'accord, tu fais ce que tu veux. T'es une grande fille, et tu as fait ton choix. Ça a toujours été lui, j'aurais dû le deviner. Je ne suis pas surpris, fit le vampire résigné.
─ Mais de quoi tu parles ?
─ Ne fais pas l'innocente, je vous ai vu bras-dessus bras-dessous, et si t'es là pour me donner le coup de grâce alors fais vite, qu'on en finisse une bonne fois pour toute.
Ce qui semblait être un jeu pervers au début ne lui procurait plus aucune satisfaction. Le voir dans cet état lui brisait le cœur et cela ne pouvait pas durer.
─ Pour commencer, nous n'étions pas bras-dessus, bras-dessous, nous nous tenions la main. Et ensuite, ce n'était qu'en toute amitié.
Spike se redressa brusquement de la fenêtre pour faire face à la tueuse puis la dévisagea, incrédule.
─ Ouais c'est ça, en toute amitié, pouffa-t-il. Comme la dernière fois où vous vous êtes embrassés en toute amitié. C'est quoi la suite du projet, coucher en toute amitié aussi ? Tu veux que je te dise, je commence à en avoir ma claque de cette situation. Il est hors de question que je fasse le pantin de service et que je sois une fois de plus le toutou de la tueuse, ce temps-là est fini.
Le vampire ne mâchait pas ses mots, au plus grand déplaisir de Buffy, bien consciente de ses erreurs passées. Oui, elle s'était servie de lui après sa résurrection et elle en éprouvait encore de la culpabilité, mais les circonstances étaient différentes alors. A l'époque, il n'avait pas d’âme et elle était perdue, déboussolée par tout ce qu’elle avait traversé. Aujourd'hui, la situation avait changé, et elle considérait sa remarque totalement injuste. Elle inclina la tête, prit une grande inspiration, et planta son regard résolu dans le sien.
─ Je me dois d'être honnête avec toi. Angel et moi on n'est pas des amis et on ne le sera jamais. C'est comme ça. Il fera toujours partie de ma vie, d'une manière ou d'une autre, et je ne veux pas que ça te blesse.
Spike baissa les yeux, totalement dévasté, bien qu'il tentât de ne rien en laisser paraître.
… Mais lui et moi, c'est de l'histoire ancienne.
A ces mots, un sursaut d'espoir traversa le vampire. Il leva la tête lentement en direction de la tueuse, visiblement troublé par le sens de ses paroles.
… Si je suis allée lui parler, c'était pour clarifier la situation, et je te fais remarquer que je suis avec toi, ici et maintenant.
─ Tu veux dire que …
─ Ce que je veux dire William, c'est que j'ai fait mon choix.
L'expression sur le visage du vampire s'éclaircit soudainement.
… Je me suis beaucoup cherchée ces derniers temps, j'ai commis beaucoup d’erreurs dans ma vie et je ne me suis pas toujours conduite comme j'aurais dû. Quand tu es revenu à la vie, j'étais effrayé. J'ai eu peur de reconnaître l'évidence, alors je me suis menti chaque jour en espérant ne jamais te revoir, sauf que dans mes moments de solitude, dans mes rêves les plus intimes, tu occupais toutes mes pensées. Quand je suis revenue du royaume des morts, tu m'as fait me sentir en vie, tu connaissais tous mes mauvais côtés et tu ne m'as jamais jugé. Tu t'es contenté d'être là, à me soutenir. Tu as récupéré ton âme et tout est allé trop vite avec la force et Caleb. Je n'étais pas encore prête. J'avais besoin de me retrouver seule pour me rendre compte que j'avais besoin de toi. Tu es la personne dont je me sens la plus proche. Ce que j'essaie de te dire, c'est que je suis tombée amoureuse de toi et que je suis enfin prête à l'accepter... enfin... si de ton côté, tu veux toujours de moi.
Spike joignit ses lèvres aux siennes. Un baiser rempli de passion et de fougue. Ils s'embrassèrent jusqu'à en perdre haleine avant que le vampire ne se rétracte lentement en plongeant son regard dans le sien.
─ Ça te va comme réponse ? lui murmura-t-il tendrement.
─ J'ai bien peur de ne pas être rassasié, fit Buffy d'un ton explicite.
