When in Rome
Chapitre 61 Eyes without a face
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"Tes yeux ont volé à l'aube sa clarté" (Charles de Leusse)
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L'antique Austin Mini que Pietro conduisait se faufilait très bien dans les ruelles détournées de la Ville Éternelle. Il roulait prudemment, plus que la moyenne en tous cas, mais avec la dextérité manifeste d'un habitué. Pendant le trajet pour aller déjeuner, elle n'essaya pas vraiment d'alimenter la conversation, préférant simplement se laisser happer par le spectacle son et lumières des rues animées où même les coups de klaxons se répondaient dans un registre dramatique… Malgré sa tristesse, elle pouvait admettre qu'elle n'aurait jamais découvert tout cela sans l'expérience inquiétante qu'elle vivait actuellement. A ce détail près qu'elle aurait préféré découvrir le lieu en touriste, plutôt qu'en naufragée.
Alors qu'ils patientaient à un feu tricolore, elle se tordit le cou pour essayer de lire les panneaux et se sentit observée. Elle avait compris que, plus que partout ailleurs, la gent masculine trouvait ici naturel de complimenter les femmes sur leur belle apparence et que les rares personnes extérieures qu'elle avait croisées jusque-là semblaient fascinés par ses cheveux longs. Son premier mouvement aurait été d'ignorer la chose, mais l'impression désagréable d'être le point de mire persistait. Quand elle jeta un regard de côté, ce fut pour tomber deux yeux globuleux tagués sur le mur à sa droite. Ils semblaient si réalistes qu'elle aurait dit qu'ils la fixaient elle, et personne d'autre. L'artiste était certainement doué mais l'expression exsudait la malveillance. Aucun passant n'y prêtait attention.
Le feu changea de couleur et la voiture redémarra. La sensation de malaise qui l'avait saisie perdura quelques instants. Il n'y avait pourtant rien d'autre que des yeux dans le haut d'un crâne esquissé… Elle avait vu pire à Halloween durant les années passées.
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Elle n'y pensa plus en franchissant la porte du restaurant que Pietro avait choisi. Avec son ambiance un peu sombre et sa décoration vieillotte, le cadre n'était clairement pas son point fort, oscillant entre le très banal… et le kitsch. Toutefois, les récompenses gastronomiques qui surchargeaient les murs, et les odeurs exubérantes d'huile d'olive, d'ail et de pain chaud qui aguichaient ses narines, l'incitaient quelque peu à réserver son jugement. Un sourire mystérieux aux lèvres, « Direttore » la pilota jusqu'à une table carrée et tira pour elle une chaise à l'assise ornée d'un cannage jaune vif, avant de prendre place lui-même.
— C'est marrant, je ne vous imaginais tellement pas venir dans un endroit comme ça… commenta-t-elle en dépliant sa serviette géante.
— Pourquoi ?
Elle s'autorisa un nouveau coup d'œil sur son complet clair et sa cravate en soie qui finiraient vaincues face à un vicieux assaut de sauce tomate. L'idée qu'il ait pu se mettre sur son trente-et-un pour elle ne l'effleura même pas : vu sa maison, il était évident que la situation d'Observateur devait payer nettement mieux dans le futur.
— Vous êtes trop bien habillé pour venir dans ce genre d'endroit !
— J'ai des goûts plus simples que tu crois, répondit-il en se réchauffant pourtant au compliment. Ici, c'est une trattoria. On y mange de la bonne cuisine de famille avec des portions décentes. Dans les restaurants de chef, ils te servent trois légumes et un doigt de viande. Après, on a encore faim.
Oh mon Dieu, et en plus il a le sens de l'humour !...
Elle baissa les yeux sur la carte la carte, histoire d'arrêter de baver comme une Américaine lourdaude qui ne savait pas se tenir, et demanda d'un air suppliant :
— Est-ce que j'ai le droit de manger une pizza ? Elles doivent être fabuleuses dans leur pays natal, non ?
— Ce serait dommage de ne pas goûter un plat plus typique.
— Je préférerais vraiment quelque chose que je reconnais…
— Et si tu me laissais commander pour toi ?
