An Englishman in Morpork
Voici le premier chapitre d'une fanfic qui aurait dû être ma participation au défi sur le crossover improbable... Le titre de la fic (merci Oldie) est largement inspiré d'une chanson de Sting, celui de ce chapitre que je dois à mon compagnon, est inspiré d'une chanson de Nirvana. Bonne lecture !
Prologue – Smells latin spirit
Le jour de la rentrée, les élèves du lycée de Sunnydale avaient constaté avec une indifférence légèrement teintée de soulagement l’absence de M. Flaherty devant les portes de la bibliothèque. La remise des manuels scolaires avait été organisée avec efficacité par un homme grand et raide, vêtu, malgré la chaleur accablante de la fin du mois d’août, d’un costume de tweed posé sur une chemise à petits carreaux hermétiquement fermée par une cravate si serrée qu’on pouvait raisonnablement redouter de le voir s’écouler à terre pour cause d’asphyxie. Chaussures vernies et lunettes à monture dorée complétaient ce tableau relativement insolite pour des lycéens américains.
Alexander Harris et Jesse McNally ne s’étaient pas attardés à la bibliothèque pour vérifier si ce nouveau membre de l’équipe enseignante était plus sympathique que l’ancien. Il était de toute façon impossible de se montrer plus désagréable que M. Flaherty, avait tranché Alex. Willow avait approuvé distraitement, tout en regrettant l’empressement de ses amis à regagner le grand hall. Ce M. Giles avait un je-ne-sais-quoi d’attirant, et ce même sans la comparaison – nécessairement à l’avantage du nouveau bibliothécaire – avec M. Flaherty. Willow n’avait pas manqué de remarquer son sourire chaleureux lorsqu’il lui avait tendu ses manuels, la chevalière ultra-classe qui ornait l’auriculaire de sa main gauche, la lueur bienveillante au fond de ses yeux bleus (et aussi l’étrange petit cercle brun au bas de l’iris gauche qui ajoutait à l’intensité de son regard), et surtout, surtout, le son de sa voix – car existe-t-il quelque chose de plus charmant, en matière d’intonation, que l’accent anglais ?
D’accord, M. Giles avait un elle-savait-très-bien-quoi d’attirant. Qui donnait envie à une élève en quête de savoir de passer le maximum de temps à la bibliothèque. A l’époque peu regrettée de M. Flaherty, Willow s’y rendait déjà plus que de raison, mais uniquement pour emprunter les livres qui lui permettraient d’étancher sa soif de connaissances. Elle les lisait ensuite dans la cour ou dans une salle de classe vide, pour éviter les regards courroucés, raclements de gorges désapprobateurs et hurlements par trop fréquents du bibliothécaire, qui semblait croire qu’un lieu contenant des livres n’était autre qu’une salle exposition et que les œuvres devaient rester hors de portée du commun des mortels, dont Willow Rosenberg, en qualité de lycéenne, faisait partie. M. Flaherty avait sa méthode bien à lui pour rebuter les lecteurs les plus assidus.
Le nouveau bibliothécaire, quand à lui, l’avait chaleureusement accueillie, ainsi que d’autres volontaires timides, échaudés l’année précédente ; il avait répondu à leurs questions (sans leur crier dessus, ce qui était un plus non négligeable) et les avait même aidés dans leurs recherches. Willow avait essayé, durant la première quinzaine de cours, de persuader ses deux amis de l’accompagner, mais s’était heurtée à des plaisanteries plus ou moins intelligentes sur ce qu’Alex appelait sa « fascination anglaise ». La jeune fille avait rougi malgré elle, puis bafouillé sous le coup de l’émotion qu’ils feraient bien de passer un peu plus de temps à la bibliothèque pour obtenir de meilleurs résultats. Les garçons s’étaient empressés de hausser les épaules, mais leurs taquineries avaient cessé.
Taquineries sans aucun fondement, bien évidemment. Si Willow se rendait si souvent à la bibliothèque, c’était pour travailler. Parce qu’elle était, elle, contrairement aux deux clowns qu’elle fréquentait, une élève sérieuse et responsable. Et si elle trouvait toujours une question à poser à M. Giles, c’était par… par politesse, bien sûr. Il n’y avait jamais grand-monde et le pauvre devait s’ennuyer au milieu de ses rayonnages, loin de son pays natal. C’était presque, pouvait-on dire, par devoir qu’elle s’ingéniait à l’interroger sur toutes sortes de sujets, et absolument pas parce qu’elle appréciait le son de sa voix, si douce et mélodieuse qu’on aurait dit du miel liquide, ainsi que l’avaient sans subtilité suggéré ses deux amis. Des idiots.
Bref, elle n’avait aucun « faible » pour M. Giles. Ni pour aucun autre professeur d’ailleurs. Elle était, comme elle l’avait peut-être déjà mentionné, une élève sérieuse et responsable, toujours en quête de nouvelles connaissances. Ce n’était tout de même pas de sa faute si ce que racontait le bibliothécaire était toujours passionnant. Pas plus tard que la semaine précédente, il l’avait aidée dans ses recherches sur la Grande Dépression pour une dissertation d’histoire. La conversation avait dévié sur la littérature européenne d’entre-deux-guerres. Si elle devait se montrer parfaitement honnête avec elle-même, elle devait avouer qu’avoir pour la première fois de sa vie la possibilité de parler avec quelqu’un qui aimait les livres autant qu’elle lui semblait tellement miraculeux qu’elle en profitait autant qu’elle le pouvait. Après tout, M. Flaherty pouvait revenir.