Le vampire, poussé par un irrésistible désir, avait bien compris le message. Il n'était plus question de retenue ni d'hésitation. Il l'empoigna alors par la taille et l'attira brusquement à lui, ses lèves trouvant les siennes avec une intensité dévorante. Leurs langues se cherchaient, se caressaient, comme s'ils étaient assoiffés l'un de l'autre. Elle entoura son cou de ses bras fins et se laissa entraîner par cette étreinte brutale et passionnée.
A cet instant, le vampire sentit son cœur battre à nouveau, comme s'il jouissait d'une nouvelle renaissance. Son corps frissonnait sous l’effet de cette connexion intense, et il n'avait qu'un désir : que cela ne s'arrête jamais. Il persistait à la couvrir de langoureux baisers, comme si sa vie en dépendait, comme s'il voulait s'imprégner du goût de sa peau, de sa chaleur, de son essence même.
Ce moment, il l’avait tant attendu, tant espéré, jusqu'à en rêver, et la réalité surpassait toutes ses attentes. Il se laissa aller à ses désirs les plus profonds, déshabillant Buffy avec une lenteur presque révérencieuse. Sa robe de satin glissa doucement le long de son corps, dévoilant ses formes sensuelles et érotiques. En réponse, elle lui retira son T-shirt, ses doigts parcourant la courbe de ses muscles saillants qui brillaient sous le feu de l'unique néon surplombant la pièce.
Buffy se jeta sur lui avec une fougue irrésistible, enroulant ses cuisses autour de son bassin pour s’accrocher fermement à lui. Spike la souleva sans effort, tandis qu’elle le dominait de sa hauteur, son corps pressé contre le sien. Son visage se retrouva alors niché contre sa poitrine, d’une douceur et d’une fermeté exquise. La tueuse, inclinant la tête en arrière, dégrafa la barrette qui tenait son chignon en place, libérant ainsi ses longs cheveux dorés qui tombèrent en cascade sur ses épaules. Elle lui offrit ensuite son cou, qu'il couvrit de la chaleur torride de ses baisers.
La tueuse sentit les battements de son cœur s’accélérer. Elle ne contrôlait plus toutes les pulsions qui la submergeaient de toute part. Il n'était pas question qu'elle les refrène d'une quelconque façon que ce soit. Elle voulait le ressentir en elle, pleinement, sans crainte ni peur de ce qui allait survenir, parce qu'il savait sa part d'ombre et de lumière et qu'elle était prête à se donner entièrement, sans tabou ni retenue, libre de toutes entraves.
Guidée par un désir ardent, elle l'embrassa avec passion, mordilla le bout de ses lèvres, savoura la moindre parcelle de sa peau avec une intention presque vorace. Spike, emporté par la même ardeur, l’entraîna avec lui vers le lit, où il la déposa délicatement. Son pantalon tomba sur le sol, à proximité d'autres vêtements laissés à l’abandon.
Le vampire possédait cette lueur dans les yeux, cette flamme vibrante et passionnelle que chaque seconde attisait d'un besoin d'encore et d'encore. Le corps voluptueux de la tueuse, frémissant sous ses doigts habiles, ne mentait pas. Il caressait tendrement chaque fibre de sa peau ferme, se languissant de son goût de miel et de sa chair dont il était éperdument épris. Leurs regards se croisèrent et ils comprirent instantanément qu'ils étaient faits l'un pour l'autre, et que cela ne changerait jamais.
Chaque moment partagé, chaque épreuve traversée les avaient conduits inexorablement à l’instant où leur deux êtres se mélangeraient, où ils s'appartiendraient corps et âme. Son amour inconditionnel transparaissait à travers ses mouvements tendres et sensuels, empreints d'une délicatesse dont il ne s'était jamais senti capable auparavant. Désormais, tout avait changé. Sa perception de la vie ne lui était jamais apparue aussi claire et limpide. Au fond de lui, Spike le savait, il n'avait vécu que pour ce moment où il aimerait sans concession, sans limite, jusqu’à se fondre en elle et s'y perdre à jamais.
Leurs deux corps frissonnèrent de concert. Buffy gémissait au rythme de ses hanches, chérissant l'extase de ce merveilleux moment où elle ne touchait plus terre. Plus rien n'avait d’importance, ni la vie, ni la mort, ni le paradis, ni l'enfer. Il n'y avait qu'eux, haletant, soupirant, s'extasiant, déchirant le ciel de leurs cris perçants. Puis, dans un dernier souffle, une dernière note plus puissante que les autres. Ils s'élevèrent là où personne ne les trouverait jamais, dans la douce béatitude d'un univers fait pour eux seuls : une petite chambre dans un manoir.