— Euh… non.
Il se permit un petit rire de gorge face à cette réponse abrupte et attrapa juste la carte des vins pour une vérification rapide.
— Tu pourrais me faire confiance, tu aimais venir ici avant.
Avant ?... Avant quand elle pouvait se déplacer sur deux jambes ?
Cette attention délicate la fit fondre, même si elle n'avait guère besoin d'être encouragée sur ce point, parti comme c'était parti. Elle baissa la tête pour faire semblant de lire le menu auquel elle ne comprenait goutte. Il fallait aussi qu'elle arrête de sourire bêtement.
— Je suis assez dépaysée pour la journée, je vais quand même prendre une pizza, insista-t-elle. Une grosse. J'ai très faim.
Il acquiesça et reposa la carte, cherchant le regard d'un serveur disponible. Un petit homme châtain clair au visage parsemé de taches de rousseur s'approcha nonchalamment. Ils semblaient se connaître et se mirent à parler à toute vitesse.
— Ciao Galardi, come va ?... Ma qui è questa carina ? Madonna, guarda gli occhi ! Lascia me prendere cura di lei, visto que non sai come… se rengorgea l'inconnu avec un sourire équivoque qui la mit un peu mal à l'aise.
— Attento, Lino. Prendi l'ordine invece. Portagli delle pizette e una scalopina di vitello, per me. Un bicchiere di rosso…
Il s'interrompit pour demander en anglais si elle buvait du vin. Elle répondit qu'elle voudrait bien un Coca. Il leva les yeux au ciel comiquement avant de demander au serveur :
— Metti una San Pellegrino fresca. Cinquanta.
Moqueur, ce dernier finit de taper la commande sur un terminal et s'en repartit en protestant :
— Galardi, almeno, potresti essere bisex…*
Pietro lui décocha une grimace agacée. Dawn qui avait dressé l'oreille au dernier mot, le regarda s'éloigner avec une moue méfiante puis se pencha pour demander tout bas :
— Qu'est-ce qu'il a dit ?
— Que tu lui plaisais. J'aurais dû ajouter que ton petit ami était un tueur pour calmer son insolence.
— Non, il ne ferait pas de mal à une mouche. Je voulais dire, qu'est-ce qu'il a dit après, quand vous avez fait la tête ?
— Une blague de macho stupide. Ne me vouvoie pas, s'il te plaît. Qu'est-ce que tu as fait ce matin ?
Elle convint que « pas grand-chose » résumait assez bien la situation. Parcourir l'index du fonds documentaire était certes utile mais pas passionnant. Plutôt que de lui parler des recherches qu'elle voulait faire, elle babilla sur la formation très spéciale de Buffy qui refusait de se plonger dans le moindre bouquin barbant. Elle l'informa qu'elle avait vu Giles et souligna ostensiblement qu'elle comptait déjeuner avec durant la semaine, pour le remercier de lui avoir rallumé la tablette au lieu de la laisser se débrouiller. Il ne montra rien d'autre qu'un air vaguement amusé.
— Je n'ai pas très bien compris qui était la petite fille sans cheveux qui le suivait partout. Elle est venue me parler spontanément et j'ai l'impression que je lui plais et qu'elle m'a adoptée !... s'étonna-t-elle. Est-ce que sa mère était une Tueuse et qu'elle est morte ? C'est arrivé au Proviseur Woods, je ne sais pas si vous le connaissez ou s'il est toujours en vie…
— Oui, je le connais. Woods est en poste en Amérique... Pour la petite demoiselle, Spike a dit qu'elle était orpheline et survivait seule. Ce ne serait pas son genre de vouloir s'occuper d'elle, mais pourquoi la traumatiser davantage en la laissant à sa garde ?…
Dawn hocha la tête, se souvenant que la petite avait parlé du « monstre dedans ». Elle n'avait pas pris le temps de penser à ce que ça impliquait : qu'elle avait découvert que c'était un vampire. La pauvre avait dû être terrifiée…
Les raisons pour lesquelles Spike ramassait des enfants perdus et les questions sérieuses s'envolèrent quand on l'interrompit en posant devant elle une planche en bois avec quatre mini-pizzas. Elle s'extasia sur leur petite taille et leurs garnitures différentes. Rose d'excitation, elle croqua dans une petite part et se brûla. Magnanime face à sa gloutonnerie, il lui servit de l'eau sur laquelle elle se jeta avec avidité. Léger et doux comme un friselis sur sa peau, un courant de complicité venait de passer entre eux.