Deux mois s’étaient ainsi écoulés depuis la rentrée, deux mois pendant lesquels l’amour de Willow pour les livres n’avait pas faibli. Cette année scolaire commençait plutôt bien. Bien sûr, les moqueries de la part des élèves les plus populaires ne s’étaient pas tari et le nombre de ses amis plafonnait à deux et demie : Alex, Jesse et Amy (en ce qui concernait cette dernière, Willow ne savait pas si elles étaient vraiment amies ou bien seulement camarades d’infortune filiale) ; mais, l’un dans l’autre, les cours étaient intéressants et le petit nid qu’elle s’était créé à la bibliothèque rendait la vie plus facile. C’était si agréable de pouvoir y étudier pendant des heures, à l’abri des regards, commentaires et autres sarcasmes de la part de ses « camarades de classe », sans se sentir épiée par les petits yeux méfiants de M. Flaherty, toujours à l’affut d’une infraction quelconque. Seul M. Giles savait qu’elle se trouvait là, sur la petite table derrière le rayon consacré à la littérature anglaise, et il passait de temps en temps pour ranger un livre ou deux, parfois lui proposer son aide pour un devoir particulièrement difficile.
Oui, la rentrée 1996 s’était plutôt bien passée.
Et si tout avait basculé, ç’avait été parce qu’elle avait voulu ranger un livre.
Non, en fait, tout avait commencé parce qu’elle avait eu l’intention d’emprunter un roman de Jane Austen. Pas parce que M. Giles en avait parlé la semaine précédente et qu’il avait fait preuve d’un enthousiasme contagieux, enfin, pas seulement pour ça. Elle voulait simplement se cultiver. Rien de mal à se cultiver, n’est-ce-pas ? Elle s’était donc levée après avoir passé deux heures sur un devoir maison de maths particulièrement retors, et avait fait quelques pas vers le rayonnage de littérature anglaise dont elle était la voisine immédiate. C’est là qu’un mince volume, coincé entre Northanger Abbey et Orgueil et Préjugés, avait attiré son attention. On aurait dit un carnet plutôt qu’un livre : pas de titre sur la tranche, couverture d’un jaune douteux, mal relié. La jeune fille tendit la main et le retira du rayon pour constater que le titre avait été, selon toute apparence, écrit à la main.
Bienvenus à Ankh-Morporke, citée aux milles surprises. [1]
Passant outre les « e » et « s » en trop, qui auraient dû suffire à lui faire reposer l’étrange ouvrage, elle l’ouvrit au hasard.
… un réseau folquelorique d’antiques passages et de rues pistoreque, où l’émossion et l’aromance se tapissent au détoure de chaque carefoure, où l’on entend moult cri tradissionnels des marchands de jadisse et l’on voit les fysionomies riantes des abitants qui vaquent à leurs affaires…
Willow ne put retenir un petit rire étonné devant ce fatras pseudo-littéraire émaillé d’erreurs orthographiques. S’il s’agissait d’un guide touristique (et selon toute apparence, c’était le cas), elle se demandait à qui il était destiné et qui pouvait bien avoir envie, après lecture de ces quelques lignes, de visiter… « Ankh-Morporke », où que puisse se trouver cette ville aux consonances étranges.
– Alors, ce devoir de mathématiques, c’est terminé ?
La voix de M. Giles, toute proche, la fit sursauter. Elle se sentit, comme souvent lorsqu’elle était prise de court, rougir assez stupidement.
– Oh, oui, je viens de le finir. Je cherchais un roman de Jane Austen pour me changer les idées…
Sentant peser sur elle le regard du bibliothécaire, pourtant ni malveillant ni réprobateur, elle estima nécessaire de se justifier, et pour ce faire, se lança dans les explications embrouillées dont, au dire de ses amis, elle était spécialiste lorsqu’elle se sentait mal à l’aise.
– … et je suis tombée sur ce guide touristique (elle agita l’objet incriminé), qui parle d’une ville dont je n’ai jamais entendu parler, et on ne peut pas dire que ça donne envie. Il y a une description complètement… wahou ! Et… et même des passages en latin, aussi, ajouta-t-elle en riant nerveusement, c’est complètement loufoque, comme là, regardez, Fiat liber iter post Tympanum Refectum… [2]
C’est alors que quelque chose d’absolument anormal se produisit.
[1] Ce livre "existe" dans le Disque-Monde. Il a été écrit par la Guilde des Marchands pour vanter les merveilles de la principale ville du Disque. L'extrait que vous pouvez lire juste en-dessous est extrait d'un des romans de Pratchett (mais je n'arrive pas à retrouver lequel, désolée).
[2] Ou, en latin approximatif : "Que ce livre devienne un chemin vers le Tambour Rafistolé" (Giles a raison : il ne faut jamais lire du latin devant un livre ouvert...), le Tambour Rafistolé étant une auberge assez connue à Ankh-Morpork, précédemment appelée "Le Tambour Crevé".