A ce point, elle était si parfaitement béate qu'elle oublia tout pendant dix minutes. Lorsqu'elle se rendit compte de l'ampleur de son décrochage mental, en revenant à la réalité, elle se réprimanda en silence. Une semaine plus tôt, c'était avec Kenny qu'elle bouquinait en pique-niquant sur le gazon de l'université… A l'instant, il n'était qu'un très lointain souvenir. Souvent femme varie.
Rien ne semblait échapper à Pietro et, quand il lui demanda si tout allait bien, elle s'empressa d'acquiescer en changeant de sujet.
— A propos, je suis désolée de vous avoir critiqué tout à l'heure, à l'école. J'ai eu l'exemple de ma sœur qui n'était pas du tout conventionnelle comme Tueuse.
— J'ai aimé que tu le fasses. Andrew me parlait souvent d'elle et de Sunnydale, mais c'est bien d'avoir un autre point de vue.
— C'est sûr qu'on ne doit pas avoir le même, c'était notre prisonnier, rappela-t-elle en croquant un petit artichaut.
— Votre quoi ?
— On n'avait pas trop le choix, il fallait bien qu'on le surveille. La Force le tenait et lui faisait faire ce qu'elle voulait... Pourquoi vous faites cette tête ? Il en a jamais parlé ?
— Il n'a pas dit qu'il était prisonnier… Juste qu'il avait de grandes connaissances sur la Force et qu'il aidait la Tueuse du mieux qu'il pouvait avant la grosse bataille finale…
— Mais bien sûr, répondit-elle sarcastiquement. Il était si idiot et si énervant qu'on voulait tous le trucider au moins trois fois par jour… Redites-moi vers quel âge j'aurais été censée me marier avec lui ?
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Ils dégustaient deux petits pots de glace au soleil, sur un banc du Parc du Colisée. Pietro espérait que la promener partout dans des endroits familiers lui fournirait de multiples occasions de retrouver la mémoire.
Il commençait pourtant à douter que ce fut rapide. Face à lui, se trouvait une toute jeune femme au caractère plus affirmé et aux réactions plus vives que ce qu'il escomptait. Pour la première fois, il comprenait un peu mieux l'attitude de Spike autrefois, quand il jouait avec elle la valse-hésitation. Voilà quelle était la Dawn qu'il avait connue : une très jolie poupée svelte, les cheveux plus clairs et le teint pâle, sentant encore un zeste d'enfance avec son nez arrondi un peu fort dans son visage triangulaire aux joues rondes.
De temps à autre, il reconnaissait fugacement la femme qui était son amie, mais une telle transfiguration le laissait toutefois pantois. Il n'avait que des théories là-dessus. Andrew était toujours resté muet comme une tombe, se bornant à dire qu'elle avait connu des heures très sombres avant qu'il lui propose de l'épouser. Pietro avait toujours attendu et espéré qu'elle lui en parle un jour. Ce n'était jamais arrivé. Heureux de la contempler ainsi, lumineuse et sans le voile qui éteignait ses yeux bleus, il prenait cependant mieux conscience de son « assombrissement », entériné par son éternel fard à paupières charbonneux et son rouge à lèvres cacao rose. Sans qu'on puisse dire pourquoi, elle avait une aura de femme un peu fatale des vieux films hollywoodiens. Aujourd'hui, dépouillée de son « masque », la douceur de ses traits lui rappelait le jour où il avait convolé avec Andrew.
Elle était si magnifique cet après-midi-là ! Mais son apparition-éclair, durant laquelle elle s'était montrée polie, distante et réservée, lui avait mis le cœur au bord des yeux. Quand il avait été seul plus tard et sans témoin, la gorge nouée, il avait pleuré parce qu'elle s'était enfuie loin d'eux à la première occasion, le laissant avec l'impression pas forcément erronée qu'il venait de perdre quelqu'un.
— Pietro, il faut arrêter de me dévisager comme ça, je ne sais plus où me mettre…
— Je te demande pardon. Je me demandais si cette visite faisait revenir des souvenirs, mais j'ai l'impression que non. Rien n'est familier ?
Elle contempla le petit morceau de pistache posé sur sa cuiller en plastique et secoua la tête avec une petite moue signifiant qu'il se leurrait un peu.
— Même pas… moi ?
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Elle sourit nerveusement. Cette question étrange jeta une toute autre lumière sur la prévenance qu'il montrait depuis le début. Elle était à peu près sûre qu'elle prenait ses désirs pour des réalités en imaginant une histoire rocambolesque où ils entretiendraient un genre de liaison secrète qu'il ne saurait plus comment avouer maintenant. Sa compagnie était si délicieuse qu'elle aurait pu pardonner aisément à Future Dawn de s'être laissé tourner la tête, si tel avait été le cas.
Mais avec la relation que Spike et elle avaient dans ce monde, cela n'aurait jamais pu arriver... Si jamais il avait appris qu'elle le trompait, ça se serait très mal passé. Elle déglutit. Dommage. Il avait l'air du prince Charmant. L'intéressé continua, les yeux baissés :
— Je pose la question parce que je te connais depuis une quinzaine d'années. Pendant un temps, je me flatte d'avoir été même ton meilleur ami. Ton confident.
— Oh, j'ai dû faire quelque chose de mal si vous parlez au passé.
— Nous sommes toujours amis… Mais nos vies conjugales nous ont éloignés… En tous cas, ce n'était plus pareil.
Elle acquiesça avec un soupir compréhensif et haussa une épaule en signifiant que ça lui semblait inévitable.
— Si c'est la fin avec Spike, est-ce que vous savez si elle songeait à refaire sa vie ? Avec un monsieur retraité ou… un Observateur, je ne sais pas ?
— Quoi ?
— D'après ce qu'il a dit, j'ai l'impression qu'elle voulait rompre... Faut pas être un génie pour comprendre pourquoi. Elle est vieille et handicapée; lui, il ne fera jamais ses deux cents ans. Ça ne pouvait plus coller. Elle a dû s'en rendre compte avant lui, c'est pour ça qu'il est comme ça.
— Comme ça comment ?
— Dans le déni. Il ne semble pas avoir acté leur séparation. Il a dit qu'il l'aimerait toujours même si elle le traitait mal. Après, c'est vrai qu'il ne prend pas bien les ruptures... mais cette histoire me chiffonne. Je me demande ce qu'elle a bien pu faire pour qu'il ait eu l'air aussi blessé.
— Cela ne me plait pas, parce que ça me fait un peu peur, mais votre lien est très fort. Spike est possessif envers toi et déteste tout homme qui a – ou veut – une place dans ta vie. Je suis certain que tu as eu une influence très positive sur lui. Mais en a-t-il eu une bonne sur toi ? Je l'espère. En toute honnêteté, je ne t'ai pas vue beaucoup après mon mariage... Je ne sais donc pas s'il te rendait heureuse, je n'étais pas là.
Elle se troubla en l'entendant parler « d'hommes qui auraient voulu avoir une place dans sa vie ». Difficile de ne pas se figurer qu'il parlait de lui... Mais si elle voulait bien réfléchir avec sa tête deux minutes, il y avait bien plus plausible pour expliquer qu'il vive avec elle et sa jeune et jolie fille...
— Pietro, il ne faut pas vous inquiéter. JE ne suis pas mariée avec Spike. Et sans vouloir vous offenser, j'ai l'impression qu'il le comprend mieux que vous... Si on excepte le moment où j'ai repris conscience ici et où il s'est montré perturbé – ce que je comprends, je l'étais aussi – il ne me confond pas du tout. Il me traite comme avant sa mort. Il ne me porte pas une attention particulière, ne cherche pas ma compagnie ou à me parler. Il est là comme un invité discret qui a l'esprit ailleurs, ça lui ressemble. Mais ce qui fait bizarre, c'est de voir comme il est proche de Maya, que je ne connais pas. C'est à elle qu'il parle quand il en a besoin. C'est intéressant de les voir interagir ensemble. Un mix de franchise directe, de familiarité, de complicité et d'affection. Je ne l'ai jamais vu être comme ça avec personne.
— Cela t'embête que je ne fasse pas comme lui ? Que je ne te considère pas comme « une autre Dawn » ?
— Oui, reconnut-elle. Je me sens niée, comme si je n'étais pas importante. Et je connais trop ce sentiment. Votre Dawn a fait des choix de vie que je trouve aberrants. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point ils sont inenvisageables pour moi. Et répugnants. Non, moi je ne pourrai jamais faire ça.
— Je comprends très bien ton point de vue, mais je ne souscris pas à ta théorie dont Giles m'a touché deux mots. Bien que je ne la pratique pas, je ne suis pas le dernier des béotiens en magie. Je pense que je me dois de connaître son étendue et ce qui est possible ou pas. J'étudie depuis longtemps sur mon temps libre. Mon opinion est que le déplacement dans un monde parallèle, avec en plus un saut dans le temps en avant, réclamerait des compétences extraordinaires et une dépense énergétique phénoménale. Juste un univers parallèle, je comprendrais. C'est basique. Bien des démons peuvent le faire... Mais c'est le bond dans le temps et en direction du futur qui est trop problématique à associer. Tu l'envisages comme si ce n'était rien à faire. Comme s'il suffisait de connaître la bonne formule dans le bon livre et la réciter et hop finito. Aux Échecs, tu peux avancer comme une Tour en avant, en arrière, sur les côtés. Dans le passé, dans le futur, ok. Latéralement d'un monde parallèle à un autre, ok. Mais toi tu penses que tu as eu le mouvement d'un Cavalier. Deux cases en avant et un pas de côté. Je pense que tu ne te figures pas le niveau de conscience et de puissance qu'il faudrait pour encaisser une telle chose. Plus le sortilège est puissant plus il prélève son tribut sur toi, plus il te consume. Pour te projeter dans le futur, il faut s'élever au-dessus du temps à tel point que ta conscience soit capable de ne plus le voir comme une ligne mais bien un cercle fini et connaissable. Personne d'humain ne peut faire ça. Autre possibilité, simplement créer une illusion de futur possible où te faire vivre. Avec tous les gens que tu rencontres, leur personnalité, leur passé détaillé... Des dizaines de milliers d'interactions et d'événements tous cohérents, corroborables par des témoins sur des décennies, sans erreurs, sans flou, sans décor bâclés et répétitifs... Rien que ça, c'est déjà un mode de traitement qui drainerait n'importe qui en quelques heures. Tu es là depuis quatre jours.
— Mais... la magie qui m'a créée a fait cela. Il y a eu une altération de la réalité pour m'y faire une place, d'après ce que j'ai compris. Un tas de gens ont été touchés, je suis la preuve que c'est bien arrivé et donc que c'est possible.
— Je ne le nie pas. Je ne nie pas non plus que tu aies des capacités hors du commun dont tu ne soupçonnes pas l'étendue. Je dis juste que je suis un type raisonnable. Et entre ton option très compliquée qui peut te tuer et affaiblir jusqu'à la planète entière si tu te branches à sa source pour avoir un surcroit de puissance, et une option simple, économique et efficace, je vais prendre la seconde. A savoir que tu es bien celle ce que tu appelles "notre Dawn d'un monde parallèle" mais simplement amnésique. Tu penses que tu es différente et c'est logique. Tu n'as pas connaissance du futur qui t'attend à ce point où tu en es rendue. Tu vas être façonnée par cette vie où tu ne te reconnais légitimement pas, tu n'as aucun souvenir de l'avoir vécue... Tout ceci n'est même pas magique ou farfelu. Les sciences neurales reconnaissent la réalité d'un choc traumatique sur la mémoire et le psychisme, et combien la guérison peut être délicate et aléatoire s'il fait barrage... Alors c'est pour ça que je ne te traite pas comme une personne distincte, comme le fait Spike. Il a ses propres objectifs. Spike veut te plaire, Spike veut tout faire pour que tu te sentes le moins mal possible à son propre détriment, Spike considérerait comme une catastrophe majeure que tu le rejettes car il a besoin de toi sur un plan quasi vital. Mais moi, je n'ai pas besoin de te plaire. Et je n'ai pas peur de te déplaire non plus. Je préfère t'aider à découvrir la vérité. Et si tu me rejettes parce que je t'aurai dit des choses qui ne te plaisent pas, ou fait découvrir des choses que tu aurais voulu ne jamais connaître, eh bien, qu'il en soit ainsi. Car Spike est un protecteur, et moi je suis un éveilleur. Capisci ?
Elle afficha une moue tremblante, les larmes au bord des yeux.
— C'est vrai que je n'aime pas trop ce que vous me dites... Je ne veux pas être quelqu'un qui a raté sa vie à force de mauvais choix et qui finit impotente, à s'incruster chez son gendre et sa fille en l'obligeant à la prendre en charge en plus de tout ce qu'elle a déjà à gérer...
Gravement, il prit son pot de glace pour le poser de côté et pressa sa main dans les siennes en la regardant dans les yeux.
— Dawn, tu n'es pas un fardeau. Ta fille et tes petits-enfants t'aiment et sont heureux de ta présence. Tes anciens amis te rendent visite dès qu'ils sont en ville. Dans cette maison, tu « n'incrustes » rien du tout. Niente. Tu es littéralement chez toi car nous en sommes tous deux propriétaires pour moitié. Et... tu n'es pas ma belle-mère.
— Hein ? Vous ne voulez pas vous marier avec Maya ? Ça ne se fait plus ?
— Eh bien, si... Mais elle n'est pas le genre de personne dont je peux tomber amoureux. Et je la connais assez pour être certain que je ne suis pas son type non plus...
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Les yeux écarquillés, Dawn affichait une adorable stupéfaction muette.
— Ah… bon ? s'étrangla-telle. Mais comment... ?
Son incrédulité et sa déception criante lui permirent de réaliser qu'à force d'avoir été discrets et non intrusifs, aucun d'entre eux n'avait dû lui dire sans détour que c'était lui, le veuf d'Andrew...
Il n'était pas aveugle, il voyait bien qu'elle appréciait sa compagnie, et d'être traitée avec une prévenance galante dont elle n'avait manifestement aucunement l'habitude. Elle avait eu son premier vrai sourire aujourd'hui.
Est-ce qu'il devait le lui dire maintenant ? Lui faire comprendre que le baume au cœur qu'elle ressentait actuellement ne conduirait nulle part ? Il aurait préféré l'annoncer avec plus de tact, en l'assurant qu'elle comprenne bien qu'il serait là pour elle et Maya. A fortiori avec Joy maintenant, les Wells étaient absolument sa famille bien plus que les Galardi ne l'avaient jamais été…
Si elle prenait la nouvelle comme un nouveau coup au moral, en la faisant se sentir « indésirable », il craignait qu'elle n'abandonne et choisisse de s'isoler ou fuir – une tendance trop naturelle chez elle – et qui aurait ravivé de mauvais souvenirs en lui.
Il avait souffert de ce qu'elle coupe les ponts après le divorce. Au début, même s'il essayait de le cacher, le sentiment déchirant qu'elle lui en voulait silencieusement d'avoir « volé » la vie sécurisante et douce qu'elle avait avec son mari, ne l'avait pas quitté. Elle était retournée vivre en Italie. Pris de court par son revirement, il n'avait pas compris pourquoi leur amitié aurait dû s'arrêter. Pourquoi elle avait eu soudain peur de les « déranger ». Pourquoi elle s'était sentie de trop avec eux, quand lui avait été si bien accueilli et intégré dans leur foyer lorsqu'il les avait rencontrés… Après le mariage, elle s'était jetée dans les bras de Spike qui n'attendait que cela, évidemment. Et pour la revoir plus qu'une fois à Noël, il avait fallu qu'Andrew décide de revenir se baser définitivement à Rome.
Là, elle était en train de le dévorer de ses grands yeux incertains, se mordant l'intérieur de la lèvre comme pour ravaler ses mots et ce qu'elle devait imaginer être une bévue.
— J'ai imaginé des choses. Je suis désolée. J'ai eu l'impression que Maya et vous étiez... plus proches que des amis. Vous n'êtes pas si vieux par rapport à elle, et vu comment vous êtes avec les enfants, j'ai sauté trop vite aux conclusions. C'est triste qu'elle n'ait personne. Je pensais que c'était fini la solitude imposée des Tueuses...
— Oui, c'est fini. Si ça peut être un début d'explication, Maya a eu besoin de temps pour faire son deuil du père d'Evan. Et si elle est plus ouverte maintenant à l'idée de trouver un partenaire, je pense que son entourage direct a mis la barre haute, et qu'elle ne veut pas prendre n'importe qui, dit-il pour la dérider.
Elle se permit un tout petit sourire mais revint à la charge.
— D'accord mais… c'est quand même important l'amour, non ? Comment est-ce que vous pouvez renoncer comme ça, alors que vous êtes jeunes et magnifiques... ?
Il porta comiquement la main à son cœur.
— Ouh, je suis magnifique ! Je n'ai pas complètement perdu ma journée alors... Viens, rentrons à l'école avant que je n'entende d'autres compliments exagérés.
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Malgré sa boutade, Pietro s'était fait plus silencieux pendant le retour. Elle ne savait pas très précisément ce qu'elle avait dit de travers, mais elle le regrettait déjà.
Pour oublier son impair calamiteux, elle scruta le chemin en tentant de le mémoriser. Si elle devait mener prochainement l'enquête en ville, alors autant essayer de se rappeler le nom des rues.
En repassant devant les graffitis, elle eut peur de retomber sur le regard affreux mais ne le retrouva pas. Son profond et lent soupir de soulagement n'échappa pas au conducteur. Il lui sourit de toutes ses belles dents blanches, comme pour l'encourager et peut-être la réconforter après cette discussion riche en émotion. Ils roulèrent encore, fenêtres ouvertes parce que la chaleur montait, il mit un peu de musique et elle commença à se détendre.
Et alors qu'il revenait bien en place au volant, sur un mur de son côté de la fenêtre et de la rue, les yeux méchants et malsains qui la clouèrent au fond de son siège. Elle ouvrit la bouche de surprise. Elle était pratiquement sûre qu'ils n'étaient pas là tout à l'heure, mais c'était exactement les mêmes. S'accrochant à l'accoudoir de la portière, elle inspira profondément quand elle eut l'impression qu'ils bougeaient pour suivre le mouvement de la voiture. Un effet d'optique, évidemment.
Pietro tourna à l'angle d'une rue et elle resta interdite, le cœur battant. Même en fermant les yeux, une persistance rétinienne marquait sa vision au fer rouge sous ses paupières fermées, provoquant chez elle une sourde angoisse.
— Cara ? Cosa c'è ?
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Notes de l'auteur
* Salut Galardi, comment ça va ? Mais qui c'est la mignonne ? Sainte Mère, regarde-moi ces yeux ! Laisse-moi prendre bien soin d'elle, puisque tu ne sais pas comment… – Fais attention, Lino. Prends plutôt la commande. Amène-lui des petites pizzas et une escalope de veau pour moi. Un verre de rouge… […] et mets aussi une San Pelligrino fraîche. Une cinquante (centilitres). – Galardi, au moins, tu pourrais être bi…
Capisci? = tu comprends ? - Niente = rien - (Que) cosa c'è ? = Qu'est-ce qui se passe ? / Qu'est-ce qu'il y a ?
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"Eyes without a face" (Des yeux sans visage) est une chanson de Billy Idol qui a vaguement servi de modèle pour la caractérisation de l'apparence de Spike. Buffy le définit ainsi à un moment où elle le cherche en ville. Plus tard, Spike s'en défendra en disant que c'est Billy Idol qui a copié son look.